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Fantastique/Merveilleux
phil1468 : Le souffle de l'ectoplasme
 Publié le 16/01/09  -  4 commentaires  -  21138 caractères  -  45 lectures    Autres textes du même auteur

Maud ne ferait pas partie des voyageurs.


Le souffle de l'ectoplasme


Le trente novembre dernier était un vendredi, et comme tous les vendredis à vingt heures, depuis quelque six mois, je me tenais, le cœur battant, sur le quai principal de la gare Saint-André. J’attendais avec délectation que la voix nasillarde du haut-parleur veuille bien annoncer l’arrivée imminente du Grand Sud Express. Encore un peu de patience, et le train ferait bientôt mourir sa course devant mes yeux, dans un assourdissant crissement de freins en surchauffe, avant de vomir sur le quai son flot de voyageurs transpirants et rougeauds.


Je souriais en pensant que Maud, elle aussi, sortirait du ventre chaud de l’appareil d’ici une poignée de minutes. Ma fiancée agiterait alors son bras pour que je la distingue, elle courrait vers moi et je l’enlacerais avec fougue. Tels étaient les élans, désormais rituels, de nos retrouvailles hebdomadaires. L’émotion que nous avions à nous rejoindre chaque vendredi soir ne s’était tarie d’une once au fil des semaines. Il faut dire que Maud et moi n’étions amants que depuis le mois de juin. Le temps n’avait donc pas encore émoussé le désir que nous éprouvions l’un pour l’autre. En outre, Maud travaillait en province alors que mes affaires avaient la capitale comme exclusive toile de fond. Nous n’avions donc que les week-ends pour nous fréquenter, et quoi de plus efficace qu’un éloignement géographique contraignant pour exalter de jeunes sentiments amoureux ?


Lorsque la voix nasillarde grésilla dans le haut-parleur, ce fut pour prévenir qu’en raison d’un léger problème d’aiguillage, le Grand Sud Express accosterait exceptionnellement ce soir au quai numéro deux. Cette information provoqua l’immédiate migration, vers l’embouchure des escaliers souterrains, des quelques personnes qui patientaient comme moi sur le quai principal. J’aurais certes dû faire le choix raisonnable de suivre le mouvement, mais le brusque désir de bondir sur la voie pour enjamber les rails afin d’atteindre le bon quai, s’imposa à moi avec force. J’avais subitement envie, comme un gosse, de braver une interdiction ancestrale : celle de traverser à pied une voie ferrée. J’ai mis cela sur le compte de l’humeur enjouée qui m’habitait chaque fois que je m’apprêtais à retrouver Maud. Je craignais pourtant de prévisibles remontrances de la part du chef de gare. Alors, avant d’emprunter le dangereux raccourci qui m’attirait tant, j’ai attendu de voir disparaître la casquette du fonctionnaire au détour du distributeur automatique de boissons, imposante machine à l’écorce plastique qui trônait au beau milieu du quai, à quelques pas de moi.


Je me suis approché de la voie ferrée. Elle était plus basse d’un mètre. J’ai jeté un dernier coup d’œil en direction de la casquette. Comme elle n’apparaissait toujours pas dans mon champ de vision, je me suis laissé tomber en contrebas. J’ai atterri sur un épais tapis de cailloux. Ensuite, j’ai fait un pas au-dessus du premier rail. Et là, je me suis figé, pétrifié d’effroi ! Mes efforts pour échapper à la vigilance du chef de gare m’avaient concurremment empêché de prêter attention à la voix du haut-parleur qui venait de mettre en garde contre le passage sans escale d’un train à grande vitesse aux abords du quai principal. Et c’est ce train qui fonçait maintenant sur moi !


Il y eut un assourdissant coup de Klaxon. J’eus à peine le temps d’apercevoir le visage horrifié et les yeux écarquillés du conducteur avant de me propulser en arrière dans un éperdu réflexe de survie. La locomotive passa si près de ma tête que l’appel d’air m’infligea un violent choc à la tempe. Une migraine aussi effroyable que brève s’ensuivit. Quelle étrange sensation qu’une douleur insoutenable qui s’estompe en une fraction de seconde !


Le train défilait maintenant à toute vitesse sous mon nez. Tellement près de mon corps, que j’avais l’impression qu’il le traversait. Je ne bougeais plus. Mon cœur, lui aussi, semblait s’être arrêté en attendant que ce maudit train ne disparaisse de devant mes yeux.


Lorsque le wagon de queue m’eut enfin dépassé, je suis remonté sur le quai principal, tout penaud. Le chef de gare, affolé, courait dans ma direction, et une jeune femme, en proie à la vive émotion que lui avait suscitée la scène dont j’étais le pitoyable héros, poussait de petits cris hystériques, les mains sur la tête, en fixant les rails. Visiblement, ses nerfs avaient lâché. Elle avait dû avoir encore plus peur que moi.


C’est quand j’ai entendu crisser les freins du train sous lequel j’avais failli périr – et qui se trouvait maintenant bien au-delà de la gare – que j’ai mesuré à quel point l’affaire était sérieuse. J’allais sensément me faire passer un savon par le chauffeur, ainsi que par le chef bedonnant à casquette. Peut-être même risquais-je une amende pour l’incident ferroviaire qu’avait provoqué mon acte à l’inconscience impardonnable. L’immaturité de mon comportement était blâmable. J’en étais conscient. Mais quitte à commettre une bêtise, autant la commettre jusqu’au bout : j’ai donc pris la fuite ! Je n’avais aucune envie de me faire tancer par les deux fonctionnaires dont je venais de perturber la routine.


J’ai rapidement rejoint le hall et suis sorti du bâtiment SNCF à toute vitesse. Une fois à l’extérieur, je me suis mêlé à la foule, puis j’ai arpenté le trottoir jusqu’à un kiosque à journaux derrière lequel j’ai élu refuge. Personne ne viendrait me chercher ici. Et puis, l’endroit était idéal pour observer l’unique sortie de la gare. Maud jaillirait forcément de là. Il ne me restait plus qu’à patienter pour la cueillir. Afin de justifier mon absence sur le quai, à sa descente du train, je n’aurais qu’à prétexter la survenance d’un événement exceptionnel. Un problème professionnel, par exemple. Je ne comptais évidemment pas lui parler de l’incident loufoque qui venait d’animer la gare Saint-André et dont j’étais loin de tirer une quelconque vanité.


Quelques instants plus tard, la puissante vague des voyageurs du Grand Sud Express se déversa sur le pavé. J’observais chaque individu qui sortait de la gare. Je guettais Maud.


Le débit des gens qui passaient la porte se raréfia bientôt, jusqu’à s’éteindre complètement. J’ai patienté un long moment encore, et puis je me suis rendu à l’évidence : Maud ne faisait pas partie du lot des arrivants.


Diverses questions se bousculèrent alors dans ma tête : avait-elle raté son train ? Était-elle en courroux après moi pour une de ces raisons de femme qui échappent totalement à la conscience des hommes ? Lui était-il arrivé quelque chose de fâcheux ?


Je me suis rassuré en pensant qu’elle avait peut-être essayé de me joindre pour m’informer de ce qui l’avait retenu. J’ai donc brusquement décidé de rentrer dans mes pénates. Un message m’attendrait certainement sur le répondeur…


Je me suis hâté de rejoindre mon appartement situé à quelques encablures de là. Dès que j’ai mis un pied dans le séjour, j’ai regardé le voyant rouge du téléphone. Il ne clignotait pas. Je n’avais donc aucun message. Tout cela devenait préoccupant. Un coup d’œil à la pendule m’apprit qu’il était plus de minuit. Le réveil de la chambre confirma cet horaire que je trouvais des plus fantasques. Car, même si j’avais perdu un certain temps en attendant Maud à la sortie de la gare, il ne pouvait aucunement s’être écoulé quatre heures depuis que j’en étais revenu.

Bizarre…


*


Ce que j’ai pris pour mon réveil n’était en fait qu’un sursaut. Avais-je dormi ou bien sombré dans l’inconscience ? D’après la pendule, il était maintenant midi. Douze heures venaient de s’écouler, qui m’avaient paru quelques secondes. Sommeil ou léthargie ? J’étais revenu à moi alors que mon lit n’était en rien défait et que le canapé du séjour ne portait aucun vestige de mon corps abandonné à lui. Où avais-je donc passé la nuit ? Le coup sur ma tempe était-il à l’origine de ce trou de mémoire ? Je ne comprenais plus rien. J’étais pourtant sûr d’avoir dormi, car je me souvenais parfaitement de tous mes rêves. De drôles de songes parfaitement chronologiques. Comme un défilé de souvenirs ultra précis et d’images à la bouleversante netteté : le visage souriant de ma mère quand elle me langeait, la grimace du petit Paul à l’école primaire alors que je venais de lui voler son goûter, la voix terrifiante de mon père le jour où il m’avait puni parce que j’avais encore refusé d’embrasser tante Marthe, la raclée que j’avais mise à mon jeune cousin Benjamin un soir que nos parents ne nous surveillaient pas, mon premier baiser sur la bouche donné à la belle Jessica Lambert en classe de sixième, le rictus de mon ami Franck le soir où je l’avais injustement traité de menteur, mon sentiment de joie lorsque j’avais décroché ma licence en droit, la sensation de délivrance au dernier jour de mon service militaire, la tristesse de voir mourir ma grand-mère la veille de mes vingt-cinq ans, et pour finir, la fantastique allégresse ressentie au lendemain de ma première nuit avec Maud, il y a six mois.


Que faire d’un pareil conglomérat cérébral au réveil ?


Je me suis approché de la fenêtre pour regarder au-dehors. La rue était baignée d’une luminosité intense, qui ne n’incommodait pourtant pas. Une telle clarté était inconcevable pour la fin du mois de novembre. Sur le pavé, je devinais une chaleur étouffante que je ne parvenais pas à ressentir non plus. Mon regard s’est posé sur l’éphéméride murale. Elle retardait de quelque six mois. Selon elle, nous étions le 3 juin. Cela cadrait parfaitement avec les conditions météorologiques que je venais d’observer au-dehors, mais pas avec la réalité que j’avais quittée la veille. Et puis, le dimanche 3 juin n’était pas une date anodine : c’était le lendemain de ma rencontre avec Maud.


Cette autre bizarrerie drainait un nouveau cortège de questions, mais je n’eus pas le loisir de m’interroger davantage : le bruit caractéristique d’une clef tournant dans la serrure accapara mon attention vers la porte d’entrée qui s’entrebâilla aussitôt. Deux voix s’élevaient confusément du palier. Le timbre grave d’un homme et celui plus fluet d’une jeune femme. Qui pouvait donc s’introduire chez moi avec pareilles impudence et décontraction ?


La voix de l’homme se fit brusquement distincte :


— Entre et installe-toi, ma chérie, j’ai oublié mes cigarettes dans la voiture. Je retourne les chercher.


La femme lui répondit sur un ton badin :


— Fais vite, mon amour, tu me manques déjà.


J’étais éberlué. De toute évidence, ces gens se trompaient d’appartement. Par quel hasard extraordinaire leur clef avait-elle pu déverrouiller ma porte ?


Dans un réflexe idiot, comme si c’était moi le fautif et que je voulais me cacher, j’ai reculé jusqu’à la cuisine. J’ai entendu la fille traverser le hall, puis poser ses affaires sur la table basse du séjour. Je me suis alors décidé à la rejoindre pour dissiper ce malentendu.


Je me suis avancé dans la pièce.

Et je me suis retrouvé face à Maud !


*


Ma fiancée était plus belle que jamais. Elle était vêtue d’un chemisier blanc très léger et d’une jupe rouge. La même tenue que j’aimais tant lui voir porter l’été dernier. Je me suis campé devant elle. Elle n’a même pas levé les yeux vers moi. Au bout de quelques secondes, j’ai perdu patience :


— Mais enfin Maud, vas-tu te décider à m’expliquer ce qui se passe ?


Pas de réponse.


— Pourquoi n’es-tu pas arrivée par le train d’hier soir ?


Silence.


— Tu n’as pas envie de me parler ?


Mutisme total.


— Et puis qui est ce type avec qui tu débarques chez moi sans prévenir ?


Là, elle s’est mise à fredonner avant d’aller se poster devant le seul miroir de la pièce afin d’y parfaire son maquillage. À aucun moment, son regard n’avait croisé le mien. Elle m’ignorait copieusement. La colère a fini par s’emparer de moi. J’ai bondi à sa suite. J’ai voulu lui attraper le poignet pour la secouer comme un prunier, mais ma main est passée au travers de la sienne sans le moindre contact. J’ai soudain été pris de vertige. C’était donc ça l’explication ? J’étais devenu invisible et immatériel ? J’ai hurlé devant son oreille. Elle n’eut aucune réaction. Même pas un battement de cil. Elle ne m’entendait pas non plus ! Je devenais fou.


Maud a couru vers la porte d’entrée dès que les pas de l’homme avec qui elle était arrivée résonnèrent à nouveau sur le palier. À peine le type eut-il poussé la porte qu’elle se jeta à son cou. Je me suis rapproché du couple et mon vertige s’est accru au centuple : c’était moi qu’elle tenait dans ses bras ! Je me voyais comme si l’on m’avait filmé. C’était terrifiant. Maud embrassait maintenant mon image à pleine bouche. J’ai tendu la main : mes doigts sont passés au travers des deux corps enlacés.


Et tout à coup, j’ai compris ! L’effroyable réalité s’est imposée à mon esprit : j’avais donc bel et bien péri sous le Grand Sud Express. J’étais mort, et j’étais en train de revoir le film de ma vie !


Tout s’expliquait désormais : cette douleur à la tempe, intense mais fugace puisque mon décès avait dû immédiatement succéder au choc, la panique du chef de gare, le coup de frein du chauffeur qui avait senti l’impact, la crise de nerfs de la jeune femme qui fixait des yeux la voie où mon corps avait logiquement dû s’éparpiller. Voilà donc pourquoi j’avais eu la sensation que le train me traversait, pourquoi je n’entendais plus mon cœur après l’accident, pourquoi la luminosité ou la chaleur ne me dérangeaient plus désormais. Depuis hier – mais était-ce vraiment hier – je n’étais plus qu’un esprit, une âme, un spectre, un ectoplasme ! Ce que j’avais pris pour des rêves à l’étrange netteté n’était que les images en accéléré de ma propre vie. Et maintenant, pour je ne sais quelle raison, le film venait de ralentir, et j’assistais à toutes les scènes des six derniers mois de mon existence. Les mois plus beaux. Ceux que j’avais passés avec Maud…


*


J’étais donc devenu le spectateur transparent d’un scénario que j’avais déjà joué et dont je me rappelais tous les dialogues. Depuis cet autre monde, je réalisais à quel point l’on peut perdre du temps en bavardages stériles et en actes futiles sur cette terre lorsque l’on est encore fait de chair et de sang. J’aurais voulu intervenir à maintes reprises pour conseiller le pauvre bougre qui s’agitait maladroitement sous mes yeux – et qui avait été moi – mais cela n’était malheureusement pas possible.


Les jours se mirent à défiler. J’assistais à tout. Le plus rébarbatif, c’était les nuits. Je me regardais dormir. Je m’allongeais à côté de mon propre corps. Les week-ends, j’observais Maud. Au coucher, je m’étendais entre elle et moi. Les minutes semblaient passer avec la même mesure que lorsque j’étais en vie. Chaque matin, je me regardais éplucher une feuille l’éphéméride murale qui perdait peu à peu de son épaisseur. Tout cela nous conduisait inexorablement vers le 30 novembre où je me verrais passer sous un train. Ainsi, la boucle serait bouclée. J’ignorais ce que serait la suite de mon programme post mortem…


*


L’envie folle d’essayer de changer ma propre histoire me vint alors que j’étais en train de revoir la soirée du 28 septembre : j’observais mon corps et celui de Maud assis devant la télé sur le canapé du salon. Moi, l’ectoplasme, je tournais autour des deux êtres vivants et je cherchais un moyen de les perturber. Les toucher était impossible. Si je criais, ils ne m’entendraient pas. Alors, j’ai soudainement eu l’idée d’utiliser mon souffle. Je me suis positionné devant la bouche de Maud et j’ai soufflé de toutes mes forces. De façon incroyable, au bout de plusieurs essais, je suis parvenu à produire un infime filet d’air, que la belle a pourtant ressenti. Elle a passé une main lascive sur ses lèvres et, dans la seconde qui suivit, s’est voluptueusement jetée sur mon être physique, dans un élan charnel sans équivoque. Moi, l’ectoplasme, je fus stupéfait. Cette scène n’avait jamais existé de mon vivant. Nous n’avions pas fait l’amour ce soir-là. J’étais formel. Je venais donc, depuis l’au-delà, de susciter ponctuellement à ma fiancée, et d’un simple souffle, un irrépressible désir de chair, ce qui modifiait au moins un détail – sinon un événement – de mon propre passé.


J’allais donc maintenant tenter de bouleverser mon histoire de façon plus probante, le but étant de modifier le cours des choses jusqu’à empêcher la présence de mon être physique sur le quai principal de la gare Saint-André le 30 novembre.

Car, en effet, le problème se posait en deux questions-réponses. Question : pourquoi m’étais-je rendu dans cette fichue gare ce jour-là ? Réponse : pour aller chercher Maud. Seconde question : et si Maud et moi avions rompu avant cette date ? Ultime réponse : je n’aurais eu aucune raison de me trouver à Saint-André et donc aucune raison d’y mourir !

Moi, l’ectoplasme, je devais donc user de mon souffle pour que Maud m’ait quitté avant le 30 novembre !


*


C’est lorsque j’ai revu ma soirée du 3 octobre, que la solution m’est apparue. Limpide. Ce soir-là – un soir de semaine – Maud n’étant pas avec moi, je l’avais honteusement trompée avec une fille rencontrée dans un bar après le boulot. Revoir ces images me fit mal. Déjà, de mon vivant, je m’étais demandé, dès le lendemain de cette coucherie, pourquoi j’avais sombré dans un tel écart de conduite, moi qui étais profondément amoureux de Maud. Il fallait vraiment que ma chair fût faible pour cela.


Mais, à présent, j’y voyais une extraordinaire aubaine d’échapper à ma propre mort. Depuis mon au-delà, il m’apparaissait évident que Maud m’aurait quitté sur-le-champ si elle avait assisté à cette basse infidélité au moment où je l’avais perpétrée sur la terre.


Restait pour moi, l’ectoplasme, la tâche d’insuffler à Maud un irrépressible désir libidineux le soir de ma trahison, afin qu’elle me rende, à l’improviste, une visite nocturne.


J’ai longtemps soufflé sur la bouche de Maud avant que mon misérable filet d’air de fantôme ne l’atteigne. Le résultat a malgré tout été aussi efficace que la fois précédente. J’ai vu Maud quitter précipitamment son appartement, se ruer vers la gare et prendre le train pour rallier la capitale. Elle a débarqué chez moi vers 23 heures. Ce n’était jamais arrivé un soir de semaine. J’ai vu Maud ouvrir la porte de mon appartement et me surprendre dans de torrides ébats sexuels avec cette fille d’un soir. Nouvelle scène inédite. Moi, l’ectoplasme, je fus pris de vertige : j’avais changé le cours de ma vie sur terre. J’avais créé un point de rupture dans ma propre histoire. J’ai vu Maud hurler de colère puis de peine avant de repartir en pleurs. Ensuite, je me suis vu congédier la fille d’un soir pour noyer mon chagrin dans une bouteille de whisky.

J’avais donc mis un terme à ma relation avec Maud depuis l’autre monde. Tout ce que je voyais maintenant du film de ma vie était inédit. Je ne savais rien de ce qui allait se passer ensuite.


La seule chose dont j’étais certain, c’est que je ne mourrais plus à la gare Saint-André, le 30 novembre. Lorsque j’en serais à revoir ce jour-là, n’ayant plus de raison d’errer en au-delà, je réintégrerais assurément mon corps pour reprendre le cours de mon existence.


J’attendais de voir comment allait s’opérer un tel phénomène…


*


En visionnant les deux derniers mois de ma vie, j’ai constaté que mon emploi du temps de terrien n’avait guère changé depuis ma rupture avec Maud. J’arrivais au bureau très tôt le matin et en ressortais très tard le soir. Ce qui avait changé, c’était les week-ends. À voir ma mine, je ne devais pas être bien joyeux. Je me soûlais tous les vendredis et samedis soirs. Les cadavres de bouteilles de whisky s’entassaient dans l’appartement.


Moi, l’ectoplasme, je devais me préparer à réintégrer un corps fatigué par l’alcool et un moral à zéro. Mais cela valait mieux que de mourir pour de vrai. Et puis, une fois revenu sur terre, je finirais bien par oublier Maud.


Ma soirée du 30 novembre survint enfin. J’étais impatient de ressusciter. Un peu avant 20 heures, je me suis vu enfiler un manteau et sortir de l’appartement en sanglotant. Mon être physique marchait à grandes enjambées. Où allais-je ? Le suspens ne dura pas bien longtemps. Pour la première fois depuis que je vivais en au-delà, je fus pris de terreur : mon terminus pédestre était la gare Saint-André ! Je compris alors que le dénouement de ma vie était irréversible.


Je me suis vu accélérer le pas, entrer dans le hall de la gare, puis courir sur le quai. Mon souffle de spectre ne pourrait rien modifier cette fois-ci. La voix du haut-parleur mettait en garde contre le passage sans escale d’un train à grande vitesse aux abords du quai principal.


Nul doute que j’allais assister à mon suicide. Le destin avait donc impitoyablement programmé ma mort ce 30 novembre.

Au moment où je me suis jeté sous le train, le haut-parleur annonçait l’arrivée imminente du Grand Sud Express au quai numéro 2.


Maud ne ferait pas partie des voyageurs.

Moi, l’ectoplasme, je savais maintenant pourquoi.


 
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   Filipo   
16/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je trouve ce texte pas mal. Agréable à lire et bien écrit, des expressions imagées nous font bien plonger dans l'ambiance.

C'est par contre au niveau de l'intrigue, que cela pèche un peu. Le titre nous donne tout de suite la clé du récit, qui finalement perd de sa force (comment ne pas comprendre que l'accident initial est fatal et que le héros n'est plus qu'un ectoplasme ?)
Ce qui rend la suite un peu lourde, on sait déjà ce qu'il en est...

La fin, assez bien trouvée, évite le paradoxe temporel et boucle la boucle. Mais est à mon sens, tout ça est un peu expédié.
Dommage, la qualité de l'écriture aurait sinon justifié une note plus élevée.

   Menvussa   
16/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Le titre, il est dommage qu'il indique la couleur. Ceci étant, il n'en demeure pas moins que, avec ou sans titre, on devine très rapidement ce qui s'est passé.
Puis il cherche à changer le cours du temps, évidemment ça ne va pas fonctionner. Moi j'aurais opté pour une fin qui semble lui réussir avec juste le petit grain de sable qui grippe la mécanique au dernier moment.

J'ai trouvé le style un peu lourd. Le récit est raconté par l'ectoplasme(pas joli... fantôme est plus poétique) à qui le raconte-t-il ? Comment communique-t-il ?

Bon ce n'est pas le propos de l'histoire, mais alors, comment justifier un style aussi "riche".

Et puis, ce choix qu'il a eu de de traverser les voies, somme toute débile, n'aurait-il pu avoir un autre fantôme pour lui souffler l'idée...

Bref, le sujet étant assez usité, j'aurais voulu y trouver quelque chose de plus original.

   xuanvincent   
16/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour, je partage dans l'ensemble les impressions des précédents lecteurs.

Le thème de l'histoire m'a intéressée mais j'ai trouvé le traitement du récit un peu poussif.

   Nobello   
18/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Merciiiii !
Ouf ! Là aussi à deux doigts de l'abandon de poste -j'avais tellement le sentiment de pouvoir anticiper la suite -. Mais une écriture agréable m'a donné envie d'aller jusqu'où voulait m'emmener l'auteur, au cas où.
Ben le cas est.
Une vraie nouvelle, qui s'articule en douce et m'attrape par l'épaule : il y a là une bonne part de ce que j'aime. Vivement la prochaine, que je promets d'aborder sans les soupçons que j'ai fait injustement peser sur celle-ci.


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