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Humour/Détente
Quetchi : Jef au placard
 Publié le 23/04/07  -  3 commentaires  -  10369 caractères  -  28 lectures    Autres textes du même auteur

Le deuxième volet du quotidien véridique d’une poignée de travailleurs acharnés.


Jef au placard


Mettons-les au placard :


• Le type qui a pété les plombs une fois. Comble de malchance, il a la forme d’une armoire à glace. On préfère le placer seul dans un bureau au fond d’un couloir peuplé uniquement d’intérimaires. S’il leur arrive quoi que ce soit, les assurances sont moins regardantes.

• Celui dont la tête ne revient à personne. Cas inexplicable et fréquent, aujourd’hui votre voisin en fait les frais, demain c’est pour vous !

• Le directeur qui a perdu au jeu des chaises musicales. On le remplace bien vite et on l’envoie chapeauter une tripotée d’employés qui se débrouillaient très bien sans lui.

• Les syndicalistes forcenés. Leur histoire ressemble à la problématique de l’œuf et de la poule. On ne sait plus s’ils se sont syndiqués parce qu’on les a mis au placard ou s’ils sont au placard parce qu’ils sont syndiqués.

• Jef. Il appartient à la 5ème catégorie. Les pires. Ceux qui n’ont pas besoin d’être guidés pour trouver l’entrée.


* *

*


Le lendemain. Bureau de Jef. Milieu de matinée.


- Jean-François !

Le cœur de Jef rate un battement. Comment Alain fait-il pour entrer sans qu’on l’entende ?

- Vouiii ?

- Dés le mois prochain nous accueillons dans notre équipe Michel Platon. Tu sais, il est actuellement l’un des maillons forts du service d’études sur les recherches. C’est un type brillant. Nous devons réorganiser les bureaux. Comme Pierre s’en va, tu iras chez Roger …


Un instant, l’esprit hyperactif du CSP (Cadre Sup’ Planqué) s’égare et passe à côté de l’information essentielle. Un service d’études sur les recherches … doit être passionnant. Penser à postuler.


- … Michel me secondera sur certains aspects de mon travail et je souhaite également qu’il MONTE EN PUISSANCE – comme à chaque fois qu’il utilise cette expression, Alain bombe le torse et tripote sa moustache – sur la partie dont tu t’occupes.


STOP. Pas si vite :

1) Une bonne fois pour toutes, quelqu’un pourrait-il lui indiquer ce que sont ces occupations dont tout le monde parle ?

2) Alors c’est fini ? Il ne pourra donc plus faire croire à quiconque qu’il est responsable adjoint ?


Il sent toutefois que quelque chose d’autre a échappé à son analyse de la situation actuelle. Complètement noyé dans le flot de paroles du chef.


- Et tu as regardé le problème sur le dossier de la société Transports Truand ?

- Oui, oui.


Le CSP répond distraitement. Il essaie de se concentrer.


NON. IMPOSSIBLE. C’EST CONTRE NATURE. Et dans un couinement désespéré, Jef demande :


- Tu m’as dit que quoi exactement ?


Trop tard. Alain est parti. Et le cadre se retrouve dans le bureau du non-cadre.


Bureau de Françoise et Béatrice. Milieu de matinée + 1 heure 30.

Jef entre sur la pointe des pieds, se dandine en venant vers moi avec la démarche d’un singe qui s’est assis sur sa banane, s’assure d’un petit coup d’œil que Françoise ne l’écoute pas et se lance.


- Non ! Mais ! Attends ! Tu te rends compte, Béatrice ? Me mettre dans le bureau de Roger ? C’est un gros balourd.


Pas le moment de lui faire remarquer que le terme « balourd » appartient au vocabulaire des vieux « ringards ».


- Il ne sait ni parler, ni écrire ! Il est à la limite de l’illettrisme. Vue ma classification - je suis tout de même cadre de niveau 3 - je pourrais exiger d’être seul dans un bureau.

- Oh oui, fais-le.

- Non, tu comprends, si c’est dans l’intérêt du service …


Soupir du cadre lâche, sacrifié sur l’autel de la productivité. Dans un mouvement d’automatisme troublant, Jef porte la main à son entrejambe et se gratte avec détermination. Il se rend compte que je le regarde avec intérêt et arrête net son geste.


- Et il va déjeuner à midi tapant, comme tous les gros beaufs !


Enfin un argument valable. Horaires de repas incompatibles.


- Oh ben alors, il faut que je te révèle que je suis moi aussi une grosse beauf. Pire, je mange quasiment tous les jours avec Roger !


Un instant décontenancé, Jef choisit de m’ignorer et reprend sa litanie.


- Me mettre avec cet analphabète !

- Bon, en effet, au niveau expression écrite et orale, ce n’est pas vraiment le top. Mais reconnais que Roger est un bon commercial.

- Un bon commercial ?! Je l’ai entendu négocier hier par téléphone. Les prix qu’il annonce ne sont ni en euros, ni même en francs ! Il disait : « ce truc vaut 40 patates » ! Ce bourrin parle en patates !


Jef transpire de rage. La pétasse ne comprend donc rien ?


- Je vais demander un entretien avec De Foulon. Qu’en penses-tu ?


Le chef du chef. Epatant ce garçon. Pourvu qu’une fois en face de lui, il évite de toucher certaines parties de son corps.


- Aucun intérêt. La gestion des équipes, ce n’est pas son problème. Et je ne pense pas qu’il apprécierait que tu fasses cette démarche dans le dos de ton responsable. Adresses-toi plutôt à Alain.

- Il ne m’écoutera pas ! Il est persuadé que je suis un fainéant !


Sans rire !


- Et il m’a dit que De Foulon pense comme lui et j’aimerai savoir ce qu’il en est. Et là, on va trop loin. J’ai bien des choses à dire sur la manière dont on nous encadre.


J’ai l’image fugace d’un petit Jef rapporteur à l’école primaire. Irrésistible.


- Attends ! Tu vas passer pour quoi ? En plus, il fera certainement un rapport détaillé à Alain !

- Je suis sûr que non. Par contre, je vais attendre la semaine prochaine.

- Pourquoi ?


Il ricane, gêné.


- Chi chi chi, Alain sera en congés.


Monstrueusement audacieux. Devant ma mine éberluée, il tente de se justifier :


- Je ne voudrais pas que cette histoire tourne au scandale ou qu’Alain apprenne que je suis allé voir De Foulon, qu’il me demande pourquoi …


Il s’embourbe jusqu’aux genoux dans ses explications. Tout en gloussant le plus discrètement possible, je décide de changer de sujet.


- Tu le connais Platon, toi, Jef ?

- Un peu. Il est sympathique, mais … Il baisse la voix pour avouer : je le trouve mou.

- Tu veux dire, euh… plus mou que toi ?


Jef finit par sortir du bureau, excédé par la pétasse qui pleure de rire depuis 10 minutes.


Bureau de Françoise et Béatrice. Début d’après-midi.


- Béa, tu sais pour la réorganisation des bureaux ?

- Oui Roger, je suis au courant.

- Ils veulent me mettre avec ce branleur ! Il ne va rien foutre, c’est moi qui vais devoir me taper le boulot de ce cakosse.


Cakosse. Inédit et savoureux. Brut de décoffrage Roger, dans ses déclarations. Ceci dit, dans l’ensemble, il n’a pas tout à fait tort.


- Attends, il a 3 qualifications de plus que toi, vous n’allez pas faire le même travail.

- Je vais lui servir de petite main. Tu verras.


1m90 et 100 kg et il déclare qu’il va être « petite main ». Jouissif. Devant le drame évident qui se joue, j’évite de faire de l’humour.


- Pourquoi le mettent-ils avec moi, cet abruti ?


Comment lui répondre sans le vexer ? Sans lui dire que les placer dans le même bureau est une véritable punition pour Jef ? Et que c’est une mise au placard à peine déguisée ?


- Je vais demander un entretien avec De Foulon.


Quel succès ! Je m’emporte :


- Vous le prenez pour qui, ce mec ? Le messie ? Vous croyez vraiment que vos problèmes vont le passionner ?

- Pourquoi tu dis « vous » ?


Et flûte. Les yeux écarquillés, le plus naïvement possible, je réponds :


- J’ai dit « vous » ?


Roger hausse les épaules et enchaîne.


- Par contre, je vais attendre la semaine prochaine. Alain sera en congés.


Lui aussi ? Cadres, non-cadres, après tout, quelle différence ?


Fin de journée. Bureaux désertés.


- Béatrice ?

- Yes, chef ?

- Pensez-vous que Jean-François soit capable de faire les statistiques mensuelles ?


Merde. L’heure est grave. Alain ose interroger le petit cadre sur les compétences de son cadre sup’. Essayons d’être diplomate.


- Chez Jef, ce n’est pas un problème de capacités.


Quoique.


- C’est quoi, alors ?

- Je ne suis pas sûre que ce type de travail lui plairait et …

- On s’en fout de ce qui lui plaît ! Il ne veut rien faire, ne sait rien faire …


Voilà. Bien fait pour moi. Ca m’apprendra à rester après l’heure.


Le lendemain. Bureau de Jef.

Jean-François est au téléphone avec une assistante en filiale. 8ème appel de la matinée. Mieux vaut prévenir que guérir. Et pour la 8ème fois, il déclare :


- Je vais changer de bureau. Tu comprends, quelqu’un doit surveiller Roger, qui fait un peu n’importe quoi. Comme je suis son supérieur hiérarchique, c’est la meilleure solution.


Il soupire. Il faut toujours soupirer quand on a des problèmes avec un subalterne.


Un mois et demi plus tard. Bureau de Roger et Jef.

Depuis que Jef s’est installé dans le bureau du non-cadre, sa vie a changé. Il n’appelle plus sa mère et sa femme (ordre de préférence) qu’entre 12 et 13, heure à laquelle Roger part déjeuner. Le restaurant d’entreprise est à l’évidence particulièrement palpitant après 13 heures, moment propice à la rencontre d’autres cadres sup’.

Ses appels aux assistantes des filiales se sont espacés. Et pour cause ! Soit le bourrin assis en face de lui, l’écoute avec attention et le regarde fixement, sans aucune pudeur, pendant toute la durée de la communication, soit il est lui-même au téléphone et hurle. Impossible de s’entendre baratiner.


Il peut toutefois continuer à vivre pleinement l’une de ses passions : patrouiller dans les couloirs à la recherche de la mignonne petite nouvelle qui n’a entendu parler ni de sa promptitude à renifler de la chair fraîche (de plus en plus rare)… ni de sa déchéance actuelle.


Niveau tics ? De pire en pire. Jean-François vérifie cinquante fois par jour sa virilité qui a bien du mal à rester digne suite aux derniers évènements, son nez reçoit la visite de ses doigts à tout bout de champs et, élément nouveau, il se cure les dents à intervalles réguliers (ordre aléatoire).


Niveau travail ? À peu de choses près (classification, salaire et autres détails sans importance), il occupe un poste identique à celui de Roger. Et 8 heures par jour dans le même bureau sont, c’est inévitable, accompagnées d’effets secondaires plus ou moins gênants : quand il est sûr qu’aucun responsable n’est dans les parages, Jef se surprend à utiliser les expressions hautes en couleurs du non-cadre : c’est grave de grave, ce mec est un gros cake, etc …


Niveau moral ? Jef est serein. Il a barricadé la porte de son placard.


 
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   Maëlle   
21/11/2007
 a aimé ce texte 
Bien
Je pensais l'avoir déjà commenté, mais non, et du coup ça me permet de le relire.

Une suite pas mal du tout, en fait. Si c'est une trilogie, le troisiéme volet pourrait envisager le principe de Peter

   Bidis   
22/11/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Drôle et cruel, bien observé.
Et écrit de façon fluide et agréable.
J'ai passé un bon petit moment.

   Mona79   
16/5/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Hum ! C'est de l'humour grinçant, mais vu par le petit bout de la lorgnette on peut rire, en effet, des mésaventures de ce petit "cheffaillon" (comme il y en a tant !) et souhaiter que tous les incapables soient mis "au placard", ou mieux : cèdent la place à de vrais chefs... mais le but de cette nouvelle n'est certes pas de philosopher sur la question des sans-emplois qui seraient mieux à la place de...

Pourtant on ne peut s'empêcher de tirer la morale de ce récit bien construit, qui nous mène où son auteur l'a sans doute espéré. Conclusion facile à deviner : les incapables s'accommodent de tout et finissent plus bas qu'ils n'ont commencé.

Les dialogues sont bien menés et l'ironie sous-jacente en ressort constamment.

C'est mon ressenti face à ce texte sur lequel je n'ai aucune critique négative à formuler.


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