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Réalisme/Historique
REDBUCHE : Le policier, le chien et son maître
 Publié le 08/01/12  -  12 commentaires  -  7985 caractères  -  103 lectures    Autres textes du même auteur

Petite nouvelle écrite à partir d'une brève éloquente (réelle ou imaginaire ?) lue sur un site d'information libertaire lusophone.


Le policier, le chien et son maître


Les mains calleuses de l'homme battent en cadence sur la table en plastique. Elles produisent un rythme entraînant qui fait trembler les verres, tous remplis de cette bière fraîche et facile à boire qu'on trouve partout au Brésil. Les voix éméchées se mêlent pour entonner ensemble un air bien connu et tenter de conjurer la chaleur étouffante de cette fin de journée. Un air triste dans le fond mais gai dans la forme, comme toutes les sambas.


Le chant est un moment couvert par le bruit d'un moteur puissant. Devant le boui-boui crasseux, encastré entre les grilles des immeubles, passe un roadster d'un rouge provocant. Il se gare, désinvolte, sur le trottoir mosaïqué d'en face, entre deux figueiras, ces arbres immenses aux troncs multiples et enchevêtrés. Une femme ouvre la portière, le soleil rayonne sur sa montre et ses Ray-bans aux verres teintés. Visiblement harassée par la chaleur, encombrée de plusieurs sacs, elle sonne à la grille puis pénètre à la suite du portier dans un des immeubles.


De l'autre côté, à quelques dizaines de mètres, un homme est allongé sur ce même trottoir avec son chien. L'homme est pieds nus, son bermuda est d'un bleu sale tirant sur le noir et son tee shirt n'a plus vraiment de couleur ni de forme définissable. Sa tête repose sur son bras. Dans sa main, une bouteille de cachaça, un de ces flacons d'alcool de 500 ml, rond, en plastique, qu'on trouve pour moins de trois euros dans tous les supermarchés. Caninha da roça. Le soleil monte imperceptiblement le long de ses jambes, mais l'homme y est pour l'instant insensible. Le chien, par contre, bat en retraite et vient se poser au pied de l'arbre, là où le sol est le plus frais.


Une voiture de la police militaire, Volkswagen bleue et blanche, passe au ralenti. Une patrouille de routine qui s'assure que l'ordre est respecté. Elle ne trouve pour l'heure aucun motif qui vaudrait une intervention harassante sous ce soleil de plomb et disparaît au coin de la rue. Le mendiant, d'instinct, s'est réveillé. Il commence par caresser son chien et fourre son visage dans le cou de l'animal qui agite la queue, enthousiaste. Il boit une grande lampée d'alcool, se lève péniblement puis se remet en marche.


Au bar, les conversations vont bon train et la compagnie est d'humeur joyeuse. On boit, on discute, on chante et on rit. Ce sont pour la plupart des habitués, des gens du quartier. Ou plutôt des gens qui travaillent dans le quartier car ceux qui y habitent ont tendance à fréquenter des établissements plus distingués. Un client adossé au comptoir reconnaît le vagabond et son chien : « Ah celui-là ! Toujours à traîner par ici ! Et toujours la bouteille à la main, bourré pra caramba ! Tu vas voir qu'il va venir nous taper une cigarette, comme d'habitude ! Et cette pauvre bête qui le suit partout, je sais pas comment il fait pour lui donner à bouffer ! » Les autres approuvent et s'apitoient sur le chien.


L'homme traverse la rue en titubant et, confirmant la prédiction du client, s'arrête à la première table pour demander une cigarette. Il se fait comprendre par un geste, sans parler. Un silence un peu gênant s'installe, puis une jeune femme lui en tend une. Il perd un peu l'équilibre lorsqu'il la prend et se rattrape en agrippant une chaise. Il cherche son briquet pendant une bonne minute puis accepte finalement le feu que lui tend sa bienfaitrice. Les conversations reprennent pendant qu'il s'éloigne et traverse de nouveau la route, sagement suivi de son compagnon à quatre pattes.


Pendant ce temps, la propriétaire du coupé rouge est descendue de sa résidence et contourne sa voiture d'un pas pressé. Quand elle démarre, le vagabond a rejoint le trottoir et avance toujours de son pas erratique en direction de l'endroit où elle est garée. Il marche tête baissée, s'aidant des motifs des mosaïques du trottoir pour se repérer et poser ses pieds au bon endroit.

Le bâtard marche à ses côtés, la tête tournée vers son maître comme un père inquiet qui regarderait son fils effectuer des premiers pas hasardeux. Installée au volant, la femme fait du rangement dans son sac à main et recule finalement sa voiture lorsque l'homme arrive au niveau de la portière droite. Surpris par le mouvement soudain du véhicule, il trébuche et se rattrape au rétroviseur qui, par l'effet de son poids et du recul de la voiture, finit par céder.


L'homme tombe, étourdi, sans réaliser ce qui se passe vraiment. Le chien s'empresse autour de lui. Son maître le flatte en lui versant des paroles rassurantes. Les vociférations de la femme prennent le relais du moteur. Elle descend de la voiture et s'approche en témoignant son indignation : « Poxa ! Mais qu'est-ce que c'est que ça ! Regardez-moi ce qu'il a fait, ce misérable ! Et qui est-ce qui va payer maintenant ? Ah non, ça ne va pas se passer comme ça ! » Elle sort son téléphone portable et appelle la police.


Quand le fautif prend conscience de la situation, la propriétaire a déjà raccroché et inspecte les dégâts, toujours très énervée. Il essaie d'articuler des mots d'explication mais son charabia est d'autant plus incompréhensible qu'il lui manque presque toutes ses dents. La femme est intraitable et ne cherche pas à l'écouter : « Vous allez payer ! Je ne sais pas comment, ni avec quel argent mais vous allez payer pour ce que vous avez fait ! » Le chien pousse des petits cris plaintifs en tournant autour d'eux, conscient, d'une manière ou d'une autre, du malaise ambiant. Le vagabond s'approche de la conductrice et pose les mains sur ses épaules dans un geste maladroit qui se veut apaisant mais ne fait qu'ajouter à son exaspération. Celle-ci le repousse, d'un air outré.


C'est à ce moment que surgit la patrouille qui s'immobilise dans un nuage de poussière. Si la voix stridente de la propriétaire du roadster n'a pas suffi à attirer l'attention des badauds, l'accélération et les crissements de pneus de la voiture de police s'en chargent. Dans le bistrot, on ne chante plus. Les regards sont rivés vers la scène, on se permet quelques commentaires mais on n'ose pas trop s'approcher et encore moins s'en mêler : « Celui-là, de toute façon, il fallait bien qu'une histoire comme ça lui arrive un jour. »


Un des officiers descend en trombe suivi de peu par son collègue. Interprétant immédiatement les gestes du mendiant envers la femme comme une agression, il l'attrape et le met à terre. Celui-ci esquisse quelques gestes de protestation, qui s'avèrent suffisants pour mériter un passage à tabac. Les officiers, en bon garants de l'ordre moral, du respect de l'uniforme et de la propriété, frappent l'homme à grand coups de matraque et le garnissent de coups de pieds dans les côtes. Face au spectacle de son maître porté à terre puis battu sans ménagement, le chien gronde et finalement attrape le pantalon d'un des policiers avec ses crocs qu'il tire de toutes ses forces. Avec un sang-froid tout professionnel, le policier agressé demande à la femme : « Il est à vous ce chien ? » Celle-ci, un peu choquée, remue la tête de gauche à droite.

Le policier lui demande alors de reculer. Il se libère de l'emprise du chien et sort son arme de service. Il enlève le cran de sûreté, vise et tire deux coups de feu en direction de l'animal. Le chien est projeté en arrière par la détonation, couine brièvement et expire dans une petite flaque de sang. Les coups de feu résonnent longuement dans l'air pesant de cette fin d'après-midi. Pendant que le second officier discute avec la victime du litige et prend ses coordonnées, l'autre jette le vagabond sans ménagement dans la voiture, pour l'emmener à l'hôpital ou à la morgue, selon son état à l'arrivée.


Au bar, l'ambiance est un peu retombée. Chacun a un mot à dire sur l'événement. Tout le monde s'accorde sur la brutalité de la police militaire : « Autant de violence contre un chien n'était pas justifiée. C'était un chien doux qui n'avait jamais fait de mal à personne. »


 
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   Anonyme   
3/1/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonne conclusion à la cruauté imparable ! Tout le texte sonne très vrai, je trouve, tout s'enchaîne très logiquement, implacablement. Pour moi, le style sert très bien le texte, avec ses allures de constat dépassionné et sa manière efficace de planter le décor avant d'installer l'action. Une belle réussite, à mon avis.

   Anonyme   
4/1/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
La police ne s'embarrasse pas de scrupules au Brésil.
C'est une tranche de vie, une histoire sur la cruauté ordinaire. Malgré tout ça ne provoque pas beaucoup d'émotion peut-être par ce que c'est raconté - à dessein ? - sur un ton neutre à la façon d'un compte rendu opératoire ?
Je remercie l'auteur de n'en avoir pas profité pour nous faire de la morale sur les méchants riches et les pauvres mendiants alcooliques. Malheureusement il n'a pas évité le truisme de la méchante police (il est vrai militaire).
Finalement, je me demande quel intérêt ça a, tout ça.

   Perle-Hingaud   
4/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une construction intéressante, avec le zoom initial, par exemple. L'écriture est froide, mais sert bien le propos. On sent la tension monter dans l'attente du dénouement, forcément tragique. Merci pour cette lecture !

   matcauth   
8/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien
il ne fait pas bon habiter au Brésil, on dirait! le texte est raconté à la manière d'un article de presse, froid, sans émotion. Mais cela sert l'histoire, finalement.

Certaines choses ne m'ont pas paru vraisemblables : les clients indifférents, l'accident que personne n'a remarqué... les flics qui tirent dans le tas en pleine ville...

La fin est cruelle, surprenante à souhait et très cruelle. Elle nous laisse un sentiment de malaise (c'est le but, je pense) et de tristesse ( ah ça! les chiens, moi, ça me touche terriblement !)

et puis j'ai aimé les petits détails qui nous permettent de "rentrer" dans ce pays, pas si connu, finalement.

   toc-art   
8/1/2012
J'ai bien aimé ce texte, bien écrit selon moi, efficace, même si j'éprouve pourtant un sentiment ambigu dans ce qu'il dit et dans sa façon de le dire. Je m'explique.

Le traitement se veut froid, distant, journalistique, pour renforcer sans doute le réalisme de la situation, une énonciation factuelle d'un événement, sans affect et donner ainsi plus de poids à ce que le texte veut dénoncer.

Je comprends la démarche, sauf que... sauf que la retranscription d'un événement n'est jamais neutre, ni objective, ni impartiale et le narrateur, bien que s'efforçant de ne pas apparaître, laisse quand même des indices de son interprétation, il prend parti. Comment sait-il par exemple que le mendiant n'a pas essayé de bousculer la femme ? La femme a-t-elle été vraiment si odieuse ? Certes, l’interprétation du narrateur est plausible, peut-être probable, mais elle n'est qu'une possibilité, elle exprime un angle et le point de vue adopté par le narrateur. Encore une fois, il n'y a rien là de condamnable, mais c'est un choix, plus que du narrateur, de l'auteur lui-même, et ce qui me gêne, c'est la thématique "réalisme" sous laquelle on place le récit, lui donnant ainsi un caractère de vérité objective et, d’une certaine manière, incontestable.

Par ailleurs, même si j'aime qu'on me fasse réfléchir sur la propension de beaucoup d'entre nous à s'émouvoir du sort des animaux quand le spectacle de la misère humaine ne nous surprend ni ne nous indigne plus, j'avoue aussi ma lassitude devant cette facilité à opposer trop souvent la générosité envers les animaux à l’indifférence envers nos congénères. Je trouve le procédé un peu réducteur, facile et usé pour tout dire, qui semble édicter comme règle qu’on ne puisse à la fois vouloir aider la cause animale et défendre les droits de l’homme. On n’est pas loin d’une caricature et d’un poncif pour moi, ici.

Ces réserves relèvent peut-être plus d’une discussion en forum sur les récits. Mais je le répète, j’ai aimé votre texte car vous savez poser une situation en peu de mots, avec une sobriété et une efficacité réelles. Et j’aime aussi ce qu’il a provoqué chez moi, en tant que lecteur, une réflexion non seulement sur le sujet lui-même tel qu’il est évoqué/dénoncé, mais aussi sur la façon dont vous avez choisi de le faire. J’aime bien aussi parfois qu’un texte m’oblige à réfléchir, à ne pas me contenter de ce qu’on me sert comme une évidence et à vouloir aller plus loin que la simple lecture brute et l’impression spontanée.

Bonne continuation.

   Anonyme   
8/1/2012
Commentaire modéré

   Anonyme   
8/1/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Un thème d'actualité: l'itinérance mais ici raconté à froid, sans émotion et les gens ont eu de l'empathie seulement pour le chien et les chiens (lol). Probablement que c'est voulu par l'auteur pour laisser au lecteur le soin de se faire sa propre idée.
L'écriture est soignée mais le temps des verbes ( présent de l'indicatif) ne m'apparaît pas très adéquate pour une nouvelle littéraire. J'emploierais plutôt le passé simple et l'imparfait...Enfin!
Ce n'est pas un grand cru mais j'ai lu. Merci!

   Palimpseste   
8/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Pas grand chose à dire, c'est propre et net.

Le texte est une simple tranche de vie dans un pays brutal. Dans bien des quartiers de Sao Paulo, les policiers auraient sans doute tirés sur le bonhomme avant de discuter avec le chien. Aurait-il été possible de placer le récit dans un endroit particulier du Brésil? Une telle histoire est moins crédible à Brasilia ou Curitiba qu'à Recife, Sao Paulo ou Bahia (à ce que j'ai connu du Brésil, je ne suis pas un spécialiste du pays).

Juste un détail: le prix de la bouteille indiqué en euro. J'ai tiqué et aurais préféré soit un prix en réal, assorti d'une pirouette pour nous dire que c'est un alcool frelaté pas cher.

   marogne   
8/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Et bien....

Un petit moment de nostalgie à la lecture de cette nouvelle, quand je m'étais fait agresser à Guaruja....

En tout cas je retrouve tout à fait le comportement des "témoins", ici dans le bar comme à Guaruja sur le pas de leur porte, regardant ce qui se passe en se gardant bien d'intervenir ou d'avoir l'air de juger.

Je pense que la nouvelle aurait gagné un peu à être plus longue, à plus faire ressortir dans la première partie la chaleur qui assomme la rue, les gens, pour peut être dans la deuxième partie faire encore plus ressortir l'absurde et la violence.

Bricolos:
* un roadster qui se gare de manière "désinvolte", un adjectif peut être trop "humain" pour s'appliquer à une machine
* le chien est revenu de l'arbre vers le mendiant?
* on a jamais vu le mendiant "en marche", l'expression "se remet en marche" est donc surprenante.

   Bidis   
9/1/2012
 a aimé ce texte 
Bien
A mon sens, ce texte relève plus de la photographie que de la peinture.
Traitée comme ici, cette histoire est triste, sans plus.
Je pense qu'elle pourrait être intolérable et nous toucher bien plus si les personnages avaient été mieux captés dans leur profondeur. Ici, on n'en a que l'apparence et cela laisse froid.

   Anonyme   
6/2/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Je suis désemparé par une chose: comment le policier peut se libérer si facilement des crocs du chien ? Il porte des bottes en cuir et donc ne sent pas la morsure ? Ou bien, le chien est tout petit et sa morsure ne fait pas réellement mal ?

Cette question, que je me pose, est le nœud de mon interrogation sur la qualité du texte. Il est bien écrit, du moins j'aime cette écriture simple, claire, assez vive, qui m'a entrainé rapidement jusqu'à ce dénouement ni tragique, ni gai, un dénouement du Sud je trouve, où la pauvreté crée des résultats assez déplorables.

Mais je bute sur ma question initiale: comment un policier, même militaire, peut avoir un tel stoïcisme face à la morsure d'un chien ? D'autant que je crois que la rage est présente dans ce pays.
Ça me dépasse, hormis si il a des bottes ou que le chien est tout petit.

   jeanmarcel   
14/2/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le décor est bien planté dès les trois premières lignes qui sont superbes. Puis l'auteur met ses personnages en place avec habilité, à coups de petits détails. A la moitié du texte environ la description du fait divers devient clinique, froide, visiblement écrite pour ne pas soulever d'émotion, avec une volonté de relater la misère et la violence de la repression sans effets de manche ni discours virulent. Je retrouve un peu le style dépouillé, minimaliste, sec, de certains auteurs de polars comme James Ellroy. Seul bémol, de mon point de vue: la dernière phrase destabilise le lecteur car elle n'a pas l'air authentique , elle est sortie du contexte d'une conversation et devient une sorte de sentence qui condamne la connerie et la lacheté humaine, elle ruine un peu tous les efforts d'objectivité déployés auparavant.Un excellent moment de lecture, félicitations à l'auteur.

   Anonyme   
13/5/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Un fait divers bien raconté qui croise deux univers et pose le problème de notre préjugé négatif sur les exclus du système et notre manque d'humanité envers les pauvres. Ici l'injustice objective s'ajoute à l'injustice sociale. "Selon que vous serez puissant ou misérable..." J'ai apprécié la description de l'incident, le style est maîtrisé.


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