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Humour/Détente
Romy : Cinq petites minutes
 Publié le 25/07/12  -  15 commentaires  -  6838 caractères  -  192 lectures    Autres textes du même auteur

Un jeune homme et cinq petites minutes : un homme aux lacets défaits, une obsessionnelle de la feuille volante, un vieil ivrogne et une grande brune au sac tenu en « caniche ». Cinq petites minutes dans les soubassements, au rythme d'un tube sombre et morose. Cinq petites minutes pour faire l'état des lieux de ce qui se trame sur le rail.


Cinq petites minutes


16h04

Il a les lacets défaits. En rentrant dans le wagon, j’ai remarqué tout de suite qu’il – le type maussade en face duquel je me cramponne à la barre – avait les lacets de sa chaussure droite défaits. Il se lèvera de son siège lorsque son arrêt sera annoncé et s’emmêlera probablement les pieds. Je le détaille : costume sombre minutieusement repassé, petite mallette grise de travailleur de « bureau » et raie de côté parfaitement alignée. Fonctionnaire, banquier, assureur, financier ? Il doit être fonctionnaire. Il a le costume d’un fonctionnaire. Un fonctionnaire aux lacets défaits, ça ne présage rien de bon et surtout… ça dénote. Je suis certain qu’il va se casser une dent. C’est ça, il va s’emmêler les pieds, se casser une dent, louper son arrêt et perdre son job. Non, il ne peut pas perdre son job puisqu’il est fonctionnaire.


– Je peux vous aider?


Merde. Il m’a remarqué. Je vais devoir lui expliquer pourquoi je le fixe… alors je lui dis :


– Vous avez les lacets défaits.


Il regarde ses pieds. Pourquoi les gens ont toujours besoin de regarder leurs pieds lorsqu’on leur dit qu’ils ont les lacets défaits ? C’est comme : « Oh tiens, un papillon ! » et hop, tout le monde regarde le papillon. Le papillon c’est joli, c’est vrai. Mais les lacets ?


En tout cas, je viens de lui sauver sa dent et son boulot. Non, pas son boulot, il est fonctionnaire.


16h05

Un jeune type à côté de la porte du wagon dit à son copain :


– Quand on vieillit, ça bogue. Après 25 ans, ton corps se dégénère.


L’autre lui répond :


– Alors ça veut dire que ma mère a le cerveau d’un poulpe !


Ils rient fort et ça ne plaît pas à la grosse dame en tee-shirt qui les regarde par à-coups en grommelant des trucs entre ses dents. Depuis qu’elle est rentrée, elle essaie de classer des feuilles volantes dans une farde à anneaux. C’est pas gagné. Elles sont toutes cornées ses feuilles. Elle râle bruyamment pour que tout le monde en profite. Elle dit : « N’tiennent pas ces feuilles… » puis elle regarde les deux jeunes. « Parlent trop ceux-là », les deux imberbes s’en moquent et continuent leur discute en gloussant.

Le type aux lacets fait semblant de n’avoir rien suivi de la situation. La grosse dame reprend : « Pffff ! Peuvent pas parler moins fort ? » tout en s’agitant pour fermer les anneaux après avoir déposé une nouvelle feuille. Une page tombe, elle râle, fulmine. « Ça marche pas, n’ai marre d’ces feuilles. » La jeune fille blonde à queue-de-cheval qui tient le bout de barre face à la dame aux anneaux se penche pour ramasser la feuille. La dame l’engueule en disant qu’elle l’a cornée. Mauvaise foi de vieille revêche. J’ai envie de lui donner un coup de pied mais… je me retiens.

Le type aux lacets ne réagit toujours pas.


16h06

Nouvel arrêt. Les deux jeunes sortent alors qu’un ivrogne rentre parmi cinq autres personnes. Il laisse tomber sa bière. Une coulée mousseuse se traîne mollement jusqu’au type aux lacets. Je fixe la coulée mousseuse et puis le monsieur maussade. Il regarde toujours par la vitre – comme s’il y avait des choses à regarder alors que le tunnel est plongé dans la pénombre –, en faisant comme s’il ne s’était rien passé.

Le poivrot s’affale, la grosse morve un « RHOOO » d’agacement alors que la grande brune qui a embarqué en même temps que lui, et qu’il vient de bousculer, soupire. Elle tient son sac – bandoulière brune, motifs géométriques, bonnet avec tutute collée sur le sommet du crâne – comme un caniche…


16h07

Sainte-Croix. L’arrêt du lacet défait. Il se lève. Il est vachement grand. Il n’a pas refait ses lacets mais il n’est pas tombé. Ça m’angoisse. Je lui ai pourtant dit que son lacet était défait. Sa dent tient à un bout de fil en nylon. Laisser sa fierté au hasard d’un lacet mal noué, c’est fort. Lors d’une chute, il y a ceux qui font comme si de rien n’était, ceux qui s’énervent, ceux qui en rient, ceux qui en pleurent. Lui, il doit appartenir à la première catégorie. Il doit aussi avoir un ego surdimensionné.


Je décide de fixer la grande brune au sac en caniche histoire de l’emmerder. Parfois j’ai envie d’être méchant. Je ne sais pas pourquoi mais je suis assez fort pour ça. Je toise la grande brune, je la dévisage, je la fixe. Je la sens mal à l’aise. Elle m’évite mais subit mon regard. Trop facile.


Ça rend fou le métro ? Peut-être pas mais en tout cas, ça rend con. C’est peut-être la proximité ? On se frôle, on se touche presque. On se mate, on s’écoute parler, respirer, et on se fait plein d’idées.


Là, maintenant, nous formons une communauté temporaire – et forcée – de mines figées, appuyées sur leur nombril et que rien ne peut déloger hormis l’arrivée improbable d’un visage connu qui emprunte, par pur hasard, la même ligne au même moment. Concentrés mais éclatés, nous sommes réduits à l’état de petites poches aux regards fuyants s’observant en cachette, en squattant le même bout de barre.


16h08

Ils ont l’air triste. J’ai l’air triste. Ça manque d’un truc qui nous remuerait un peu. Une ligne contre une ligne, une pilule pour avaler l’autre, une vapeur hallucinogène contre une brume noire, pestilentielle et maussade. Ça se troque non ?

En tout cas, là, maintenant, c’est triste, ça pue et ça ne risque pas de s’arranger. J’ai le droit d’être de mauvaise humeur parce que ma journée fut invraisemblable. Je me suis inscrit sur Facebook, j’ai marché dans un chewing-gum et j’ai reçu une paire de lunettes de soleil Yves R. en guise de cadeau « clientèle ». Je ne suis pas client d’Yves R. et je n’aime pas les lunettes de soleil. J’ai toujours pensé que la lutte des classes se concentrait autour de l’inégalité de ces petits bouts de verre. Et pourquoi ? Simplement parce que le porteur n’a pas à se déformer le masque sous l’effet du soleil. À l’image d’une résistance face aux conséquences évidentes d’un environnement qui ne ment jamais, qui ne cache rien et qui provoque tout naturellement une gymnastique faciale adéquate. Le verre teinté c’est le sous contrôle, toujours.


16h09

Malou, ma sortie. La pire station après Cartier. Plaque tournante de la drogue, fief incontournable des cloportes bitus, logis de fortune pour les sans toits, où les meurtres discrets à l’arme blanche sont, à ce qu’on dit, monnaie courante.


Je lance une dernière œillade à la grande brune, rassurée de me voir sortir. Je fais un pas de recul histoire de bien lui faire comprendre que si je veux… je peux. Elle change sa mine, elle dépérit, s’angoisse, s’humidifie. Elle serre sa barre, colle d’autant plus son sac contre sa poitrine. Finalement, je sors, je me retourne vers elle et je lui souris. Elle détourne le regard et le wagon repart. Elle est sauve. Moi aussi.


C’est monotone le métro. Ça ne dépasse jamais rien, ça va toujours tout droit et ça fait toujours le même bruit.


 
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   Anonyme   
5/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Une petite tranche de vie bien croquée, pour moi. Le métro, il n'est pas en France, si ? Le coup de la barre au nombril, il me semble que c'est pas français... Peu importe, j'ai eu l'impression de retrouver des sensations quotidiennes, banales, une routine subtilement différente de jour en jour. Le narrateur observe, s'amuse et s'inquiète, pour moi il est convaincant.
Cela dit, forcément l'exercice ne va pas bien loin, l'histoire reste dans l'anecdotique à mon avis.

"Il n’a pas refait ses lacets mais il n’est pas tombé. Ça m’angoisse. Je lui ai pourtant dit que son lacet était défait." : bien vu ! Je trouve que ça sonne très vrai, que c'est bien le genre de choses que je me dis dans cette situation.

   macaron   
10/7/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Un petit récit sympathique qui se laisse lire sans ennui. Mais bon, rien de nouveau sur le métro et sa gaieté légendaire. La scène avec la grande brune et son sac est bien sentie, elle illustre parfaitement les bizarreries dont dont on serait la victime à fréquenter trop assidûment ce lieu souterrain. Mais un peu juste tout ça...à mon avis!

   matcauth   
18/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

j'ai plutôt aimé cet instantané (enfin, cinq minutes, c'est un peu plus que ça) assez pathétique, version glauque du "fabuleux destin d'Amélie Poulain" racontant de façon assez réaliste tout ce qu'on peut avoir en tête, tout ce qui peut traverser l'esprit lors d'un moment passé dans le métro.

Ce qui est intéressant ici, c'est cet espoir que quelque chose va arriver et... qui n'arrive jamais. L'auteur prend soin également de montrer à quel point on a peur de ce changement, à quel point on redoute ce qu'on espère.

Mais cette histoire souffre de ce qui lui a donné vie : elle est trop banale, elle manque un peu d'envergure, de passion, elle nous ramène à notre quotidien (enfin je suis à la campagne mais bon) et ne fait pas vraiment rêver, elle ne fait pas nous évader, non plus.

Par conséquent, l'intérêt se perd assez rapidement.

L'écriture est agréable en tout cas, efficace et précise.

   Pascal31   
21/7/2012
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Dommage que ces cinq minutes n'apportent pas plus au lecteur.
Certains passages auraient pu être plus intéressants, si le style avait été plus osé, les situations plus abouties.
En l'état, j'ai eu cette désagréable impression d'avoir lu un texte qui passait juste à côté du bon pour n'offrir, au final, que des banalités tièdes. D'où ma déception.

"Un fonctionnaire aux lacets défaits, ça ne présage rien de bon et surtout...ça dénote." : "ça détonne" aurait été plus approprié. Le verbe "dénoter" signifie "indiquer, montrer" et nécessite un complément. Il y a d'autres broutilles de ce genre qui jalonnent la nouvelle ("Elle sert sa barre", etc.) mais c'est surtout le manque d'audace qui, à mon sens, pénalise l'histoire. À un moment donné, le narrateur dit "Ça manque d’un truc qui nous remuerait un peu" et c'est exactement ça que je reproche au récit.

   brabant   
25/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Romy,


C'est un bon texte pour moi, soupesé au risque calculé en ce qui concerne le héros, un pas en avant, un pas en arrière ; il teste et se teste, pourrait être antipathique, ne l'est pas.

Ressortent pour moi :
"ça rend fou le métro ? Peut-être pas mais en tout cas ça rend con." ça c'est de l'Audiard, ou du Frédéric Dard, ce qui revient au même. Génial !
"Le verre teinté c'est le sous contrôle, toujours.", vous avez le sens de la formule.


"C'est monotone le métro. ça ne dépasse jamais rien, ça va toujours tout droit et ça fait toujours le même bruit."
Ben, vous venez de nous prouver le contraire ! D'une certaine manière.

   Anonyme   
25/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Romy,

J'ai beaucoup apprécié le style et la narration de cette nouvelle.
Ce n'est pas si facile d'écrire simple sans être trivial. Vous évitez les bons mots trop faciles, ce qui dénote (et non pas "détonne") une certaine exigence de l'écriture.
Et puis, choisir une durée de cinq minutes pour une Nouvelle, c'est vraiment une bonne idée. Vous respectez au plus près cette durée limitée qui donne toute sa force à l'anecdote.

Les nombreux évènements sont très bien relatés, l'atmosphère de la rame bien rendue. Tout ça est très vivant, très agréable à lire.
Le seul petit reproche, pour mon goût personnel, c'est qu'il y a trop de personnages, trop d'évènements. A mon sens, une nouvelle doit focaliser sur un, peut-être deux personnages maximum, et un ou deux évènements. Les autres personnages doivent faire partie du décor, comme la rame, le quai, ou les portes qui s'ouvrent. D'ailleurs on le voit très bien ici, l'éparpillement a tendance à dédramatiser la scène. Même si les péripéties sont intéressantes à suivre, aucune ne se dénoue vraiment. Du coup, on passe un bon moment, mais sans vraiment vibrer.
Essayez de voir ce que pourrait donner votre nouvelle en choisissant une seule anecdote, un seul voyageur, et de développer cette anecdote en la dramatisant, tout en conservant l'atmosphère et la confrontation avec les autres. Il me semble que votre texte y gagnerait en force. C'est juste une idée égoïste...

Je pense sincèrement que derrière cette petite histoire sommeille un auteur à fort potentiel.

Cordialement
Ludi

   Palimpseste   
25/7/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Jolie petite tranche de vie...

Jolie mais un peu plate. Comme un camembert allégé trop frais.

Je rejoins Ludi sur le nombre de personnages: on aurait pu en avoir moins et plus de charpente pour une histoire à raconter. Parce que le simple constat qu'un métro ne dépasse rien, c'est gentillet mais sans plus.

Plus daudace n'aurait pas nuit. Mais chacun à son parti pris.

   AntoineJ   
26/7/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
bon, le style correct, l'histoire, les personnages forment une représentation de la société (est-ce voulu ?), et on ne s'ennuie pas.
Ceci étant, à la fin, je me suis dit, "oui, et alors ?"
Bref, pourquoi pas, ça occupe et ça détend (un peu) ...
Mais, sans plus ...

   Pepito   
27/7/2012
J'ai adoré le style et la narration du début. Une palme à "La coulée mousseuse et le monsieur maussade. ".
La fin du 16H08 décline un peu, forme et fond.
Le coté "méchant facile avec la grande brune" m'a déplu, jusque là le narrateur m'était sympathique.

Je garde une excellente impression du démarrage de cette tranche de métro.
D'accord avec Ludi pour le "potentiel".

Pepito

   Dunkelheit   
30/7/2012
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai bien aimé, un texte léger, un style bien campé qui s'allie bien avec la simplicité du sujet.

Si on a déjà pris le métro on s'y retrouve facilement, l'ambiance lourde où chacun s'évite mais est obligé de supporter la présence de tant d'inconnus pour un temps parfois bien trop long.

Contrairement à ce qui a été dit je trouve qu'il ne manque pas d'évènement en plus à ce texte, justement : on attend, on attend et puis finalement on est arrivé, comme quand on prend le métro. On pense toujours qu'il peut se passer quelque chose, qu'il va se passer quelque chose, et puis non, on arrive à destination. On aurait quitté le réalisme et l'objectif du texte en rajoutant des péripéties.

La seule chose qui manque à mon goût c'est plus de personnages, plus d'archétypes : il manque le lecteur plongé dans son livre, le couple qui s'embrasse bruyamment en se bavant dessus, l'homme qui parle trop fort au téléphone, ce cas social de femme avec son enfant qui hurle...

Le texte gagnerait à être étoffé, mais surtout ne changez rien au style ! Bonne continuation.

   Anonyme   
5/8/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Certes, il ne se passe rien et il n'y a rien de nouveau mais je pense que ça colle tout à fait avec le sujet. "C'est monotone le métro", toujours pareil, alors on mate et on essaie de ne pas se faire prendre. J'ai trouvé le style très sympa aussi. Ca vaudrait le coup de faire tout le trajet!

   Anonyme   
25/8/2012
 a aimé ce texte 
Pas
le découpage en tranche horaire est sympa et donne du rythme...

cela partait pas mal pour une nouvelle dans la série humour-détente, avec la mère au cerveau de poulpe et le gars au lacet défait...

après, ben oui, t'as raison, c'est monotone le métro quand il ne s'y passe rien... mais à ce moment, est-il bien utile d'écrire un truc dessus ?

peut-être aurait-il fallu changer de wagon ?

   Tankipass   
4/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Agréable à lire, divertissant et avec de bonnes formules, que demander de plus.

   Taou   
5/10/2012
 a aimé ce texte 
Bien
L’écriture est simple et atteint son objectif, nous faire passer cinq minutes agréables qui nous rappellent qu'en effet, il ne se passe pas grand chose dans le métro. Toutefois la réflexion sur la lutte des classes a partir des lunettes de soleil m'a parue un peu de trop, mais ça c'est mon avis personnel.

   carbona   
10/10/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Un texte sympathique. L'assurance du narrateur à la fin du texte (avec la grande brune) dénote par rapport à son attitude de départ (avec le gars au lacet) mais dans les transports en commun, on sait que ce sont les premiers arrivés qui ont l'ascendant sur les autres, c'est en tout cas l'impression que j'ai et je l'explique comme ça.

Le type qui regarde ses lacets quand on lui dit qu'ils sont défaits < la réaction ne me surprend pas, pas de quoi la souligner à mon sens.

La réflexion sur le port de lunettes de soleil < pas trop aimé

Merci pour votre texte.


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