Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Réalisme/Historique
rosebud : Un homme honnête
 Publié le 05/10/13  -  8 commentaires  -  10051 caractères  -  106 lectures    Autres textes du même auteur

Les confidences posthumes d'un homme honnête.


Un homme honnête


Cette lettre a été déposée à l’étude de Maître Longwood – Notaire à Port Elizabeth (Saint-Vincent-et-les-Grenadines) – par M. X, citoyen français, accompagnée de la requête expresse de ne l’ouvrir qu’à sa mort et en présence d’un Représentant assermenté de la Société « Mills Refinery Company » sise à Cayenne (Guyane française).


M. X est mort le 26 juin 2078.



Port Elizabeth, le 2 février 2049


De 2008 à 2048, j’ai effectué toute ma carrière professionnelle à la « Mills Refinery Company » à Cayenne. Durant toutes ces années, j’ai occupé le poste de lingotier, employé à la coulée des barres d’or. J’ai toujours aimé mon métier et je crois m’en être acquitté consciencieusement tout au long de ces quarante années.


Avant leur embauche, tous les futurs employés de la Mills doivent bien entendu faire état d’un casier judiciaire vierge, mais la Compagnie procède également à une enquête de moralité très poussée sur votre personne. Elle élimine systématiquement les divorcés, les dépressifs sous traitement, les alcooliques notoires, les membres de secte de toute obédience, les syndicalistes et les juifs. Prouver devant une cour de justice qu’une Société utilise ce genre de procédés inquisitoriaux et à caractère discriminatoire n’est pas chose aisée et la Mills possède un service d’experts en droit du travail qui l’a toujours protégée efficacement contre les recours en justice. Pour ma part, je remplissais tous ces critères et je possédais en outre un diplôme en métallurgie. J’ai été embauché le 1er juin 2008 à l’âge de dix-huit ans.


J’ai toujours été honnête. Au sens scrupuleux du terme : je n’ai jamais subtilisé une serviette dans une chambre d’hôtel ni même osé contester un rendu de monnaie à mon désavantage chez un commerçant. Je considère que l’honnêteté est un mélange de pusillanimité et de manque d’esprit d’entreprise. Pour ménager sa quiétude qui est son plus grand bien, l’homme honnête a besoin de la tisane lénifiante de l’honnêteté. En ce sens, je suis l’homme le plus honnête du monde.


On dit que l’or rend fou et cet adage est aussi bien applicable à l’industrie de production de l’or qui a développé une suspicion maladive envers ses employés et lui a fait de tous temps déployer des trésors d’inventivité pour éviter que la moindre parcelle de métal précieux ne lui échappe. Ainsi, les portes d’accès de mon atelier étaient verrouillées et surveillées par des vigiles armés durant les heures de travail. Ces derniers étaient par ailleurs interdits d’accès à l’atelier afin d’éviter tout contact avec les employés de fabrication. L’accès au poste de travail se faisait par un sas grillagé débouchant sur un vestiaire où tous les salariés devaient retirer leurs bijoux, piercings, montres, briquets, ceintures et même lunettes à monture métallique. La Compagnie nous fournissait une tenue de travail réglementaire incluant les sous-vêtements. Avant d’accéder à l’atelier proprement dit, nous passions sous un portique de détection de métaux. En fin de poste, nous devions prendre une douche obligatoire et repasser entièrement nus sous un autre portique. Les vêtements de travail et les sous-vêtements étaient consignés dans une buanderie, fouillés et lavés. Les eaux d’écoulement des douches et des machines à laver étaient récupérées et décantées afin de recueillir la moindre poussière d’or qui aurait pu s’accrocher à nos pores, ou sur nos vêtements. L’atelier était balayé à chaque fin de poste et on passait l’aspirateur sur les établis de coulage. Tous les déchets étaient ensuite traités par centrifugation.


J’ai mis près d’un an pour assimiler tous les rouages de cette organisation et pour en apprécier la perfection. Et c’est au cours de cette première année de travail que j’ai élaboré ce que je considère comme un arrangement à l’amiable avec la Mills.


Tout le système de surveillance contre le vol et incluant la récupération des déchets était basé sur la comparaison entre les quantités reçues de l’usine de raffinage et les quantités de lingots produits. Une différence de masse de plus de 1/3000, qui correspond au taux maximal d’impuretés après raffinage de l’or, déclenchait une procédure d’anomalie. Ces impuretés plus légères que l’or s’agglomèrent et constituent le « laitier » sous la forme d’une fine peau qui surnage au-dessus du métal en fusion. Nous produisions environ 50 kg de lingots par poste ; un écart de 16 grammes entre les entrées et les sorties provoquait donc le branle-bas de combat. Durant toute ma carrière, je n’ai jamais connu une telle situation de crise.


Mon idée était simple : il s’agissait de récupérer une très petite quantité d’or au cours de chaque poste de travail et de parvenir à la transporter hors de l’atelier. La réalisation pratique de ce tour de passe-passe m’est venue en travaillant. Les lingotières étaient frappées du logo de la Mills, dont le point du « i » a joliment la forme d’une goutte d’or en fusion et la taille d’un grain de riz. Un rapide calcul m’a permis de déterminer que la masse d’or contenue dans ce point marqué en creux devait avoisiner les 3 grammes. J’avais conçu un stratagème qui consistait, lors d’une coulée par poste et par fausse maladresse, à laisser échapper quelques gouttes du creuset qui venaient combler le réceptacle du point du « i », le surplus s’écoulant dans la lingotière. Avant le transfert vers le démoulage, je prélevais du bout du doigt que j’avais mouillé de ma salive la goutte d’or refroidie et solidifiée et je transférais mon grain de riz d’or dans une fosse du pavillon de mon oreille gauche que ma maman m’a gentiment fabriquée suffisamment profonde. Je ne prenais aucun risque, m’étant assuré que les détecteurs de métaux n’étaient sensibles qu’à une masse métallique de plus de 10 grammes. Lors de ma première substitution, je n’ai même pas tremblé, confirmant en cela mon sentiment d’impunité et me confortant dans ma conscience d’homme honnête.


Cette petite manipulation quotidienne m’a permis de récupérer environ 660 grammes, soit 21,22 onces troy d’or par année de travail. Désormais, je passais le plus clair de mes congés payés à parcourir la ceinture aurifère de Guyane pour y écouler ma cargaison de fausses pépites naturelles. Roura, Saint-Élie, Citron, Grand-Santi, Papaïchton, Maripasoula, Talwen, Twenké, Antécume Pata, Cayodé, Saül, Bélizon, Régina, j’écumais tous les comptoirs comme un véritable orpailleur qui sortait de sa cambrousse avec son petit trésor suspendu au cou dans une bourse en cuir. Je prenais soin de ne vendre jamais plus de 5 onces à la fois afin de n’éveiller ni les soupçons, ni les convoitises. Les acheteurs n’étaient jamais trop regardants sur la provenance ; quant à la qualité, je ne risquais vraiment rien. Avant ma tournée des sites, j’avais également pris la précaution de rendre mes « pépites » un peu plus présentables. De forme et de poids trop uniformes, je les glissais dans un sac de forte toile que je tapais durant de longues minutes contre un tronc d’arbre. Le résultat était spectaculaire : ainsi martelés, les grains de riz d’or prenaient des formes oblongues et irrégulières tout à fait comparables à de véritables pépites roulées dans les eaux des rivières aurifères. J’en prélevais aussi quelques-unes que je faisais refondre ensemble pour obtenir une certaine variété de poids.


Bien entendu je vendais un peu au-dessous du cours officiel, mais j’ai eu la chance de débuter mon activité à l’aube de la période où la valeur de l’or s’est littéralement envolée vers des sommets. En 2009 l’once était cotée aux alentours de 1000 $. Après un léger fléchissement, elle n’a plus cessé de croître vertigineusement jusqu’en 2048 où elle a atteint les 11800 $. Durant toute cette période, les troubles géopolitiques au Moyen-Orient, combinés au phénomène de raréfaction des réserves de pétrole qui avait incité les Américains et les Russes à tenter d’exploiter des gisements en eaux profondes au large du détroit de Béring et avait rallumé ce qu’il est encore convenu d’appeler malicieusement « la guerre ultra-froide », ont généré un formidable effet de levier sur le cours de l’or. Au bout du compte, mon hobby m’a permis d’encaisser précisément 210 600 $. Sur une période de quarante ans, vous avouerez que c’est du gagne-petit, mais ma conscience ne m’a jamais permis le moindre écart de conduite. Je n’ai pas contracté la fièvre de l’or.


Restait le problème du « blanchiment » de l’argent. Je déteste ce mot, mais je n’en trouve pas d’autre plus adéquat. Il était évidemment hors de question, parvenu à la retraite, de mener une vie de nabab à Cayenne, ce qui m’aurait dénoncé aussitôt. Or j’avais pour toute famille une vieille tante qui possédait une petite maison dans les îles Grenadines. Le système bancaire de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines est ce qui peut s’apparenter le mieux à un paradis fiscal et je n’eus aucune difficulté à y ouvrir un compte en banque sur lequel j’ai versé toutes mes économies accumulées.


J’ai quitté définitivement la Guyane en 2049 à destination de Port Elizabeth sur l’île de Bequia où ma tante vient fort opportunément de mourir et m’a légué sa maison. Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, ni combien de temps il me reste à vivre, mais je sais que la vie que je mène désormais aux Grenadines est celle qui me convient le mieux et à laquelle j’avais toujours aspiré. J’ai des goûts simples et mon manque d’envergure, que j’assimile à une vertu, me permet d’apprécier à sa juste valeur et sans arrière-pensée un simple coucher de soleil ou un ananas mûr à point. Au fond, mon escamotage étant resté indécelable, il pourrait être comparé à ce que l’on appelle chez les distillateurs « la part des anges ».


Cependant, n’ayant aucune descendance et aucun ami assez proche pour que je lui concède un héritage, je lègue par la présente (ou devrais-je dire que je rétrocède ?) à la Mills la totalité de mes biens, en témoignage de ma loyauté envers la Société qui m’a inconsciemment et involontairement attribué une retraite si confortable.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
25/9/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Oui, l'astuce est amusante je trouve, bien que je sois dubitative devant la rapidité de refroidissement de l'or en fusion, doigt mouillé ou non : combien de temps cet employé a-t-il le lingot devant lui ? Et puis, dans cette entreprise si paranoïaque, je m'étonne que les travailleurs ne soient pas surveillés par des caméras dont les observateurs finiraient par remarquer le geste systématique du gars...

Cela mis à part, j'ai le sentiment que le texte est trop long pour ce qu'il a à dire et qui me paraît anecdotique ; trop de détails à mon goût.

   senglar   
5/10/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Rosebud,


J'ai apprécié l'humour subtil très second degré jouissif de ce texte très bien écrit. On voit venir la fin... tout à la fin :) et on est complice de cette "part des anges" très pur malt quant à cette nouvelle d'un très bon tonneau. Ai-je eu raison de voir l'ombre de Ken Loach planer sur ma lecture plutôt que celle des bons vignerons de chez nous ? Il y a un décalage parfois cruel et tout britannique.

"Un homme honnête" est un bon titre, peut-être eussé-je tenté "Un employé modèle" dans la même veine, mais j'ai conscience que c'est votre texte auquel je ne me permettrai donc pas de retoquer le point sur le "i" (dont vous avez lapé le godet) malgré le souhait posthume de cet X, orpailleur factice et imposteur de génie qui rend à César...

Merci pour ce bon moment :)

senglor alias brabant

N B : Au vu du non train de retraite mené et du non coût de l'ananas à Cayenne ou dans les îles Grenadine le sympathique gentleman de ce récit n'avait cependant pas l'usage de ce complément aurifié. On aurait peut-être pu lui inventer quelque passion cachée, dans une certaine mesure coûteuse sinon inavouable. Lol.

   Pimpette   
5/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime beaucoup

Le fond de l'histoire, cette minipépite d'or qui circule dans le pavillon de l'oreille gauche fait ma joie!
J'espère qu'elle est de l'invention de notre auteur?
Peut-être que que la trop grande quantité de détails techniques au lieu de donner de la véracité à l'histoire met, au contraire la puce à l'oreille(:-))))...je passerai quelques étapes si c'était moi...
Très bon moment de lecture!

   Pepito   
5/10/2013
Forme : écriture très ... "honnête" et agréable.
"uneblanchiment" c'est une coquille ?
", l’homme honnête a besoin de la tisane lénifiante de l’honnêteté." l'effet là est pas top, top,...

Fond : bon une part de réalisme : enlèvement des bijoux, lunettes, alliance, ... le tout existant déjà. Mais description surement trop longue pour les non initiés.
Des détecteurs à + de 10g ! en 2048 en plus, mhhhhh ?! J'ai pas vérifié leur valeur actuelle.

Au final, tout çà pour çà...
Une simple retraite, même petite, fait le même effet..
Pour l'aventure alors ? bof...
Juste un pied de nez, donc.

Pourquoi pas... merci pour la lecture.

Pepito

   Anonyme   
21/10/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une vie affreuse, affreuse, vide, centrée sur le gagne-petit, que ne sauve que l'autodérision du narrateur, qui sait bien la différence entre une honnêteté-de-la-petite-morale dont il ignore qu'elle découle d'une intégrité-maison-sur-le-roc et cette pseudo-honnêteté=malhonnêteté-flanquée-de-prudence qui consiste à ne pas se laisser prendre, en calibrant l'objet volé pour le faire passer à travers le trou de la serrure, avec une précision de comptable ou de géomètre et la persévérance de l'escargot ambitieux qui veut parcourir toute une piste d'atterrissage pour les avions, en réduisant un projet entier de vie à un seul larcin. A-t-il pris du plaisir à gâcher sa vie ? Je le sens satisfait de son coup, mais plus encore d'avoir réussi à montrer que tout ça, la vie, c'est bidon.

J'ai pensé à ce film avec Michel Serrault où il falsifie un seul billet à la fois, jusqu’à ce qu’il soit blanchi ; et cet autre avec le même Serrault et sa fille Isabelle Huppert qui cultivent un regard de rapaces amusés sur les pigeons qu'ils trompent et dévalisent, et finalement sur toute la condition humaine dont ils ne perçoivent que les aspects intéressés ou les bas instincts.

Votre texte est agréable et difficile. Agréable parce que votre homme-honnête titille chez nous une certaine vérité et qu’il sait la rendre plaisante là où l'on aurait ressenti la culpabilité d’une triste médiocrité ; difficile parce que son regard de requin ne pouvait se repaître que de la difficulté à commettre son doux cambriolage. Le principe du texte, si j'ai bien compris, est de croiser la personnalité caricaturale du narrateur avec la réalité concrète de sa profession, avec une remarquable description du système technique de fabrication de lingots, sur laquelle plane le regard intéressé. Parler de l'or, c'est encore parler du personnage et comme il n'y a pas d'aspects secondaires, parler du personnage, c’est parler d’or. L'intelligence que vous avez mise pour rendre le processus industriel presque-crédible aboutissant à un point sur un i dont on débarrasse le lingot est aussi admirable que la non-crédibilité absolue de cette pépite liquide cependant pas chaude qu’on loge dans l'oreille en évitant de la nettoyer. Sans compter que si le système de sécurité vérifie toute anomalie au-dessus de trois millième, aucun personnel n'est prévu pour vérifier qu'il manque le point sur le i, pas même les clients ! On tient là un humour virtuose, coulé et justifié dans l'esprit du texte. Bravo.

À la liste des comptoirs exotiques, je me suis pris à penser que j’aurais volontiers assisté à un développement des séjours en Guyane, pour me raviser ; cela aurait nuit à l’allégeance que le texte doit faire à ses limites pour rester efficace.

J’aurais vu l’œuvre en catégorie humour.

En espérant que mon commentaire vous ait été utile ou agréable.

   Asrya   
28/8/2014
 a aimé ce texte 
Un peu
C'est bien écrit, seulement ce n'est pas transcendant.
L'histoire... est gentillette ; elle ne m'a pas captivé plus que cela. D'autant plus que la plupart des faits décrits me paraissent invraisemblables. C'est un récit, alors pourquoi pas.

J'ai tout de même poursuivi la lecture jusqu'au bout, et heureusement qu'il y a cette fin. Cela donne un certain intérêt à ce texte. Rebondir sur l'honnêteté du type, malgré sa combine pour ne plus l'être. Correct.

Je reste aussi septique quant à votre définition de l'honnêteté. Ce n'est pas celle que je lui accorde, cela m'a légèrement perturbé.

Au final, l'idée était plutôt bonne, mal exploitée selon moi.

J'espère vous lire à nouveau dans un autre registre,

Asrya.

   maria   
1/8/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour rosebud,

tu nous livre, avec une écriture douce et juste, la chronique d'une vie exemplaire jusqu'à la fin, malgré un léger et innocent manquement aux règles. Les explications que donne M.X. sur sa manière de procéder sont nécessaires à sa crédibilité et le rendent attachant, au point qu'on n'ose même pas lui tirer l'oreille.

Merci pour le partage et à bientôt ?

   poldutor   
1/8/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour rosebud,
J'ai aimé cette nouvelle qu'il faut lire à mon avis "au second degré"; le narrateur semble faire un clin d’œil...bien sûr ce n'est pas honnête, honnête, mais la fin de l'histoire rachète tout ce qui précède...
L'astuce de la goutte subtilisée chaque jour est très bien trouvée, même si elle est peu plausible, mais ne sommes-nos pas dans un récit de fiction, où tout est possible ?
Cordialement.
poldutor


Oniris Copyright © 2007-2023