Détacher… Il me faut le détacher. Un accident banal. Une soirée entre amis, un geste précipité, un verre de vin renversé, une large tache sur mon pantalon beige. Ça se voit ! Remèdes immédiats et inutiles, du sel largement répandu sur la souillure, d’autres suggèrent l’huile, la moutarde, pourquoi pas la mayonnaise. Moi, j’ai préféré me changer.

Le lendemain, mon pantalon avait rendez-vous avec le lave-linge. Une heure trente de rotations, alternance des opérations, et pour finir essorage et sortie. Alors que je l’étends, quatre à cinq heures de séchage, je constate que la tache est toujours là. Certes, elle est bien atténuée, mais nul ne saurait la manquer, elle se répand. J’ai tenté de la saisir par un bout afin de l’extirper, une méthode en vaut bien une autre. Chaque fois que ma main avance vers le tissu, la tache se déplace, elle glisse entre les fibres, se déforme à l’occasion. Toutes mes tentatives restent vaines, même celle qui consistait à l’amener vers une extrémité, en douceur bien sûr, sans qu’elle le remarque, et enfin à la faire chuter. Trop maligne.

Je suis donc résolu à employer la manière forte, là où la douceur a échoué. Direction supermarché, rayon lessives, détergents et… détachants. Il en existe de toutes sortes, pour taches de vin, de graisse, de goudron, d’herbe verte, rose, pâle, bleue. Chaque flacon est accompagné d’une litanie de conseils, de consignes adaptées. Vais-je rester assis l’après-midi entière à me farcir cette lecture indigeste ? Peu probable. Je prends la bouteille la plus dure, celle avec une petite tête de mort noire dans un coin. Je paye, parce qu’en plus il faut débourser pour une tache que je n’ai pas demandée.

Rentré à la maison, je passe à l’acte. La tache est mollement assoupie. Laissons-la dormir avant le grand voyage. J’ai sorti la notice de la boîte cartonnée. Ne pas laver le linge avant utilisation afin d’éviter la cuisson de la tache avant traitement. Déjà fait, ça commence bien ! Verser le produit en l’étalant régulièrement sur la zone contaminée. Porter des gants pour éviter la corrosion du bout des doigts. Et puis quoi encore ? Se munir enfin d’un microscope afin d’étudier l’évolution du traitement fibre par fibre. Deux heures plus tard, alors que j’en suis à la sept centième fibre, un phénomène curieux se produit, la couleur rosâtre qui subsistait, pâlit. Le rouge reflue, des bords vers le centre de la zone infectée. Un peu comme si le vin se changeait en eau. Bis repetita, à l’envers. Miracle ! Le flot incolore s’étend. La tache tressaille, à présent bien réveillée et sûrement inquiète. Elle répète ses glissades maladroites, change de place régulièrement. La suivre au microscope devient malaisé. Ses tentatives sont bien inutiles, le mal est à l’intérieur, elle le déplace aussi sûrement qu’une puce voyage gratuitement sur le dos d’un chien.

La zone souillée a nettement rétréci et continue à se résorber. Le rouge est plus intense au centre, ultime contre-attaque. Les forces en présence sont trop inégales. Le dernier assaut du détachant vient à bout de la vieille garde. Merde alors ! Mon pantalon est assaini, il n’y a plus l’ombre d’une tache. Là où elle se situait lors de l’offensive finale, la couleur est bien celle de l’eau ; plus de vin. La tache est parfaitement incolore, transparente. Tellement incolore qu’en fait, à y bien regarder, il ne reste qu’un trou de la taille de la souillure initiale. Il a légèrement la forme d’une tête de mort, os croisés, la publicité n’était pas mensongère. Un produit efficace en effet ! J’ai un doute quant à ma satisfaction, quant au résultat obtenu.