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Fantastique/Merveilleux
Source : Correspondances
 Publié le 09/01/23  -  10 commentaires  -  7694 caractères  -  71 lectures    Autres textes du même auteur

Bataille pour Manéa.


Correspondances


3 septembre 2022


Des mois sans t’écrire, ne m’en veux pas. Ici nous affrontons toujours l’ennemi mais nous n’avons fait aucun progrès depuis ma dernière lettre. D’après nos renseignements, il a creusé des tranchées tout le long de la route qui mène vers Manéa, notre destination. Il s’y terre jour et nuit, discret presque invisible, insaisissable jusqu’à l’effroyable, et n’attaque que lorsque notre esprit se laisse distraire par l’ennui des heures creuses et l’odeur de la campagne.

Hier encore à l’heure où le soleil finissait sa journée, alors que la brume lourde collait au sol et la pluie nous offrait du répit, un de mes compagnons a péri dans leurs mains silencieuses et adroites. À la lumière fléchissante, il avait sorti l’album photos en noir et blanc de ses années passées dans la paix et le feuilletait assis dans un fauteuil de boue séchée, un sourire d’enfant sur son visage et les yeux tristes comme un innocent. D’après le récit en larmes de son frère de régiment posté à quelques mètres seulement, quatre bras, sans corps ni visage, sont sortis du brouillard pour saisir aux épaules et à la gorge le pauvre rêveur qui avait oublié le combat juste un instant, un instant de trop. Un petit cri vite étouffé par l’opposant marque sa fin et nous alerte tous. Trop tard. « La brume est trop dense et nous savons l’ennemi particulièrement habile et audacieux lorsque le temps masque les environs, partir à sa recherche serait une folie », nous dit notre général.

Ces méthodes de guérilla sont les plus fatales pour nos rangs. Nos soldats sont vaillants et volontaires mais ils ont un cœur tendre et des têtes remplies de souvenirs alors ils oublient parfois que lorsqu’ils tournent leur regard vers leur intérieur, l’adversaire lui se glisse vers l’homme aux yeux absents. Nous détestons tous le brouillard ici, j’en fais des cauchemars la nuit. Malheureusement, il est aussi fréquent que la pluie en Normandie ou les nuages au-dessus de Paris.

Notre ennemi est d’une race toute particulière, il excelle dans l’ombre et reste immobile par temps clair. Il semble connaître les faiblesses d’âme de nos combattants et ses offensives sont liées à un sens du timing parfait. Sa connaissance du territoire et de nos troupes, son art du dérobement et son extraordinaire sournoiserie en font le plus coriace de tous nos opposants. Nous sommes tous des vétérans ici, habitués des champs de bataille et des victoires et pourtant, aucune de nos stratégies ou tentatives de négociation n’a porté ses fruits. Le désespoir rôde dans nos abris, surtout la nuit, et nous avons déjà perdu la moitié de nos effectifs, ils ont déserté.

Comment leur en vouloir ? Nous n’en parlons pas mais nous avons tous pensé à abandonner, retourner à l’arrière, essayer d’oublier cette guerre. Je ne crois pas pourtant que de retour chez eux, ils puissent reprendre une vie heureuse s’ils n’y ont jamais goûté. Il y a dix jours, j’ai reçu une courte lettre d’un de mes compagnons qui n’a pas tenu. Il me disait qu’il ne regrettait pas son choix mais qu’il ne dormait pas non plus. Il me disait que puisqu’il n’avait pas réussi à continuer le combat, je n’avais pas le droit d’arrêter, de me replier moi aussi à l’arrière.

Je finis ma lettre là, le brouillard s’installe, il me faut redoubler de vigilance.



15 septembre 2022


Le temps est clair ces derniers jours et notre camp baigne dans le silence de l’hiver naissant. Je veux te parler de Manéa. J’y pense la nuit avant de m’endormir et pendant mes heures de veille aussi, j’y pense tout le temps.

C’est un village, une île, un paradis… Tout se dit et rien ne se sait. Un ami m’a dit que là-bas, on mange à la table des animaux qui nous préparent le repas. Que les vaches aiment les pommes caramélisées et les abeilles les feuilletés de miel et de brebis. Le ciel n’est jamais gris, il m’a dit, les nuages ont peur de Manéa. La lune en revanche est toujours là et toujours pleine. D’autres m’ont parlé d’un pan de montagne où des torrents par milliers viennent directement couler chez toi pour arroser ton jardin et te servir à boire. Je ne sais pas mais j’aimerais croire celui qui m’a dit que les oiseaux nous prennent sur leur dos lorsque nous sommes fatigués de marcher.

Sur une chose pourtant, tous les récits s’accordent. Une fois là-bas, l’esprit des hommes devient aussi clair que l’eau de mer d’une plage d’Afrique ou un matin d’été dans une vallée des Pyrénées. Là-bas aucune tyrannie si ce n’est celle de la tranquillité. La raison et le cœur se sont réconciliés et les hommes et leur volonté s’assoient dans les cafés, parlent avec d’autres hommes qui ont d’autres volontés, sur le ton posé d’une belle curiosité qui ne veut rien dominer et tout comprendre. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de méchanceté, c’est juste qu’elle est bien tenue, enfin maîtrisée. Il y a toujours des envies, des jalousies, des mesquineries aussi mais elles ne sont que des personnages secondaires dans la vie des hommes de Manéa. Ira-t-on jamais là-bas ?

J’ai du sang sur les mains, celui d’un compagnon qui a préféré se tuer ; il n’avait même pas fini sa tasse de café, il ne connaîtra pas cet endroit.

Je t’embrasse, c’est mon tour de veille.



23 septembre 2022


J’ai une nouvelle formidable et peu de temps pour te l’écrire ! J’en ris, j’en pleure, j’en perds mon fusil qui ne me servira plus !

Depuis des mois nous nous battions sans avoir jamais vu le visage de notre ennemi, persuadé qu’il devait être hideux et puant. Il ne l’est pas : nous n’avons pas d’ennemi.

Notre général, un homme têtu mais très brave, a décidé hier d’aller négocier en personne une trêve avec nos adversaires. Personne n’avait encore osé traverser le no man’s land qui nous sépare, tout se faisait par messages radio et les réponses du camp opposé étaient toujours incompréhensibles, alors nous continuions le combat.

Hier, il l’a traversé. Nous avons entendu le cri étouffé, le même que celui de tous nos compagnons morts. Sans chef et cernés par la brume la plus opaque que nous n’ayons jamais connue, nous étions tous silencieux de chagrin et d’accablement. Que faire ? Nous avons attendu, plus par lâcheté que par solidarité pour notre général je crois. Personne ne voulait plus bouger.

Des heures plus tard, combien d’heures je ne sais pas, une silhouette se dessine dans la brume. On prend nos fusils et on se prépare à tirer de tout feu pour dézinguer l’adversaire quand on entend la voix du général : « Ne tirez pas, c’est votre général. » Il était là, devant nous ! Pas mort du tout ! Et derrière lui Albert, Louise, Fabien, et quelques autres qui avaient péri et qui n’étaient pas morts, pas morts du tout !

Alors, le général s’est assis au milieu de nous et nous a expliqué. Je vais t’expliquer aussi même si je n’ai pas tout compris. Il a dit qu’il n’y pas d’ennemi, qu’il n’y a que nous sur terre et que la brume c’est celle de notre esprit, qu’elle est oppressante, sombre et angoissante et qu’elle fait mal, surtout au début, parce que les hommes se font mal mais qu’elle ne tue pas, au contraire. Quand il nous a dit tout ça, il avait le sourire tranquille de quelqu’un qui sait et qui a vu ; et Albert, Louise, Fabien et les autres ont causé avec nous comme avant sauf que quelque chose chez eux avaient changé aussi. Je n’ai pas tout compris et je sens bien qu’ils ne nous disent pas tout mais je vais y aller avec eux à Manéa.

De là-bas, je ne pourrai plus t’envoyer de lettres je crois. Rejoins-moi. Prends la route toujours vers le Nord et lorsque tu auras peur, continue quand même et quand il y a aura de la brume, traverse-la, ne t’arrête pas, surtout ne t’arrête pas, c’est le général qui me l’a dit.


À bientôt


 
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   Anonyme   
5/11/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime bien la trajectoire de ce récit, qui commence en réalisme noir (une mention pour
assis dans un fauteuil de boue séchée,
j'ai apprécié l'image) pour dévier vers autre chose, s'infléchir de plus en plus vers le bizarre. Je vous avoue que la fin idyllique ne me convient pas (tel est votre choix d'auteur ou d'autrice souverain(e), c'est comme ça), alors pour ma part je décide que cette ultime lettre est délirante, comme d'ailleurs les légendes édéniques colportées sur Manéa, et puis voilà. Du coup je lis votre nouvelle comme une réflexion sur la confusion entre réalité et idéologie, ce qui me paraît tout à fait d'actualité.

D'un point vue formel, j'ai trouvé l'écriture simple et directe, adaptée à la narration épistolaire, mais par moments un tantinet maladroite. Exemple :
Ce n’est pas qu’il n’y a pas de méchanceté, c’est juste qu’elle est bien tenue, enfin maîtrisée.

   Tadiou   
7/11/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Lu et commenté en EL

Une tendre histoire que j'aime croire. C'est raconté finement et sobrement; le style "lettres" est ici bien venu. Je me suis laissé prendre par le récit qui campe bien les atmosphères.

On entre dans le fantastique avec la description de Manéa, qui m'a bien fait sourire.

La fin m' a surpris. Tant mieux ! Notre plus grand ennemi, c'est l'ennemi intérieur.

Peut-être le narrateur aurait-il pu faire durer le suspense un peu plus longtemps, au lieu de vendre la mèche "nous n'avons pas d'ennemi" dès le début de la dernière lettre. Cela aurait pu attendre la fin après le retour du général.

Point noir : pourquoi cette impossibilité d'envoyer des lettres depuis Manéa? C'est louche. Y aurait-il un piège ? L'ambiguïté demeure : tant mieux.

Un bon moment de lecture.

À vous relire.

Tadiou

   Donaldo75   
14/11/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J’ai été agréablement bluffé par la lecture de cette nouvelle. Je trouve le format adapté pour cette histoire prenante et empreinte de philosophie ou de conte ou de science-fiction ou que sais-je encore. Il y a un côté guerre de 14-18 dans le décor mais à la mode brumeuse, anticipation, j’en serais presque à me dire que l’ennemi est composé de zombies et de créatures extra-terrestres si je me laissais aller et voguer mon imagination ; le côté philosophique éclate sur la fin et ma lecture prend tout son sens à cette révélation comme si j’avais compris ce que j’avais lu précédemment ou que les pièces du puzzle narratif s’imbriquaient dans ce que la référence justement à la guerre de 14-18 rappelle avec cette fois-ci l’espoir que l’Humanité comprenne. La guerre est absurde. Cette nouvelle expose cette absurdité crument.

   Marite   
9/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Aucune difficulté à entrer dans cette nouvelle somme toute un brin étrange, normal après tout puisque c'est du genre "fantastique/merveilleux". Au fil des lettres nous suivons le personnage principal et, tout comme lui, nous nous laissons entraîner vers Manea sans résistance, la clé de cette docilité nous est donnée par le général revenant de sa démarche destinée à demander la paix ... Après avoir lu la première missive, je m'attendais à affronter quelque chose d'effrayant, à la limite de l'humain même et puis non ... tout se termine paisiblement et on se prend à rêver que le passage du monde réel à ce monde idyllique puisse se faire aussi simplement ... une version différente du paradis en quelque sorte.

   gino   
9/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Source
Dés les premières lignes je me suis retrouvé dans Le Rivages des Syrthes de Julien Gracq.
dans une ambiance fantômatique, un ennemmi fantôme, un pays fantôe, des vaisseaux avalés par la brume
oui la brume, toujours cette grume, notre horizo et derrière la ville désirée, la ville chimérique.

On lit ces trois lettres est comme on avance dans une cathédrale, quelque chose de surnaturel nous ccompagne.
L'écriture ne ce recheche pas l"esthétique (comme Julien Gracq) mais tant mieux

Il n'était peut-être pas nécessaire de dévoiler qui était (est ) notre ennemi. Le lecteur aurait deviné.

Merc en core pour ce superbe texte court d'une originbalité écrasante.

   jeanphi   
10/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Une lecture plus agréable encore que surprenante, ce n'est peu dire !
La trame de cette correspondance réside peut-être en la dissimulation du narrateur, qui une fois certain de rester au combat, branche son destinataire sur la fausse croyance d'un paradis terrestre qui l’appellerait éternellement, sans espoir de retour ?

Je demeure décontenancé par cette charnière (pourtant bien huilée) qui fait tourner le récit aux allures de travail sublimé de documentaliste pour aller battre sur le tréteau du rêve, pour le dire ainsi, comme une vieille légende de paix et d'harmonie universelle.

Suis-je donc aussi étranger que cela d'un monde fraternel ?
C'est un fantastique qui renferme sa part de philosophique.

Bravo et merci

   ferrandeix   
10/1/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
aime beaucoup
Une nouvelle bizarre qui attise la curiosité La découverte de la résolution peut décevoir quelque peu sur le moment. En y réfléchissant, on comprend que cet ennemi fictif peut symboliser nos peurs souvent irrationnelles et injustifiées, ne s'appuyant que sur notre ignorance ou nos préjugés. Le brouillard est un des éléments symboliques du récit qui appuie cette interprétation.

Bonne écriture dans l'ensemble. J'ai relevé quelques rencontres ou tours malvenus, mais ça devrait pouvoir se rectifier sans problème. Concernant les mots anglais, le général de Gaulle avait dit: il ne faut les employer que s'il n'y a pas d'équivalent en français, c'est-à-dire jamais.

attaque que lorsque
de son frère de régiment
que lorsqu'ils tournent
timing
des champs de bataille
à abandonner
qui m'a dit que les oiseaux
d'une page d'Afrique
ce n'est pas qu'il n'y a pas
no mans' land*

   Cyrill   
10/1/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Bonjour Source,

Je ne sais pas trop ce qui m’a orienté assez rapidement vers la non-existence tangible de cet ennemi supposé, mais de soupçonner cela n’a pas gêné ma lecture, à laquelle j’ai pris du plaisir. Parce que le récit, en trois correspondances, est mené avec finesse et sensibilité, celle d’un narrateur assez naïf, croyant ferme à un avenir de paix. Chacune de ses lettres m’amène progressivement vers la représentation de ce pays rêvé par lui, espéré par lui. Qu’importe, finalement, que ce pays représente la mort ou le paradis. L’important est dans la bouche du narrateur traduisant les mots du général : « ...et que la brume c’est celle de notre esprit, qu’elle est oppressante, sombre et angoissante... », des mots qui posent une réflexion, une sagesse que le narrateur fait sienne. J’ai cherché sans grand succès l’étymologie de Manéa, j’espère que vous nous direz les raisons de ce choix. J’ai aimé le côté assez candide de cette nouvelle, qui aurait pu me rebuter, parce qu’on n’a pas de mal à se trouver en empathie avec le personnage.
Merci pour le partage.

   papipoete   
11/1/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Source
Comme nous sommes dans le fantastique, on peut comprendre votre texte comme tel, ou bien se faire son propre scénario ; si vous ne me connaissez pas, ne soyez pas surpris c'est mon habitude ! Et souvent l'auteur me lisant, bien que découvrant ma vision à des années-lumière de son thème, ne m'en tient pas rigueur !
Je m'imagine le fusil par terre, et le crayon debout, écrire depuis un front de guerre, où l'on meurt sous les balles de l'ennemi, ou plus tragiquement de la balle de son arme... terrorisé de mourir sous la torture. Et puis, il y a pas loin, cette atoll de Manéa où la paix et l'amour règnent en maître, dont le soldat aimerait tant être un habitant.
Un événement extraordinaire va ressuciter tous les morts au combat... en fait, ici même sous le feu de l'ennemi, on ne meurt pas !
NB Tous les ingrédients sont là, pour trembler face à l'ennemi, être horrifié devant le copain réduit en charpie, cet autre démembré des jambes et des bras, le général qui ose marcher vers ceux d'en face et mourir si héroïquement ! mais tout n'est que rêve, ou jeu virtuel où les combattants se relèvent après une décharge en pleine tête.
Le pré-drame de guerre est cependant tempéré par Manéa, où chaque troufion se réfugie tout-au-long du combat...
On voudrait que de l'Ukraine au Mali, et sous Daesh les mourants se relèvent ainsi, mais nous sommes en 2023 sur la planète Terre, et l'on agonise pour " de vrai "

   Atoutva   
26/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Ca me fait penser à la garde de nuit de Game of Thrones, avec l'idée de la brume au lieu de "l'hiver vient".
Et puis il y la chute : c'est notre esprit qui est embrumé. D'où une constatation, on ne comprend pas grand chose à la vie autour de nous et en nous-mêmes.


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