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Fantastique/Merveilleux
Tailme : Il crée son propre ennemi
 Publié le 19/06/15  -  3 commentaires  -  13821 caractères  -  40 lectures    Autres textes du même auteur

Nic et Grinne, chasseurs de démons, sont engagés par le village d'Ambor pour défendre ses pêcheurs contre les maux qui sévissent en mer.


Il crée son propre ennemi


Après avoir bu la moitié de sa chope en une gorgée, Grinne essuya du revers de la main la mousse accumulée sur sa lèvre.


– Ma foi, ces humains vantent leur bière sans grande raison. « Ambor, l’Est n’a jamais brassé si bonnement ! » Mon cul, oui. Slogan mensonger. Ce village m’énerve déjà.


Nic observa son ami démon, un rictus narquois sur le visage.


– On ne restera pas longtemps. Et avec ce qu’on va gagner, on se paiera les meilleures bières du monde. Mais dis-moi, l’homme là-bas, à la peau bleuâtre, de quelle race est-il ?


Le colosse noir aux cornes menaçantes jeta un coup d’œil à l’endroit que lui désignait son ami humain. Au fond de l’auberge, presque dans la pénombre, buvait solitairement un individu à la peau écailleuse et azurée. Ses yeux brillants comme de l’argent reflétaient les quelques lanternes suspendues aux murs. Il semblait songeur.


– C’est un démon, conclut Grinne. Un Narzar. Une race en expansion, mais ils sont encore peu nombreux. Les descendants des Arquilions.

– Il est bien moins effrayant que ses grands frères, releva Nic.

– Une race plus proche des humains que des Arquilions, effectivement.


Grinne termina sa bière d’une seconde gorgée puis les deux compagnons se levèrent et se dirigèrent vers la sortie. Avant de franchir la porte, une main empoigna l’avant-bras de Nic.


– Bonsoir, messieurs.


Le Narzar se trouvait là, les dévisageant de son regard glacial.


– Alors vous êtes les chasseurs engagés pour défendre les pêcheurs d’Ambor contre les maux marins.


Sa voix était douce. Il murmurait presque.


– Oui, répondit le démon ténébreux.

– Vous ne défendez pas le bon camp. Les humains avaient un accord avec la mer. Une frontière à ne pas dépasser. Mais ils l’ont franchie. Ma femme et moi vivons, à l’instar des autres Amborois, des activités halieutiques et des champs de houblons. Mais les villageois ne sont plus dans leur juste droit en ce qui concerne la pêche. Prenez garde, chasseurs. L’abysse marin regorge de monstres redoutables.


Sur ces mots, le Narzar quitta l’auberge. Et ce sont avec les pensées troublées que les deux tueurs professionnels allèrent à leur chambre, dans une petite maison reliée à la taverne.


****


Adossé à la barrière du bateau de pêche, Grinne observait les quelques spectres d’étoiles encore présents dans le ciel gris. Nic contemplait quant à lui l’horizon orangé d’où venait le paresseux soleil matinal. Une brise salée susurrait à leurs oreilles et caressait leurs visages assoupis. Ils ne parlaient pas.

La douzaine de pêcheurs s’affairait à ses activités. Seulement, deux des marins restaient inoccupés. Ils fixaient le calme relaxant de la mer. Peut-être était-ce là leur travail, se demanda Grinne après un regard fugitif dans leur direction. Trouver des bancs de poissons.


– Ces deux chasseurs ne m’inspirent rien de bon, chuchota l’un des deux guetteurs sans savoir que les oreilles attentives des tueurs de monstres les entendaient.

– Moi, ça m’rassure. Rrrh, pfft.


La glaire crachée se perdit dans l’étendue marine.


– Depuis que ces diables ont attaqué, reprit le second, je n’me sens plus à l’aise sur l’eau, loin des terres.

– D’ailleurs, tu as entendu ce qu’il se dit au village ? Que c’est parce que Marc et son équipage ont dépassé la frontière et attrapé un de leurs gosses avec un filet de pêche.

– Un gosse des poiscailles géants ? Rrrh, pfft.

– Ouais. Et pour couronner le tout, ils se sont amusés à lui enfoncer un harpon dans le cul. Empalé.

– J’en crois pas un mot. J’suis sûr qu’c’est les bleus du village.

– Les Narzars ?

– Ouais. Paraît que Luc, le forgeron, s’est engueulé avec la femme bleue pour je ne sais plus quelle raison. Rrrh, pfft. Et depuis, voilà qu’on s’fait prendre en chasse par ces poiscailles. Ils sont de mèche ! J’en mets ma main à couper. Faudrait les pendre directement ces étrangers. Je sais pas pourquoi le maire a accepté qu’ils vivent près de nous.


Grinne décrocha son regard du ciel grisâtre et se tourna vers son ami. Les paroles étaient vaines, ils s’étaient compris. Foutu racisme.

Le bateau se trouvait à un peu plus d’un demi-mille des plages et la mer commençait à s’agiter. La colère s’éveillait au fond des eaux. Les deux chasseurs de démons pouvaient le ressentir. Tous leurs sens à l’affût, ils guettaient quand, soudain, une ombre violette s’envola, suivant une trajectoire en arc de cercle au-dessus du bateau.


– Kan, Kan ! Putain, ils ont pris Kan, hurla l’un des pêcheurs.


Les chasseurs dégainèrent : l’épée de Nic crissa dans son fourreau et la hache de Grinne se matérialisa. Une deuxième ombre ; malheureusement pas à la portée des lames des guerriers. La victime eut à peine le temps de lâcher un ultime cri de peur et de désespoir.


– Rapprochez-vous, commanda Grinne à l’équipage. Ils sont vifs, glissa-t-il ensuite à son frère d’arme.

– Trop ? le questionna Nic avec un air de défi.

– Plus rapide que des chasseurs, il ne faut pas abuser, mon ami.


Une troisième ombre fusa. Une personne non accoutumée au combat aurait affirmé que les armes des chasseurs avaient tranché le vide. Seulement, il y eut trois impacts dans l’eau et pas un seul des pêcheurs happé vers les fonds marins. L’assaillant avait été découpé.


– Je l’ai touché dans le dos, se vanta le démon ténébreux.

– Et moi à la nuque. Tu ne peux égaler mes réflexes.


Une silhouette violette atterrit lourdement sur le pont du bateau. La bête se releva minutieusement. De forme humanoïde, son corps se terminait en tentacules épais comme des cuisses. Ses grands bras aux doigts affilés tombaient mollement le long de ses flancs. Aucune peau ne recouvrait ses joues, laissant à vif les muscles rougeâtres de sa mâchoire. Quatre autres tentacules lui servaient de moustache. Ses yeux noirs, sans vie, ne reflétaient que le néant. Le monstre cracha sa haine dans un sifflement aigu. Sa nageoire dorsale épineuse se hérissa.


– Un Arquilion, dit Grinne.

– L’adversaire porte maintenant un nom.


Grinne chargea. Le démon marin glissa, vif comme l’éclair, et frôla le colosse pour passer derrière lui. Le chasseur se sentit lent, désarmé ; comme un enfant tentant d’attraper un poisson à main nue.

L’Arquilion se trouvait déjà sur Nic. Il le fouetta avec l’un de ses tentacules. Le jeune homme chuta et s’écrasa dans l’eau. Avant de comprendre ce qui lui arrivait, Nic se vit encerclé d’autres démons aquatiques.

Grinne se précipita vers le bord pour trouver son ami et mettre à bas le démon, mais celui-ci plongeait déjà. Profitant du désarroi du colosse, un autre Arquilion sauta sur le côté opposé du bateau. Grinne, impuissant, ne put que contempler le spectacle macabre. Le monstre marin brisa le cou d’un des marins à l’aide d’un tentacule et, déployant sa mâchoire tel un serpent, croqua la nuque d’un autre. Grinne retrouva ses esprits et chargea de nouveau. Anticipant les mouvements adroits de l’adversaire visqueux, il réussit à triompher de lui.

Mais alors que le chasseur démoniaque abattait un ennemi, Nic était quant à lui cerné. Il se débattait tant bien que mal. Il sentait son souffle l’abandonner, fuyant dans de petites bulles attirées vers la surface. Quelque chose de pointu se planta dans son bras. La mer étouffa le cri de douleur. C’en était trop. Il chercha de sa main valide la dague cachée dans son dos et s’en servit pour frapper à tout-va. La fine lame s’enfonçait dans la chair comme dans de la fange ; une fange qui laissait derrière elle une traînée rouge et épaisse.

Lorsqu’il se sentit de nouveau libre, Nic nagea vers le bateau. En émergeant, il fut accueilli par la main de son compagnon.


– Aller, reviens là, mon frère !

– Ils m’ont poignardé au bras et j’ai perdu mon épée.

– Ne t’inquiète plus. Je pense avoir vaincu leur chef. Regarde la bague à son doigt. C’est la marque de leurs capitaines. Ce devait être un commando. Ils nous laisseront. Pour le moment, du moins.

– Nous devons rentrer immédiatement, alors.

– Hé, vous ! les interpella un marin. Ce n’est pas votre putain de boulot de nous protéger de ces monstres ? On a perdu quatre pêcheurs.


Il ne reçut aucune réponse.


****


Le maire, moins hâtif dans son jugement que les marins, comprit que les chasseurs ne pouvaient pas garantir la survie de tous à eux seuls. Il s’en était rendu compte aujourd’hui. Les pêcheurs retourneraient pêcher bientôt puisque la prise avait été mauvaise, mais en moins grand nombre. Les chasseurs devraient être prêts pour l’aube du lendemain.

Mais le lever de soleil était encore loin et la Lune montrait peureusement son visage pâle au travers des nuages. Les chasseurs dînaient à l’auberge en discutant de leur combat du matin. Un médecin avait bandé le bras de Nic et lui avait conseillé de ne pas l’utiliser avant au moins deux semaines.

Le Narzar vint s’attabler avec eux.


– Vous avez pu évaluer leur force, n’est-ce pas ? dit le nouveau venu de sa voix calme et suave.

– Oui, répondit Nic en montrant son bras blessé.

– Même des chasseurs émérites ne peuvent rivaliser contre la mer. C’est un monde inconnu empli de force et de fierté. Ne les énervez pas davantage. Certains affirment que nous sommes liés à eux, nous les Narzars. Mais il n’en est rien. Nous sommes simplement leurs lointains descendants, comme les hommes le sont pour les singes. Et s’ils décident de déverser leur vengeance sur ce village, nous serons pareillement pris pour cible. Je venais vous faire mes adieux, guerriers. Car ma femme et moi ne voulons entrer en conflit avec la mort elle-même. Nous quitterons le village ce soir. Et encore une fois, fuyez. Fuyez avant qu’ils ne viennent. Car ils viendront.

– Mais c’est notre travail de combattre ce que les autres ne peuvent combattre, expliqua Grinne.


Le Narzar sourit tristement.


– Quel est votre nom ? demanda Nic.

– Miliano.

– Eh bien, Miliano, nous méditerons sur vos paroles.

– Les villageois semblent anxieux ce soir. Je sens de la colère, de l’empressement aussi. Peut-être ont-ils peur ?

– Quatre pêcheurs sont morts aujourd’hui. Ce doit être un mélange d’effroi et de tristesse.


Après quelques derniers mots d’adieu, Miliano sortit de l’auberge. Un court instant passa, puis on entendit au dehors un vacarme. Des cris et des pas lourds. Une foule se déplaçait. Un homme fit irruption dans l’auberge.


– Ramenez-vous ! Les traîtres vont être punis !


Ivrognes, gens de passage, serveuses, tous suivirent le chemin de la sortie dans un tumulte bruyant. Les chasseurs se levèrent également, intrigués et surpris.

Juste devant l’auberge, les villageois s’amassaient ; se bousculant comme des poules en cages. Une femme hurlait à l’intérieur du cercle d’habitants. Des coups étaient donnés.


– Grinne, dégage le passage !


En atteignant le milieu de la masse humaine, les deux amis restèrent effarés. Miliano, couché dans une flaque sombre, se faisait piétiner par des hommes tandis que d’autres maintenaient fermement la femme Narzar. Avant que les chasseurs ne puissent agir, un poignard glissa sur la gorge de la femme et un marteau tomba sur le visage de Miliano.


– Merde ! fit Grinne entre ses dents.


Il entama un pas en direction des meurtriers mais Nic le retint par le bras.


– Non, mon frère ! lui intima-t-il à voix basse. Si tu attaques, c’est tout le village qui se dressera contre nous et nous finirons lynchés de la même manière. Nous ne pouvons plus rien faire.

– Mais… Ils étaient innocents. Ils partaient. Pour vivre.

– Contiens ta rage.

– Allons montrer à ces connards de poissons qu’ici ce sont les humains les rois ! clama un habitant.

– Amenez les corps des traîtres et armez-vous avec ce que vous pouvez ! commanda un autre.


****


Nic et Grinne, en retrait, observaient la triste scène. Les deux centaines de villageois étaient entassées sur la plage de rochers. Devant eux, liés à des piliers de bois, les corps des époux narzars faisaient face à la mer.

Un crachin marin traversait la nuit et affaiblissait les torches des habitants. Eux, ils défiaient la mer. Des provocations et des insultes filaient en direction des vagues nocturnes.

Et puis, le moment attendu arriva. Un énorme Arquilion émergea et s’avança sur la terre. Face à lui, à son regard rouge de colère et son imposante carrure, les deux cents humains reculèrent.


– Voilà le roi, commenta Grinne, morose.


Seul contre tous, il approcha des cadavres, ignorant les injures des villageois les plus braves, ou les plus fous. Il les fixa un instant puis, d’une voix puissante et grave, il dit :


– Parjures ! Assassins ! Et même xénophobes ! Pitoyables humains. Vous reste-t-il encore la moindre valeur ?


Le silence s’installa à la suite de ces mots, puis il reprit :


– Vous avez mal choisi votre ennemi. Barag dal arna ! ordonna-t-il en se tournant vers la mer.


Des centaines d’yeux apparurent dans la nuit. Miroirs funèbres de la Lune. Les Arquilions se plantèrent derrière leur roi et vinrent à ses côtés les capitaines de guerre.


– Dona Bha ! commanda le grand chef.


Les monstres marins se ruèrent sur les humains, tel un cyclone balayant une barque égarée.


– Grinne, il faut qu’on parte. Ça ne sert plus à rien de rester ici. Nous ne faisons pas le poids contre une armée de ces démons.

– Tu as raison.

– Les Arquilions s’occuperont des corps des Narzars.


Les deux chasseurs fuirent le champ de bataille. Après avoir passé les plantations d’orge et de houblon, ils atteignirent une colline. Là, ils firent volte-face et jetèrent un dernier regard sur le village d’Ambor. Plus une seule torche ne brûlait. L’obscurité totale. Le massacre avait pris fin.


– Cette mission est un échec, hein ? lâcha Nic.

– Pauvre histoire. Mais ces monstres le méritaient.

– Le racisme crée son propre ennemi. Ils savaient à quoi s’attendre.


 
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   macaron   
8/6/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Une aventure singulière cette fois-ci pour nos deux héros: Nic et Grinne. Le fond prend un peu le dessus sur l'action, mais le même univers fantastique colorise notre lecture. Une lecture sans accrocs pour passer un agréable moment.

   bigornette   
19/6/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Tailme.

Si j'ai bien tout compris, il y a d'un côté les méchants villageois racistes, de l'autre les pragmatiques tueurs pas racistes, et au milieu des monstres marins un tantinet chatouilleux dès lors qu'il est question de racisme. La morale de l'histoire serait la suivante : il ne faut pas être raciste vis-à-vis des Narzars, sinon les Arquilions vont venir exterminer tout le monde. Je pense qu'il y a d'autres raisons de ne pas être raciste que d'éviter la punition. Je pense que vous avez les moyens d'écrire une histoire moins caricaturale que celle-là. L'univers est intéressant, et votre style prometteur, je vous encourage donc à creuser l'histoire entre la femme bleue et le forgeron. J'espère bien vous relire. Merci.

   Aeld   
27/8/2015
 a aimé ce texte 
Bien
L'histoire est agréable à lire et m'a embarquée. Le décor est super : j'imagine un village de pêcheur, au bord d'une grande mer froide, le tout très isolé. Ca m'a fait penser à Naufrages de l'auteur japonais Akira Yoshimura.
Pour améliorer : Nic et Grinne sont des compagnons, mais leurs discussions se limitent à de courtes phrases, et mis à part leur rejet du racisme j'aimerais découvrir s'ils sont amis, si l'un ou les deux risqueraient leur vie pour l'autre, si ce sont juste des compagnons d'armes. Une vraie discussion des deux personnages principaux ensemble.
Ce que j'ai trouvé très bon, c'est l'imagination avec tous les détails que tu donne. Surtout le passage où tu décrit précisément la bête sur le pont du bateau. Les muscles des joues sans peau, et les tentacules en forme de moustache.
Juste avant la description elle se relève "minutieusement". Ca vient un peu comme un cheveu sur la soupe.
"Anticipant les mouvements adroits de l’adversaire visqueux, il réussit à triompher de lui." C'est une scène d'action awesome, je veux la description du combat.


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