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Fantastique/Merveilleux
telurb : La septième vache
 Publié le 04/02/16  -  10 commentaires  -  6791 caractères  -  63 lectures    Autres textes du même auteur

Un bruit, peut-être la guerre, approche. Un enfant, d'un geste d'amour, la fera reculer.


La septième vache


La rampe du sentier m’oblige à respirer plus fort. L’air ici est une récompense pour les poumons. Je suis un point minuscule parmi ces montagnes. Aile courbée vers la terre je grimpe avec des pattes d’insectes. Quelques cailloux aux veines rouges chahutent mes pas.

Là-bas, au loin, de l’autre côté de la vallée, sur le sommet rond, une petite maison de pierres est posée. On dirait le cerveau du paysage. Au cours de brèves haltes, mes yeux mangent les lumières de l’automne comme des tartines de miel.

J’ouvre et ferme trois barrières de fer – qui servent à retenir les troupeaux – et me voici sur le plateau. Un aigle patine sur le ciel.

Je trouve l’étroit chemin. Il était bien dissimulé entre deux peuples de genêts. J’atteins le pré.

Mes chaussures s’enfoncent dans l’herbe gorgée d’eau. Mes pieds se mouillent. J’avance et je les vois dans l’autre pré qui est clôturé. Elles sont sous la protection du soleil et je dois placer ma main en visière pour les distinguer. Je les compte : sept. Semblables à première vue.

Les unes collées aux autres dans une brume diffuse. Sœurs, couleur fauve.

Malgré le terrain de plus en plus spongieux je me dirige vers elles. Derrière les barbelés je les appelle.


– Oh ! Hé ! Oh ! Hé !


Une seule tourne la tête, à peine, comme un reproche, étonnée qu’on m’ait autorisé ce sanctuaire. Elle a les yeux si beaux. Je m’éloigne. De l’entrée du chemin, je me retourne et les regarde encore, elles sont, dans la dépression du coteau, des châtaignes au creux d’une paume.


Aujourd’hui l’ascension est ravissante. Je suis couvert d’un bonnet de yak et j’ai chaussé des bottes. Le silence des cimes est un clown espiègle au visage coloré. À chaque arrêt pour reprendre mon souffle, il me crie sa joie d’être au monde. Il joue à saute-mouton par-dessus les monts et m’encourage à le rejoindre au sommet. Ses grands rires semés germent de tous côtés à une vitesse céleste. Sur l’autre versant le cerveau fume. La petite maison de pierres pense comme un homme. On voudrait plonger nu dans le ciel pur. Je sens le thym que je n’ai pas senti hier. Et j’aperçois, à gauche, un buron et une étable à toit de lauzes.

Elles sont là comme la veille. Sous l’œil du soleil. Une s’est écartée légèrement des autres en direction du coteau. Je ne veux pas les déranger. Je vais sur la droite. Je traverse deux prés. Le silence s’est assis en tailleur dans l’espace. Sur une banquette d’herbes sèches, je tombe les bras en croix et je l’écoute. Les rayons du soleil jouent dans mes cils comme des bambins curieux. Le silence prend, pour me parler, sa voix de rouge-gorge. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi vrai. Je somnole dans la lumière du soleil. Dans un lit de bonté. Mais je l’entends, si infime soit-elle, cette fausse note qui m’éveille. Un son qui n’est pas de la nature. Un bruit malin, comme une pointe d’épingle, qui provient d’un ventre sombre. D’en bas et de tout autour. Je me redresse, le silence n’est plus là. Je redescends avec ce bruit dans l’oreille comme un caillou dans une chaussure.


L’ascension n’est plus la même sans la compagnie du silence. Les lumières ne se livrent plus entièrement. Les montagnes, craintives comme des escargots, se sont enfermées dans leurs coquilles. Mes pas perdent harmonie et entrain. Le bruit encercle les horizons. Fermente comme un poison. Rumeur intense de mâchoires haineuses, de nerfs qui se tendent comme des barbelés, de poings qui se ferment sur des œufs, de mots enragés que fomentent des langues hostiles, de machines sans âme et sans merci. Mes pensées sont traquées comme des bêtes aux abois. Un étau serre mon corps jusqu’à la nausée. J’ai l’impression qu’un rat ronge l’avenir. Mais rien de visible, ce qui est pire. Lèpre sourde.

Je débouche d’entre les genêts sans avoir goûté aux paysages. Elles sont là. Sereines comme si elles n’entendaient pas le bruit. Mais une a grimpé le coteau. En haut à gauche du tableau, les quatre pattes bien nettes, délicate ombre chinoise contre le soleil. Sa tête est dressée vers les nuées qui filent dans le vent.

Soudain, un plus petit nuage se détache et s’arrête. À l’aplomb de ses naseaux. Merveilleusement les vapeurs d’eau forment un cœur. Et ce cœur, comme frappé d’une balle, se couche sur le côté. À partir de ce moment, ni elle ni le nuage ne font plus le moindre mouvement. J’ai du mal à me détacher de ce tableau fantastique.

La descente est rapide et sans pensées dans la rumeur omniprésente.


Au village, l’aubergiste me sert du vin chaud avec son sourire humain. L’amabilité des habitants paraît intacte. Personne ne semble entendre ce bruit malin. Je n’ose pas les interroger au risque de les inquiéter. Mais, pour la première fois, je crois discerner un tremblement nerveux dans les gestes du sabotier. Le bonjour heureux de l’épicière a l’air moins spontané.


Les jours suivants, malgré ce bruit terrible au seuil du monde, je retourne au plateau.

Là-haut, le tableau est exactement le même. Prodigieux. Sa silhouette est si précisément découpée sur le soleil – la tête levée vers le nuage en cœur couché –, on dirait une icône de Noël. J’en oublierais presque l’affreuse rumeur.

Deux hommes s’avancent. Apparaissent aussi en ombres chinoises. Le buronnier et son journalier. Ils essaient de la tirer pour la rentrer à l’étable et la nourrir. Mais elle est plus intraitable qu’un roc. Ne bouge pas d’un millimètre. Les deux hommes regardent le nuage en forme de cœur, juste au-dessus, qui, comme l’animal, est immobile depuis trois jours.

Ils ne comprennent pas. C’est plus grand qu’eux. Ils renoncent.


L’histoire du nuage et de la bête se répand au village. Et même aux cantons. On parle debout sur les ponts, assis sur les bancs de pierre, près du moulin, sur la place, à l’auberge, à l’épicerie, chez le charron, devant la fontaine. Les langues aiment répéter le miracle.

Un dimanche, une foule décide d’aller voir sur le plateau.

Les prés sont envahis par des hommes, des femmes et des enfants. Le bûcheron est en grande conversation avec le prêtre. Je suis le seul à entendre ce bruit horrible qui est près de nous étrangler. Mais la scène là-bas est si belle que je l’oublie encore. Tous les yeux sont envoûtés par cette peinture réelle. On ne cherche plus à comprendre, on regarde.

Soudain, un enfant, le fils du buronnier, monte sur le coteau. En ombre chinoise, il s’approche d’elle. La scène devient plus belle encore. Il prend la tête de la bête, la baisse enfin et lui dépose un long baiser entre les cornes. Au même instant, dans chaque poitrine de l’assemblée, la même rose éclot. Le nuage en forme de cœur se redresse, se délite et disparaît parmi les nuées. En suivant paisiblement l’enfant, la bête redescend et rejoint les six autres.

Je suis maintenant certain que le bruit a reculé.


 
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   Pascal31   
15/1/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Je suis un peu ennuyé à la fin de la lecture de cette courte nouvelle. Nonobstant le petit souci de renvois à la ligne en plein milieu de phrases, c'est surtout le message global que vous avez voulu faire passer qui me laisse perplexe. J'en comprends l'intention (louable) mais le traitement, avec cette histoire de vache récalcitrante et de bruit assassin, me laisse dubitatif. C'est dommage, car j'ai lu ce texte très facilement. Pourtant, je suis resté en dehors du sujet. Désolé.

   hersen   
15/1/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Nous sommes sans aucun doute possible dans une autre dimension...sauf que les vaches nous rappellent à l'ordre !

Je n'ai pas trop compris le cheminement, que je trouve un peu décousu.
Il me faudrait, avant d'en arriver au baiser à la vache, quelque chose de plus clair.
J'ai l'impression qu'on se promène dans une campagne, belle, certes, et qu'il y a une inquiétude, bien transmise je dois dire par seulement quelques réflexions sur les gens du village.

Mais je reste un peu sur ma faim et je n'ai pas bien compris si la vache est une allégorie, et si oui, que représente-t-elle ? Et le fait que ce soit la 7ème.

Donc, mitigée sur ce texte pour lequel j'aurais aimé quelque chose de plus clair, mais avec cependant certains beaux passages, par ex " mes yeux mangent la lumière de l'automne comme une tartine de miel"

Merci de cette lecture.

   carbona   
15/1/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Une jolie histoire qui mérite d'être lue plusieurs fois pour parvenir à bien saisir l'atmosphère. L'incipit aide et c'est tant mieux.

Une remarque sur la mise en page : je ne comprends pas certains retours à la ligne en cours de phrases.

De jolies choses : "mes yeux mangent les lumières de l’automne comme des tartines de miel. " elles sont, dans la dépression du coteau, des châtaignes au creux d’une paume." "On parle debout sur les ponts, assis sur les bancs de pierre, près du moulin, sur la place, à l’auberge, à l’épicerie, chez le charron, devant la fontaine. Les langues aiment répéter le miracle. " "Je redescends avec ce bruit dans l’oreille comme un caillou dans une chaussure."

De moins jolies : "une petite maison de pierres est posée. On dirait le cerveau du paysage" "Sur l’autre versant le cerveau fume." mais "La petite maison de pierres pense comme un homme." < j'aime bien

- "On voudrait plonger nu dans le ciel pur." < bof

- "Le silence des cimes est un clown espiègle au visage coloré. À chaque arrêt pour reprendre mon souffle, il me crie sa joie d’être au monde. Il joue à saute-mouton par-dessus les monts et m’encourage à le rejoindre au sommet. Ses grands rires semés germent de tout côté à une vitesse céleste. " < j'aime bien ce passage même si je n'ai pas fait tilt de suite, ce silence correspond au bruit du vent j'imagine

- "Je suis le seul à entendre ce bruit horrible qui est près de

nous étrangler." < pourquoi ? ce bruit est-il vraiment présent ou est-ce l'intuition du narrateur et celle des animaux qui permettent de l'entendre ?

Un texte plein de poésie et de délicatesse pour exprimer l'approche de la guerre. J'aurais apprécié quelques mots de plus à ce sujet pour bien placer le lecteur en contexte, pour mieux comprendre dès sa première lecture ce qui se passe.

Merci,

Carbona

   vendularge   
4/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

En premier lieu, j'aime particulièrement cette écriture belle et serrée où chaque mot porte un sens précis, bravo, c'est remarquable.

L'histoire semble être une métaphore ou pas mais elle existe pour elle seule sans qu'on y cherche un sens précis et ce résultat est du précisément à l'écriture, elle est supérieure à la narration.

Merci, j'aurais bien écrit "passionnément" mais je trouve ce mot dénué de sens ici, alors ce sera très très beaucoup.

   Anonyme   
9/2/2016
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour,
Je ne suis pas séduite par ce texte.
Pour moi, il y a trop de métaphores et à m'appliquer à les comprendre, j'en ai perdu le fil de l'histoire. Ce qui est tout de même le point central d'une nouvelle.
Au point final, je suis totalement incapable de raconter votre histoire.
:-(
Désolée.

   Perle-Hingaud   
10/2/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour terlub,

C'est une nouvelle un peu trop obscure pour moi... mais j'ai aimé l'atmosphère qui s'en dégage.
La première partie est réussie, je me suis très bien identifiée au narrateur.
Dans ce paragraphe: "Aujourd’hui l’ascension est ravissante. ...", j'ai été gênée par l'uniformité du rythme des phrases. (lisez-vous vos textes à haute voix ?)
Le "sourire humain" me semble étrange, mais je comprends l'idée.
Par contre, sur le fond, la métaphore de l'amour qui écarte la guerre (si j'ai bien compris ?) via l'enfant et la vache, cela me laisse assez indifférente... mais je ne suis pas très douée pour décrypter. Sauf le bruit inquiétant pour la guerre: l'idée a déjà été exploitée, mais elle est bien amenée dans votre texte et efficace.
Merci pour cette lecture

   henriette   
18/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour
Je voudrais pouvoir écrire avec tant de poésie une nouvelle !!!!
Chaque phrase est une touche picturale et à la fin , même si je n'ai pas entendu de guerre venir , j ai pleinement ressenti la sensation d'un événement malin en devenir .
Peu m'importe de ne pas avoir bien appréhendé le sens concret du sujet , j'ai aimé le style beaucoup beaucoup beaucoup
Merci

   Sylvaine   
26/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Beau texte qui entretient une sorte de "suspense" poétique dont le fin ne résout pas le mystère. Le "bruit" parasite représente-t-il on ne sait quelle nuisance moderniste qui menacerait la magie des paysages montagnards ? Peu importe: l'atmosphère est prenante dans son étrangeté, et il n'est pas mauvais que des éléments demeurent inexpliqués. L'écriture témoigne de recherches intéressantes, mais, si certaines métaphores sont très bien venues ("J'ai l'impression qu'un rat ronge l'avenir", "Le silence prend sa voix de rouge-gorge") d'autres paraissent artificielles et gratuites (les rayons du soleil comparés à "des bambins curieux", le silence "clown espiègle au visage coloré") Dans l'ensemble cependant, c'est une voix plaisamment originale que vous faites entendre.

   Coline-Dé   
26/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
"J'ai un souvenir très violent de l'innocence des vaches"
Cette phrase de Marguerite Duras a-t-elle inspiré votre texte ? je n'ai pu m'empêcher d'y penser... votre vache incarne tellement une sorte d'innocence salvatrice !
A quelques exceptions près votre écriture pleine d'heureuses trouvailles m'a énormément plu, en particulier la comparaison de ces vaches fauves au creux d'un vallonnement " comme des châtaignes dans une paume", la petite maison qui " pense comme un homme" et beaucoup d'autres...
En comparaison avec ces pépites, certaines images un peu forcées, déçoivent :
tout le passage sur le silence a quelque chose d'artificiel à mes yeux.
"Le silence des cimes est un clown espiègle au visage coloré. " bof... La joie du silence a, à mon avis, un côté plus extatique...
j'ai beaucoup aimé ces trois phrases terribles : "Ils ne comprennent pas. C’est plus grand qu’eux. Ils renoncent. "
Et cette belle parabole de l'avenir rencontrant l'innocence animale et lui donnant un n baiser qui fait reculer la peur, la haine...
Un très joli texte; une ode à la vie, un vrai moment de plaisir dont je vous remercie.

   mimosa   
6/4/2016
 a aimé ce texte 
Un peu
La poésie du texte incite à poursuivre jusqu'à la fin, le style est agréable, fluide, mais j'avoue n'avoir pas accroché à cette histoire de vache, de cœur flottant au-dessus d'elle, et le baiser final du petit garçon fait un peu conte de fées. Le mot silence prend une importance démesurée à mon goût: dans la nature, le silence parfait n'existe pas trop! Pour moi, le mystère n'est pas au rendez-vous.


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