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Fantastique/Merveilleux
Usus : Seconde métamorphose
 Publié le 01/01/11  -  4 commentaires  -  8492 caractères  -  86 lectures    Autres textes du même auteur

Il m'arrive de rêver que je suis un humain.


Seconde métamorphose


Le jour se lève. Je vois du gris. Gris les murs de béton, gris les angles droits et le triste dallage du sol. Comme chaque matin, mes articulations sont grippées. Mon corps est froid de la nuit. Ma respiration siffle au travers des mandibules. J’ai toujours beaucoup de mal à revenir à la réalité. Tout ce gris me laisse en permanence un sentiment d’existence interrompue, comme une parenthèse interminable au milieu d’une histoire subie. J’ai à peine conscience de mon être physique. Je porte un regard intérieur sur cette enveloppe qui m’abrite. Je fais quelques pas sur le sol, juste pour faire fonctionner mes trois paires de pattes. Progressivement, mon corps se remet au rythme lent et saccadé de ma vie. Les élytres sont encore insensibles, comme soudées sur mon dos mais je sais que bientôt, toute cette chape cornée va s’articuler.


J’avance le long du mur, le mur le plus long. Je le connais, il précède et suit les deux murs les plus courts. Puis, c’est de nouveau un mur long et ainsi de suite, mur long, mur court. Je tourne dans une cellule grise et muette. Si je porte mon regard sur le plafond, je vois les murs se perdre dans un crépuscule confus. Je ressens à peine le fait que rien ici n’est à ma taille. Je suis à présent éveillé. Le besoin de nourriture se fait sentir comme à chaque éveil. Je sais qu’au centre de la cellule, un tas de débris organiques m’attend à côté d’une mare d’eau. Je n’éprouve aucun plaisir à manger, ni plaisir, ni aversion. Je nourris mon corps, c’est tout. Rien ne me permet de connaître le mince et dérisoire déroulement de mon existence. J’ai tout juste le souvenir du jour passé. Se nourrir, marcher, dormir. Il m’arrive de monter sur le mur le moins sombre pour espérer découvrir je ne sais quel espace qui ne soit pas lisse et gris mais l’obscurité m’effraye. Mes sensations restent purement visuelles. Je devine plus que je ne ressens le changement qui me fouette le sang entre le chaud et le froid. Inconsciemment, il me faut définir le temps consacré à la marche et celui réservé au sommeil, entre les absorptions de nourriture. De ce fait, la notion même de temps m’est abstraite.


Pourtant, je crois pouvoir me considérer comme un être pensant. Il m’arrive de passer de longs moments à méditer sur le fait même de ma présence dans la cellule. Durant ces périodes, la plus petite dérive de ma pensée vers un embryon d’explication me panique. Tout doucement, je me trouve tiraillé entre le coconnage présent et un étrange et effrayant besoin de changement. J’ai l’éternelle sensation d’être pris en compte par je ne sais quelle fatalité, protégé de tout ce que je ne puis voir ou imaginer. Se nourrir, marcher, dormir. Le stock de nourriture se renouvelle pendant ma période de sommeil aussi, j’ignore d’où proviennent ces déchets. Ça ressemble réellement à des déchets, morceaux de mouches mortes, rognures de cuir ou de peau. Je ne me suis pour ainsi dire jamais posé de question bien que j’ignore qui je suis et à quoi peut bien servir un être comme moi dans cet environnement. À force de marcher, mes pattes commencent à s’ankyloser. C’est généralement le signe de l’approche de ma période de sommeil. Je vais me rétracter, former ma boule protectrice malgré l’absence totale de danger.


Pendant ce sommeil, il m’arrive parfois de percevoir des images floues et colorées. Des formes vives et mobiles. Ces formes s’impriment sur mon subconscient comme de bizarres réminiscences. J’en viens à ressentir une sorte de confort moral lors de mon sommeil. Un nouveau réveil, un nouveau cycle. Je n’ai pas encore parlé d’eux. Je ne les ai jamais vus ni entendus mais je sais qu’ils sont là, qu’ils me connaissent et m’observent. Je sens leur présence permanente. Je perçois leurs vibrations par mes antennes. Je devine leur intérêt. Cette assiduité représente-elle un bien ou un mal, je ne saurais le dire. Le fait est que je me suis habitué.


Rien ne transpire dans la cellule. Le temps est immuable. Le passage à l’état de veille a quelque chose de différent. J’ai l’impression d’acquérir une certaine souplesse, de me mouvoir avec un rien de liberté supplémentaire. J’accomplis mon premier tour de cellule et, de retour à mon point de départ, je découvre un petit tas de poudre brune, ce qui reste de mes élytres. Mes ailes diaphanes sont à l’air libre. Je n’ai jamais imaginé savoir voler aussi mes ailes sont toujours restées immobiles. Mon corps, plus léger, me procure une sensation plaisante. Je pourrais marcher plus vite, avec plus d’agilité mais il m’est agréable de me mouvoir lentement afin de profiter pleinement de cette perception nouvelle. Tout à mon plaisir, je ne suis pas encore pleinement conscient de l’importance que revêt cette modification de mon corps. Je me suis permis d’élever la limite de mes expéditions dans la zone sombre du haut de la cellule grâce à la perte de poids. J’y ai découvert un œil rond et fixe, froid et luisant.


Que d’événements étranges depuis ce dernier réveil ! Quelque chose est en train de se passer. Dans mes rêves également, les formes se colorent mais restent floues, comme derrière une membrane souple, opaque et résistante qu’elles cherchent à percer. Moi, je suis immobile, assistant à leurs efforts, présent et absent à la fois. Le retour à la conscience me réserve une autre surprise. Ma paire de pattes centrales gît sur le sol, détachée de mon corps comme deux brindilles de bois. C’est un choc ! Cette régression me laisse dans un état de grande agitation intérieure. Mes autres membres ont beau se développer, je n’ai plus assez d’adhérence et ne peux plus m’élever sur les murs. Je suis condamné à vivre sur deux dimensions. Et cette couleur pâle qui couvre mon abdomen ! Je ne sais plus que penser. Je ne ressens aucune souffrance mais la position de rétractation propice au sommeil ne me sécurise plus. Je suis nu et mes anneaux cornés s’assouplissent.


À chaque nouveau réveil, la cellule semble rétrécir. En fait, c’est mon corps qui s’allonge. Mes membres se gonflent et se couvrent d’une enveloppe claire, solide et souple. Je me demande s’ils se rendent compte de ce qui se passe ici. Je sais à présent que l’œil m’observe. Les questions se bousculent dans mon esprit. Bon sang qu’est-il en train de m’arriver ? Je deviens une « chose » que je ne peux expliquer. La nourriture m’attire de moins en moins. Quelquefois, mon estomac la rejette avec dégoût. J’ai refait des tentatives pour grimper aux parois grises mais elles sont vouées à l’échec. Je reste dressé sur mes pattes arrière, totalement découragé. Les périodes de sommeil se suivent avec la régularité la plus banale mais elles couvrent systématiquement la métamorphose de ce corps que j’ai de plus en plus de mal à reconnaître.


Au centre de la cellule, un récipient rempli de liquide chaud et odorant a remplacé les déchets de nourriture. Je découvre également une structure plate et souple recouverte de tissu chaud et épais. Je me suis aperçu que ce confort palliait la perte de ma carapace. Je peux à présent me déplacer facilement en utilisant uniquement mes membres inférieurs mais suite à une modification de mes yeux, mon champ de vision s’est rétréci. Il m’arrive souvent de m’interroger sur mes rêves avant de m’endormir. Je suis de plus en plus persuadé que ceux-ci ont un rapport étroit avec mon existence. Ce mystère me pèse. Je regarde mon corps. Il a atteint une sorte d’aboutissement. Mes membres inférieurs et supérieurs sont différents mais ils respectent, comme le reste de mon corps, une réelle harmonie esthétique.


Mes déplacements de bipède sont souples et rapides. De nouveau, je suis devant l’écran brumeux de mes songes. Les formes, de plus en plus distinctes, progressent et se matérialisent imperceptiblement. Elles écartent les rideaux de mes doutes et se dévoilent alors dans leur intégralité. Un visage souriant, des yeux clairs, si clairs. Comment ai-je pu l’effacer. Comment ai-je pu me soustraire à sa chaleur. Deux yeux clairs, un sourire, des mains tendues, un sourire. Son nom, son nom, Maria…

Maria ! Maria !


***


- Professeur Kunz, il est réveillé.

- Enfin, enfin. Des années de patience pour arriver à cet instant. Vite, allons l’accueillir et prévenez le commissaire politique.

- Il y a quelque chose d’étrange professeur. La chambre est fermée hermétiquement mais j’ai découvert sous le lit un gros coléoptère du genre polyphaga dynaste. Je l’ai conservé dans une verrine si vous désirez l’observer.


 
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   jaimme   
21/12/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Une nouvelle bien écrite. Avec soin dans le vocabulaire et la syntaxe, qui donnent à visualiser correctement. La lecture n'est pas ennuyeuse, ce qui aurait pu aisément être le cas pour un tel sujet.
"La métamorphose" de Kafka est un livre que j'ai lu avec plaisir. Cette suite possible, plusieurs années après, est intéressante. Pourtant l'intérêt intrinsèque m'échappe un peu. Il redevient un homme/il se réveille, mais il manque quand même une histoire interne. On voudrait en savoir plus sur ce Kunst (référence à Groland?), sur cette Maria. Nos contemporains l'auraient-ils réveillé?
Merci pour cette lecture.

   Lunastrelle   
28/12/2010
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai pris le texte sans chercher à le raccorder à autre chose. Je n'ai pas lu Kafka, du coup j'ignore le but de ce texte.
Mais je le trouve bien écrit. On se laisse emporter par les mots sans problème, une belle fluidité lie le tout. Il y a juste quelques coquilles, par exemple:


"Mon corps est froid de la nuit": pas joli, enfin moi ça me gêne un peu.

"J’avance le long du mur, le mur le plus long. Je le connais, il précède et suit les deux murs les plus courts. Puis, c’est de nouveau un mur long et ainsi de suite, mur long, mur court.": alors la répétition du mot "mur" ici est bien utilisée. Cela forme une sorte de boucle. Sauf que je trouve qu'il y en a un de trop. Je pense que c'est l'un des deux derniers. Mais ce n'est qu'un avis personnel.

"Je n’éprouve aucun plaisir à manger, ni plaisir, ni aversion." : là, je trouve la répétition un peu ratée.

"Tout doucement, je me trouve tiraillé entre le coconnage présent et un étrange et effrayant besoin de changement." : ouf, un peu lourd, surtout sans une virgule pour fluidifier un peu le débit.

"j’ignore d’où proviennent ces déchets. Ça ressemble réellement à des déchets": idem, le mot déchet est répété, mais de manière assez maladroite.

   Anonyme   
28/12/2010
 a aimé ce texte 
Un peu
Très descriptif. L'écriture est fluide, le récit bien construit.

Descriptif et donc un peu linéaire. Dans ce genre il faudrait selon moi un évènement central qui puisse conduire au dénouement. C'est difficile de mener ainsi une histoire d'enfermement, de prison, de folie, d'internement (l'incertitude tient du fantastique) en ayant pour seul rebondissement un coléoptère final. Ce n'est pas un épisode, la lectrice en moi reste frustrée.

Un texte à peaufiner et à développer.

   Anonyme   
1/1/2011
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Un texte étrange... J'hésite entre la création d'un humain ex-nihilo, ou presque, et là on serait dans la science-fiction, et le rêve comateux d'un politicien assommé un peu beaucoup rudement dans une dictature probable (opposant ou membre honni d'un politburo d'Amérique du Sud, si j'en crois la bestiole retrouvée sous le lit).
On pense effectivement à Kafka, évoqué par le titre. Un Kafka qui aurait bien relu Freud.

Quelques remarques :
-"Inconsciemment, il me faut définir le temps consacré à la marche et celui réservé au sommeil, entre les absorptions de nourriture. De ce fait, la notion même de temps m’est abstraite." : je ne saisis pas du tout le rapport de causalité entre les deux propositions, ni même le terme "inconsciemment" dans ce contexte ;
-"J’ai l’éternelle sensation d’être pris en compte par je ne sais quelle fatalité" : c'est vraiment maladroit. D'une part, la fatalité est une, et pas plusieurs. Et puis "pris en compte par la fatalité", c'est maladroit.
-"Je suis condamné à vivre sur deux dimensions." : nous vivons en trois dimensions, même si nous ne déplaçons que dans deux dimensions...

J'ai un passé lointain de zoologiste. D'autres choses m'ont donc chagrinée :
- les "pattes centrales" : médianes. Centrales correspond à une description de prophane, je trouve que c'est dommage. Mais ça peut être justifié, je l'admets.
- "un gros coléoptère du genre polyphaga dynaste" : Dynastes est le genre, mais Polyphaga est le sous-ordre. Il fallait écrire "du genre Dynastes".

Ceci pour vous chipoter, car votre nouvelle est bien menée dans sa volonté descriptive, et globalement bien écrite.


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