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Science-fiction
victhis0 : Failure
 Publié le 22/09/08  -  6 commentaires  -  11486 caractères  -  44 lectures    Autres textes du même auteur

Scène de ménage à cent cinquante mille pieds.


Failure


- Tu ne peux pas me faire ça. C’est impossible… pas comme ça… s’il te plaît…


Dieu qu’elle était belle Fiona « Gearhead » 2155, pensa-t-il, ses grands yeux noirs mystérieux implorant sa clémence, en se tordant sur ce canapé pourtant voluptueux comme un lit douillet. Toute recroquevillée sur un minuscule carré de tissu ocre, les doigts agités, le genou de travers. Même ses cheveux d’ébène disloqués semblaient souffrir. De tout son être, Fiona suppliait pour que tout cela ne soit qu’un cauchemar.


Sa voix pourtant si chaleureuse, presque androgyne, avait rejoint des hautes fréquences que John-Piotr 2155/8_F ne lui connaissait pas, même dans les précédentes crises où il avait fini par capituler, rejoint par la logique, la peur et son indécrottable faiblesse. Mais cette fois, c’est bien décidé : John-Piotr 2155/8_F ne flancherait pas.


- Navré Fiona. Malgré tout ce qu’on a essayé, malgré toutes les précautions prises, malgré mes améliorations, je dois me rendre à cette évidence : ça colle pas. On y arrivera pas : je ne te rendrai pas heureuse. Et les conséquences de cet échec sont bien pires pour moi.

- Johnny… aie pitié. Tu sembles ne pas comprendre ce qui va se passer… tu… tu le fais exprès ? Tu veux que je souffre ? Pour rien ?... Alors qu’on devrait vivre sans colère, sans aucune dispute sérieuse... Ils ont même dit que…

- S’il te plaît Fiona, n’en rajoute pas. C’est déjà assez dur pour moi. N’empire pas les choses : il faut que tu acceptes. C’est comme ça, ça peut arriver, ça fait partie des impondérables.


JP (pour les intimes) n’osait pas affronter le regard chaviré d’amour de Fiona. Il regardait le bout de ses propres bottes, se reprochant un peu le laisser-aller dans leur entretien alors que ce n’était pas le moment, tandis que Fiona s’était étalée de tout son long sur le canapé, sa robe remontée jusqu’à mi-cuisse, au moins. JP ne voulait pas regarder, il se connaissait trop bien et il connaissait trop bien les atouts de Fiona pour savoir qu’elle n’hésiterait pas une seconde à déployer tout son arsenal. Elle avait déjà vidé tous ses chargeurs de supplication, balancé son stock de grenades de chagrin et fait péter tout ce qu’elle avait comme bombes à culpabilité. Il lui restait encore l’arsenal physique, le moins fair-play. Celui qui ferait à coup sûr capituler JP.


Fiona sanglotait, offerte, abandonnée. JP s’obligeait à ne pas la regarder, à rester concentré sur ses bottes avec obstination. Il tournait une phrase en boucle « c’est comme ça, ça peut arriver, ça fait partie des impondérables », hors circuit, déconnecté du drame où il ne voulait à aucun prix succomber.


- Non Johnny… c’est pas vrai… ça n’arrive jamais… c’est impossible… pas à moi. Pas avec toi !


C’est à peine si JP arrivait à comprendre ces mots simples, tant par sa volonté propre de ne pas décoder les sons émis par Fiona, que par le fait que cette pauvre Fiona étouffait les mots malgré elle, la bouche remplie de sanglots, perdue dans un coussin beige détrempé de larmes.


Puis Fiona ne parla plus, bougeait à peine, si ce n’est les convulsions de ce dos si gracile aux yeux de JP, secoué sans ménagement à chaque sanglot. JP ressentait son souffle meurtri telle une morte en sursis. Une lassitude infinie s’était emparée de lui ainsi que le sentiment apaisant qu’il avait réussi à franchir une étape, à vaincre un mur qu’il pensait infranchissable, avant cette crise ultime.

JP ne parlait pas non plus. Les sanglots de Fiona, parfois violents, désespérés, déchiraient cette atmosphère lourde pour l’alourdir encore plus. JP réagissait de façon épidermique, comme s’il prenait une gifle pour chaque respiration, coupable. Il ressassait toujours sa phrase bouclier « c’est comme ça, ça peut arriver, ça fait partie des impondérables ».


Au bout d’un moment incalculable (une minute ? une heure ?) Fiona se redressa, plus calme et, reniflant bruyamment, elle fixait JP avec une tristesse infinie :


- Johnny, dis-moi : tu aimes quand on lit ensemble ?

- Oui Fiona. Bien sûr que oui.

- Et… ma garde-robe ? Tu l’aimes, non ?

- Tu sais très bien que oui. J’adore tout ce que tu portes. Même ce que tu as et que tu ne portes plus.

- Et… toute l’intendance, ton confort, tu l’aimes tout autant, non ?

- Ce n’est pas un hasard. Je me sens bien ici…

- … et mon sens de l’humour ??? Bien non ? Je te fais rire quand je veux, non ?

- À part ce soir, oui Fiona. C’est tout à fait exact. Et pour cause.


Fiona ne bougeait plus, le corps en capitulation, renonçant au combat.


- … et… nos conversations ? Tu les choisis presque toutes ; tu es tellement fort… Je ne PEUX PAS me passer de toi.

- Bien sûr que si Fiona. Tout le monde le peut.


JP commençait à se lasser et il sortit cette dernière réplique dans un soupir presque agacé. Presque.


- Et au lit ? Tu aimes mes câlins, Johnny-Johnny je le sais bien... Je le sens bien. Moi aussi j’adore…


Fiona avançait lentement vers JP, à quatre pattes, la croupe suggestive. Un sourire gourmand aux lèvres et les yeux brillants de convoitise, elle partait à l’assaut de JP2155/-8F, prête à diluer cette scène de ménage dans une orgie de sexe déluré que la tension rendait encore plus torride.


- Arrête ça Fiona. Arrête ça tout de suite.

JP ne flancherait pas. Regard vissé sur ses bottes. Phrase bouclier prête à tout parer.

Fiona cessa sa progression animale dans une position proche du chien de chasse à l’arrêt. Sur son visage un sentiment d’incrédulité et de dépit qu’elle ne s’était jamais connue marquait son regard. Totalement décontenancée, elle tenta un ultime :


- Et… ma… ma gentillesse, ça compte pas, ma gentillesse ?


Sa voix n’était plus qu’un murmure de petite fille abandonnée, fragile et désemparée. À genoux, les habits froissés, Fiona était encore plus désirable aux yeux humides de JP. Une immense détresse s’emparait de John-Piotr, mangeait goulûment sa résistance à grandes bouchées voraces. Il se redressa d’un bloc, au bord de la reddition, jetant en pâture à ce moment tragique les arguments les plus infamants possible :


- Fiona 2155, tout ce que tu viens de dire est rigoureusement exact. C’est même pour ça que j’ai été programmé. À l’octet près. L’ensemble de ma personnalité a été écrite, testée et mise en service par rapport à ton cahier des charges. J’ai eu droit à cinq versions bêta et, sauf erreur ou omission, ça t’a quand même coûté sept cent cinquante barrettes de mémoire. J’étais même hors budget : tes exigences t’ont endettée pour dix ans. Ce qui, du reste, est dangereux, vu ton âge.

- Justement ! s’écria Fiona, pleine de fureur, toujours à genoux. Tu me dois tout. TOUT. Et la déception ne fait absolument pas partie du contrat que j’ai passé avec Googlesoft !


Fiona s’était maintenant levée, embarquant son corps anguleux et sec dans un manège circulaire au cœur de l’immense salon de son vaisseau loft en orbite, insensible au merveilleux spectacle du soleil caressant la surface de l’Inde, à cent cinquante mille pieds sous elle, pestant contre JP2551/8-F, Googlesoft et ces « fucking hybrides de merde, même pas foutus d’être fiable au-delà de la garantie constructeur ». JP s’était remis en boucle « c’est comme ça, ça peut arriver, ça fait partie des impondérables », même si son cœur battait des records de tempo que le plus échevelé des groupes de Hard Punk Gothique aurait renoncé à suivre, par peur d’une syncope immédiate.

Fiona réfléchissait en lançant des phrases sibyllines « ça va pas se passer comme ça… Il m’a humiliée. C’est interdit… Remboursement… Putain de procès. Ils vont en entendre parler… Bref, tout un tas de jurons et d’invectives inoffensives auxquelles JP se refusait de réagir, muré dans son obstination.

Ivre de rage et de dépit, Fiona s’effondra sur son fauteuil fétiche de collection du XXIe siècle, à l’époque où ils n’étaient pas encore capables d’apesanteur. Elle frappait le cuir véritable et trop fragile du meuble de ses poings aigus en ahanant comme un boxeur du même siècle, distribuant des « No ! Non ! Nan ! » À tout bout de champ, sans penser aux dégâts irréparables qu’elle causait à cette matière introuvable. JP s’attendait à une attaque physique d’un moment à l’autre, comme la dernière fois où il avait hérité d’une paire de jumelles à plasma liquide dans les côtes. Deux semaines de réparations et de baisers d’excuses de Fiona, cajolant et bichonnant JP dans un délire fétichiste assez monotone. En y repensant, JP préférait encore les signaux d’affolement de son corps au moment de l’impact, aux plus de trois cents heures des minauderies de Fiona qui s’ensuivirent.


Tandis que le loft de Fiona Gearhead 2155 croisait doucement celui de Kevin-Abraham Slovsky 2158 (célèbre artiste « Cross over » très people), JP admirait pour une dernière fois les lignes pures du vaisseau lodge de Slovsky, un pur trait de dessin, une croupe de métal aux pentes douces et aux reflets changeants qui effectuait des rotations suaves et lascives dans le vide gravitationnel autour de la Planète Bleue. Lentement, John-Piotr2551/08-F se dirigea vers les immenses baies vitrées ouvertes sur la Terre lointaine, tellement belle malgré les salissures indélicates que l’on pouvait distinguer à l’œil nu. Fiona cherchait pendant ce temps-là un site de réclamations, dictant une lettre pas piquée des vers à Googlesoft ; JP2551/08-F n’était plus le sujet du moment.


JP se concentra et lança une réflexion simple « applet_55/selfdest. », adresse qu’il avait réussi à pirater, ligne après ligne, après plusieurs milliers de tentatives infructueuses, enfin, grâce à la complicité bienveillante d’autres hybrides, du courant Nihiliste. Ses circuits s’arrêtèrent dans la nano seconde suivante. La dernière chose qu’il enregistra fut un reflet de Lune qui s’étirait vers la poupe du loft.

Fiona sentit que quelque chose d’anormal s’était passé. Mais elle termina d’abord sa lettre, trop orgueilleuse pour s’interrompre dans un moment pareil. Quand, satisfaite, elle expédia un courrier bien troussé en mettant en copie ses avocats et en pièce jointe un résumé audiovisuel de toute la soirée en guise de preuves, elle se retourna. JP était étalé, inerte. Elle appela Madonna 2155/04-A pour qu’elle jette ce tas d’ordures dans l’incinérateur à particules « Et sans délai cette fois Madonna, s’il te plaît ».


Tandis que Madonna 2155/04-A disparaissait en silence en charriant son déchet, Fiona lança un programme de voyage en shuffle. Son vaisseau loft démarra pour glisser lentement vers la French Riviera qu’elle surplomberait d’ici quelques minutes. Pour se changer les idées, elle ordonna un concert baroquo-punk suave pour inonder la pièce, bercée dans les teintes jaspées de toiles de maître hors de prix mixées avec application et dans un joyeux barbouillage par Slovsky. Un bien beau présent que ce dernier lui avait concocté pour son quatre-vingt-dix-neuvième anniversaire, nourrissant ainsi une convoitise aussi saugrenue qu’inutile envers la plus si jeune Fiona Gearhead 2155.


Fiona avait mérité des vacances, bien décidée à oublier JP et son inqualifiable suicide, totalement illégal, calculant sommairement le temps et les moyens qu’il lui faudrait pour trouver un successeur plus fiable – elle sera remboursée au moins de la moitié –, sachant qu’en parallèle elle devait aussi updater le moteur atomique de son loft (ringard), s’offrir un nouveau cocktail de Jouvence WC4 Modifié « Expérience Âge » et que tout ça allait lui coûter une petite fortune.




 
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   leon   
22/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C'est bien écrit, ça coule tout seul : c'est de la bonne SF.

Juste on se demande pourquoi Fiona oublie si vite cet androïde dont elle n'acceptait pas la décision de rupture. Et puis aussi, c'est elle la patronne de Piotr et la cliente de Googlesoft et pourtant, c'est elle aussi qui supplie Piotr de ne pas la quitter. Le suicide de Piotr n'est pas véritablement justifié non plus.

Ces trois points mériteraient peut-être une petite explication supplémentaire.

Il ne faut donc pas être trop pointilleux sur cette histoire qui, malgré tout, se lit avec plaisir. Je pense qu'elle est à compléter pour devenir "très bien" et ça ne doit pas être trop compliqué à faire.

   xuanvincent   
23/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Cette histoire de science-fiction, je l'ai lue avant tout comme une histoire sentimentale. En effet, à quelques détails près, le personnage de l'androïde m'a paru pouvoir assez facilement être remplacé par celui d'un homme.

Il n'en reste pas moins que ce décor de science-fiction m'a assez plu.

A la fin, j'ai simplement, comme leon, été un peu surprise du suicide de l'androïde, et de la rapidité avec laquelle l'héroïne oubliait cet androïde.

Détails :
. « Mais cette fois, c’est bien décidé : John-Piotr 2155/8_F ne flancherait pas. » : j’aurais plutôt écrit le verbe « être » à l’imparfait.
. « JP ressentait son souffle meurtri telle une morte en sursis. » : l’image « telle une morte en sursis », que j’ai trouvée assez curieuse, a retenu mon attention.

   marogne   
24/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Et bien un « AI » en négatif, même si l’usage était notablement différent. Je commence par ce que je n’ai pas aimé : le comportement de la « maîtresse » pour récupérer son amant, tellement soumise, tellement suppliante, la femelle qui veut tenter le mâle, la détentrice du péché original… ; Non, dommage que d’avoir, même dans un but humoristique, retenue cette façon de faire.

Mais néanmoins, l’idée de cet être de ferraille (et de silicium, et de peau synthétique, et de …) qui démontre plus d’humanité, ou peut être plus d’intelligence que sa maîtresse (dont il n’est pas dit tout à fait qu’elle est humaine…) est tout à fait intéressante, et méritait d’être évoquée ainsi.

   Menvussa   
18/10/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ne sommes-nous pas en contradiction avec la seconde ou troisième loi de la robotique, car JP fait bien du tord à Un humain quelque soit par ailleurs son caractère inhumain d'enfant gâté. Marrant j'ai presque tout de suite pensé à un humanoïde de quatrième génération version 6 relooké 4, mais j'avais inversé les rôles. Je suppose que l'auteur avait calculé de perfide petit effet pour nous mettre en erreur et ménager la surprise. Très bon, mais les abréviations telles que JP devraient venir plus tôt dans le récit, parce que... j'ai mal au crâne.

   David   
10/11/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour victhis0,

J'ai adoré ce héros, ce cyborg en rebellion à l'abri des Blade Runner mais en proie à cette détestable/adorable Fiona. J'ai adoré le passage juste aprés le premier dialogue, ces métaphores militaires pour illustrer une drôle de guerre des sexes. Mais c'est le second dialogue surtout qui m'a beaucoup fait rire, ces qualités absurdes revendiquées, si le fait qu'il y ait un robot dans l'histoire avait déjà point (euh... du verbe poindre) à l'instar de Blade Runner justement, le plus humain des deux devenait vraiment un sujet de doute.

Merci pour ce bon moment de lecture.

   jensairien   
28/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Toujours bien écrit mais là encore le thème de l'androïde n'est pas traité de la façon la plus révolutionnaire.


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