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Sentimental/Romanesque
violoncelle : La vie en rose
 Publié le 05/07/08  -  9 commentaires  -  5064 caractères  -  38 lectures    Autres textes du même auteur

Juillet.


La vie en rose


Le ciel en bleu, un beau bleu. Et le soleil ardent qui éclabousse le trottoir de l'attente. Le temps est long. Le bus finit d'arriver. Il est bondé. J'hésite. Le suivant ralentit le long du boulevard écrasé de chaleur. C'est la cohue. Lasse, je cède et m'engouffre vers la multitude. Le gros diesel poussif s'ébranle. Mouvement confus, bousculades suffocantes de fin de journée. Sans ménagement, une marée d'anonymes, impatiente, pantelante, suintante, me happe, m'agrippe, me roule et m'engloutit dans les méandres de chair moite et fatiguée. Équilibre instable, incongrue proximité. Cheveux collés aux fronts fiévreux de l'ennui, les visages blêmes ondulent et s'entrechoquent dans des embrassades de tête-à-tête forcé. Parfums fanés, chemises et robes froissées... Dans les coudes à coudes de couvée crispée, la masse incommodée soupire, paupières baissées en attendant son heure. Remugles, haleine fétide, aisselles humides, la nausée abonde dans le vivant cimetière convoyant les corps des mortels qui tanguent au son du roulis jusqu'au prochain arrêt. Haut-le-cœur !


"La porte s'il vous plaît !" Trêve passagère.


Autre quartier, nouvelle brusquerie déferlante, forçant la montée au mépris des rouspétances passives. Sans ménagement, la houle me propulse vers le fond du monstre urbain. J'écume et j'inspire...


Ballottée, je dérive.


J'échoue contre sa poitrine. Je respire.


Beauté, fière allure, propreté immaculée. Cheveux bouclés, teint pur, peau de satin, éclat cuivré. Et le musc et la pomme, mêlés en arôme tiède au long du buste puissant. C'est bien lui. Je le reconnaîtrais entre mille. Grand calme, beau fixe. Fol abîme. Rencontre inespérée...


Mon cœur s'emballe, la tête me tourne. Voilà des mois que j'attends ce moment. L'ayant souvent cherché dans la masse inconnue, je le croise pour la troisième fois de ma vie. J'ignore tout de lui, jusqu'à son nom. Pourtant, je le retrouve avec la même émotion. Et la vie a choisi ce moment pour nous réunir à nouveau sur la même ligne, à la même heure, une autre saison. Tout en lui m'attire et me bouleverse. Il est homme, diaboliquement homme. Seuls dans l'empire des ondes, nous sommes pressés l'un contre l'autre. Voluptueuse étreinte improvisée. À chaque arrêt, je ricoche contre lui dans les secousses exquises de freinage. Frottement des corps. Vertige. Délicate, sa main droite frôle ma taille qui ondule sous la caresse innocente. Attouchement timide m'arrachant un frisson d'ivresse. Mouvement imperceptible du bassin. Ardeur des sens, les yeux fermés. Son souffle doux glisse sur ma nuque penchée, apprivoisée, abandonnée. Je n'aurais qu'à tourner un peu la tête... Je chavire.


Embrasse-moi, embrasse-moi donc !

Ton amour m'enivre plus que le vin,

Plus que la senteur de ton huile parfumée.

Tu es séduisant comme un parfum raffiné,

Il n'est pas étonnant que toutes les filles soient amoureuses de toi !

Prends-moi par la main, entraîne-moi et courons.

Tu es mon roi,

Conduis-moi dans ta chambre,

Rends-nous follement heureux tous les deux ;

Célébrons ton amour plus enivrant que le vin...

Toute l'eau des océans ne suffirait pas à éteindre le feu qui monte lentement en moi, me consume dans des transports d'extase.

Paris défile, Paris est beau. Longtemps, longtemps...

Grisée dans le tourbillon de l'oubli, je troque mon arrêt pour son terminus.

Déjà le bus ralentit.


Le quai approche, il se dégage doucement. Ultime jouissance, atroce douleur. Les joues empourprées tièdes de son empreinte, je reste étourdie, esseulée. La porte s'ouvre, il descend sans hâte, comme pour me laisser le temps de le rejoindre. Renoncer ? Regretter ? Trouver la force. In extremis attitude. Je plonge dans le flot des sortants.


L'être aimé s'engage lentement sur le trottoir, traverse la chaussée, gagne la berge. Sautillante, furtive je slalome entre les voitures pour voler à sa suite. Filature sans soupçon.


En remballant sa marchandise, un bouquiniste sifflote un air d'antan étrangement adapté à la circonstance :


La place Rouge était vide, devant moi marchait...


D'un pas léger, l'amant descend l'escalier vers le quai, ralentit son pas, puis s'arrête, remonte sa manche, jette un coup d'œil à sa montre et se retourne. Haletante, j'atterris derrière ce saule penché, le dos collé contre le gros tronc rassurant pour reprendre mon souffle et mon courage.


Mon amour reprend sa marche, un peu plus soutenue, sans prêter attention aux flâneurs, qui, eux, remarquent mon manège. Et, l'idée furtive et insolente, m'effleure que tout cela est absurde et grotesque. Il ne m'a pas vue. L'ombre portée de sa silhouette se projette au loin sur l'eau, une ombre trouble, sombre vert.


Il presse le pas, ralentit, semble arriver.


Là-bas, accoudé contre le parapet, un homme sourit largement à sa vue, ouvre grand les bras pour une accolade chaleureuse.


Une embrassade... empressée, passionnée...


Main dans la main, ils s'en vont lentement sur la berge. Une petite pluie fine commence à tomber.


Un autre bus stoppe là-haut.


Où est le métro ?



 
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   strega   
5/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
"La Foule" rejouée, mais à l'envers...

C'est bien écrit, bien retranscrit, les sentiments, les émotions comme les attitudes. Très visuel comme texte. J'ai particulièrement apprécié la dernière partie, la description de la "fuite" de l'homme, très réaliste.

Même si ce n'est peut-être pas le cas, je regrette pourtant un peu l'effet "exercice de style", soit pour les émotions justement ou pour la chute, je ne sais pas trop.

Mais ce fut un agréable moment de lecture cependant.

   Marian   
8/7/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un peu dans le sens de ce que dit Strega, je n'ai pas trouve la chute indispensable, car elle n'est pas le point culminant du recit. Mais bon, c'est presente legerement. Il fallait qu'il s'en aille, alors cette fin en vaut bien une autre.

J'admire cette prose riche et efficace, ces associations pertinentes de concepts qui mettent a contribution tous nos sens, dans laquelle coule une bien legere poesie.

J'ai parfois ressenti un trop dans l'ecriture, notamment dans le premier paragraphe, dont la lecture fait consommer quelques calories. Chaque nom vient avec son adjectif alambique.
Je n'ai d'ailleurs pas toujours reussi a interpeter toutes les images, aussi aurais-je change quelques details. Par exemple :
"Equilibre instable", "haleine fetide" que j'eus mis au pluriel...

   Anonyme   
10/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime bien cette manière d'écrire... comment dire assez "tripale"... rien n'est "tiède" dans ce que vous décrivez, ni les transports en commun dont vous ciselez l'ambiance "betaillère" à merveille, ni l'approche de l'ennivrement amoureux, de ses mirages et dans ce cas précis de son illusion totale...Voilà, j'emets juste un bémol sur l'histoire qui ne m'a pas plus "emballée" que cela et sur la litanie du centre qui est d'une moins bonne qualité d'écriture que le reste je trouve, et qui pour moi n'apporte rien à l'histoire...

   widjet   
10/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Plus que l'histoire en elle-même, plus que le titre (que je trouve un poil déplacé même), c'est la qualité d'écriture qui séduit : sobre mais subtil, suave mais délicate, riche mais pas surabondante. En peu de lignes, VIOLONCELLE arrive à capturer l'instant et donne à ce quotidien anodin une grâce bienvenue. Une filature des plus charmantes pour un texte qui ne l'est pas moins.

J'attends le suivant ! :-)

Widjet
(conquis)

   LaMuse   
15/7/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Mon dieu que paris est là dans cette course vers....

Bravo

   Anonyme   
19/7/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Délicieux instantané. J'ai apprécié ce moment de transport en commun, fugace, saisi entre des mots maîtrisés et mesurés. Ici j'ai tout aimé. J'y étais. J'ai vu.

   xuanvincent   
20/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Comme strega, j'ai pensé en lisant ce texte à "La Foule" de Piaf.

Les scènes dans le bus puis dans la rue sont bien racontées.

La filature de l'homme aimé par la jeune femme m'a amusée.

Petit détail : il me paraît peu vraisemblable que des passants se soient aperçus de cette filature, d'autant plus que l'héroïne doit , tout comme eux, être en mouvement.

Je ne suis pas certaine d'avoir compris la fin (parle-t-on toujours du même homme ou d'un passant quelconque ?), qui sinon m'a plu.

   Flupke   
11/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le titre peut induire en erreur mais il est super bien trouvé, et va comme un gant à la chute.
Répétition Ton amour m’enivre plus que le vin/Ton amour plus enivrant que le vin, mais peut-être est-ce voulu ? Superbe description de la foule.

   Menvussa   
16/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Et toujours ce même élan de poésie.

Une écriture riche en odeurs. Ce bus bondé, j'y suis monté.
C'est un tableau que tu nous peins avec tes mots.


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