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Fantastique/Merveilleux
Zemrude : Un fleuriste
 Publié le 12/03/12  -  10 commentaires  -  7884 caractères  -  104 lectures    Autres textes du même auteur

Un coup de… bambou ?


Un fleuriste


À l’intérieur de sa boutique, il n’expose que quelques bouquets, passe du temps à les mettre en place. Il goûte peu la profusion.

Au fil des heures, au gré du client, il peut en proposer et en composer nombre d’autres avec les fleurs qu’il tient en réserve dans une cave attenante…

Mais, justement, il les tient en réserve.

À l’angle d’une table basse, dans un grand vase en porcelaine bleue, au milieu d’un nid d’acanthes il a planté une branche d’abricotier tout habillée d’abricots rubescents, joufflus et veloutés entre les feuilles.

Elle s’approche, ravie. Tend une main, allonge les doigts… un coup de baguette cinglant interrompt le geste.

Le fleuriste crie : « Hors d’ici !… Dehors !… » et tandis qu’elle recule, la baguette continue de fustiger l’air autour d’elle.

Elle repasse la porte, échoue sur le trottoir en massant ses phalanges… et se vilipende : quelle bouseuse ! Depuis quand se permet-elle de bâfrer les œuvres d’art d'autrui ?

Mais toute la honte dont elle se couvre ne réussit pas à l’éloigner de la vitrine. Insidieusement, elle rêve de se faire pardonner en revenant, en offrant d’acheter l’ensemble, vase et bouquet, dût-il lui coûter une fortune…

Seulement, où en trouver le courage ?

Un jeune homme passe devant elle, pousse la porte, pénètre dans la boutique. Il va droit vers la table basse. Reste un moment en contemplation.

Et c’est bien fait pour elle qui enrage d’avoir tergiversé, il va acheter le bouquet !…

Déjà, il a sorti son porte-monnaie, l’a ouvert… et tend l’autre main… allonge les doigts…

La baguette cingle… le jeune homme sort furieux, injuriant le fleuriste et promettant de porter plainte devant la police.

Le fleuriste ne décolère pas pour si peu, le bouscule dans la rue, claque sa porte sur lui.

À peine a-t-il eu le temps de revenir sur ses pas, un couple rouvre la porte, entre. De toute évidence des gens très riches. L’homme, sans même s’inquiéter d’un prix, fouille l’intérieur de son veston à la recherche d’un chéquier, désigne d’un geste le vase bleu devant lequel sa femme est en arrêt. Le fleuriste la rejoint, accueille ses compliments avec discrétion et ne se presse pas d’emballer le bouquet. Entre deux flatteries assorties de sourires, elle tend la main… allonge les doigts…

La baguette siffle… La dame hurle !…

Puis fulmine.

Tumulte, cris, insultes… la baguette en batterie, le fleuriste défend âprement l’abord de sa table…

Le monsieur rengaine son chéquier, le couple se retire non sans proférer les pires menaces…

Elle les regarde tandis qu’ils remontent dans leur voiture sans cesser de vitupérer… s’en vont.

Et regarde le fleuriste qui regagne lentement son comptoir.

Il est fou, ce fleuriste !…

S’il espère réussir à gagner sa vie en bastonnant le client… !

Pourtant, qu’ont-ils ces clients à converger vers ce vase, comme s’il était aimanté ? Ce ne sont jamais que quelques feuilles d’acanthes autour d’une branche d’abricotier.

Et dans quelques jours, les abricots seront flétris…

Il n’est pas seulement fou, ce fleuriste. Il est idiot en plus. Des branches d’abricotiers, il a toute la saison pour en trouver d’autres. Et d’autres peut-être aux fruits encore plus appétissants…

Toute la journée, elle croise à proximité de ses vitrines. Ne se résout pas à entrer, ne se résout pas à s’éloigner.

Toute la journée la scène se répète, quasi immuable. Ne changent que les acteurs.

Incidemment, elle remarque, accrochée sur un panneau à droite et légèrement au-dessus du vase bleu, une corbeille murale de la même porcelaine que lui mais rose et garnie d’un entrelacs de pampres d’où pend une grappe de raisin au pourpre sombre. Bizarre, ce fleuriste qui compose avec des fruits auxquels il ne faut pas toucher.

S’il se bornait aux fleurs… ?

Le soir, elle n’y tient plus. Pousse la porte.

Il agite sa baguette, mais cette fois en riant.


– Ah !… Tu y as mis le temps !


Aussitôt il passe derrière elle, ferme ses volets roulants.


Ils sont seuls.

Il n’allume pas de lumière, fait seulement coulisser la verrière au plafond. La pleine lune inonde la boutique.

Il ordonne : « Assieds-toi ! »

Elle sent au ras de ses cuisses une chaise, se pose dessus.

Il va et vient un instant dans l’espace entre la table au vase bleu et le panneau à la corbeille rose.

S’immobilise.

Il tient sa baguette dans sa main droite, la passe et la repasse lentement sur les doigts de sa main gauche. La caresse… ou l’aiguise ?… Au long de longues minutes.

Soudain il bondit sur place, brandit la baguette, frappe un abricot, frappe un grain de raisin, effleure la corbeille, glisse sur une tige, frappe une feuille… sonne sur le vase… amortit les sons de la main gauche, tantôt du plat de la paume, tantôt du bout des doigts…

Ça ressemble à un ballet furieux qu’il danse en solo, les jambes désarticulées jouant sur les alternances de flexions et de détentes des genoux, les pieds ricochant constamment sur le sol comme sur un trampoline, la tête et le buste hiératiques tandis que les bras voltigent d’un côté, de l’autre, vers le haut, vers le bas… un ballet dont l’éclairage lunaire peaufine la magie.

De sa gestique il écume une musique aussi insolite que ses instruments. Amalgames de vibrations dissonantes en contrepoint de grincements chromatiques. Une violence dans l’incohérence ou une incohérence dans la violence. Rien du genre qui adoucit les mœurs.

Pourtant, sur son visage, dans ses yeux fixes, rien ne transparaît d’une quelconque émotion.

… Jusqu’à ce qu'un dernier bond le propulse dans le faisceau de la lune, droit et raide comme une momie tandis que son regard flambe, que sa bouche se dilate sur un rugissement effroyable.

Puis il s’écroule sur lui-même, la tête contre les genoux, les jambes ramassées sous le torse, le corps secoué par une houle ambiguë : rire ?… sanglot ?… impossible à définir.

Elle n’ose bouger, ni même se manifester. Et peut-être pour échapper à un éventuel sortilège garde son attention rivée sur les fruits, se demande par quel miracle, loin d’être complètement pulvérisés ou réduits en bouillie, ils ont conservé intacte leur fraîcheur… parce que parmi toutes les questions sans réponse susceptibles d’envahir son cerveau, c’est probablement la seule qui lui paraît à peu près rationnelle.

Le fleuriste se relève enfin, dispos, souriant, lui tend la baguette.


– Tu veux essayer ?


Elle préférerait fuir. Une angoisse inavouable lui noue les tripes.

Mais s’entend répondre : « Avec plaisir !… »

Elle saisit la baguette, temporise autant qu’elle le peut à la passer entre ses paumes, sur ses doigts… pour se la concilier ? Et n’y parvient d’ailleurs pas : cette baguette ne l’inspire absolument pas. Bien au contraire, comme si ses phalanges, au souvenir des coups reçus le matin, se révulsaient à son contact.

Elle la jette.

La baguette ricoche sur trois abricots, revient dans sa main, saute vers les pampres, l’entraîne dans son élan…

Et, tout le reste s’enchaîne. Ou se déchaîne.

Elle se sent un corps de pantin contre lequel plus elle se rebelle mieux il se plie, se déploie, se reploie, se courbe, s’étire, esclave des caprices de la baguette autant que de cette musique sauvage qui excite ses muscles, affole ses membres.

Et lorsqu’enfin rompue, désespérée, elle s’abandonne, le cri jaillit du fond des entrailles de la terre, l’empale, la traverse comme une lame, déchire sa gorge, écartèle ses mâchoires et la soulève, la projette par-delà la verrière jusqu’aux bords de la lune auxquels elle s’accroche, le temps de reprendre sa respiration, avant de retomber sur le sol, plus molle qu’une chiffe.

Une éternité plus tard, elle parvient à se relever.

Le fleuriste est devant elle, la regarde toujours aussi souriant.

Il approche une chaise, l’aide à s’asseoir. Cueille un abricot. Le lui offre.

C’est un abricot comme tous les abricots. Avec une pulpe, une odeur, une saveur, un noyau d’abricot.

Rien à redire.


 
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   matcauth   
1/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien
bonjour,

une histoire fofolle mais cohérente du début à la fin, bien écrite, de belles descriptions extrêmement dynamiques qui entraînent le lecteur et ne lui laissent pas de répit, même si je ne suis pas un grand fan des phrases trop courtes.

Le fleuriste, même si un grand mystère règne autour de lui, est un vrai personnage, original, vif. Les clients le sont beaucoup moins, ils manquent un peu de relief. Dans un texte comme celui-ci, relativement court, cela se sent.

Je vois plus cette histoire comme un conte, une allégorie difficile à saisir toutefois.

Les bouquets se méritent, la nature aussi, leur création est magique, incontrôlable.
C'est ma façon à moi de rêver à travers ce texte où se façonnent les choses sous le regard d'un "gardien" qui ne laisse la voie qu'à ceux qui le veulent vraiment.

peu importe finalement puisque le moment de lecture est bon!

   Anonyme   
1/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Une histoire étrange, qui m'a bien plu mais que j'ai trouvée s'attardant trop complaisamment sur la description de la transe du fleuriste ; ce n'est pas forcément la longueur de cette partie qui est en cause, mais le côté complètement échevelé de la scène... J'aurais plus vu quelque chose avec une certaine distance, avec l'espèce de mise en scène qui précède, la patience dont a fait preuve le fleuriste pour attirer sa "cliente" ; affaire de goût, bien sûr.
Ou peut-être ce qui me dérange, me fait sortir du texte, tient-il uniquement en ces deux phrases : "Amalgames de vibrations dissonantes en contrepoint de grincements chromatiques. Une violence dans l’incohérence ou une incohérence dans la violence." qui pour moi se "regardent écrire". J'ai l'impression que le lecteur est soudain invité à contempler non plus le fleuriste en furie, mais bien l'auteur, le conteur...

J'adore la fin à partir de "C’est un abricot". Rien à redire, effectivement.

   Anonyme   
12/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C'est assez étonnant, plutôt plaisant, bien écrit.
Les choses sont ce qu'elles sont, sans plus, sans fard. L'étonnant ne viendrait-il pas alors de la manière de les regarder, de la manière de les raconter ? La baguette sanctionne ceux qui veulent posséder les choses en proposant leur argent, mais se fait magicienne pour enchanter ceux qui s'intéressent à leur âme. Une piste de compréhension, peut-être.

   brabant   
12/3/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Zemrude,


Pas mal l'incipit ! :)


"... une branche d'abricotier tout habillée d'abricots rubescents..." : '... de fruits... ' ou un autre mot ? Bon c'est sans doute un choix réfléchi de votre part.
"Au long de longues minutes" : 'd'interminables' ou un autre mot ? Mais là-aussi c'est sans doute un choix d'auteur.
Je donne ma réaction de lecteur c'est tout...

"gestique", je ne connaissais pas le mot : Ensemble des gestes propres à une personne. Il peut faire penser à 'gymnastique' et paraît donc approprié ici. Je préfère quand même 'gestuelle' qui indique une gestualité propre à un moment donné, particulier, une mise en scène. Et ce mot ne déconcerte pas le lecteur qui ne doit pas s'interroger sur la correction ou non correction du vocabulaire. Là encore ça n'est que mon avis...


Le texte fait très seconde moitié du XIX ème, il est frais, pimpant et absurde comme du Alphonse Allais ! Très divertissant avec ses personnages qui s'articulent et se désarticulent comme des polichinelles, très en vogue à l'époque.


La chute, mouais, elle est bien, la chute ! Un retour d'autant plus salutaire au réel qu'il est inattendu.

"Rien à redire". Mouais, pas sûr, j'aurais préféré un abricot magique. Trop commun, trop classique ? - Alors un abricot bourré d'étoupe parfumée ! - Qu'en pensez-vous ?...

- Ah non ! Pas la baguette ! Pas les doigts !....


Merci

   jeanmarcel   
12/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Une nouvelle aussi charmante qu’énigmatique. Le charme des plantes vénéneuses de la petite boutique des horreurs est incontestable mais l’intrigue est incompréhensible pour moi.
S’il y a une signification cachée derrière cette histoire de baguette magique je dois dire qu’elle m’échappe totalement.
Et le « rien à redire » final me laisse songeur, cette conclusion en forme de clin d’œil m’interroge puisque je n’ai pas compris l’histoire.
Malgré cela je trouve que l’ensemble a belle allure et je respecte les choix mystérieux de l’auteur.

   Anonyme   
12/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonsoir Zemrude... Je me suis laissé prendre par cette sarabande fruitière et florale sans vraiment en comprendre le sens. Un bon moment de lecture dans une autre dimension qui me laisse quelque peu désarçonné. Il doit y avoir derrière tout ceci une explication, une métaphore, une morale... que sais-je, enfin quelque mystère que je ne perçois pas et pourtant, bien que très terre-à-terre, j'ai aimé ce texte... Allez savoir pourquoi !

   alvinabec   
13/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,
Une ponte sympathique quoiqu'assez énigmatique.
Ca se laisse lire joyeusement, le rythme est bon.
Les personnages manquent un peu de chair à mon goût.
Il y a qqes mots qui heurtent le déroulé du texte, comme si vous aviez pris plaisir à jouer tout à la fois avec la sémantique et votre lecteur.
A vous lire...

   alpy   
13/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Zemrude,

Le texte est simple et bien rédigé. Il se laisse lire facilement, ce qui est déjà quelque chose.

Les comportements mystérieux ne trouvent pas d'explication à ma compréhension. S'il y a un fond dans l'histoire, je ne l'ai pas saisi.

Les personnages n'ont pas été travaillés. Ils ne sont que des figurants dans la scène générale.

J'ai passé un bon moment sans plus.
Rien à redire.
Alpy

   Nachtzug   
23/3/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
Bon on se laisse prendre par l'énergie et la bonne humeur du texte. Le regard de la fille, au début, est partiel mais c'est justement ce qui est intéressant. Après je trouve que tout cela, les personnages y compris, restent un peu en surface, et il n'y a pas les poussières étincelantes de la magie mais la tendresse un peu burlesque d'une histoire pour enfants.

   Filipo   
10/4/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai bien aimé le style narratif : je préfère les phrases courtes et envolées aux longues suites de mots qu'il faut pesamment décrypter. Ce style incisif et "dansant" se prête justement très bien au récit, qui fourmille de bonnes idées, d'images délirantes (les coups de baguettes aux acheteurs : une originalité qui maintient l’intérêt du lecteur jusqu'au bout).

Il n'y a qu'à un moment, quand la narratrice assiste au spectacle délirant du fleuriste-chef d'orchestre, où j'ai failli me dire que ça barrait vraiment trop dans le n'importe quoi... mais la chute de l'histoire m'a de nouveau arrimé au texte. Une réussite, en ce qui me concerne :)


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