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Poésie libre
Aconcagua : Clandestins
 Publié le 06/07/19  -  16 commentaires  -  1437 caractères  -  201 lectures    Autres textes du même auteur

Récit d'un naufrage.


Clandestins



Nous étions quatre-vingt-douze
et nos corps mêlés formaient
une tresse vivante et gémissante.
Une bruine têtue avait lessivé les embruns
elle perlait sur la peau
avec des lourdeurs de fin du monde.

Le bateau grelottait sous la mouvance des vagues
et les battements d’ailes de l’hélice,
il flottait à peine, c’est l’espoir qui pesait si lourd,
pas nos corps assoiffés,
pas la veste de mon père ni mes livres de classe,
vite jetés à la mer pour éviter le pire.
Nous étions quatre-vingt-neuf,
la tempête avait fait le ménage
avec l’insistance d’une qui chasse la saleté,
avec la violence des derniers barbares,
avec des outrages à notre infinie faiblesse,
avalant les cris hallucinés et les pauvres suppliques.

Nous étions soixante-sept,
le moteur avait choisi le silence
après deux claquements sinistres,
nous nous sommes redressés
comme des cheveux sous la brise,
alors le bateau a préféré chavirer,
laissant fuser des couinements de détresse
et des bouquets de bulles
dans une apocalypse noyée et vite silencieuse.

Nous étions encore soixante-deux
à échouer dans les bras chauds des sauveteurs
portés par les mots qui caressent
et les œillades de douceur.
Soixante-deux.

La mer seule aime les clandestins.


Le 11 mai 2019


 
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   poldutor   
10/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Voila une poésie qui donne des frissons.
Magnifique crescendo de l'horreur...
Nous étions ... de moins en moins...
La fin est heureuse, les sauveteurs ont fait preuve d'humanité, et sauvé l'honneur des nations dites civilisées qui repoussent ces malheureux.
Le décompte morbide au début de chaque strophe, nous rappelle la terrible épreuve subie par ces malheureux émigrants.
De beaux vers :
"Il flottait à peine, c’est l’espoir qui pesait si lourd,
pas nos corps assoiffés,
pas la veste de mon père ni mes livres de classe,"
ou encore :
"La mer seule aime les clandestins"...terrible.

   BlaseSaintLuc   
13/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je ne sais pas quoi écrire après ça, seule la nécessité d'une appréciation poétique d'un texte témoignage me force à relever l'encre à peine sèche du récit d'un naufrage et quel naufrage que celui de nos sociétés se repliant derrière des murs ... Mais là-bas, au loin, l'on entend le cri des hommes, des femmes, des enfants qui se noient ! Le texte est fort bien écrit et l'on est dans ce bateau qui chavire, réalisme à l'état brut, chapeau.

   Gabrielle   
17/6/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Un sujet tabou.

Un récit qui renvoie sur un constat.

Un questionnement qui renvoie sur des questions existentielles (cf. chute).

Merci à l'auteur(e).

Bien à vous.

   Anonyme   
6/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà plus de quarante ans que ces situations perdurent.
Des êtres qui choisissent de braver la mort pour fuir les ignominies.

L'auteur- narrateur- parvient, par des images fortes, à traduire cette atmosphère lourde et angoissée.
" c’est l’espoir qui pesait si lourd "

" nos corps mêlés formaient
une tresse vivante et gémissante."

"la tempête avait fait le ménage....avalant les cris hallucinés et les pauvres suppliques."
Et puis ce décompte macabre qui ajoute à la noiceur du texte.

   senglar   
6/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Aconcagua,


Ah ! Il est dur le dernier vers ! La mer comme prédatrice, la mer comme bouche suceuse, la mer - ventre de l'humanité - qui donne le baiser de la mort. On frémit quand on lit cette antiphrase.
La mer qui donné (enfante) aux temps immémoriaux et la mer qui reprend aujourd'hui ceux qui voudraient vivre.
Le monde est-il si laid que l'inanimé lui-même s'y met ? qui veut peut-être dire : Vous êtes trop cons, je me retire du jeu ? qui reprend sa mise ?

"quatre-vingt-douze... quatre-vingt-neuf... soixante-sept... soixante-deux..." La mer a pris son dû comme un péage, aidée par la tempête, le moteur (en panne), le bateau en mal d'équilibre (qui chavire), sinistres percepteurs. Implacable rançon. Tout se ligue contre les migrants.

"une tresse vivante...
"une bruine.../ perlait.../ avec des lourdeurs (de fin du monde)
"... c'est l'espoir qui pesait si lourd,
pas nos corps assoiffés"
Que de bonheurs d'expression pour dire hélas tout le malheur du monde. Cela pourrait donner lieu à une réflexion approfondie cela...

Jeter à la mer les livres de classe alors que l'on fuit l'obscurantisme c'est-à-dire la dictature et la misère. Quelle symbolique ! A développer aussi, en très long.

"les bras chauds des sauveteurs...
les oeillades de douceur" En fait le début d'un autre voyage dont on ne sait trop rien encore. Un Eldorado ? D'abord un inconnu. Des survivants hébétés. Réalisent-ils ? Que réalisent-ils ?
Où en sont-ils de leurs rêves ?
Pour sûr certains ont des points de chute...
Je n'ai pas ressenti le bonheur d'être sauvés enfin...
A la fin de la lecture tout cela reste et très contradictoire et très confus pour moi.
C'était sans doute voulu par l'auteur.


Ce poème, très bien écrit, pose beaucoup de questions et laisse donc un sentiment très mitigé. Le malaise s'invite en fin de compte comme un 63ème survivant clandestin.

En conclusion ultime j'ai eu la désagréable impression que les seules gens heureux dans l'histoire ça a été les sauveteurs. Je leur en demande pardon. Il faut dire que le mot "oeillades"...

Du bon boulot qui montre et démontre, monte et démonte. Un texte nécessaire !


Senglar

   papipoete   
6/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bonsoir Aconcagua
Nous partîmes 1000, et par un prompt renfort... mais là point de littérature que du vrai, celui qui fait dresser les cheveux sur la tête, quand le moteur du bateau rend l'âme !
Nous partîmes... et n'étions déjà plus que 67, bientôt plus que 62 quand l'esquif trop lourd chavira !
La mer put nous engloutir tous, mais ce ne sont point tentacules sous-marines qui nous attrapèrent, mais des bras, des bras humains qui se tendirent vers nous, pauvres de nous ! mais nous étions sains et saufs, 62 sur 92...
NB tout est rendu à l'ombre grelottante près, dans ce récit de voyageurs " malgré eux ", ces clandestins dont le fond de la mer doit être tapissé...de squelettes masculins féminins, adultes enfants...
Tout est si bien transcrit, qu'il m'est ardu de citer un passage, si : ( le bateau ) " flottait à peine, c'est l'espoir qui pesait si lourd "
Triste réalité, et songer à ces slogans horribles " qu'on les foutte à la mer ! " qu'on les jette aux requins !

   hersen   
7/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le bateau grelottait - le bateau a préféré chavirer

Oui, ils ont bien froid, ces bateaux, et ont bien des difficultés à soutenir leurs occupants. Occupants qui font pourtant tout ce qu'ils peuvent pour aider, en jetant du lest.

Occupants qui passent des bras mouillés de la mer aux bras chauds des sauveteurs, avant d'être glacés dans les bras portuaires.
Une actualité.
déprimante.

L'auteur sait tout à fait, par des images prégnantes, nous faire ressentir l'horreur que doivent être ces traversées clandestines.
J'aime particulièrement celle de l'enfant qui jette ses livres de classe pour sauver le navire. Elle dit bien tout l'espoir du départ, quand on doit emporter ce qui nous est le plus cher, et ce qui est fait de cet espoir de futur.
merci Aconcagua.

   Vincente   
7/7/2019
J'ai été choqué par le dernier vers.
Alors que l'ensemble du poème est empreint d'un regard plein de compassion (je pars du point de vue que le narrateur n'est pas l'auteur malgré l'emploi de la première personne dès la deuxième strophe), alors que de fortes images y surnagent dans la douleur ("Le bateau grelottait sous la mouvance des vagues"), alors que le sujet ne pas être tu, j'ai été choqué par ce que je trouve très peu délicat. Je m'explique. A sujet fort, traitement délicat justement. Le propos ne peut qu'emporter tant "l'adhésion", disons plutôt la compassion est irrésistible. Par contre, requérir une sorte d'humour décalé qui a l'ambition de conclure et donc de porter tout le propos, comme un socle, est pour moi pour le moins maladroit. Car il s'agit bien d'émouvoir quand on tente de faire sourire en sous- entendant que la mer "aime les migrants". Resterait un humour noir qui seul serait "acceptable" de la part d'un des survivants, mais ça ne me semble pas être le cas.

   Davide   
7/7/2019
Bonjour Aconcagua,

Je ne parviens à déterminer le registre qu'emploie le narrateur dans les derniers vers du poème :

"...dans les bras chauds des sauveteurs
portés par les mots qui caressent
et les œillades de douceur."
(...)
La mer seule aime les clandestins."

Est-ce de l'ironie ? Si la mer seule "aime" les clandestins, pourquoi les sauveteurs adoptent-ils une attitude si bienveillante ?
Dans ma compréhension, le ton quasi pathétique (émaillé de magnifiques images, métaphores et hyperboles) en devient presque satirique. Dérangeant !

Pour le reste, j'ai tout aimé de cette "épopée funèbre", en particulier le décompte : "quatre-vingt-douze", "quatre-vingt-neuf", "soixante-sept" et "soixante-deux".
Des nombres ? Non, des vies humaines ! Glaçant !!!

Si les trois premières strophes m'ont - beaucoup - touché, la confusion ressentie dans le dénouement me retient d'attribuer une appréciation d'ensemble.

Merci du partage,

Davide

   Aconcagua   
8/7/2019
Modéré : Commentaire de l'auteur sous son texte (Si besoin, ouvrir un sujet dans "Discussions sur les récits").

   Pouet   
8/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bsr,

Venus chercher l'Eldorado, entassés, ballottés, assoiffés, enterrés par les flots.

Des mots forts et justes. Le ton m'est apparu à la fois personnifié et distant, décalé et pragmatique.

Concernant le dernier vers, je le trouve suffisamment marquant et interpellant pour que son but soit atteint.

Bien sûr que les mots ne suffisent pas. Le silence non plus.

Merci.

   jfmoods   
23/7/2019
La narration interne, prise en charge par un / une enfant ("mon père", "mes livres de classe") mais sans cesse élargie à la totalité du groupe ("Nous étions" × 3, "nous nous sommes redressés", "nos corps mêlés", "nos corps assoiffés", "notre infinie faiblesse"), rend le récit de la traversée on ne peut plus poignant.

Le périple tragique conté ici est marqué par une ribambelle d'images fortes qui ne peuvent laisser le lecteur insensible (métaphores : "une tresse vivante et gémissante", "des lourdeurs de fin du monde", "les battements d’ailes de l’hélice", "des bouquets de bulles", "les œillades de douceur", jeu filé de personnifications : "Une bruine têtue avait lessivé les embruns", "Le bateau grelottait sous la mouvance des vagues", "la tempête avait fait le ménage / avec l’insistance d’une qui chasse la saleté, / avec la violence des derniers barbares, / avec des outrages [...] avalant les cris hallucinés et les pauvres suppliques", "le moteur avait choisi le silence / après deux claquements sinistres", "le bateau a préféré chavirer", allégorie : "c’est l’espoir qui pesait si lourd", comparaison : "comme des cheveux sous la brise").

Le rappel régulier du nombre de survivants ("quatre-vingt-douze", "quatre-vingt-neuf", "soixante-sept", "soixante-deux") confère au poème une dimension macabre.

Face à la misère qui frappe à ses portes, l'Europe demeure indifférente, murée dans son égoïsme (présent de vérité générale de la chute : "La mer seule aime les clandestins").

Merci pour ce partage !

   wancyrs   
8/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut Aconcagua,

La mer seule aime les clandestins parce qu'elle en fait un festin. Ici la réalité est horrible, mais présentée avec une telle justesse qu'on a de l'empathie pour ces demandeurs d'asiles ; du moins, ceux qui se laissent toucher par leur malheur. J'aime bien ce cri déchirant, qui se fait pourtant en douceur : une technique que je gagnerais à apprendre... mais, qui sait ? ça ne marcherait pas pour moi, car le propos est rattaché à l'identité, selon moi, et ma culture est une culture d'Hommes-colère, d'Hommes qui crient.

Merci pour le partage !

Wan

   josy   
11/7/2019
il est nécessaire d écrire et de décrire les horreurs
la méditerranée bouffe trop d humains
et les pays s en moquent
que dire si ce n 'est ce sos que tu nous donnes en des mots superbement choisis....
j aime ton écriture ....et ton engagement
merci Christian...

   Lariviere   
16/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Aconcagua,

J'ai beaucoup aimé votre poème.

Je le trouve très bien écrit : il y a un souffle et un rythme présent tout au long, en adéquation avec le thème ; de plus l'idée de cette énumération "macabre" est très bonne ; elle renforce le sens émotionnel sur le fond tout en jouant un rôle de relance rythmique sur la forme ; le rendu global de cet effet stylistique est excellent. Sur le propos les mots touchent juste (un exemple parmi tant d'autres : "la tempête avait fait le ménage/avec l’insistance d’une qui chasse la saleté,") Un autre atout de taille : la précision et la qualité des images en font les éléments principaux de la grande force d'évocation de ce texte ("Nous étions quatre-vingt-douze/et nos corps mêlés formaient/ une tresse vivante et gémissante".) : On s'y croirait, on imagine la scène, on ressent intensément des émotions... L'emploi de la première personne dans la narration accentue de phénomène de compassion par l'identification "instinctive".

Pour toutes ces raisons, je trouve que ce texte est d'une grande puissance, avec un traitement intelligent sur un sujet malheureusement tragique et tristement d'actualité... et pour combien de temps encore ?....

En espérant que ce commentaire puisse aider l'auteur dans sa démarche d'écriture, je lui souhaite une bonne continuation.

   natile   
1/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien
un sujet grave et douloureux traité avec beaucoup de poésie. les mots sont doux pour évoquer le sort dramatique de ces personnes. cependant il y a quelques vers inégaux peut-être dans la façon dont ils sont découpés. cela casse un peu la lecture dans sa fluidité


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