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Poésie en prose
Charivari : Le fantôme de Tragabuches
 Publié le 11/10/12  -  13 commentaires  -  2740 caractères  -  165 lectures    Autres textes du même auteur

Tragabuches (dont le surnom signifie “celui qui mange des ânes” en patois andalou) était un bandolero, contrebandier, cantaor et torero gitan qui sévissait dans la Sierra de Ronda au début du XIXème siècle. Particulièrement violent, il tua un jour sa compagne, une célèbre bailaora de Ronda, ainsi que son amant. On ignore la date exacte de sa mort, peut-être en 1817, mais personne n'a jamais retrouvé sa dépouille.


Le fantôme de Tragabuches



Ce soir, dès que les collines auront englouti l'azur, je partirai. J'irai par le sentier des contrebandiers, seul et sans bruit, en traînant mon ombre tordue parmi les oliviers, vers les cimes acérées de la Sierra. Là-haut sous les sommets, la nuit sera plus noire que mon âme et les soupirs du vent plus légers qu'un souvenir.

Je m’assiérai sur un trône de rochers froids, dans les entailles d'une chapelle éboulée, au fond d'un lit de ronces et d'un nid de vipères assoupies. J'enfouirai mes pieds dans la glaise, pour être sûr de ne pas m’envoler, et battrai ma coulpe douze fois pour sonner la minuit.

Ensuite, j'aboierai en direction des abysses : des lévriers meurtris, au loin dans les hameaux, répondront à mon cri. Nos échos emmêlés couleront par monts et par vaux, ricocheront dans les défilés, et viendront réveiller le fantôme de Tragabuches, le plus fou des bandoleros, qui jadis régnait en seigneur et maître de Séville à l'Afrique. Le souffle fumant de son fier alezan embrumera mon esprit, troublera mes pensées, et son sabot zélé martèlera la cordillère pour fendre mon cœur de pierre en mille fracas. Puis le brigand partira courser la grande Ourse, et dans son sillon s'envoleront les cendres du passé.

De nouveau esseulé sous les cieux endeuillés, je déroulerai le fil de mes idées noires et le lancerai dans l'alizé. Je le lancerai, toujours, encore, jusqu’à parvenir à décrocher un anneau de Saturne. J'y nouerai six rayons de lune, que je pincerai sur ma rosace constellée, et mes doigts inspirés brûleront aux feux des seguiriyas écorchées, des rasgueos amers et des songes gitans. Au son de ma mélodie silencieuse, la colline se peuplera de fantasmes voilés, de chimères opaques et de vierges effarouchées. Je tituberai avec elles, auréolé d'agaves, de lauriers et de bougainvilliers, dans une grande farandole ; mais quand cessera la danse, grand prince, je les épargnerai, et sans les déflorer, les laisserai s'évader affolées dans la vallée.

Je regrouperai mes ultimes ardeurs et mes peines encore vives pour en faire un grand feu. Mon sang en bouillant dans mes veines m’enivrera aux chaleurs de l’aube. Alors, j’invoquerai mes souvenirs d’enfance pour mieux les oublier en buvant mes paroles. Enfin, ivre mort sous le ciel de sirop, à la lueur d’un couteau rougi par le soleil mandarine, je ferai le serment de ne jamais achever ma fête. Je trancherai mes deux bras et les clouerai dans la terre. Mon sang uni à la boue rubiconde descendra la colline, lentement, goutte à goutte… Vers midi, la rigole, gorgée de soleil, atteindra le village, et cette rivière d’or s’écoulera dans les ruelles tortueuses de l'ancienne médina, pour venir mourir à tes pieds.


 
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   Anonyme   
22/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai apprécié cette lecture, vraiment, même si la dernière strophe est en deçà pour moi.

Il y a un vrai rythme, une vraie vie, dans ces mots qui amènent plus de souffrance, en fait, que de libération. C'est surprenant d'ailleurs, j'aurais vu Tragabuches en "héros" sanguinaire sans âme, pas de cette façon, mais après tout...Et puis ce que je sais de ce bandit c'est ce qui est mis en explication avant le texte, donc peu de choses.

Je n'aime pas par contre cette troisième strophe. Elle est lourde pesante, sans beauté aucune. Les "je", "mon", bref tous les personnels reviennent trop souvent, et il n'y a plus ce rythme présent avant ou même cette poésie subtile que je rapproche de Hugo ou Rimbaud.
Je suis cependant en accord avec l'idée de la dernière strophe, avec cette belle image de la rivière, mais pas avec le traitement .

Mais c'est un beau texte pour le reste.

   Anonyme   
24/9/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ah, beaucoup d'allure, je trouve ! De l'ampleur, de la couleur, un mouvement net... Et j'aime cette fin : tout ça pour l'amour ? Ben ouais, il le mérite. Moi qui n'aime pas le romantisme d'ordinaire, je l'apprécie ici dans sa démesure.

Quelques très belles images, à mon avis :
"j'aboierai en direction des abysses",
"le brigand partira courser la grande ourse",
"je déroulerai le fil de mes idées noires et le lancerai dans l'alizé",
"un couteau rougi par le soleil mandarine".

En revanche, je trouve ceci un peu facile :
"la nuit sera plus noire que mon âme et les soupirs du vent plus légers qu'un souvenir",
"les cendres du passé",
"une grande farandole",
"vierges effarouchées".

   funambule   
11/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Le titre et l'incipit apportent une dose de truculence qu'il faudra retrancher directement à la possible perception (univoquement) romantique de l'ensemble. J'imagine... je ne sais pas mais j'imagine... que l'auteur aura face à sa feuille (fut-elle virtuelle) endossé l'habit du peintre et décidé que les couleurs seront vives, avec beaucoup de contrastes pour privilégier relief et profondeur... j'imagine... le réel plaisir, le "jouissif infantile" que l'on peut avoir à barioler ainsi les mots, se gargariser des pleins et des déliés, de l'adjonction de références qui tiennent plus de la légende populaire, cette "petite histoire" véhiculée et déjà distordue par le goût des hommes pour les belles histoires qui font (ou plutôt qui ont fait) les belles veillées.

Bon, après c'est réussi ou pas, rendre l'ensemble cohérent pour que l'on puisse embarquer, oublier que nous sommes dans un "ailleurs", une galaxie imaginaire où tout auteur n'ira pas risquer sa plume. Et la pari est tenu haut la main (c'est exactement ce qu'il fallait).

Je trouve que dans le dernier paragraphe, l'abus de pronoms alourdit le texte, ce serait dommage de ne pas réécrire ce passage.

   Lunar-K   
11/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Charivari,

C'est vraiment magnifique ! Un texte terrible, sensible, pesant et désespéré comme je les apprécie. De bout en bout hanté par cet angoissant, autant que mystérieux, fantôme de Tragabuches, mais en bordure de poème uniquement, puisqu'il n'apparaît pour ainsi dire à aucun moment du texte si ce n'est son passage furtif au beau milieu de la troisième strophe.

"Hanté", c'est également le mot qui me vient pour décrire ce narrateur. Car, s'il n'est pas lui-même ce Tragabuches, il semble bien le devenir et se confondre finalement avec lui dans son sentiment de culpabilité (qui peut très bien n'être que fantasmé), dans sa pénitence, son exil, ses mortifications... Tout ça pour son amour, bien sûr, qu'il n'a sans doute pas assassiné comme l'aurait fait son alter ego, mais, de son point de vue, c'est tout comme.

C'est vraiment cet aspect du poème que je retiens avant tout. Tout ce jeu d'échange et de confusion entre le narrateur et Tragabuches, de même qu'entre la culpabilité fantasmatique de l'un et la culpabilité réelle de l'autre. A tel point que cette différence de niveau entre fantasme et réalité semble bien s'abolir au gré du poème. Non pas simple jeu d'analogie ou de métaphore qui maintiendrait une certaine distance entre les deux, mais réel devenir de l'un dans l'autre. Je trouve cela particulièrement saisissant, et bien rendu, tout en subtilité.

J'ai vraiment beaucoup aimé !

Bravo !

   leni   
11/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte récit dans un diaporama d'images qui s'enchainent C'est vif
Très vif J'aurais aimé que cela se termine mieux mas le poète a choisi Dès le début le ton est donné J'irai par le sentier des contrebandiers...J'aime....Et battrai ma coulpe douze fois...Puis le brigand partira courser la grande Ourse.. Décrocher un anneau de Saturne Le soleil mandarine Superbe! Et la finale qui rend triste:mon sang... Un texte d'une très belle envolée Bravissimo Chari Leni

   Anonyme   
11/10/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Charivari. C’est un texte très bien écrit dont le début aux accents hugoliens m’a fait songer à un autre poème…
« Ce soir, dès que les collines auront englouti l'azur, je partirai. J'irai par le sentier »
« Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai… J'irai par la forêt »
Simple coïncidence qui tend à prouver que dans notre inconscient certains vers sont gravés à jamais…
Je me souviens avoir moi-même commencé un poème par « J’ai longtemps habité quelques pays d’Afrique » quand Baudelaire écrivait bien avant moi « J’ai longtemps habité sous de vastes portiques »… Ça ne m’a frappé que bien plus tard… mais je n'y ai pas changé la moindre virgule. On peut considérer ces similitudes comme un héritage du passé, ni plus ni moins.
Pour en revenir au présent poème, quand bien même je ne suis pas fan de la poésie en prose, je pense que c’était ici la meilleure façon de nous faire découvrir ce Tragabuches qui fut à sa manière un Robin des bois espagnol… si j’en crois Wikipédia ! Merci pour cette information historique fort bien tournée.

   rosebud   
11/10/2012
 a aimé ce texte 
Vraiment pas
Je n’ai pas aimé du tout.
J’ai trouvé ça :
- cuistre l’étalage de mots espagnols que le commun des mortels ignore
- grandiloquent cette espèce de Don Quichotte ridicule
- racoleuses les références à Hugo, mais aussi à Nerval (la rosace constellée)
- ridicule aussi le héros qui se tranche les deux bras (on se demande comment il va faire!) et qui les cloue dans la terre (et allez donc)

Et pour tout dire, pas très bien écrit.

Mais qui suis-je pour ramener ma fraise ? Enfin, tant qu’à commenter, commentons.

   Anonyme   
11/10/2012
Un écheveau de belles images. Est-il vain ? A-t-il un sens ? L'histoire me fait songer à un rituel, à une répétition magique, cosmique, d'un meurtre dont l'horreur est réduite, transmutée, transcendée en "suicide signifiant", pour la rendre supportable, historique, onirique, sacrificielle. Pour donner du sens au crime. Le criminel revient hanter les lieux du crime chaque année (comme dans "Demain, dès l'aube") sous la forme d'une victime avec laquelle il ne fait plus qu'un et se sacrifie au lieu de (se laisser) tuer, nuance dont le mystère rachète pour une année la mémoire de Tragabuches, dans le cadre superstitieux d'un reste de polythéisme. La danse érotico-macabre de la 4e strophe aurait peut-être mérité un développement. Le poème est susceptible de prendre un autre sens à l'apparition in extremis de la deuxième personne du singulier "tes pieds", mais ce n'est guère convaincant.

Bien amicalement,
N.

   ristretto   
11/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
c'est fantasque, bariolé, une prose très poétique qui nous emporte dans son délire
et j'ai beaucoup aimé
merci

   Anonyme   
13/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà un texte qui reflète l'âme espagnole, toute en grandeur et fierté, avec des accents surréalistes. Tu écris ce beau pays comme Dali le peignait, un style qui ne craint pas la démesure.

En même temps on retrouve l'esprit des grands romantiques français du 19e siècle - Lamartine, Hugo, Vigny - dans cette façon de transposer à la nature l'ampleur de sentiments intimes.

Véritablement dans ce texte on sent que tu es profondément imprégné de deux cultures. Un mélange subtil qui donne beaucoup de richesse à ton écriture.

   melancolique   
13/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir Charivari,

C'est un magnifique texte, plusieurs belles images avec une réelle force qui s'en dégage, j'en retiens:

"des lévriers meurtris, au loin dans les hameaux, répondront à mon cri"
"à la lueur d’un couteau rougi par le soleil mandarine"
"Je regrouperai mes ultimes ardeurs et mes peines encore vives pour en faire un grand feu."

Merci beaucoup pour cette lecture.
Au plaisir de te relire.

   Blacksad   
15/10/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ca commence comme "par les soirs bleus d'été, j'irai par les sentiers...".
Et effectivement, il y a de la poésie dans ce texte, du lyrisme même. Un poil trop parfois à mon goût, le texte flirtant dangereusement avec la lourdeur dans certains passages.
Mais il y a du souffle, de l'élan et de l'inventivité poétique dans ce songe d'une nuit d'été espagnole ! Et c'est bien le principal.

   Damy   
17/10/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Charivari,
J'ai aimé la lecture de ce conte exotique (dans le sens où il m'a transporté ailleurs, géographiquement, mentalement et dans le temps), j'ai aimé les mots choisis et notamment les mots espagnols dont je ne connais pas le sens, et justement pour cela.
Mais j'ai lu tous les précédents commentaires et je ne vois pas ce que je pourrais y ajouter d'original.
Mon seul questionnement est de savoir ce qui rapproche ce conte d'un poème ? Je n'y ai notamment pas (mais pour moi c'est l'essentiel) entendu, en première lecture, un rythme musical pertinent, dans le sens où il soutiendrait l'évolution du thème. C'est un peu emphatique tout du long. J'y aurais bien vu plus de nuances.
Mais bon, la critique est aisée...


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