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Poésie contemporaine
TristanHiver : Prophylaxie contre un horizon dégueulasse (Partie 1)
 Publié le 10/10/12  -  5 commentaires  -  9653 caractères  -  114 lectures    Autres textes du même auteur

"Les poètes,
tout ramollis de pleurs et de sanglots,
ont fui la rue la tignasse en bataille :
« Comment chanter avec ces deux mots
et la jeune fille
et l’amour
et la fleurette sous la rosée ? »
[...]
ça ose s'appeler poète
et carcailler tout gris comme une caille !
De nos jours
il faut
muni d'un casse tête
fendre le crâne du monde !"
 
Vladimir Maïakovski


Prophylaxie contre un horizon dégueulasse (Partie 1)



À ceux qui vivent drôlement…



Prologue :

Vos lèvres baveuses comme des éponges
Cherchent une bouche pour les nourrir
Comme le nouveau-né cherche le sein
Dans un déluge de paroles

Aussi fades que des baisers d’enfants
Aussi vagues que des caresses de vieillards
Aussi lisses que les cuisses des adolescentes

Moi je sens mystérieuse l’odeur de ma propre peau
Je coiffe mes poils de l’avant-bras
Je colle mon front graisseux
Contre une vitre de ciel bleu

Je pique mon nez dans les nuages
Et d’un souffle puissant
Les arrache à l’unité de la vie
Pour que vous puissiez
La main jetée sur le front
Voir se dissiper en cendres
Et voler au vent
L’horizon dégueulasse
Balayé par un souffle de révocation !

Et toute cette nuagerie de misère
Retombera sur les chevelures des jeunes filles
Sur vos épaules maigres
Et dans vos pupilles
Et vos mains en cupules
Réclameront qu’il leur reste à manger
Mais j’irai racler jusque sous vos semelles
Vos défauts d’humanité !

Nous voulons des raisons de vivre !


Partie 1: Prométhée sur un transat

I

Au vent sur le pont
Les silhouettes bancales
Les visages gris
Font des signes avec la tête
S’arrangent avec la vie
Avec l’aval
Avec l’amont
Ils s’en vont

Ils font la pluie et le beau temps
Les peintures à l’eau
Qui dégoulinent à perte de vue
Les feuilles qui tombent
Et se détachent dans le carré des saisons
Le soleil plus chaud qu’hier
Le sol chauffé
Les pauses déjeuner
Et l’hiver et l’été
Et les reflets sur l’eau
Les amoureux font du vélo
Et des clochards sur les terrasses des cafés
Fouillent dans le fond des cendriers
Des mégots
Du tabac déjà fumé

Et puis vient la multitude

Qui boit un verre
Qui traîne ses mômes
Qui traîne la patte
Qui admire dans les vitrines
Le reflet de son charme vulgaire
Qui deux pour le prix d’un
Qui deuxième démarque
Qui cinq en un
Qui sifflote
Qui compte ses petites cuillères
Qui fait revenir ses petits légumes
Qui crie toujours « à table ! »
Qui parle seule
Parle à son chien
Le pauvre chien !
Ramasse ses crottes
Et tousse
Et puis gueule
Comme un chien !

Dans l’interstice des pavés
De l’herbe pousse
De temps en temps une bouche
S’ouvre et dit : « On verra bien ! »

Mais je vous connais
Vous violeriez Cassandre
Vous les bouffeurs de prescience
Parce qu’il neige en décembre
Parce que « la vie est belle »

Ah je ne veux plus
Me tirer la cervelle par les narines
Je n’en peux plus
De vos récits de vacances
De vos songes en tumescence

Mon âme ratatinée
Planté sur mon tumulus
Je voudrais sentir le bon Dieu
M’empoigner par les cheveux
En hurlant :
« Sombre crétin !
L’empyrée n’est qu’un vieux tapis infesté de puces
Retourne d’où tu viens ! »

Vos pièces de viande
Vos faces de rats
Excitées comme des harpails
Et dans mes poches
J’entends ricaner la ferraille
Et se balancer un lustre de cristal
Dans un petit appartement
Un cachet d’aspirine dans un verre d’eau
Le traitement des déchets
Un bouchon de cérumen
Une minute de silence
Amen !
On a tout biseauté d’imaginaires en acrylique
Sans doute que demain
Le blé aura le goût du pain d’épices
Une masse éclatée
Contre un mur de brique
Je vous les laisse
Vos mystères d’Éleusis !

Rien qui vaille !

Un cul de bouteille sous l’éclairage public
Une gerbe de fleurs
Un enjoliveur debout dans le fossé
Un pissenlit dans une bouche d’égout
Petites lunes des bas-côtés !

Une fillette sur les genoux de son père
Mâchouillait une paille
Le père rotait
La gamine riait
Comme on peut être heureux !

La tignasse
Des sales fils de leurs pères
Et l’odeur de vinasse
Près des bennes à verre

Le bruit des voitures
À travers le double vitrage
Et la lumière des villes ridicule
D’un soleil comique
Au-dessus d’un minable pot de fleurs

Sur le rebord d’un trottoir
À la porte des heures
Une loque endormie contre un horodateur
Les genoux qui lâchent
Sous le froid de la nuit
Encore et toujours
Lécher la corne au bout des doigts
Et le calcaire sur la robinetterie

Je crache
Je mouche
Le pas lourd des ivrognes
Les trésors dans les gouttières
Des immondices de deux mètres de haut
Les jours de grève
Où dansent dansent dansent
Des mouches vrombissantes !

II

Le prix d’une baguette de pain
Le fer à friser
Le miroir
Et la pointe de tes seins
Voilà qui est bien réel !

Bordel !
Et puis quoi l’amour ?
Faudra-t-il s’embrasser
Sous l’embrasure de la porte ?
Faudra-t-il hésiter dans nos attouchements ?
Tremblements épileptiques
Aussi faibles qu’une feuille
Aux derniers jours du printemps
Faudra-t-il frotter nos muqueuses ?
Ah ! Une crampe d’estomac !
Ah ! Une tachycardie !
D’humeur amoureuse ? Moi ?
J’irai bousiller ton paradis !

Tu parles d’une drôle de solitude !
Regardez-vous
Avec vos sales amourettes
Et tout autour le goût d’être seul
Alors ? Vous en avez assez ?
Oh bon sang oui !
Vous en avez jusque dans la bouche
Et la lumière dans la gueule
Est tout ce qui vous touche
Quand nuitamment se dissout
Votre agitation sous les murmures
Dans un bruit de plomberie !
Allez ! Crachez vos images dépolies
Tandis que des hommes d’un certain âge
Rêvent aux bras de leurs mères en pleurant
Allez ! Parlez avec les murs !
Allez ! Pleurez comme des enfants !

Dieux ! Redescendez nous voir
Je vous implore
Dans nos pannes de courant
Dans nos parties de jambes en l’air
Jusque sous nos fenêtres de palabres
Je vous implore
Autant pisser contre un arbre
Ici c’est chaque jour
Comme si le monde datait d’hier

Regardez on a encore mis
Un coup de savate dans les étoiles
Engrossé les gamines
Et pour bien rire
Une course de cul-de-jatte
De la matière décomposée
Et Prométhée sur un transat !

Moi tranquille et courageux
Je mastique vos chaussettes sales !

Lardés en plein visage
Vos postillons
Vos gravats
Que reste-t-il ?
Vos croûtes de fromage
Et une plaie grande comme une bouche
Que je traîne en marchant
Au bout d’une petite ficelle
Ah l’esthétique d’une balafre !

Et j’en suis fier
Parce que l’esprit du poète est un mégot fumant
Parce que vous vous révélez dans la boue
Parce que je vous aime quand vous tenez bon
Tout tordus comme un vieux fil de fer

Allez ! Veuillez ramasser vos détritus !
Vos ramassis de cœur sont des sacs éventrés
Et toute cette merde a bouché les canalisations

III

L’engraissement des boucs émissaires
Dans les rues dans les maisons
Le temps qui passe
Le temps qu’il fait
Ah comme tout s’effrite
Mon Dieu ce que le temps passe vite
Pour les dieux morts
Les diables morts
Pour les clébards et les putains
Le quart d’heure pour s’aimer
N’y changera rien
Les chagrins d’amour et les crève-la-dalle
Font les mêmes trottoirs
Lieux communs des mortels
Statues de glaise nostalgiques
Et de liquide séminal

Ah tailler absurdement
Sa part d’humanité
Dans une rame de tramway
Dans le vertige
Des existences parfaites
Des orgasmes et des fermetures Éclair
Dans le tourbillon
Des folies ordinaires
Unité de mesure
Aux tumultes des pincements
De nos lèvres
Du désordre de nos gestes
De nos sales mines
De nos regards de bêtes
Et le sculpteur fige toujours
Une ligne passagère
Percepteur d’humanité
Dans le foutoir de l’univers !

Il fait beau il fait bon
D’attendre le soir
Le corps emprisonné de chaleur
Une cigarette un café
Crépuscule sur le fleuve
Qui suit son cours
Le long des berges et des échafaudages
Du plomb dans la cervelle
Le percepteur d’humanité
Corne une page

Et chaque soir
J’entends que chante
Le ciel posé sur les nuages :

Obole céruléenne !

"Ombrelles sur les cœurs
Qui déploient leurs baleines
Et lèvent les yeux au ciel
Les vies se croisent
Et se dispersent en fragments d’humanité
C’est l’heure !
Solitude de tous les êtres
C’est un clou dans un mur
La grimace pétrifiée de l’univers
"Ah tout ce bruit
Quand la paix serait d’aimer
Et de créer en silence !"
Chut !
Encore un peu de patience
Le soleil scelle les bouches
Après tout se brosser les dents
Une nuit de sommeil
Et la vie entière pour recommencer…"


 
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   Pimpette   
10/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est du raide et j'aime!!!
J'ai esquissé une lecture critique pour moi seule mais c'est beaucoup trop long pour un com ici!
L'intro de Maîakovski est une merveille et convient excellemment au texte de notre camarade!
C'est un beau coup de gueule, si j'ai à peu près compris contre les poètes trop mous pour massacrer avec leurs mots un monde dégueu, sans talent et sans courage....ce qui vise ce monde à genoux et médiocrissime est la meilleure part de ce texte fort...J'ai relevé des formules d'un poésie rude et franche qui font mon bonheur....

je relis ce matin

"Après tout se brosser les dents
Une nuit de sommeil
Et la vie entière pour recommencer…"

OUI!
Quand j'aime, j'oublie les 'vous', mais j'oublie aussi des défauts que je ne vois d'ailleurs pas...
Tout ceci avec un vocabulaire d'une simplicité biblique ce qui augmente à mes yeux la qualité du poème

   Anonyme   
10/10/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Encore une profession de foi, encore cette envie irrésistible de clamer à la face du monde "je suis poète, écoutez-moi !".

L'ensemble de votre texte n'est qu'un long (trop long) développement sur les particularités supposées de "l’esprit du poète", sur sa soi-disant capacité à voir le monde sous un angle différent. Je vais finir par croire que l'état de poète est quelque chose de tellement exceptionnel qu'il n'a plus rien d'humain.

Il y a quelque chose qui me dérange dans cette espèce de vanité qui distingue d'un côté la plèbe ignorante, qui ne sait pas voir au-delà des apparences, et de l'autre la race des illuminés.

Sinon il y a de belles tournures ("Et toute cette nuagerie de misère Retombera sur les chevelures des jeunes filles"), beaucoup d'élan et de vigueur dans cette déclaration. Malheureusement les descriptions trop détaillées finissent par être rébarbatives.

   Charivari   
11/10/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour...
J'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé.

Et merde, va falloir faire un com maintenant pour justifier "le très bien +" que je vais coller en appréciation.

On va faire comme ça: d'abord justifier l'appréciation, puis expliquer pourquoi je n'ai pas mis exceptionnel +

Donc, du côté positif : Ce texte a un souffle formidable, et surtout, il tient parfaitement la longueur. On se prend une véritable baffe dans la gueule. Je m'attendais à voir, comme dernier vers "adieu, cou coupé", parce que justement, j'avais relu peu auparavant "Zone" d'Apollinaire, et il y a quelque chose, dans le ton qui me l'a rappelé. Et puis un mélange de moderne et d'ancien, de l'obole céruléenne à Prométhée sur un transat... Le tout pour nous décrire ce monde imparfait bien réel, qui nous asphyxie : à ce titre le rythme est parfait, on a l'impression de perdre haleine, et tout à coup, des ruptures de rythmes, des passages plus courts, avec des formules et des mots répétés, qui donnent un tour plus saccadé...

ce que j'ai moins aimé : j'aurais aimé, sur un texte aussi long, une structure plus claire, avec des éléments qui reviennent et progressent au fil du poème. Ici, j'ai eu l'impression de strophes un peu interchangeables.

D'autre part, je pense qu'on pourrait jouer un peu plus sur les sonorités. C'est du libre, il n'y a pas de rimes, certes, mais cela n'empêche pas les alitérations, les rimes internes, etc... A cet égard, voir comment fonctionne le slam, ça peut être intéressant pour ce genre de textes.

Mais globalement, j'ai beaucoup apprécié. Un regard désabusé sur le monde, une expression personnelle et originale, l'auteur s'est lâché, ça se sent, et il parvient à transmettre son émoi au lecteur que je suis.

   Titato   
11/10/2012
Bonjour,

J'ai lu ce poème en plusieurs fois, pour ne pas rater un pan de lecture.

Poème élancé, et violent, dont la tonalité de temps à autre caustique masque à peine la rage.

Un poème troublant car il est à la fois profondément humain et prenant de la hauteur aussi. Il est "dedans" et le regard semble parfois éloigné, dans la contemplation...ooo la contemplation n'est pas sage, elle est dans l'émotion qui se choque, qui se broie, qui claque des dents..et à ma lecture, j'ai eu la sensation que ce poème s'est élevé, justement, pour ne pas que les dents se brisent.

Un poème angoissé, angoissant, et rageur...bon, je me répète mais une lecture qui m'a emporté.

Cordialement.

   aldenor   
16/1/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un poème qui a de l’envolée. Le prologue, d’humeur baudelairienne, est puissant, excepté le dernier vers « Nous voulons des raisons de vivre ! » qui me parait naïf : a qui s’adresse ce cri ? Et pourquoi le « nous » qui y associe la « multitude », qui n’a rien demandé.
Dans la partie I justement « Et puis vient la multitude » je ne trouve pas claire la démarcation : qui sont les autres ? Les amoureux et les clochards ?
« Des mégots / Du tabac déjà fumé » : forcément.
La conclusion, le « chant du ciel », m’a paru brouillonne, en tous cas je n’arrive pas à suivre le raisonnement.
Deux passages que j’ai retenus :
« Je colle mon front graisseux
Contre une vitre de ciel bleu »
« Faudra-t-il s’embrasser
Sous l’embrasure de la porte ? »
Si j’ai aimé ce poème, il ne tient pourtant pas toutes ses promesses : je n’en sors pas dégouté de l’humanité ! Les images ne sont pas toujours assez frappantes, assez crues ; le style est trop feutré pour « fendre le crane du monde ».


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