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Poésie libre
ikran : Mon dernier jour
 Publié le 14/06/20  -  11 commentaires  -  5902 caractères  -  80 lectures    Autres textes du même auteur

Parfois il est possible de se rendre compte que le temps est compté. C'est dans ces moments-là qu'il faut faire le ménage.


Mon dernier jour



Je me suis réveillé avec la main ouverte comme une vigne au soleil
Le soleil y plongeait comme une pierre dans un étang
Je me suis levé et j’ai compris que tout était sale.

Alors j’ai nettoyé ma chambre
J’ai nettoyé mon couloir
J’ai nettoyé la cuisine – les couteaux et les assiettes
Les fourchettes et les verres tachés du fruit des vignes –
J’ai nettoyé les emballages plastiques
Les bouteilles vides et les moutons de poussière

J’ai nettoyé mon chat

J’ai nettoyé mon colocataire, puis le salon
L’ordinateur – ouvert – j’ai nettoyé le disque dur et la carte graphique
La carte mère et la carte son
Avec une grosse éponge imbibée d’un grand sourire

Je suis sorti dans le couloir, j’ai nettoyé les portes
Puis j’ai frappé chez la voisine
J’ai nettoyé l’appartement de la voisine
Et la voisine aussi
J’ai nettoyé ses yeux vitreux et l’amour
Brisé entre ses doigts

J’ai nettoyé la cage d’escalier, l’ascenseur, puis
J’ai nettoyé le rez-de-chaussée
J’ai nettoyé le ballon des enfants et les enfants aussi
J’ai nettoyé les fleurs, les plantes, les arbres
Et tous les chiens et chats de la résidence

J’ai nettoyé les voitures – leurs grosses carrosseries emprisonnaient le soleil
En faisaient un cercle tout lisse
Alors on peut dire que j’ai nettoyé le soleil aussi

J’ai nettoyé la rue, puis l’avenue
J’ai nettoyé le métro
En commençant par les vitres
Puis Margaret Qualley
Puis le sol
Puis les gens
Les gens étaient bourrés de moutons de poussière
Et leur argent était très sale
Je l’ai nettoyé jusqu’à ce qu’il brille
Mais il n’a jamais brillé

Alors je me suis concentré sur le sourire des gens
Il y avait beaucoup de choses dans la bouche des gens
« Madame bonjour »
« Monsieur s’il vous plaît »
C’était du propre.

À la sortie, j’ai nettoyé la Défense avec passion
Admirant la beauté des bâtiments d'aujourd'hui
Je suis entré dans l’un d’eux, parce qu’on m’y attendait, et alors dans les bureaux
J’ai nettoyé les contrats à durée déterminée
Les contrats à durée indéterminée
Les contradictions
Et le contrat social

Dans la cuisine j’ai nettoyé les affaires des gens
Les lettres de rupture
Et les lettres de rupture conventionnelle
La machine à café

Ensuite j’ai nettoyé le visage de mon chef
Qui était en train de nettoyer ma fiche de paie
Avec ses yeux pas propres.

J’ai nettoyé ses yeux et ses yeux se sont envolés
Comme des bulles de savon

La directrice des ressources humaines m’a convoqué dans son bureau
Alors je les ai nettoyés, tous les deux

On m’a dit de nettoyer mon bureau alors je l’ai fait
Puis j’ai nettoyé mes clics, mes clacs, et je suis parti,
En prenant bien soin de nettoyer mes pas

J’ai nettoyé les nuages noirs
Et j’ai nettoyé la douleur
J’ai nettoyé mes larmes et mes poings serrés
Et mes larmes et mes poings se sont envolés
Comme des bulles de savon

J’ai nettoyé l’impression d’être vivant
Et j’ai nettoyé l’envie de mourir
Ensuite j’ai vu que j’existais tout simplement
Alors j’ai nettoyé mon existence
Je suis rentré en nettoyant les murs

J’ai nettoyé David Pujadas
J’ai nettoyé le poulet au citron
J’ai nettoyé ma brosse à dents
J’ai nettoyé le savon et le savon s’est envolé
Comme une bulle de savon

Je suis entré dans les rêves et je les ai nettoyés de fond en comble
Comme c’étaient des rêves, j’ai pu monter au ciel
Où j’ai nettoyé Dieu, son paradis et son enfer
Qui étaient pleins de saleté et de moutons de poussière
J’ai nettoyé Allah et j’ai nettoyé Yahvé
J’ai nettoyé le gros ventre de Bouddha et Bouddha m’a souri
Alors j’ai nettoyé son sourire et dans sa bouche, j’ai vu le cosmos
J’ai nettoyé le cosmos, j’ai nettoyé l’univers observable
J’ai nettoyé les trous noirs super massifs
Et les trous noirs super massifs se sont envolés
Comme des bulles de savon

J’ai nettoyé l’infiniment grand
Qui était rempli de miettes de pain
Et l’infiniment petit
Qui était envahi de microbes

Je me suis réveillé et j’ai nettoyé ma fatigue.
Quelqu’un a frappé à la porte, c’était le facteur, il m’apportait une nouvelle vie
Toute neuve et toute propre.
J’ai pris la nouvelle vie, en prenant bien soin de nettoyer le facteur.
J’ai ouvert ma nouvelle vie, je l’ai nettoyée
Même si elle était propre
Et ma nouvelle vie s'est envolée
Comme une bulle de savon

Puis j'ai jeté mon ancienne vie à la poubelle, et j’ai jeté la poubelle dans la benne à ordures, que j’ai nettoyée

Et alors, enfin, quand j’ai eu fini de tout nettoyer
J’ai regardé autour de moi et j’ai vu que tout était propre

Je suis retourné dans la chambre et je suis retourné dans le lit et tu étais là.
Tu n’étais pas propre.
Tu étais pleine de poussières,
Mortifiée de miettes de pain,
Malade de microbes,
Bouleversée de bulles de savon,
Tarabustée de trous noirs,
Fichue de fatigues,
Contrariée de contrats,
Malmenée de métros,
Vindicative de ventres,
Cinglante de café,
Soucieuse de salons,
Catastrophée de cuisines,
Râlante de rez-de-chaussée,
Languie de larmes
Vivante de vignes

Mais je ne t’ai pas nettoyée.
À la place, je suis tombé au fond de tes lèvres
Comme une pierre dans un étang

Et alors c'est le bonheur qui m'a nettoyé

Et comme enfin j'étais heureux

Je me suis envolé

Petite bulle de - plop -


 
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   Stephane   
23/5/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Ce long récit a sonné comme une claque !
Du coup j'ai tout nettoyé et tout était propre, ou presque.
Une réflexion sur le monde qui nous entoure, le pourquoi et le comment, etc.
Oui, il conviendrait de faire le grand ménage, mais celui-ci n'est pas donné à tout le monde. A la fin, le bonheur vous a nettoyé (heureusement), et votre dernier jour fut le début d'une nouvelle vie.

Bravo !

Stéphane

   Anonyme   
27/5/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Un ménage et son remue-ménage salvateurs, une traversée fantastique, on vit ce dernier jour avec vous, dans une sorte d'apesanteur surréaliste.

J'ai aimé :
"J’ai nettoyé ses yeux vitreux et l’amour
Brisé entre ses doigts"
et tant d'autres passages notamment la fin, l'énumération qui constitue le portrait de l'être aimée juste avant :

"Mais je ne t’ai pas nettoyée.
À la place, je suis tombé au fond de tes lèvres
Comme une pierre dans un étang"

C'est à la fois tendre et critique, léger et détonant.

Merci pour ce partage.

   natile   
29/5/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Que dire ou ne pas dire? Cette lecture m'a tenue en haleine jusqu'au bout comme une course folle contre le temps, la dernière minute à ne pas rater et à nettoyer. Un ton très actuel avec toutes les composantes de ce qui nous rend moderne et nous empêche de nous arrêter pour revenir à l'essentiel : le bonheur d'être en vie.
j'ai beaucoup aimé tout simplement comme cette petite bulle qui s'échappe

   Anonyme   
30/5/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour !

Impression de première lecture, en direct.

Le poème est bien long
le poème est bien intéressant
le sujet est chouette
un peut de Prévert là dedans
un peu trop de longueur
Tiens ! je me suis mise à rêvasser à certains passages (non que je m'ennuyais, mais presque)
Tiens ! une formule me réveille brutalement et je repars voir ce narrateur tout astiquer.

Et la fin, ce "plop" ? le net me dit que c'est une onomatopée utilisée en guise de salutation, intéressant.

J'ai beaucoup aimé, sauf que je trouve qu'il a trop de "j'ai nettoyé".
Mon commentaire n'en est pas vraiment un (si on lit les recommandations d'Oniris) mais je n'ai pas su rédiger autrement mon avis.

Merci du partage,
Éclaircie

   Anonyme   
14/6/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Ikran,

J'ai aimé les imbrications, les renvois, les non-dits, l'ardeur du poème à tout vouloir décaper, la vie elle-même, ses contraintes ses habitudes. De même dès le premier vers, le poème à balayé ce que je m'attendais sans doute à lire là, en cet ordinaire dimanche, jusqu'ici. Beau nettoyage!
Merci.

   papipoete   
14/6/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
bonjour ikran
on s'apprête à partir pour quelques jours, on nettoie un peu
on s'apprête à partir pour un mois...........on nettoie à fond
on s'apprête à partir sans revenir.............on nettoie pour ne laisser aucune trace, et le cauchemar nous entraîne tout au fond du lit, de la lie qui repose en guise de mie...et sous forme d'une bulle de savon, l'on se réveille, quand elle éclate.
NB ceci est mon scénario pour donner une explication, de ce que mes yeux fermés viennent de lire...
Un peu long quand-même ce nettoyage ? l'huile de coude ne vint-elle pas à manquer ?
Dans cette "grande lessive ", mon nettoyage préféré va à " ensuite j'ai nettoyé le visage de mon chef..." me rappelant des rincées que je prenais face à ma cheffe ( une vraie kapo ! )
Passé le bémol de la longueur, je reconnais à l'auteur une certaine abnégation...y faut qu'ça brille !

   Corto   
14/6/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
De ce poème j'ai bien aimé les deux premiers vers:
"Je me suis réveillé avec la main ouverte comme une vigne au soleil
Le soleil y plongeait comme une pierre dans un étang".

Après, avec tous mes regrets c'est: non.

Cette accumulation n'est pas un ressort que j'apprécie. Je la trouve trop facile et trop pauvre. En d'autres termes sans vouloir être blessant, c'est un peu parler pour parler, écrire pour écrire.

Vers le final je garde volontiers ce vers:
"Et alors c'est le bonheur qui m'a nettoyé".

Avec mes regrets.
Dommage car j'avais apprécié d'autres textes de vous dans un autre registre.

   Lebarde   
15/6/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour ikran

Votre texte est à mon goût beaucoup trop long et d'une forme beaucoup trop "orale" donc peu poétique pour me séduire.

Je n'ai pas aimé cette sorte de litanie concernant toutes les actions à engager avant de partir; les plus futiles, les plus dérisoires, les plus anecdotiques, les plus "ménagères", comme heureusement les plus humaines, les plus affectives, les plus polies, les plus relationnelles. Des tâches de tous les jours en somme, qui n'ont un intérêt ni dans la vie en générale, ni pour garnir un poème.

Tous cela est voulu bien sûr, mais constitue un amalgame qui s'éloigne de la poésie, un fatras qui devient vite indigeste et pesant.

Bien sûr on y trouve un certain nombre de réflexions et de constats sur la vie, notre vie dans ce monde anarchique et critiquable que le narrateur au moment de le quitter, voudrait remettre à l'endroit, "nettoyer".
Oui bien sûr ...

La fin est plus plaisante avec le bonheur retrouvé avant le grand départ auprès de sa bien-aimée que le narrateur a voulu garder dans l'état.

"Mais je ne t'ai pas nettoyée.
A la place, je suis tombé au fond de tes lèvres
Comme une pierre dans un étang

Et alors c'est le bonheur qui m'a nettoyé

Et comme enfin j'étais heureux

Je me suis envolé"

Ces derniers vers sauvent un peu la mise.
Alors pourquoi pas!

Merci

Lebarde

   LenineBosquet   
17/6/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour, c'est long et pourtant, je l'ai lu d'une traite, haletant.
Ce monde est si sale... que parfois une frénésie de nettoyage nous emparerait !
Des jeux de mot, de la bienveillance, de la douce dénonciation de ce qui cloche ici bas, j'ai bien aimé.
Peut-être la pirouette de la fin qui me plait moins, un peu mièvre mais si gentil.

   Melorane   
17/6/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
Un long texte, cependant je n'ai pas décroché de la frénésie de ce personnage à nettoyer tout ce qui l'entoure pour finir par trouver son bonheur.
J'ai aimé ces nombreuses répétitions significatives de l'état d'esprit du personnage.

Melorane

   Dolybela   
18/6/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
L'énergie est au cœur de ce poème qui illustre parfaitement l'envie d'une nouveauté inatteignable, de changer les choses, en les nettoyant du regard ou au sens propre. L'énergie poétique s'immisce partout : dans la science, la religion, le travail… et ce faisant met tout au même plan : Dieu, l'ordi, la DRH… J'aime particulièrement votre approche de la modernité qui me pose beaucoup de questions aujourd'hui : comment mettre notre monde en poème et quelle est la place du poète dans la société actuelle. Oui, il faut nettoyer, et ainsi nommer, donner aux choses une existence. L'action elle-même fait sourire, et le comique de répétition fonctionne à la perfection. Mais ce sont également les mots d'un homme qui ne crois pas aux passé ni au renouveau proposé par l'avenir, qui a simplement retrouvé l'énergie d'appeler les choses par leur nom, dans des images très bien choisies, d'influence surréalistes : l'univers infiniment grand rempli de miettes de pain, la main comme une vigne au soleil reprise à la fin avec "vivante de vigne", ce qui traduit également un désir de la transe bachique, un art dionysiaque de la profusion très bienvenu.

J’ai nettoyé l’impression d’être vivant
Et j’ai nettoyé l’envie de mourir
Ensuite j’ai vu que j’existais tout simplement
Alors j’ai nettoyé mon existence
Je suis rentré en nettoyant les murs

J’ai nettoyé David Pujadas
J’ai nettoyé le poulet au citron
J’ai nettoyé ma brosse à dents
J’ai nettoyé le savon et le savon s’est envolé
Comme une bulle de savon

Ces deux strophes illustrent parfaitement le contraste entre un mal de vivre qui remet en question la société et l'envie d'aller de l'avant, dans le rire et la malice. Personnellement (mais là c'est vraiment la manière dont le texte résonne en moi), le texte m'évoque la sortie d'une dépression, ou d'un épisode de désespoir et sa frénésie indécise. Qui croire ? Quelles valeurs adopter ? Tout nettoyer, on verra après ! Surtout ne pas trop y croire, ne pas trop faire confiance aux certitudes d'un monde injuste et conventionnaliste.

La chute pourrait sembler un peu convenue, mais elle n'en est pas moins juste. La seule porte de sortie est le vertige de l'amour, produit par la vision de la personne qu'on aime sans avoir à la nettoyer, et tout le reste n'apportera jamais le bonheur, ça me va. Et les images listées deviennent très plaisante face à l'uniformisation d'un monde trop propre, et finalement trop connu. Le dernier "plop" illustre très bien le bonheur qui ne se dit plus. C'est un peu le texte d'un Henri Michaux heureux. Merci pour ce poème, je vous relirai avec plaisir !


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