Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Poésie en prose
Keanu : Vitre
 Publié le 10/02/24  -  7 commentaires  -  2986 caractères  -  145 lectures    Autres textes du même auteur


Vitre



Je mâche la viande du midi en pensant à mon grand griffon vendéen qui repose sous la terre du jardin. J'imagine ses poils se mêler aux racines et à la glaise ; leur gris délavé me rappelle la couleur des cheveux de mémé (la fourrure résiduelle des morts). À travers la fenêtre, des faucons affaités tournoient autour d'une colonne de fumée qui s'élève entre les arbres.

Je n'ai jamais tué pour me nourrir et je n'ai jamais explosé de douleur à la mort de quelqu'un. Mieux vaut rester propre, feutré, maîtrisé. Mieux vaut cacher les grondements sous un drap de décence. Je ne me tache pas les mains avec la terre d'une tombe ou les organes d'une biche.

Mes repas et mes enterrements ressemblent à de froides séparations. Mes rituels tissent une parure sur l'échine des bêtes. Je ferme les yeux devant le gibier et je me tais à l'église. Je ne veux pas voir le sang ni entendre ma voix. J'efface leur âme puis tranche leur matière. Je déglutis ma honte puis crache mon costume. J'évite la violence comme on couvre un miroir. Après avoir consommé la chair des autres, je lave à grande eau mon émotion rouge. Je passe l'éponge sur la nappe, le plumeau sur le suaire.

Je vis le deuil à la manière d’un lien rompu entre deux espèces qui se côtoient pourtant. Mes proies lointaines et mes proches disparus retournent à une terre de laquelle je pense m’être envolé, alors je les regarde par transparence, comme la faune et la flore, derrière la vitre du temps ou du langage, sans comprendre que personne n'habite un autre monde, sans comprendre que tous les mondes s'entrecroisent.

Couronnes et guenilles, lombrics et démiurges, brumes et minerais : une seule et même sphère. Jamais un esprit n'a pu s'échapper d'une poitrine. Aucune vapeur ne monte au ciel quand un cœur s’endort dans la boue. Les pensées sont agrafées aux espaces et les vigilances s’effleurent. Chacun peut trembler en cas de rencontre et choisir de traquer en silence, mais moi seul déguise ma dévoration et ma tristesse pour mieux régner en aveugle.

Alors je désire parfois une prière à l’image d’un torrent, une implication spectaculaire dans le cauchemar. Mais je ne sais toujours pas s'il est bon de se tacher les mains avec la terre d'une tombe ou les organes d'une biche. Je ne supporte pas non plus ce fantasme d'une sauvagerie perdue que la nudité de nos actes permettrait de retrouver. Je me méfie autant de ceux qui cachent leurs grondements sous un drap de décence que de ceux qui se sentent autorisés à crier.

Les cendres de mémé ont été jetées à quelques mètres seulement, dans la rivière en contrebas. Je comprends que le rapport au temps est différent lorsqu'on dispose d'un jardin riverain : on peut voir pousser les cèdres, inhumer son chien ou noyer sa famille. Puisque les morts ne me sont pas étrangers, j'aimerais parfois les toucher de mes mains, mais j'aurais peur de me faire piéger par ce que j'ai rendu invisible.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette poésie sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Eki   
25/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Détachement, contrôle de soi, enfermement de ses émotions...
La construction de ce mur haut n'est pas celui des lamentations et tout, ici, est retenu avec pudeur pour éviter tous débordements. Je vois de la froideur, une forme de fatalisme où les choses sont ainsi.

Ce texte bien écrit est comme des fragments, on ne reconstitue pas le puzzle...on laisse les choses aller au vent.
Il y a une forme d'insensibilité à débiter l'état de conscience comme s'il fallait à tout pris prendre de la hauteur pour ne pas sombrer...

"par peur de me faire piéger par ce que j'ai rendu invisible"...

L'auteur a donc fait le pari de rester aveugle et de ne rien voir de ce temps qui mange tout.

"mais moi seul déguise ma dévoration et ma tristesse pour mieux régner en aveugle".

Un texte qui n'est pas trop long, appréhendé un peu avec effroi...ce rapport à la viande, aux morts, à la terre...
L'écriture est maîtrisée, le sujet un peu opaque mais j'attends les explications de l'auteur sur ce texte...Opaque dans le sens mystérieux...et original.

   Damy   
28/1/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Que se cache-t-il derrière la vitre ?
Tout un monde qui n’a plus les pieds sur terre mais pas encore la tête dans l’eau (à côté de celle de mémé).
Je reçois ce poème comme le confiteor d’un marginal impuissant malgré son éloquence qui « est un don de l’âme, lequel nous rend maîtres du cœur et de l’esprit des autres » (La Bruyère).
Oui, la plume est féroce, envoûtante. Elle m’a embarqué dans le « torrent, implication spectaculaire dans le cauchemar » d’une sphère immuable et mortifère qui nous englobe tous.

Alors, vaut-il mieux se taire que de rester poli ou de se rebeller ?
L’une prône la politesse :
« Mieux vaut rester propre, feutré, maîtrisé. Mieux vaut cacher les grondements sous un drap de décence. »
L’autre la révoque et invite au silence :
« Je me méfie autant de ceux qui cachent leurs grondements sous un drap de décence que de ceux qui se sentent autorisés à crier. »

Tout cela est audible par les grands introvertis que nous sommes et qui se camouflent derrière la vitre :
«  … mais j'aurais peur de me faire piéger par ce que j’ai rendu invisible. »

C’est du moins l’essence de mon ressenti en première lecture, mais je reviendrai sur ce poème dont la beauté littéraire me dévoilera bien d’autres mystères allégoriques (le rapport à la mort notamment).

Merci beaucoup pour l’émotion charnelle que votre style intime m’a provoqué.

   fanny   
10/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Je n'ai pas vraiment le temps de commenter, ni celui de passer du temps sur ce texte prenant, bavard, qui explore les recoins de nos esprits et les arrières miroirs de nos arrières vitres. Je le trouve néanmoins à lecture brève d'une grande poésie rauque, à la fois rouge sang et gris cendre, le tout mélangé dans le grand bol de la vie, de la mort, et des austères et étranges fumerolles qui s'en dégagent.
Merci pour cette lecture, j'aime ce qui s'en dégage.

   papipoete   
10/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour keanu
sous cette terre que je contemple chaque jour, j'imagine mon chien enterré ici, dont bientôt il ne restera que les poils, tout comme je pus imaginer les cheveux de mémé, son ultime fourrure au froid du torrent qui emporta ses cendres .
Oh, mes aimés de chair et ceux de pelage, comme j'aimerais parfois leur dédier une prière, avec ou sans avés mais elle serait tumultueuse, moi qui digère en mes tripes, qui ne souris, ni ne jure jamais...
NB une écriture rageuse que l'épaisseur d'une vitre voile à peine ; on n'entend rien même pas le bruit de la plume qui gratte le vélin, mais...
fort belles lignes que cette prose " aveu bien douloureux "

   Eskisse   
10/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour Keanu,

Un poème qui m'a un peu déroutée par son opacité; et par l'entremêlement des thèmes du deuil de la mort et de la culpabilité liée à l'absorption de viande, un poème qui porte une réflexion sur notre rapport à la vie et à la mort.

Mais j'en apprécie la poésie qui se diffuse, comme pliée dans les phrases :

"Mes rituels tissent une parure sur l'échine des bêtes.", "J'évite la violence comme on couvre un miroir.", " je lave à grande eau mon émotion rouge", "Aucune vapeur ne monte au ciel quand un cœur s’endort dans la boue. Les pensées sont agrafées aux espaces et les vigilances s’effleurent. "

   Cordiale   
13/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Texte fascinant, au premier sens du terme : il tourne autour de la pensée de la mort en envoyant des éclairs brefs et crépusculaires, que le regard peine à saisir, danse sa danse funèbre avec légèreté.

La vitre qui donne son titre au poème n'interdit pas la vision, elle interdit la "saisie" et laisse monter l'angoisse de cette impuissance.

Parfois, il m'arrive de penser que la question de la mort pourrait se résumer à cette question : ne sommes-nous que de la viande ?
Si notre raison nous amène à cette terrifiante idée, l'expérience des liens d'amour, de la singularité de chaque être, du changement radical qui accompagne le moment de la mort nous amène irrésistiblement à d'autres représentations.

Voilà que je fais exactement ce qu'il ne faut pas faire : paraphraser le poème, tenter désespérément de l'expliciter. de le commenter Je crois que si je cède à cette tentation, c'est bien à cause de sa puissance même, et du vide qu'il laisse exister.

Il m'a aussitôt rappelé un épisode personnel : habitant un petit village, nous croisions, mon petit garçon de quatre ans et moi, une charogne de chien sur le bas-côté (c'était la campagne ! ). Chaque jour les changements étaient évidents et ses questions assez anxieuses. Je lui ai dit que tout le corps du chien était en train d'aller dans la terre et que cela donnerait à manger aux plantes, aux arbres. Et étrangement, cela lui a suffi, il a été apaisé.

Bon, bref : c'est un poème qui illustre aussi ce qu'apporte d'unique la poésie lorsqu'elle se saisit d'un sujet philosophique.

   Louis   
16/2/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
La réflexion sur la mort, remarquait Jankélévitch, se confronte à plusieurs paradoxes, en particulier celui qui tient du « visible et de l’invisible ». Or cette prose poétique, qui poursuit l’œuvre « Gaspard », éponyme du « grand griffon vendéen » comme évoqué dans la nouvelle Torico, semble se mouvoir dans le paradoxal, bien que le sujet abordé ne soit pas tant la mort elle-même, comme idée abstraite, que la relation vécue à la mort comme événement empirique et la façon de vivre le deuil.

La douleur face à l’événement qu’est la "mort" se trouve en effet prise dans le paradoxe du visible et de l’invisible.
Ainsi le locuteur déclare : « Je n’ai jamais explosé de douleur à la mort de quelqu’un ».
Non pas que l’émotion soit absente, mais la douleur est rendue inapparente aux yeux d’autrui, les autres vivants.
L’affirmation se donne comme un constat, mais aussitôt suivie d’une considération éthique, placée dans le domaine des valeurs : « Mieux vaut rester propre, feutré, maîtrisé. Mieux vaut cacher les grondements sous un drap de décence ».
Les affections et affects provoqués par la perte d’un proche, par un être "disparu", il serait donc préférable qu’elles n’apparaissent pas, qu’elles ne se manifestent pas, et demeurent invisibles.
L’une des justifications de cette préférence se trouve dans le « propre » : « Mieux vaut rester propre ». Est présupposée l’idée que la mort, ou ce qui "touche" à la mort, provoque une salissure, une souillure : « Je ne me tache pas les mains avec la terre d’une tombe ou les organes d’une biche »
Quelque chose de noir, de sale, d’impropre pourrait, venue de la mort, souiller le vivant, dans son corps comme dans son comportement.

Il conviendrait donc de mettre la mort à distance, de voiler le mort, et tout autant les effets affectifs qu'elle provoque sur soi. L’impropre semblant passer de la cause à la conséquence.
Et c’est bien le comportement que le locuteur semble avoir adopté : « Mes rituels tissent une parure sur l’échine des bêtes. Je ferme les yeux devant le gibier et je me tais à l’église. Je ne veux pas voir le sang ni entendre ma voix.»
Un voile est jeté ( une « parure ») sur le corps des morts ; les yeux se ferment, refusent de voir. La mort est rendue invisible et aussi, en parallèle, l’affection provoquée sur soi, par un silence : « je me tais ».
Un parallèle et des rapports d’analogie se sont constitués à partir de l’association faite au début du texte, quand la viande mâchée d’un repas est associée, par la mémoire et l’imagination, à Gaspard, le « griffon vendéen », mort et enterré.
La viande mâchée est celle d’un animal mort. Cette mort aussi doit être occultée, comme toutes les autres. Pour cela le locuteur : « efface leur âme puis tranche leur matière. » La chair de l’animal est perçue dans son aspect de « matière » dissociée de l’animal ; quant à « l’âme », le locuteur la fait "disparaître", l' "efface".
Il n’en subsiste pas moins une « honte » d’avoir « consommé la chair des autres », mais elle aussi ne doit pas paraître, pas même à ses propres yeux : « Je déglutis ma honte ». Si la honte est avalée, « le costume » est lui recraché. La honte disparaît dans la déglutition ; « le costume », lui, ou l’apparence que l’on s’est donnée, est rejeté au loin, hors du champ visible.
Il y a une « violence » dans la dévoration, mais elle est dissimulée à soi-même : « J’évite la violence comme on couvre un miroir »
La solution n’est pas trouvée dans une abstinence de « chair » et de « viande », mais dans un rapport honteux et masqué, où l’on s’efforce même de faire disparaître toute trace de contact entre soi et le corps mort : « Je passe l’éponge sur la nappe, le plumeau sur le suaire ».

Si tant d’efforts sont produits pour "effacer" la mort, pour la rendre invisible, d’un autre côté, paradoxalement, une "pulsion" cherche à la rendre visible : « mes proches disparus… je les regarde par transparence »
Les disparus correspondent à ceux qui ont été rendus invisibles, à la fois par la mort, et par le locuteur dans la pratique de ses « rituels ».
Un regard est porté sur l’invisible. On semble alors pénétrer encore plus avant dans le paradoxal. De plus, l’expression « regarder par transparence » semble de prime abord proche d’un truisme ou d’un pléonasme : pourrait-on regarder par opacité ? Mais à "bien y regarder", la formulation recouvre un sens qui ne la réduit pas à une simple tautologie. Le préfixe ‘trans’ donne l’idée de ce qui passe à travers, et mène au-delà de… Le regard serait en mesure de traverser les choses et les êtres « comme la flore et la faune », flore et faune vivantes sans doute ; le regard serait capable de les transpercer pour rendre visible un au-delà de leur être matériel, moins opaque qu’il n’y paraît.
Ce regard, est-il ajouté, se fait « derrière la vitre du temps ou du langage ».
L’image de la vitre indique à la fois l’idée de séparation et celle de transparence.
La mort du proche est vécue comme une « séparation » : « Je vis le deuil à la manière d’un lien rompu entre deux espèces… » ; « Mes repas et mes enterrements ressemblent à de froides séparations. »
Séparation comme mise à distance. Mais sans véritable « disparition » puisqu’il est possible de les « regarder » malgré la vitre transparente qui fait séparation. Cette vitre empêche tout contact direct, éprouvé comme « sale », provocateur de souillure, mais non le regard, la vue étant le plus à distance, avec l’ouïe, de nos cinq sens.

Cette vitre est constituée du « temps et du langage ».
Le temps implique une séparation, dans une autre dimension que celle de l’espace. Il est cet écoulement, chronos, qui insère entre soi et ses proches décédés les événements multiples et la durée.
Mais il autorise la vue, en tant qu’il n’est pas oubli, mais une durée qui, elle, ( en un sens quasi bergsonien) ne sépare pas le présent du passé, mais assure au contraire la perpétuation du passé dans le présent.

Le langage serait l’autre « vitre », transparente en ce qu’il pourrait s’effacer dans sa nature de signe pour laisser place à ce qu’il représente.
Mais aussi en ce que le langage est "provocation". Le deuxième paragraphe tourne autour de cette idée : « Je n’ai jamais tué pour me nourrir et je n’ai jamais explosé de douleur à la mort de quelqu’un »
La mort n’est jamais provoquée, et ne provoque pas chez le narrateur une « explosion de douleur ». Mais elle est sans cesse pourtant "pro-voquée", ( et provocatrice) par le langage. Du latin provocare, « appeler, faire venir », ce mot lui-même est composé de pro, « en avant, devant », et vocare, « appeler, convoquer, nommer », provoquer revient donc à rendre présent, à faire paraître devant soi, visible, perceptible, l’être disparu, qui avait été rendu invisible.
La vitre laisse encore penser à un écran, comme cet écran du jeu vidéo évoqué dans la nouvelle Toreco.

Ainsi les morts pourraient être vus comme images suscitées par le langage, à travers le temps ; comme "spectres" donc, comme fantômes.

Mais que sont ces spectres au juste ?
Non pas des « esprits » au sens traditionnel de ce terme, des "souffles" qui se détacheraient du corps : « Jamais un esprit n’a pu se détacher d’une poitrine. Aucune vapeur ne monte au ciel quand un cœur s’endort dans la boue. »
Ils ne séjournent pas dans un au-delà, un « ciel », ou une autre dimension. Ils ne sont pas des êtres transcendants, mais plutôt immanents à notre monde, à son espace, aux lignes de ses horizons, dont « les absents creusent le paysage, façonnent le relief », ainsi qu’il est écrit dans Torico, et « les pensées sont agrafées aux espaces », ainsi qu’il est dit dans Vitre.

Il n’y a pas, selon l’auteur, un « autre monde » où séjourneraient les « esprits » des morts : « personne n’habite un autre monde », séparé du monde des vivants, mais il n’y a qu’un seul monde, un monde multiple où « tous les mondes s’entrecroisent ». « Une seule et même sphère » : déclare le locuteur. Pas de "mondes parallèles" disjoints, mais un seul et même univers qui contient des « mondes » multiples, où peuvent se croiser les spectres et les vivants, les « démiurges » les êtres virtuels et les fantômes, qui ne seraient donc pas les purs produits de notre imagination.
Ainsi le monde pourrait être « vu » dans les multiples aspects qui le constituent.

Comment comprendre alors cette affirmation surprenante du texte :
« Moi seul déguise ma dévoration et ma tristesse pour mieux régner en aveugle ».
On est en plein dans le paradoxe. Il s’agit de rendre invisible le corps des morts, s’y rendre « aveugle », mais pour mieux voir à travers les vitres les mondes qu’ils hantent, où ils ne se réduisent pas à la chair en décomposition, ou encore à la viande d’une dévoration.
Paradoxe par lequel il faudrait être aveugle pour « régner », aveugle afin de devenir le maître d’une vision des spectres qui hantent les mondes s’entrecroisant, les mondes où se croisent les morts et les vivants. Se rendre aveugle pour mieux voir; rendre invisible pour mieux saisir le visible : tel est, semble-t-il, le paradoxe ici assumé.

La fin du texte semble constituer une boucle, qui fait retour aux idées de départ, celles sur la mise en invisibilité, mais avec une moindre assurance, un doute en supplément : « Mais je ne sais toujours pas… »
Comme un revirement, une volte-face : « Je me méfie autant de ceux qui cachent leurs grondements sous un drap de décence que de ceux qui se sentent autorisés à crier ». Le locuteur s’étant classé dès le deuxième paragraphe dans la première catégorie, en vient-il à se méfier de lui-même ?


Oniris Copyright © 2007-2023