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Laboniris
Lariviere : Fragment delta morceau 4
 Publié le 18/10/22  -  6 commentaires  -  5858 caractères  -  174 lectures    Autres textes du même auteur


Fragment delta morceau 4



Sur le parvis de nos têtes, il neige des lettres de feu. Des métastases de mots ou de chair jusqu'au noyau nerveux du verbe. Sous la sainte coupe des nuits froides, les jours bleus s'apprêtent à chasser les derniers troupeaux de nuages, nos regards sont des larmes gorgées d'absences et d'indécisions. Nous avançons mentalement dans nos propres labyrinthes de flux et d'influx, d'ombres et de lumières, jusqu'à croiser au détour d'un couloir le miroir de nos propres paniques, tiroirs étriqués restreints de nos propres dimensions. Les bougies s'affolent. Les girouettes tournent, ébouriffées. Tourbillons de chairs, opéra-macabre et meute de chiens. Les grandes lèvres du ciel restent muettes. Le jour venu lui aussi est resté sans parole. Nos murmures sont des clapotis hystériques, nos merveilles se confondent avec les gargouillis des époques et servent d'archets à des représentations situées derrière le velours noir, à l'abri des regards et des coups de sang trop violent. Théâtre en feu. Panique rouge. Chute, salve, pérégrinations…

Toutes les grandes dames de ce monde se coiffent avec des perruches de mensonges, des douilles de suffisance, des éclairs dans les yeux, éclat et reflet de la folie des grandeurs rayures et feu de paille noyés dans la folie ordinaire, dans leurs seins de glace couve le feu de leurs futurs cancers, serpentent sous leurs cils des humeurs bipolaires, îlots, barques irisées des perceptions, nid de vipères aux fortes lueurs multiples couleurs perdues dans l'Arctique et l'Antarctique. Nous emboîtons le pas de leurs danses macabres, avec un sourire niais ; c'est encore ce qui nous caractérise… Nous sommes des pantins épileptiques que l'ardeur transpirante et l'amour de soi rendent sourds et aveugles… Sensibles, ultrasensibles, mais électrisés à outrance, nous ne sentons plus dans les fils humains qui flottent dans les airs l'avenir nuage en suspension, mais seulement des rêves qui retombent lourdement, tentacules venimeux traînant dans le poison des jours, ses caresses et ses baisers mortels, nous enserrent pelote emmêlée, pelote troublée des indécisions percée de parcours personnels, glotte, polyglotte et nœud gordien qui nous prennent à la gorge. Aux fontaines des parvenus, la promesse mélancolique d'une peste aussi luxueuse que l'or. Si Dieu existait, nous nous apercevrions que les montagnes ne restent jamais en place et que les rages de dents peuvent expliquer des conquêtes faciles, des efforts domestiques. Nuages, ce sont vos visages dans le ciel enflammé par mes illusions. Mes angoisses traînent leurs perceptions pouls filant en équilibre précaire sur le fil du rasoir, ce sont des visions et des sons filiformes s'accrochant sinueux au souffle du vent qui décolle la plèvre sombre de la nuit en mille murmures.

Aurores boréales, sous les couleurs fauves. Ballets, balais, carnaval, narval, nervure, course de relais, passage à tabac ou de témoin, feuille et feuillet, littérature phare, filles de feu, inflammation pleurale, lèvres pâles et baleine blanche échouée sur la plage de nos candeurs éteintes. Océan bleu sous le continent perdu de tes souvenirs, des morceaux de toi, explose dans ma tête et mon cœur, comme une vitre brisée… L'enfer est parfois simplement l'envers du décor, ainsi que son double assassiné. L'avènement du multiple est un fossoyeur de cartes, un faux-monnayeur tuera nos doutes pourvoyeurs d'espérances se déploient alors sous les rayons les ailes épouvantes des oiseaux de nuit, elle s'est avancée sans être conviée, c'est la suceuse des sucs vitaux, l'entremetteuse des sept péchés capitaux qui s'épanche au cercle républicain, marines et marinas, sérénades fantoches, marinades de tous mes vœux de bonheur, fées vertes, succubes aux yeux d'ambres, ragoût et rosée du matin, perle de pluie, de soi, de tourbe, rayures, luxures de maux et fourbes engorgements du destin. Obscur dessein pantelant dans nos cœurs, derrière le miroir aux eaux troubles de nos consciences, des tourbillons d'intrigues et des vagissements de veaux marins, des chants de joie, des chants de cantatrice, comme des airs de fin du monde. Au bout de la piste, la Terre est ronde. La Terre est plate, mais elle tourne. Comme un siphon, c'est le terminus des questions sans fin. Une hécatombe au front, et sous les paupières, une certaine charge électrique, frondaison et raison, une Suissesse prise par l'éclair ne pourrait pas jouer au billard avec les atomes du temps qui passent sans tomber aussitôt, foudroyée, morcelée, bousculée sans ménagement de haut en bas par les rayons. Aux lèvres fragmentées comme les ailes d'un papillon restent sa prestance légère et le goût aigre-doux des souvenirs. Regarder puis être, à nouveau, comme avant, comme au bon vieux temps, les nouveaux équarrisseurs de l'ordinaire. Nos veines se gonflent du pourpre de nos passions, spirale de sang, boule de foudre, feux de Bengale prévus pour des feux d'artifices intérieurs, aux confins engloutis de la nuit, nos foyers archaïques s'allument, nos cerveaux reptiliens sont indestructibles ; nous avons des frissons. Des cerfs-volants de sanglots s'apprêtent à repartir et chercher aux quatre vents le repos biblique pour de nouveaux horizons, sanglés de vieilles colères et de révoltes humaines, cousus à l'étroit du ciel et de ses mirages, tristes nuages d'images convenues et de beauté fatale. L'humanité fascinée joue avec son mobile. Elle pense modernité et nouveau monde, mais ses aventures sont ancrées dans des racines antiques, dans des pulsions et des désirs charnels. Encre, sang, marbre ou poussière. Plus de baliverne. Le siècle est en marche vers le feu sacré, au-delà de l'humain. De l'autre côté, rien n'est prévu. Tout se précipite. Rien ne restera. L'homme est mis à nu, dégainé de son ombre, essoré de lumière… Contrairement aux apparences, il n'est pas préparé…


 
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   Eskisse   
18/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut Lari,

Un regard sans concession sur la nature humaine doublé d'une satire de certaines catégories sociales.
Des allusions de fin de monde... Le règne du factice... Une critique
acerbe du monde contemporain.
Et au coeur du poème, un "je" ( nouveau chez l'auteur) qui se met à nu.
Je suis toujours aussi bluffée par l'inventivité verbale, la forme, qui me ravit, même si je ne comprends pas la profondeur de certaines allusions ou références.

Un tout magistral qui dessine en nous des cernes noires.

   Anonyme   
21/10/2022
 a aimé ce texte 
Un peu
Modéré : Commentaire insinuant qu'une complaisance a motivé le premier commentaire, mettant donc en cause l'intégrité de son auteur.

   Donaldo75   
19/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Hello Larivière,

Il y a peu de Laboniris ces derniers temps et je salue les courageux qui tentent l’aventure. Dans le cas de ces fragments delta – et tu sais combien je te taquine à ce sujet – il y a du « too much » propre à l’écriture spontanée quand des tas d’idées se télescopent dans le même texte et que le lecteur se dit qu’une analyse cerveau gauche va lui enlever le plaisir de la musicalité des mots. Je sais que d’autres que moi vont s’engouffrer dans cette voie analytique et décrypter cet écrit à l’aune de leur compréhension du fond ce qui entre parenthèses ne change pas mon avis sur ma lecture et la manière de commenter de la poésie vu qu’on n’est pas en atelier de sociologie comparée ou de biologie moléculaire à disséquer des tendances ou expliquer des bouts de données. Du coup, je me permets de me lâcher dans la forme de mon commentaire et au diable les autres versions ou pratiques ou je ne sais quoi d’autre encore vu que je sais que tu aimes les Sex Pistols et leur fameuse chanson E.M.I dont le texte se termine par « goodbye ».

Parce que c’est ce que je sens ici, de la poésie « punk » dans un sens, pas forcément comme le punk des Sex Pistols ou The Clash mais plus de celui des Birthday Party ou Dead Kennedys. De la poésie punk symbolique où le verbe et l’adjectif sonnent comme de courts riffs de guitare sans tenter le solo, un presque mur de son que n’aurait pas renié The Jesus and Marychain, une écriture que les adeptes de la forme sage ou raisonnée peuvent ne pas forcément aimer mais c’est leur droit et d’ailleurs dans cette dernière phrase et les suivantes je vais m’affranchir des diktats de la ponctuation comme tu l’avais si bien fait dans un texte publié ici en « nouvelles « mais qui avait donné une impression de muraille sonore les sons étant remplacés par des mots enchainés les uns aux autres et pourtant libres. Point. Pas de virgule. Il y a du free-jazz également dans ton écriture poétique et tu ne colles pas à un thème récurrent mais comme Ornette Coleman dans son album éponyme tu permets à plusieurs dimensions de cohabiter autant dans le fond que dans la tonalité grâce à des instruments différents appelés le verbe, l’adjectif, l’image, l’allégorie, la métaphore, l’analogie, la référence et pleins d’autres que je ne vais pas énumérer car ce n’est pas là une liste encyclopédique mais juste un commentaire décomposé en hommage à un texte fort, tonal, bruyant, bordélique en apparence, foisonnant, qui me fait penser au tableau de Richard Dadd intitulé « the fairy feller’s master stroke » dont Freddie Mercury le fabuleux et talentueux chanteur de Queen avait tenté une peinture musicale dans la chanson du même nom enregistrée en 1974 et gravée sur l’album Queen II.

Bravo ! Je remets de la ponctuation car il me reste encore des articles et leur DLC tend à se raccourcir.

   Anonyme   
19/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Plop !

Tatin !!!!! Anna à la rescousse !

Alors que sauver dans ton maelström cérébral, tout ou rien ? Les deux deux sont indivisibles. Si je voulais faire ma marâtre, j'en ai pas l'âge mais le cœur y est, je dirais que tu reprends une formule qui fonctionne pour en faire une sorte de parthénogenèse larivièresque à l'infini, multipliant tes fragments comme d'autres les dettes ou les emmerdes. Mais si je mets mon costume de groupie, je suis ébahie itou par cette cataracte sensorielle qui me dévale la comprenette et m'oblige à me gratter les cheveux pour stimuler ce qui me reste de cervelle.

Attention, la prochaine fois, je risque d'être moins compatissante^^

Anna fragmentifère

   Anonyme   
21/10/2022
PREAMBULE : Mon commentaire a été modéré dans son ensemble à cause de la phrase d'intro mal perçue. Soit ! Je n'invoquais pourtant que de MA tendresse pour les textes qui paraissent sans commentaires et restent seul trop longtemps, car tel était le cas lorsque je l'ai écrit. Mon erreur, parce que je travaille et que lorsqu'on travaille on ne peut pas passer ses journées entières sur le site, a été de le déposer après le premier comm !
Vu le temps passé à son élaboration, vu le respect que je porte au temps, je dépose une nouvelle fois mon commentaire, tronqué par la force des choses des éléments polémiques qui ont heurté quelques sensibilités.

COMMENTAIRE :
On peut aussi être découragé devant le pavé. Ce qui a été mon cas à ma première tentative de lecture.

En abordant le paragraphe sur les femmes du monde : hou là me suis-je dit, encore le couplet d'un qui à une dent contre les madames qui sont quoi qu'on en dise des hommes comme les autres !
On voit que le narrateur en connaît tout un rayon de ces dames ! J'ai même cru un instant qu'il réagissait à ces mauvaises langues de Nathalie et de Clémence qui font tant de mal à la condition féminine avec leurs aigreurs déplorables. Mais ce n'est pas tout à fait le sujet abordé ! On peut penser que ce sont les vicissitudes de la vie en général avec ses contingences et ses désillusions qui ont inspiré cette verbosité intarissable. Je n'ai rien compris d'autre, ou alors si peu !

Ce ne sont pourtant pas les jolies formules qui manquent : « l'homme est mis à nu, dégainé de son ombre, essoré de lumière... » « nuages, se sont vos visages dans le ciel enflammé par mes illusions ».

Je reste curieuse de savoir quel est ce bon vieux temps que regrette le narrateur « Regarder puis être, à nouveau, comme avant, comme au bon vieux temps, les nouveaux équarrisseurs de l'ordinaire. » si ce n'est le temps passé, celui de la jeunesse disparue, ce qui n'apporterait donc rien de très original au texte.

   Louis   
27/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Il ressort, de ce quatrième fragment, que le piteux état de notre monde, déjà constaté dans les fragments précédents, se révèle aussi dans la maladie.
L’enfer de la « catabase » se traduit ici par une mauvaise santé.
Affecté pathologiquement, notre monde est malade et il rend malade.
Le vocabulaire de la maladie est très présent, dans deux registres : les troubles psychiques et les troubles physiques.
Des symptômes variés sont évoqués, et l’on rencontre au fil de la lecture des : « métastases de mots », des « clapotis hystériques » ; on prédit de « futurs cancers », la « promesse mélancolique d’une peste » ; on diagnostique des « humeurs bipolaires », une « inflammation pleurale », des « angoisses » et ce qui « décolle la plèvre sombre de la nuit » ; on nomme les « pantins épileptiques » ; reconnaît des infirmités : « sourds et aveugles »…

Ce qui est malade dans notre monde, c’est d’abord le langage.
Quels sont les troubles qui l’affectent ?
Un mal en lui se dissémine, semblable à un cancer : une «métastase de mots », qui atteint jusqu’au « noyau nerveux du verbe ».
Le noyau sensible, actif, producteur du langage est touché. Ce centre névralgique est envahi par des mots dans un état semblable à celui de cellules cancéreuses.

Sartre en 1948 utilisa déjà cette métaphore du cancer, il écrivait dans Qu’est-ce que la littérature ? :
« La littérature moderne, en beaucoup de cas, est un cancer des mots. […] Rien n’est plus néfaste que l’exercice littéraire appelé, je crois, prose poétique, qui consiste à user des mots pour les harmoniques obscures qui résonnent autour d’eux et qui sont faites de sens vagues en contradiction avec la signification claire »
La maladie des mots a-t-elle pour effets l’obscurité et l’équivocité des signes ?

Le Fragment 4 ne vise pas seulement le langage littéraire, mais semble désigner plus largement tout langage usité dans notre monde contemporain, surtout dans l’espace public.
Quelques effets symptomatiques apparaissent ainsi énoncés :

« Les grandes lèvres du ciel restent muettes. » ou encore : « Le jour venu lui aussi est resté sans parole ».

Un même diagnostic dans ces deux affirmations : le mutisme.
Pourtant, jamais autant qu’aujourd’hui les mots n’ont circulé dans les canaux médiatiques de notre monde.
Mais le mutisme ne se caractérise pas nécessairement par l’absence de mots, surtout par l’absence de paroles ( « le jour… est resté sans parole »), or la parole consiste dans un "dire’’ singulier. Reste donc muet ce qui profère des mots sans rien dire, ou ne pas dire grand-chose, personnellement. La circulation intensive des mots dans «l’enfer » contemporain les a comme anémiés, et ils en ont perdu leur vitalité, le pouvoir de dire, de dire l’essentiel sur un monde qui nous soit commun, sur le monde et son devenir, sur notre destinée et les manières d’exister pour chacun en mode "chantant’’, et en "joie’’.
C’est le monde qui ne nous parle plus : « le ciel », « le jour », devenus muets.
Or depuis longtemps le monde s’est tu, comme le montre Michel Foucault dans Les mots et les choses, et peut-être n’a-t-il jamais vraiment parlé, mais nous le faisions parler. Or, nous n’avons plus rien à faire dire au ciel, qui n’est plus divin ; rien à faire dire aux positions des astres dans le zodiaque, en dehors de quelques survivances superstitieuses ; aucun récit scientifique pour faire dire à l’univers un sens qui englobe l’humanité. Les grands mythes ne sont plus.
Le « noyau du verbe » est atteint, la productivité et le dynamisme de la parole, dans sa capacité de dire et d’agir, de faire parler le monde pour nous enseigner qu’il n’est pas fatalement un enfer, et comment nous pouvons en sortir.
Un cancer ronge donc le langage, creuse les mots, les vide, si bien que la parole devient bavarde et creuse. De plus en plus de mots, de moins en moins de choses dites et de singularités exprimées.
La parole devient vide et désincarnée ( « métastases de mots ou de chair »).
Parole moribonde qui ne sait plus dire un monde.
Quand bruissent encore des chuchotements de notre part, ces «murmures sont des clapotis hystériques ». Le langage s’est fait bruit, bruissement au fil de l’eau, au fil du temps qui s’écoule.

Le diagnostic semble rejoindre celui énoncé aussi par J. Ellul dans La parole humiliée, pour qui le « bavardage », « une logorrhée de phrases vides et d’insignifiances submerge notre époque. »
Mais alors, ne pourrait-on reprocher à la série des Fragments de participer eux aussi de cette logorrhée, de n’être qu’un bavardage sophistiqué, de n’être qu’une « prose poétique » aux mots « sans signification claire » et « aux sens vagues » ?
Participeraient-ils à ‘’l’humiliation’’ du langage ?

Par sa forme, pourrait-on dire, ils exprimeraient, ou se feraient l’écho, ou encore le miroir de l’état de santé dégradé du langage contemporain. Cette forme surtout, et elle seule, serait signifiante, en mesure d'exprimer ce qu’il en est du langage, alors que son contenu demeurerait obscur, incompréhensible, et quasi insignifiant.
La critique pourrait être plus sévère, et soutenir que les Fragments se font les complices de ceux que Sartre appelait « nos ennemis », les bousilleurs de notre langage et de notre monde.

Ils renonceraient du moins à porter remède au langage, à le «soigner », comme disait encore Sartre, qui ajoutait, toujours dans Qu’est-ce que la littérature ? :
« La fonction d’un écrivain est d’appeler un chat un chat. Si les mots sont malades, c’est à nous de les guérir. Au lieu de cela, beaucoup vivent de cette maladie. »
Ah ! Appeler un chat un chat ! Sans même une métaphore ! Quelle vision de la littérature !!

Se ramèneraient-t-ils alors à une musique désenchantée, par laquelle Orphée aux enfers a abandonné sa lyre, l’a troquée contre un saxophone pour jouer du "free-jazz’’, réduisant son art à du pur dionysiaque, coupant toute attache avec l’apollinien ? Quant aux mots chantés, ils ne seraient plus qu’une sorte de scat !

Nous changerions alors de registre, la poésie, comme genre littéraire, cesserait d’être elle-même, pour n’être plus que musique.
N’y aurait-il pas plutôt cette tentation vers le « Lettrisme », que semble annoncer la première image de ce Fragment, oxymorique : «Il neige des lettres de feu ».
Le langage semble si mal en point qu’il s’est décomposé en ses éléments ou cellules constituantes : les lettres. S’il faut faire œuvre d’art, n’est-ce pas avec elles qu’il faut composer ?
C’est ce que considérait Isidore Isou qui a fondé en 1945 le mouvement d’avant-garde Lettriste, cherchant à dépasser le dadaïsme et le surréalisme.
Il cherchait à faire œuvre avec les mots éclatés, et tirer le potentiel sonore et graphique des lettres. La poésie devient alors surtout sonore, vocale, faite de phonèmes, ou peinture à partir de la graphie des lettres.

Serge Gainsbourg a rendu hommage à Isou dans la chanson : «Exercice en forme de z » :
Zazie
À sa visite au zoo
Zazie suçant son zan
S’amusait d’un vers luisant
D’Isidore Isou
Quand zut ! Un vent blizzard
Fusant de son falzar.
Voici zigzaguant dans les airs
Zazie et son blazer

Et Apollinaire, dans « La Victoire » n’appelait-il pas déjà à ce genre de dépassement:
« Ô bouches, l’Homme est à la recherche
d’un nouveau langage
Auquel le grammairien d’aucune langue
n’aura rien à dire
Et ces vieilles langues sont tellement
près de mourir
Que c’est vraiment par habitude
et par manque d’audace
Qu’on les fait servir encore à la poésie.
[…]
On veut de nouveaux sons, de nouveaux sons, de nou
veaux sons
On veut des consonnes sans voyelles, des voyelles
sans consonnes qui pètent sourdement… »

Or la postérité du Lettrisme semble plutôt en dehors de la poésie, dans les vocalisations et la peinture.
Et la poésie résiste, elle a encore à dire.
La tentation lettriste n’est peut-être pas absente des Fragments, ainsi peut-on remarquer un recours aux lettres et sonorités des mots ne se ramenant pas aux traditionnelles assonances et allitérations : « Ballets, balais, carnaval, narval, nervure, course de relais… feuille et feuillet, littérature phare, filles de feu… ».

Pourtant, les Fragments se refusent à franchir le pas vers le Lettrisme. Toute sémantique n’y est pas annulée.
Je ne crois donc pas que les Fragments renoncent à « dire ». L’introduction dans le 1er Fragment, Catabase, serait absurde, s’il en était autrement.

Mais tout a été dit ! Tout a déjà été dit. Quoi dire encore qui ne l’a déjà été !!
La richesse infinie du réel et l’évolution rapide de notre monde disent, elles, que ce n’est pas vrai.
Et comme l’écrivait Julien Gracq : « Ce qui n’a pas été dit ainsi n’a jamais été dit. »

Mais, puisque l’on croit que tout a été dit, ne resterait-il qu’à parler de soi dans un nombrilisme exacerbé, dans une poésie de la pure subjectivité ? Et dans le sens, à nouveau, de l’individualisme et du repli sur soi que les Fragments veulent dénoncer !
Il est vrai que des références plus personnelles, centrées sur la personne de l’auteur apparaissent dans ce Fragment 4, mais elles y apparaissent pour la première fois, et brièvement.
Les Fragments donc ne cèdent pas non plus au repli sur soi d’un égocentrisme.
En résistance, ils ne renoncent pas au dire. Mais disent autrement, d’une façon originale, dans une parole poétique redynamisée, sans verser dans une logorrhée sans queue ni tête, vide et désincarnée.
Ils disent autrement que le dire commun. S’ils expriment souvent, ils parlent aussi. De nous, du monde, de notre destin.
Le monde extérieur et le monde intérieur du poète y sont intriqués, de même que le singulier et l’universel.
La logique rationnelle laisse une place à une autre logique, que l’on pourrait qualifier d’onirique, aux processus semblables à ceux que Freud repérait dans "le travail du rêve’’.
On peut le constater en particulier dans les oxymores et ses variantes, de plus en plus nombreux : « il neige des lettres de feu » ; « clapotis hystériques » ; « Sous la sainte coupe des nuits froides, les jours bleus… »
Ce bousculement de la logique n’est pas chargé de brouiller toute compréhension, mais de permettre une lumière plus élargie. D’autant que notre monde ne manque pas de paradoxes à déchiffrer.
On n’y pratique pas des démonstrations, mais des monstrations.
Le sens reste souvent ouvert, peu fixe et souvent fuyant, mais il n’est pas absent.

Se trouve donc, par un dire, dénoncé dans notre monde, l’insuffisance du dire, son inanité dans une pathologie du langage.
Le poète accueille le langage en souffrance, et ne renonce pas à tous soins, mais dans une thérapie très différente de celle qu’envisageait Sartre en 1948, Sartre qui d’ailleurs considérait les surréalistes, de façon assez ridicule, comme démolisseurs du langage, ainsi que du « sujet et de l’objet ».

Notre monde ainsi est malade, selon le Fragment 4, mais aussi il rend malade ; il est pathogène.
Ce fragment fait référence à deux groupes sociaux :
« Les grandes dames » et les « parvenus ». Ils ne désignent pas précisément deux ‘’classes sociales’’, mais des groupes privilégiés de notre monde, des puissants de notre monde, en tant qu’ils l’incarnent.

Les "grandes dames’’ se coiffent « avec des perruches de mensonges ». Les perruches remplacent les perruques. Ces dames ont des têtes d’oiseaux colorés (elles ne sont pas des têtes de linotte, mais de perruche)
C’est dire que leur parole est de répétition. Se conjuguent en elles mimétisme et psittacisme. Elles allient le paraître ostentatoire et la parole sclérosée.
« Perruches de mensonge » : leur paraître est mensonger. En elles se répètent l’illusion et la tromperie, dont les hommes sont victimes dans notre enfer"
Elles sont des « éclats et des reflets ». Reflets d’une ‘’folie’’, qui n’est pas encore une pathologie, mais la folie du déraisonnable, de l’excès, de l’hybris. Folie de notre monde de l’inauthentique et du spectaculaire, en particulier dans la consommation ostentatoire.
Mais « dans leurs seins de glace couve le feu de leur futur cancer »
Dans cette conjonction en elles, oxymorique encore, du feu et de la glace, couve la maladie, le cancer, et aussi s’annoncent des «humeurs bipolaires » : troubles du corps et troubles psychiques.
Le cancer est sans doute à comprendre comme trouble à la fois du corps et de "l’âme’’ comme disait Fritz Zorn, dans son autobiographie intitulée Mars. Ce livre poignant, bouleversant, soutient que l’éducation qu’il a reçue, que la vie, ou plutôt la non-vie dans la partie privilégiée de notre monde l’a rendu malade. Ainsi débute-t-il son livre autobiographique, après la rédaction duquel il décèdera d’un cancer à l’âge de 32 ans :

« Je suis jeune, riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. Je descends d’une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich, qu’on appelle aussi la rive dorée. J’ai eu une éducation bourgeoise et j’ai été sage toute ma vie. »

Inconsidérément, "niaisement’’, que faisons-nous ? : « Nous emboîtons le pas de leurs danses macabres, avec un sourire niais »
Nous les suivons, les prenons pour modèles, elles qui sont déjà des copies, des simulacres de simulacres ; nous nous laissons entraîner dans une ronde sans fin de reflets sans consistance, en une danse des ombres, danse « macabre », spirale infernale dans l’attraction de la folie, de la maladie et de la mort.
Ainsi : « Nous sommes des pantins épileptiques », rendus « sourds et muets » quant à l’essentiel.
Non pas devenus « insensibles », mais « électrisés à outrance » : «épilepsie » « hystérie » : extrême nervosité, gesticulations désordonnées. Nous sommes des agités, mais nous n’agissons pas. « Pantins », nous sommes mus et manipulés, mais nous n’agissons pas. Toujours ce mouvement désordonné qui nous caractérise, cette « frénésie » (comme disait le Fragment précédent), cette agitation qui nous rend aveugle à la finalité, au sens, à l’orientation qui pourraient être données à une action commune : « Nous ne sentons plus dans les fils humains qui flottent dans les airs l’avenir nuage en suspension »
Notre monde ne produit donc pas des êtes calmes et sereins, dans une santé de "l’âme’’ et du corps.

Outre « les grandes dames », sont évoqués aussi « les parvenus » :
« Aux fontaines des parvenus, la promesse mélancolique d’une peste aussi luxueuse que l’or. »
Eux aussi incarnent notre monde de l’abondance des produits de consommation, eux aussi sont des figures allégoriques, et eux aussi sont porteurs d’une maladie : la "peste".
Peste métaphorique comme la pire des maladies collectives, la plus contagieuse des maladies.
L’association des opposés "peste’’ et "luxe’’ porte l’idée que la pire des maladies peut devenir un « or », un « luxe », signe de distinction, de privilège et de grandeur.
La « peste » habituellement associée au plus bas de la société, signe de misère et de pauvreté, dans un retournement de valeur, devient signe de grandeur et de luxe.
Luxe à en crever.
Quand la norme de la société n’est plus la santé, mais la maladie, la plus grande des pathologies deviendra un « luxe », « mélancolique promesse ».

Ce Fragment est donc en grande partie le constat d’une société malade, la nôtre, dans laquelle toute éthique est absente, non seulement comme art de vivre dans la sérénité et la joie, mais aussi dans la santé de l’âme et du corps.
Tout le Fragment ne se réduit pas à ce constat, mais il serait trop long de commenter le reste.


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