Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Poésie contemporaine
Phicai : Jours de lessive
 Publié le 14/10/22  -  17 commentaires  -  2195 caractères  -  163 lectures    Autres textes du même auteur

Quelques souvenirs venus de mon enfance quand je participais, pendant les vacances, aux lessives sur les toits d’Alger.


Jours de lessive



Nous étions un lundi, c’était jour de lessive.
Quelques femmes voilées montaient, cohue festive,
Aux toits en terrasses des immeubles d’Alger
Pour y laver les draps, les rincer, les sécher.
Je les accompagnais. Je n’étais qu’un enfant.
L’homme y étant proscrit elles auraient le temps
D’oublier ce jour-là le voile qui protège
Leur mauresque beauté. J’avais ce privilège.

Je râpais le savon dans l’eau des lessiveuses
Qui chauffaient lentement sur les flammes rageuses
Des feux allumés tôt, excitées par le vent.
Le linge était chargé d’un coup de main savant
Autour du champignon qui crachait le liquide
En jets inattendus. Le geste était rapide.
Leurs voiles délaissés plongés dans l’eau bouillante
Auraient ce soir repris leur blancheur éclatante.

Sous le vent de la mer, une vapeur légère
S’exhalant à foison en bouffées éphémères
Soulevait le couvercle en prenant son essor
Au-dessus du cuvier rempli jusqu’au rebord.
Les parfums se mêlaient : celui du savon noir
Fleurant l’huile d’olive, émis du réservoir,
Les bouffées de fumée naissant du bois de pin,
Le parfum sensuel et profond du jasmin.

Après un temps bouilli, le linge était versé
Dans des paniers d’osier, les braises ramassées.
Tout en chantant tout bas de tristes mélodies
Les femmes le rinçaient, lasses mais réjouies
De la journée passée. Épinglé dans le vent
Voluptueux du soir, il flottait librement,
Symbole d’un labeur maintenant achevé
Sur les toits plats d’Alger aux femmes réservés.

Aujourd’hui j’ai dix ans. C’est un jour de lessive.
Le Kairouan* m’emporte, ultime alternative,
Loin de ces toits ventés, de ma terre natale,
Du linge fleurant bon les senteurs orientales,
Des draps claquant au vent, de mon enfance enfin
Que j’abandonne ici, en ce triste matin.
La Méditerranée, je vais la traverser
Et je me souviendrai des terrasses d’Alger.


* Le Kairouan était un paquebot assurant les liaisons entre l’Algérie et la France notamment lors de l’exode des pieds-noirs.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette poésie sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   poldutor   
29/9/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour
Vous ravivez des souvenirs de mon enfance dans un autre pays du Maghreb, dans une autre capitale, les terrasses nous servaient de jardins d'enfants et nous courions parmi les draps tendus, mouillés, qui faisaient paravents et le "laveuses" nous houspillaient gentiment...c'était le bon temps.
Nous, c'est "le Ville de Tunis" qui nous a ramené en 1960, adieu les terrasses d'où l'on voyait le fort Chikly au milieu du Lac!
J'ai aimé votre poème pour l'amour et la nostalgie qui en émanent et les images de ces femmes voilées qui étaient un mystère pour nous enfants.
Merci pour ce coup de nostalgie.
Cordialement.
poldutor en E.L

   Anonyme   
3/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
À mon sens votre poème démarrait mal, la première strophe m'a paru très raide narrativement parlant avec ce vers
Aux toits en terrasses des immeubles d’Alger
où la syllabe faible placée à l'hémistiche m'oblige à scander
Aux toits en terrassEU des immeubles d’Alger
(ce qui fait brièvement trébucher ma lecture), et cette inversion « mauresque beauté » que je trouve fort peu naturelle.

Et puis, le poème s'étant en quelque sorte raclé la gorge, pour moi à partir de la deuxième strophe il entonne son aria, et parvient à m'entraîner avec lui. J'ai visualisé la scène, ai apprécié l'odeur du savon noir, le champignon qui crache du liquide, les voiles plongés dans l'eau bouillante. Une mention aussi pour
Épinglé dans le vent
Voluptueux du soir,
le passage à la ligne à cet endroit, entre nom et adjectif, donne selon moi un mouvement, une expressivité supplémentaire.

Après lecture me vient un menu regret : je crois que votre poème m'aurait mieux parlé sans rime systématique, que ces souvenirs d'enfance y auraient gagné en souplesse, en intimité. Simple impression de lectrice.

   Myndie   
4/10/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'attendais avec impatience LE poème qui me saisirait à bras le corps, qui me ravirait autant qu'il m'émeut : je l'ai trouvé.

La résurgence du souvenir enfoui, le souvenir d'une enfance heureuse, le linge lessivé comme une madeleine de Proust. Voilà qui me parle et me poigne.
Je n'ai franchement rien à dire sur la forme car votre poème est de ceux qui se refusent à toute intellectualisation de ma part.

Le reste, parlons-en, quel bonheur ! L'émotion poétique est partout :
Dans ses images où domine le blanc : Alger la blanche vue depuis les toits, blancheur du savon et blancheur des draps lessivés ;
dans ses bruits suggérés : bouillonnement de l'eau, bruit du couvercle qui se soulève, flammes qui crépitent dans le vent, draps qu'on lessive avec des gestes rapides, et les belles mauresques qui chantent tout bas « de tristes mélodies » ;
dans ses parfums : l'odeur du « savon noir fleurant l'huile d'olive » et
« les bouffées de fumée naissant du bois de pin
Le parfum sensuel et profond du jasmin ».
Rien ne sied en effet mieux à vos vers que ces deux mots-là « voluptueux » et « sensuel »(s).

On comprend à demi-mots quelle histoire vous a rattrapé, ce départ forcé qui brise le cœur. C'est quand la réalité est trop difficile à accepter que l'on se raccroche aux branches : revivre les moments merveilleux de l'enfance, suivre cette trace feutrée qui apaise en même temps qu'elle attriste, plutôt que souffrir de la brûlure infligée par le présent.
Les souvenirs douloureux ne sont pas les seuls à nous plonger dans la mélancolie. Mais quand les souvenirs heureux sont source de tant de sensations mêlées, qu'ils nous remplissent à la fois de tristesse et de joie à l'évocation de la plénitude passée, et lorsque tout cela est si bien mis en mots et en émotions, on touche au sublime.

Merci infiniment.

   Raoul   
4/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
J'aime beaucoup le lyrisme de ce poème nostalgique et vivant. On y est,, précision des images, par les parfums aussi.. Le langage est simple et j'apprécie le rythme assez mécanique des alexandrins qui va bien aux gestes répétitifs des "lavandières".
La perspective qu'apporte le souvenir d'enfance perdu par l'exil est bien amené, tout en retenue.
Le jeu des rimes n'est pas envahissant, il contribue au naturel de l'enchaînement des images et souvenirs subtilement composé et construit.
Beaucoup aimé cette invitation au voyage. Merci pour cette lecture.

(En E.L.)

   Cyrill   
5/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Cette poésie me donne à voir un tableau vivant, sonore, plein de couleurs et d’odeurs. Il y a du mouvement, comme si ce souvenir n’avait rien perdu de sa vivacité.
Je trouve qu'il y a dans cette narration quelque chose qui fait indéniablement poésie. Dire quoi, c’est difficile…
Ma lecture s’est faite de façon très fluide après quelques trébuchements au début ( Aux toits en terrassEU des ... ; mauresque beauté, une inversion peu naturelle ), presque à la façon d’une prose bien scandée. Les rimes ne se sentent pas, c’est un compliment. Le texte est émaillé d'images percutantes, c’est visuel, cinématographique. De très beaux passages, que je cite :
« Le linge était chargé d'un coup de main savant
Autour du champignon qui crachait le liquide
En jets inattendus. Le geste était rapide. »
« Tout en chantant tout bas de tristes mélodies
Les femmes le rinçaient, lasses mais réjouies
De la journée passée. »
J’ai vécu avec le narrateur ce jour de lessive. La dernière strophe clôt parfaitement cette fresque. Avec un présent narratif non dénué de nostalgie. Merci !

   JohanSchneider   
14/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai eu l'impression de me retrouver chez Camus, dans Le premier homme précisément. Ce n'est pas la même génération évidemment mais c'est bien la même soif de vivre faite de plénitude et d'inquiétude.
Je ne parlerai pas technique (nombre de pieds, nombre de vers) j'y connais rien et j'y comprends rien.
Je ne m'intéresse qu'aux images suscitées par le texte et ici elles sont très belles.

   papipoete   
14/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
bonjour Phicai
Alger, et sa façade blanche au temps des français et des indigènes, quand les femmes voilées n'avaient guère droit au chapitre, sinon celui de grimper sur les terrasses, et d'y montrer " leur mauresque beauté ", pour le lundi faire la lessive... bien avant l'arrivée des Laden ou autre Brandt. Les hommes n'y montaient pas, mais les enfants si, tel le héros qui nous relate cette scène de vie d'autrefois.
NB et chaque moment relaté ici, nous ramène à cette époque où la lessiveuse dans notre jardin bouillait sur son trépied, qu'un feu joyeux chauffait.
Le voile devant absolument être porté ailleurs, lavé en priorité il serait à nouveau immaculé avant le soir, soufflé par " un vent voluptueux ", tandis que tout bas les femmes chantaient.
C'était avant que le Kairouan ne prenne la mer, pour ces pieds-noirs amers... laissant dans leur esprit tant de souvenirs, celui des lessives du lundi pour cet enfant.
Un chapitre fort bien narré, et pour qui connut ces lessives-là ( en métropole ) comme moi, je revois maman sans voile, mais avec les mêmes gestes, ( le champignon crachant... )
La dernière strophe pique les yeux, et l'on prend la mer pour l'autre rivage, tout attendri...
La technique est résolument " contemporaine ", et mon bémol va aux enjambements que je ne prise guère.

   Lotier   
14/10/2022
Je citerai deux chansons qui suscitent le même émoi (en ce qui me concerne) : Oranges amères d'Enrico Macias et Jardin d'hiver d'Henri Salvador. Sinon, tout a été dit.
Les détails donnent une force au récit, une saveur particulière. J'aime beaucoup !

   Corto   
14/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Laver, rincer, sécher, la lessive est route.
Avec trois fois rien la poésie s'envole. Elle entraîne le lecteur dans une succession d'images ressenties, visuelles.
L'auteur a choisi de rimer sans qu'on n'y sente un effort particulier. Ce n'est pas cela qu'on appelle le talent ?
Ils ont des privilèges les enfants de dix ans: "oublier ce jour-là le voile qui protège / Leur mauresque beauté."

Bravo pour cette scène vivante et riche de souvenirs.

   Lariviere   
14/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Phicai,

J'ai beaucoup aimé votre poème

c'est une très belle évocation poétique que vous nous offrez là !

Le poème est très descriptif, mais la description est d'une grande qualité de narration poétique... le ressenti et l'émotion passent très bien pour moi.

Merci pour cette lecture et bonne continuation

   Miguel   
14/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une peinture réaliste et poétique à la fois de ces lessives de notre enfance. J'étais dans le sud de la France mais ça se passait aussi comme ça chez nous, il y a fait un lavoir municipal, aujourd'hui conservé mais vide. Ce regard d'enfant sur la vie quotidienne et cette poignante évocation du départ vont au coeur du lecteur. Je me permettrai deux petites réserves sur la forme : il y a, à mon goût, trop de rejets, ils nuisent au rythme, et l'absence d'alternance des rimes masculines et féminines nuit à la mélodie. Je sais que le poème est publié en contemporain, mais je parle d'esthétique et non de genre.

   fanny   
14/10/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément
Une très belle poésie dont ni la densité de la forme, ni la nostalgie de l'enfance, ni le regret de l'exil n'altèrent la lumière et la joie.

Tous sens en éveil, un souvenir puissant, tellement bien retransmis ; j'entends les femmes et les enfants rirent, comme je les ai entendus dans beaucoup de pays les jours de lessive, parfois dans un bonheur tellement éclatant que certains aspects du confort m'ont laissée vraiment perplexe.

Magnifique, merci pour l'émotion, les souvenirs et les rires.

   Provencao   
15/10/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Phicai,

" Les parfums se mêlaient : celui du savon noir
Fleurant l’huile d’olive, émis du réservoir,
Les bouffées de fumée naissant du bois de pin,
Le parfum sensuel et profond du jasmin. "

J'aime cette fragrance qui parvient jusqu'à moi, et réveille un à un tous mes sens, stimule ma conscience d'être, mon désir d'être et me livre doucement tous les souvenirs pour me permettre de poursuivre mon temps de vivre: pour "ces jours de lessive" Un grand Merci.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   jfmoods   
15/10/2022
Une virgule aurait été la bienvenue à l'hémistiche du vers 6 et à la fin du vers 27.

Les quatre premières strophes - dont le temps de base est l'imparfait -circonscrivent la plénitude sensorielle de l'exilé redevenu enfant d'Alger. La vue, le toucher et l'odorat sont particulièrement prégnants. Les verbes de mouvement confèrent une certaine densité à l'évocation.

La dernière strophe - au présent de narration, futur proche et futur simple - s'attarde quant à elle sur le moment du départ, sur cette épreuve douloureuse qui nourrit l'inépuisable richesse du souvenir.

Merci pour ce partage !

   inconnu1   
15/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Beaucoup de belles images dans ce poème descriptif. Beaucoup d'effort pour avoir un poème structuré, euprosodique. En fait la seule chose que je regrette un peu, c'est la césure du 3eme vers. Dans des alexandrins, on a besoin de faire une pose à la césure, et là "Aux toits en térass...eux". Ce n'est pas très joli

Bien à vous

   Kemo   
17/10/2022
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Les odeurs des vents, de la mer, du savon, des draps et des voiles… de l’enfance… Quel bonheur de lecture, jusqu’à la dernière strophe qui passe tant mon cœur à la vapeur que vos mots deviennent flous sous l’humidité de mon regard.

   Phicai   
19/10/2022


Oniris Copyright © 2007-2023