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Poésie contemporaine
Raoul : Nous continuâmes
 Publié le 15/04/25  -  9 commentaires  -  1401 caractères  -  196 lectures    Autres textes du même auteur

« La poésie veut faire un gros trou dans tout ce qui parle en nous. »
Charles Pennequin


Nous continuâmes



Sans bruit, la nuit tomba et tout en nous noyant
car nous continuâmes, lampe tempête en main
– ce pinceau d'aquarelle, gorgé d'encre de chine.
Et l'on n’y voyait goutte dans le ciel du désert
où le ciel est la terre, sillonnée de chemins
incertains et venteux, on écoutait les pierres
murmurer dans la nuit des mythes larmoyants
de viols et d'yeux crevés, de talons et de flèches,
de tombes et de frères que mange son parent.
La nuit était terrible, engourdie et poisseuse,
sinueuse et scoliose d'un grand champ de bataille.
Des frôlements volaient jusque dans nos cheveux,
et leurs pattes piétinaient, nombreuses et griffues,
dans nos sueurs sur nos suies d'explorateurs mi-fous
perdus terrorisés, déboussolés vaincus.
Et nous mâchions des feuilles, pour oublier le temps
qui nous bavait dessus pour mieux nous engluer ;
des crissements de pas traînaient sur le rivage
de l'océan, absent ou ignoré des cartes.
Des remugles de vase et de touffeur pourrie
imprégnaient les replis des grandes solitudes
aux soupirs inaudibles. Il n'en fallut pas plus
pour nous sentir pourrir, alors nous continuâmes
d'aller toujours plus loin, plus profond, plus ailleurs,
puis pour finir, nulle part…
Plus de feuilles à mâcher, salive s'assécha,
la berlue nous gagna.


 
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   Donaldo75   
4/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Autant le dire tout de go, j’ai dévoré ce poème dont la tonalité m’a frappé. Pourtant, le titre avec un vieux passé simple de chez papa aurait pu me calmer d’entrée de jeu mais en fait, non. Nada. Nib. Je me suis laissé emporter par les images, le champ lexical – qui d’ailleurs au passage donne de la consistance à ce passé simple – la musicalité de l’ensemble. A l’oral, ça pète tout autant, dans un mélange psychédélique et gothique – cette impression vient peut-être du fait de macher des feuilles – au presque gout de pourriture. Eh be, ça c’est du poème tonal, comme disait ma grand-mère institutrice de son état.

Bravo !

   papipoete   
15/4/2025
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
bonjour Raoul
Sans bruit, alors que la nuit tombait, nous tombâmes au fond d'une fosse, plus profonde que celle des Mariannes, et cela n'en finissait pas, et la vase emplissait nos poumons, notre esprit se débattait d'un viol à l'autre, d'une torture à un autre tourment, et nous tombions tombions, puis plus rien !
NB un cauchemar bien pourri qui nous fait réveiller hirsute et dépenaillé... ouf, c'était un rêve !
mais à bien regarder ce qui nous entoure, ce rêve est la réalité de ceux qui souffrent, sous l'oppresseur tyran slave ou en devenir
La bande de Gaza sous les bombes, l'Ukraine dans un sous-sol lugubre...
bien sûr, votre récit semble ne pas pouvoir nous toucher, ( qu'en songe monstrueux ) mais...
personnellement, votre thème me glace et ses dédales immondes au possible ( heureusement, il y a les feuilles à mâcher ! )
je ne me vois pas lire ce texte, avant de me coucher ! beurk !!!

   Cyrill   
15/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bjr Raoul,
La forme, sans espace, convient au fond et suggère une idée de jungle inextricable. Les allitérations sont des lianes : «  poisseuse, / sinueuse et scoliose », « dans nos sueurs sur nos suies »...
J’ai vu une esperluette en espace lecture, dommage qu’elle ait disparu. Elle contribuait à ces nœuds angoissants et morbides pour des explorateurs en bout de course qui s’évertuent à donner du sens à leur quête qui n’en finit pas.
Bravo pour ce nouvel opus, vraiment réussi.

   Provencao   
15/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Raoul

La force de l’imaginaire, que vous nous offrez,  n’impose-t-elle pas un immuable recommencement ? Nous sommes tous inquiétés entre ce besoin de nous relier et la nécessité d'ériger notre personnalité...même dans nos rêves.

Mon passage préféré :

" Des remugles de vase et de touffeur pourrie
imprégnaient les replis des grandes solitudes
aux soupirs inaudibles. Il n'en fallut pas plus
pour nous sentir pourrir, alors nous continuâmes
d'aller toujours plus loin, plus profond, plus ailleurs,
puis pour finir, nulle part…"

 Si nous continuons d'aller .... bien sûr on est loin de réenchanter le monde...c'est si fort, puissant en vos mots...et moi je me suis laissée porter par cette berlue qui me gagne.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Marceau   
15/4/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Hugo, Vigny, Baudelaire... Bon, j'ai que ça en culture. Alors j'étale. Mais vraiment j'ai pensé à cette trilogie en vous lisant. On doit pouvoir faire pire, comme références. Alexandrins qui cognent, romantisme sombre, visions cauchemardesques. Et qui puent. On se cogne la tête à des plafonds pourris, comme dit l'Autre, on mâche des feuilles dans ce désert où le temps n'en finit pas de nous faire crever de trouille, de soif, de solitude aussi. On peut les fumer, ces feuilles ? L'Autre eût été preneur, assurément.
Je comprends que l'on puisse ne pas aimer. Pour moi, ça le fait grave, je kiffe frangin de plume.
Je mélange à dessein le parler d'aujourd'hui et les références d'hier, peut-être surfez-vous en cette zone ?Du haut de mon grand âge, j'incline mon chapeau bas.
Merci Raoul, et continuâtionnez bien à nous surprendépouvanter, svp!

   David   
19/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Raoul,

Comme un récit de conquistador éperdu d'Eldorado, il y a comme des feuilles de coca, mâché à la mode inca, et ce pourri qui revient, si proche, ça sentirait la mangrove... et puis ces enjambements, cette découpe à la machette des vers, et ce titre qui surgit un peu avant la fin, comme une fleur fluo apparaitrait au milieu du torrent végétal d'une jungle amazonienne. C'est mieux qu'à la télé, mieux que dans les films !

Est-ce qu'ils sont liés autrement ? Nous marchâmes , Nous accostâmes ou simplement passés par ici.

   Dimou   
22/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Raoul,

Des accents mystiques mais palpables, presque vomis tant le délire semble avoir été écrit perché sous acide, un trip contemporain bien ficelé qui conduit à la pensée, à mesure que l'ambition poétique du texte prend corps et s'effiloche en brins d'aventure

Ce mâchouillit fut révélateur on dirait, et la quête instructive.

Explorateur des mots et des sens, le Poète propose un sacré texte, cradingue et parfumé.

À la prochaine

   Louis   
4/5/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Une multiplicité, « nous », s’inscrit dans un mouvement. Qu’elle constitue un petit groupe d’humains, tout un peuple, ou l’humanité dans son ensemble, on ne le sait pas encore en ce début de poésie, mais on la sait, par une nécessaire présupposition, irrésistiblement emportée dans un élan. On sait aussi que le mouvement a commencé, et peut-être a-t-il toujours déjà commencé. On sait encore que nulle singularité individuelle ne se démarque, et ne se détachera jusqu’en fin de poème, de cette pluralité qui se pose en locuteur : « nous ». Nul passage n‘adviendra du collectif à l’individuel ( passage implicitement effectué pourtant dans l’écriture ; on imagine mal, en effet, ce texte écrit collectivement) .

Le texte dit le remarquable de cet ensemble en déplacement : « nous continuâmes ».
Un obstacle pourtant s’est présenté : la nuit est tombée, silencieuse, « sans bruit ».
Nuit sans paroles. Nuit susceptible d’interrompre le mouvement, d’une marche, d’une avancée, d’une expédition. La nuit est un "problème’", plus exactement elle est "problema" en son étymologie qui dit l’obstacle sur le chemin, la difficulté de progresser.
Mais l’obstacle ne constituera pas un empêchement et, malgré la nuit et le silence, l’avancée se poursuivra : « nous continuâmes ».
Le mouvement n’est pas brisé dans sa continuité, il faudrait dire dans son "flux".
La nuit, en effet, chute comme un torrent d’obscurité, courant d’eau sombre : « et tout en nous noyant »
Noyés, fondus dans le courant de la nuit, et même si « l’on n’y voyait goutte » dans cette eau nocturne, ils ne renoncent pas à leur avancée.
Plus de lumière qui ouvre l’espace, et pourtant, dans la confusion et malgré elle, les hommes poursuivent leur chemin, le tracent et l’inventent dans l’obscurité.
Une « lampe tempête en main », comme un « pinceau d’aquarelle », la marche continue, acharnée, traçant une ligne fluente et fuyante dans une aquarelle à l’eau de nuit.

Ils poursuivent leur chemin dans un espace, grand désert, non de sable mais de pierres ; désert où ciel et terre se confondent, en ce que « le ciel est la terre », en ce que la terre, comme le ciel, est « sillonnée de chemins / incertains et venteux »
On saisit mieux la difficulté que génère l’obscurité, on saisit mieux le "problema" : outre le péril de trébucher, de tomber, de se blesser, se présente dans la marche de nuit le risque de se perdre et de s’égarer, par ces sentiers si « incertains », au tracé flou, mal fixé, mal défini, chemins vaporeux s’évanouissant comme des traînées célestes, sans balises et sans panneaux indicateurs.
En défaut de prudence, malgré le danger, une ‘décision’ fut prise : « nous continuâmes ».
Décision sans discussion, « nous » semble très unanime, sans divergences et sans oppositions, « nous » d’une unité sans faille.

Surgit instantanément dans la nuit un autre obstacle qui, encore fait « problème », et pourtant n’immobilise pas le groupe : la peur. Une peur imaginaire. Parce que la nuit tombée est aussi celle de la raison. Et la nuit n’est plus silencieuse, tout au contraire bruissante, murmurante : « on écoutait les pierres murmurer dans la nuit », et c’est tout un gémissement de « mythes » anciens, de mythes « larmoyants » et effrayants.
Les pierres témoignent d’un monde ancien écroulé, en vestiges marmonnant un passé où l’imaginaire dominait ; un passé qui pourrait revivre à la faveur de la nuit dans des scènes cruelles, comme les « viols », à l’exemple de Zeus outrageant Europe et Ganymède ; ou Dionysos, en violeur de Nicée.

La peur encore s’accroit de sensations réelles ou imaginaires :
« Des frôlements volaient jusque dans nos cheveux ». Effets attribués à des êtres monstrueux, des êtres indéterminés, non nommés, ils renforcent la peur.
Et la peur se fait épouvante.
La nuit est un combat. Contre le renoncement, contre la frayeur, dans l’insomnie du sommeil
La nuit : « scoliose d’un grand champ de bataille ».

Mais « nous » reçoit, lui, une détermination : « explorateurs mi-fous / perdus terrorisés, déboussolés vaincus. »
Nous : des explorateurs de déserts.
Ces explorateurs ne font pas de pause ; pris dans un sentiment d’imminence, ils ne font pas l’immobilité, ils "font le mouvement" comme disait le philosophe François Châtelet.
Ils ont pris la "décision" de continuer, malgré le danger, malgré la peur, malgré tout "problema".
Et "décider", pour Châtelet, c’est faire le mouvement, c’est "y aller". C’est passer à l’acte.
« Perdus » et « terrorisés », « déboussolés » et « vaincus », pourtant
leur mouvement ne cesse pas, l’immobilité n’est pas une option, une persévérance entêtée les pousse encore en avant.

Ils marchent dans le désert.
Que cherchent-ils ? Que peut-on trouver dans le désert ? Quelle est donc leur quête ?
À aucun moment, l’objet de cette quête n’est nommé. Ce qui est poursuivi par « nous », son Graal, n’est jamais évoqué.
Pas de nom pour ce qui est recherché. Objet innommé, objet innommable.
Ce qui généralement explique le mouvement, sa cause ; ce qui aussi lui donne un sens, c’est-à-dire sa finalité ou la fin visée, tout cela n’apparaît pas.
Le mouvement du « nous » semble donc insensé. Et absurde.

Ils ignorent ce qu’ils recherchent ? N’est-ce pas plutôt qu’aucune fin n’est cause, qu’aucune fin ne les attire et ne les aimante.
Ils s’obstinent, avancent, affrontent la peur, la nuit, et tant de problèmes, mais sans but.
Sans but tellement valorisé qu’il pourrait donner courage, "motivation", énergie.
Poussés, ils sont poussés dans leur mouvement. Une passion semble les animer.
Rien ne les attend au milieu du désert. Pas de terre promise. Pas d’Ithaque.
Leur mouvement n’est pas forcé, issu d’une transcendance qui lui assigne une fin, et d’une pensée abstraite qui en trace la trajectoire des médiations.

Mais alors ?
Alors « nous » manifeste un devenir actif, une actualisation de la puissance, une puissance d’exister.
Le mouvement, c’est la vie ; l’interrompre serait la pire faiblesse, et c’est la mort qui l’emporterait. Mais, il y va de la vie et de son prolongement, il y va d’une victoire sur la mort.
État toujours mobile de ce « nous », qui ne va pas vers un point donné ; état instable qui se poursuit pour des raisons obscures, peut-être par inertie, à la limite ça cherche à se maintenir et à disparaître.
Le mouvement ne s’effectue que pour lui-même, qui trace dans le désert des lignes d’existences.
C’est la vie même qui s’affirme, dans sa puissance, sans finalité autre qu’elle-même, sans autre but que son combat contre la mort, comme effectuation de sa puissance d’être et d’exister, sa puissance de persévérer dans l’être. L’essentiel, c’est le mouvement, acte même de la puissance.
Le mouvement sans commencement ni fin. Tout par le milieu : « désert ».

« Nous continuâmes / d’aller toujours plus loin, plus profond, plus ailleurs/puis pour finir, nulle part… »
« Nous » se trouve sur une ligne du "dehors’". Nomade, il est une "hors-de" sur une ligne du "de-hors".
Ce dehors de « l’ailleurs » et du « nulle part ».
« Nous » déplie les lignes, mais contracte la durée :
« nous mâchions des feuilles, pour oublier le temps »
Si l’on s’efforce à « l’oubli » du temps et de toute durée, l’ immersion est de fait, totale, dans l’espace, la surface, les lignes.
Des feuilles de coca, peut-être, à mâcher. Métaphoriquement, des feuilles de papier, aussi, peut-être. Mâcher les mots. Mâcher les phrases. Que peuvent les mots ? Sinon, proustiens, partir "à la recherche du temps perdu".
Le désert de pierres longe un autre désert, d’eau et de vent, le désert-océan.
« Nous » connecte et fait converger des voisinages, désert, océan.
Pas d’autre vie que celle qui connecte et fait converger des voisinages.

Un élan donc vers nulle part, mais « nulle part », n’est pas une part nulle, suppose non pas un point fixe et sédentaire, mais une ligne en mouvement.

Nous « continuâmes » : la décision est au passé simple. C’est un évènement. Tout est évènement. Mais son écriture y introduit l’âme : « nous continu-âmes ». L’âme est cette essence même de ce qui persévère, comme effectuation de la puissance d’exister. L'âme : puissance du cintinu.
Nous qui sommes "Nous".

Merci Raoul pour ce poème qui donne à ressentir, à imaginer et surtout à penser.

   Eskisse   
4/5/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Raoul,

C'est la densité du texte et du lieu qui m'a frappée dans ce poème. Tout est enchevêtré : les éléments, les vers. C'est comme si un danger sous-jascent ( guerre, environnement) sourdait à chaque mot.
Les mythes sont convoqués, on pense à Sisyphe qui continue lui aussi.
Jolie personnification : " on écoutait les pierres murmurer dans la nuit"
Pas de destination précise affirmée. On ne sait d'où ce collectif anonyme vient, ni où il est tjrs précisément. L'indétermination permet de rendre la scène universelle.


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