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Poésie libre
Raoul : Vénus
 Publié le 14/03/16  -  24 commentaires  -  4869 caractères  -  341 lectures    Autres textes du même auteur

Histoire naturelle.


Vénus



La Lune étant rondeur
et mes collines fesses
on m’en enviait ces courbes,
je n’avais pas quinze ans.
Nous étions les enfants,
massés d’onguents secrets,
nous étions les enfants
vivant gibier, trophées de chasse.

Ma tribu est morte.
Et je n’ai plus ni feu, ni mari, ni petits.
Vivant gibier, trophées de chasses.

Après des jours de marches et des jours de marches,
je suis allée en ville,
esclave, gibier, trophée de chasse,
pour être la servante,
pour être la sauvée,
je n’avais pas quinze ans.

Mon maître aimant les pipes,
le tabac hollandais,
me vendit à son frère
et m’a dit, et m’a dit
ce que j’aimais à croire :
qu’à Londres je serais
La femme et La déesse.
Je n’avais pas quinze ans…

Il savait bien parler
et j’ai aimé le croire.

Dans la grand-rue du cirque aux brumes,
dans la rue des « qui n’auraient pas dû naître »,
dans la rue sombre des presque
nus, pour quelques pennies,
sous capes ça venait en crépusculaire
me regarder de loin, trophée de chasse,
avec la femme à barbe et les géants siamois,
en objet défendu,
en charmeuse de serpents.
On m’appelait, et je devais grogner.
On m’appelait Vénus,
on m’appelait Vénus hottentote
et je devais chanter, danser, grogner en cage,
chanter, et sous le fouet s’il fallait,
vivant trophée de chasse.

Cela dura six ans,
six ans d’éternité.

Il me perdit aux jeux,
dans la rue du grand cirque,
il me perdit aux jeux, alors, il me céda
au fameux montreur d’ours
qui partait pour Paris,
la cité des Lumières,
où je devais toujours, grogner toujours,
chanter en cage, danser encore,
grogner toujours, danser aussi,
cette fois dans les salons,
dans les salons où les mains se baladent,
dans ces salons où l’on me loue
« pour étude » disait un grand zoologiste*,
offusqué qu’il était
que je ne sois pas nue.
Vivant trophée, gibier de chasse.

On me dit chaînon manquant,
d’entre l’homme et l’orang-outang,
d’une tribu crétine
et née pour être esclave ;
Vivant trophée, gibier de chasse.

Et je devais grogner et je devais chanter,
danser aussi, danser, danser à ne pas penser
aux collines fessues de Khoïkhoï et aux plaines
où vents et soleils sont dans les légendes,
où mon mari est au ciel des rares nuages,
danser pour ne pas oublier de continuer
à danser, à ne pas penser
aux courses éperdues qui évitent les flèches,
et qui feintent les balles, si loin, en honte bue,
si loin en désespoir et en cage de froid
où je grogne, où je chante encore,
vivant trophée, gibier de chasse,

et le vingt-neuf décembre 1815 je suis morte,
à vingt-sept ans.

De mon corps à cinq cents francs,
un grand naturaliste** fit un savant moulage,
me disséqua dans le respect de l’art,
nettoya mon squelette, pour le Muséum d’Histoire
naturelle,
aux têtes coupées,
aux têtes réduites d’hommes,
aux cornes, aux bois,
aux massacres et aux trophées de chasse.

Il préleva mon sexe,
préleva mon cerveau,
et pieusement les conserva
dans le formol des bocaux de son
cabinet de curiosités, trophées de chasse.

Il y eut des jours nombreux
et des lunes tout autant,
car c’est bien des années plus tard
que mon sort s’améliora,
entrant au Musée de l’Homme.
(Peut-être, d’ailleurs, m’y avez-vous croisée,
j’y suis restée longtemps,
une éternité, curiosité, trophée de longue époque,
une éternité,
une éternité de quatre-vingt-cinq ans.)***

Après maintes demandes
poliment refusées,
mon cercueil put enfin voguer
sur la mer des vingt mille mains.

Ces vingt mille mains me furent
comme autant de caresses
et d’onguents
secrets et tendres.

Alors au pied de mes collines,
au pays de Khoïkhoï,
comme on le fait depuis toujours,
je me suis assoupie sur le lit d’herbes sèches,
et lentement je suis montée
en fumée, en volutes, en liberté
me frotter au couchant,
au ciel des rares nuages,
masser tous ces avions
qui découpent le ciel,
venant en safari.

Ce siècle avait deux ans.







-----
* Geoffroy Saint-Hilaire.
** Georges Cuvier.
*** 1974.
Georges Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire sont restés des références dans l’histoire des sciences. Ils ont donné leur nom à deux des rues parisiennes proches du Muséum d’Histoire naturelle où Saartjie Baartman fut examinée, puis disséquée.


 
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   papipoete   
22/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
" poésie libre " . Vénus Hottentote ne pouvait être qu'une chose, une " erreur " de la nature, une abominable créature, par rapport à " l'homme civilisé " !
Elle avait autant de valeur qu'un paillasson, sur lequel ces Messieurs-Dames pourraient s'essuyer les pieds !
Elle ne pouvait pas avoir de sentiment, cette animale qui ne savait que grogner, rugir à faire peur à la société !
Quand elle mourut, à 27 ans ( c'est très vieux pour une créature bestiale ), elle finit en morceaux dans divers bocaux à curiosité jusqu'à...ce que l'Humanité voit en Elle, 85 ans après sa dissection, une Femme ! Avec un coeur et une âme...
On lui rendit enfin son honneur bafoué, en la ramenant dans un cercueil et non pas une cage, dans son cher pays de Khoïkhoï .
Je ne relève pas de passage particulier dans ce récit, où chaque mot resplendit, et fait vaciller mon émotion !

   LeopoldPartisan   
26/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Tout simplement formidable tant cette poésie flirte avec la nouvelle. Je suis vraiment un inconditionel des poètes qui me content des histoires vraiment bien documentées et remise en perpective au travers d'un regard qui pourtant s'est éteint il y a déjà tellement longtemps.


Bravo j'en redemande.

   GilbertGossyen   
28/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Ce texte m'a enchanté, vraiment. Empreint de poésie, de tristesse, de révolte, et bien sûr, relatant une histoire vraie. Il faut écrire ce genre de texte pour rappeler que nous, occidentaux donneurs de leçons, avons un passé bien noir. Même si je n'y étais pas, j'en ai profondément honte.

Merci

Attention: il y a quelques typos-fautes d'orthographe.

   Mourmansk   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Vous avez su raconter cette histoire de façon très belle. Merci pour ce troublant hommage.
J'ai beaucoup apprécié les répétitions de certains vers.

   Robot   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Merci Raoul pour ce poème édifiant sur les conditions dans lesquelles étaient traités les Bochimans esclaves déportés en Europe. Comment le naturaliste Cuvier à étudier et disséquer cette femme pour justifier la théorie de la supériorité de la race blanche.
Vous nous livrez aussi un superbe texte littéraire dans une écriture sans affectation mais généreuse et sensible.
Votre texte rejoint les nouvelles de DAENINX "cannibale" et "le retour d'Atai" sur l'exposition universelle de Paris où furent exposés de long mois au public "des exemplaires" du peuple Kanak.
Hélas même de nos jours demeurent encore des adeptes de la théorie de la supériorité de la "race blanche" et de la culture occidentale.
Encore merci pour ce texte empreint d'humanisme.

   hersen   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bien sûr, on a le film de Kechiche en tête tout au long de la lecture. dans un sens c'est dommage, j'aurais aimé avoir eu en premier les images de votre poème, pour qu'elles soient mes propres images.

c'est une narration troublante. je sens derrière les mots, admirablement choisis, mais simples, qui parlent à tous, une humanité empreinte de poésie, et de regret, aussi. Le constat de ce dont nous sommes capables.

"ces vingt mille mains me furent
comme autant de caresses
Et d'onguents
Secrets et tendres"

Ben, ça m'a fait pleurer...

   Francis   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un texte qui fait naître une grande émotion. Troublé, ému jusqu'aux larmes, chaque mot réveillait en moi l'humaniste qui regrette parfois d'appartenir à l'espèce humaine. Les mots sont simples mais acérés comme des couperets. L'ensemble est bien construit et nous emmène au pied des collines où la lune est rondeur. Une plume pour ne pas oublier le racisme "scientifique", une plume pour habiller de poésie celle qui fut exhibée comme une bête.

   troupi   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Raoul.

C'en est presque ironique d'utiliser des vers libres pour dénoncer l'abominable séquestration de la Vénus Hottentote.

"vivant gibier, trophées de chasse." ce vers qui réapparait souvent insiste sur le comportement de certains hommes ne reculant devant rien pour leur profit. Encore plus grave certains scientifiques ne reculaient pas plus pour leur "art".

Le texte est bien écrit et distille strophe après strophe une émotion certaine mais à mon avis c'est un peu trop long. Il pourrait être encore plus percutant en étant diminué ce qui paradoxalement ne lui ôterait rien.

Il est intéressant que certains auteurs s'emparent de tels sujets afin que des pans de notre histoire ne sombrent pas dans l'oubli, pourtant notre "siècle des lumières" s'en serait bien passé.

   Anonyme   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bien sûr je me suis documenté sur l'histoire de Sarrtjie Baartman afin d'apprécier à sa juste valeur cette superbe poésie.
La vie (!) de cette " Vénus hottentote " y est relatée tout en finesse et sans concessions. "vivant gibier, trophées de chasse."
" je devais chanter, danser, grogner en cage, "

Encore une histoire lamentable qui démontre que l'être humain sait se montre pourriture quand il s'agit de profit. Sans oublier certains savants (?) qui n'hésitent pas à fouler aux pieds l'éthique, bien embusqués derrière le paravent de la science. A vomir !!

   Anonyme   
14/3/2016
Bonjour Raoul... Un texte qui a le mérite de rappeler ce que fut le terrible destin de Sawtche, dite aussi par dérision la "Vénus hottentote".
On ne peut pas refaire l'Histoire mais on ne doit pas oublier le passé. On ne doit surtout pas fermer les yeux sur ce qu'on appelle aujourd'hui l'esclavage moderne qui se pratique partout à travers le monde... y compris au pays des Droits de l'Homme...
En utilisant la prosopopée vous avez su redonner vie à cette femme et si j'avais un reproche à faire à ce poème ça serait sa longueur, certes nécessaire pour entrer dans les détails mais diluant par la même occasion l'émotion au fil des strophes...
Une page d'Histoire qui ne grandit pas l'Humanité mais qu'il est bon de se remémorer.
Merci !

   diptyque   
14/3/2016
Une « bête » curieuse, objet sexuel, et cobaye humain…Une femme née en 1789, l’année de la Déclaration des Droits de l’Homme.
Un texte qui émeut autant qu’il dérange.
En lui donnant la parole, vous lui tendez son âme et vous nous offrez au passage une leçon d’humanité.

Merci pour cette lecture très émouvante

   Anonyme   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour RAOUL
Je connais l'histoire.
J'ai aimé le ton, la forme.
Bien écrit.
J'aime.

   Anonyme   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Un beau texte dont la clarté tranche avec vos autres productions.

Votre texte est un brin long mais on ne s'ennuie pas : vous avez pris le temps de rassembler les étapes essentielles de cette triste existence.

Je ne suis pas spécialiste des cultures africaines mais il me semble que vous avez emprunté les techniques oratoires des griots, avec ces répétitions de mots ou de groupes nominaux émaillant le poème : idée excellente qui pose un cadre et une ambiance.

J'aime bien ce clin d’œil hugolien final.

Deux très légers détails :

J'ai tiqué sur ce "on m'en enviait ces courbes" (la préposition étant superflue pour moi) et j'aurais laissé le singulier au mot "marches"

A.

   StayinOliv   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Poème écrit sous la forme d'une histoire qui nous captive et n'est pas, pour être vulgaire, "chiant". Vous réussissez à conjuguer la forme et l'histoire sans tomber ni trop dans l'un, ni trop dans l'autre, au détriment de l'autre. Exercice difficile, bravo ! J'aurais pas contre vu d'avantage de vers au longueur un peu plus égales.

   Anonyme   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
La colonisation du corps et de l'esprit est bien la pire des choses,
et puis cela me renvoie à ' seven years a slave',
et puis le texte est bouleversant,
et puis ce nom de 'Venus' livré par référence et méchanceté à la postérité
et puis d'autres choses plus personnelles
et puis... c'est tout!

   Teneris   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte puissant, dont l'écriture sensible et documentée nous permet d'entrevoir l'horreur qu'a vécue cette femme à travers ses yeux - et cela est un véritable tour de force !

   Pouet   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bjr Raoul,

Je l'avoue sans honte je ne connaissais pas cette histoire alors je vais pas faire genre "ah oui mais c'est bien sûr!" alors que, ben, non.

Alors je suppose que l'histoire de cette infortunée jeune fille n'est pas unique en son genre, à l'époque ça intriguait les "sauvages", hein...

J'ai vu que Khoïkhoï signifie "hommes des hommes", Saartjie est, elle, "femme parmi les femmes".

J'ai aimé ce poème parce qu'il m'a appris quelque chose. Je l'ai aussi aimé pour son ton qui ne tombe pas dans la sensiblerie, qui fait presque "documentaire".
Je l'ai aimé enfin parce que malgré ce côté "doc" il n'en oublie pas la poésie.

Bref, bravo et merci.

   Anonyme   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'avais déjà vaguement entendu parler de la Vénus Hottentote et j'avoue que votre superbe poème "documentaire" m'a donné envie d'approfondir l'histoire terrible de cette femme.
J'apprécie par ailleurs la manière d'écrire ici sans concession et qui ne tombe pas dans la mièvrerie larmoyante.

   Sofi   
14/3/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai entendu parler de cette histoire il y a peu de temps. Décoivrir ce soir votre poème est un enchantement. Une sombre histoire, le fait que vous fassiez perler cette Vénus pour la rendre éternelle malgré les horreurs qu'elle a vécu donne beaucoup d'émotions. Merci !

   Anonyme   
16/3/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour

bravo pour l'initiative de ce texte et sa réalisation. Où vous avez su associer une certain rudesse avec un regard compassionnel sur la tragédie de l'existence de cette personne.
C'est à mon sens ce qui donne sa force au texte (en plus du sujet qui est déjà très prenant).
J'ai failli ne pas le commenter car ça m'a fait mal au bide cette histoire.
La pire c'est que ce genre de situation se reproduit tous les jours, ici ou ailleurs.

À vous relire.

   Meaban   
19/3/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Une exceptionnelle œuvre d'humaniste, je rejoins ici les commentaires, moi qui me disais qu avec la pertinence et l exigence des commentateurs avoir cinq plumes dans cette catégorie ca relevait tout simplement de l impossible
Voilà une bonne chose de faite ;)

Mes respects Raoul !

   harrycover   
23/3/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
émouvant, documenté, pas un mot en trop, des répétitions bienvenues et ce monologue à la première personne écrit de la façon dont Vénus elle-même aurait pu l'exprimer et le chanter (cela me met en tête des chants africains). J'aime beaucoup.

   Kodiak   
2/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Par curiosité je suis venu lire ce poème aux cinq plumes et je dois dire que je suis bluffé par la puissance de votre style et votre force narratrice. Un véritable talent. Je commence à penser que j'ai enfin trouvé le bon forum.

La répétition, avec des variations, du vers "Vivant gibier, trophée de chasse" joue un rôle déterminant dans ce poème. Après chaque passage narratif, vous amenez ainsi le lecteur à prendre du recul sur ce qu'il vient de lire.

Félicitations !

   Anonyme   
26/4/2020
Ce poème est terriblement beau.

Il n'a pas besoin de mots

Il est un fenêtre du calendrier de Noël de la Colonisation
depuis la Conférence de Berlin aux 10 millions de pieds et de mains
coupées au Congo dit"belge" au nom de la civilisation:
"the greatest massacre ever done in human history" Arthur Conan Doyle in The Crime Of the Congo

Merci Raoul.


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