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Poésie libre
SaintEmoi : De l’apoptose ou du suicide cellulaire
 Publié le 12/02/19  -  11 commentaires  -  5587 caractères  -  97 lectures    Autres textes du même auteur

C'est un récit de progression, un peu long je le concède, qui veut révéler les détails d'une quête à parfaire, que j'espère entraînant (au sens d'une lecture fluide) car c'est une histoire du vivant qui ressemble à une chute commune ou du moins partageable.


De l’apoptose ou du suicide cellulaire



Comme vous,
Je suis un amas de cellules,
Tenues par une filiation étrange et torsadée.
Sans me demander mon avis,
Elles se reproduisent en moi, entre elles, souveraines,
Chacune selon sa vitesse, chacune selon son rôle.
Parfois, je les entends.
Oui, je les entends je vous dis !
Elles ont ces murmures qui font taire les complots,
Des silences qui sont des langages.
Quand celles du foie se disputent,
Celles de mes tympans font les sourdes,
Me laissant dans l’ignorance de leurs querelles.

Aussi, quand elles sont nombreuses à mourir,
Dissoutes dans les fluides noirs de l’oubli,
Une profonde tristesse me fige.
Un deuil s’empare de mes entrailles,
Piétinées par une procession quasi muqueuse.
Une nausée tenace pose alors son siège.

J’ai longtemps cherché les causes de ces maux,
Ces nœuds douloureux dans le ventre,
Cet estomac tendu et dur qui pèse si lourd,
Comme un étau serrant une enclume.

J’ai interrogé mon passé,
En le confiant à des autres,
Des proches ou des moins proches,
Écoutes onéreuses ou sans prix.
Que de larmes saillantes et infertiles,
Laissant mon émoi assommé et mon esprit insomniaque.

J’ai parlé à mon présent,
Lui confiant tous mes griefs…
… Ça a duré des jours et des jours…
Il ne m’a jamais répondu, procrastiniquement…

J’ai même écrit à mon futur, d’ici,
Livrant sans pudeur mes angoisses,
Celles qui souvent le matin habillent l’aube d’une brume funeste.

Toutes ces années,
Malgré les routes intérieures arpentées,
Malgré les abysses, les torrents et les cimes,
Ces matins de peu revenaient sans cesse,
Plongeant le désir dans des eaux froides.

Mon âme restait impuissante.

C’est par hasard que tout est arrivé,
Comme une illumination de l’être.

Il n’y avait aucun bruit autour.
En moi aussi le silence régnait,
Enclave d’une saine lecture.

J’ai senti alors des milliards de cellules mourir en même temps,
Comme une clameur qui venait de partout.
Les cellules nerveuses du bout de mes doigts,
Des cadavres de globules rouges noyés dans le flux,
Celles des parois intestinales,
Celles de ma prostate, de mon cœur, battantes jusqu’à la fin.
Les plus bruyantes étaient les cellules neuronales,
Leur agonie était une onde cosmique en mon cerveau.

Depuis toujours j’étais resté ignorant et insensible
À ce drame qui se jouait en moi tous les jours.
Mon corps est un cimetière vivant et vibrant.
Nos corps sont des cimetières vivants et vibrants.
Les reins sont les témoins discrets de cette extinction quotidienne,
Dans le purin jauni de l’urine.

Aujourd’hui, mon unique rein ne sait pas garder ce secret,
Il avoue tout, complaisamment,
Comme par vengeance.
Tous ces cadavres cellulaires qui ruissellent,
Transportant, je l’entends, un écho macabre.

Au début, ce savoir m’a affaibli,
J’avais des images aqueuses et sales,
Je voyais mon corps du dedans, grossier.
Une forme très digestive de dégoût,
Comme si mon doigt fouillait l’intérieur de ma panse.

Avec le temps, j’ai compris le lien,
La lumière a pris la place du noir.

Je sais maintenant ce qu’il se passe,
Je sais d’où viennent mes malaises de l’âme,
Et les malaises de tous les autres humains.
C’est un fond diffus de tous les instants,
Irradiant notre corps sans répit.
Des milliards de vies cellulaires qui s’éteignent !
Une hécatombe permanente, massive.
Comment ne pas en être ébranlé ?
Comment ne pas subir ce fond diffus ?

Alors, pour ne plus demeurer un triste moribond,
Pour ne plus être envahi par ces morts sauvages,
J’ai convoqué tout mon être à un débat fécond…

Depuis, tous les soirs,
Quand la voûte céleste nous livre au désespoir,
Une cérémonie funéraire se joue en moi.
Toutes les cellules dont le terme arrive
S’abandonnent au crépuscule dans l’ivresse collective.

J’ignore comment se fait cette synchronisation,
De quelle nature sont ces liens qui se défont de concert,
Car à cet instant précis, mon corps est une tombe.

Assis, dos contre un mur,
J’accepte cette marée morbide,
Je la fais mienne, je la laisse gonfler mon être,
Et disparaître dans un fracas tellurique.

Il me faut plusieurs minutes pour me rendre à la vie,
Haletant, transpirant, pleurant ces cellules anonymes.

Mon souffle revenu, une paix me gagne,
Comme un soulagement, une légèreté.
Je pense aux fleurs sur les bords de route,
Au vent qui courbe leurs tiges,
Aux pétales fragiles des coquelicots.

Je pense à cette mer lointaine,
À cette marée qui charrie un océan entier,
À ces molécules d’eau, éternelles,
À leurs mouvements qui sont les battements du monde.

Ces pensées deviennent des mots,
Comme des papillons mus par le reflux.
De leurs pattes coule une encre savante,
Belle, sensuelle, éphémère,
Aussi fugitive que la beauté.

Je m’endors ainsi, libéré pour un temps de la nécrose,
Et, parfois, juste avant le sommeil,
À cet instant qui ouvre toutes les portes de tous les univers,
J’entends un autre fond diffus,
Le son à peine perceptible de milliards de mitoses.


 
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   Anonyme   
20/1/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Un long poème, en effet mais très intéressant à mon goût. Une manière très originale d'aborder la vie, les maux avec un humour léger, des "explications " jamais lassantes et une fin délicieusement ouverte pour une suite.

Au fil de ma lecture, je me suis dis, de-ci de-là, l'écriture pourrait être plus concise, certains vers se répètent un peu écrit légèrement différemment. À relire, ce n'est pas gênant, tous les détails sont subtilement amenés et la lente progression se savoure.
Merci de m'avoir permis de connaître le sens du mot apoptose- le mot aussi, que j'ignorais.

De plus on peut lire plus loin, le sort de tout signe de vie qui englobe la vie mais aussi la fin de la vie, la mort, comme étant un tout.

Merci de ce beau partage.

Éclaircie

   Castelmore   
20/1/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je suis allé au bout... sans sauter une ligne , pas un mot ...
Je dois maintenant reposer mes neurones ... attendre quelques millions de mitoses au sein de ce ...
je reconnecte.. 12 minutes de trou..
Vous ne pouvez demander ça à tout lecteur !

Le thème est intéressant ... réduisez le temps de l’agonie. , le temps des visites, la liste des premiers traitements, respirez du Mallarmé en fumigation et voyagez un petit week-end en terre poétique...
Votre plume reverdira et avec elle tout le reste !
Avec un sourire

   Corto   
23/1/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Voici un texte remarquable par son sujet et son langage.
Les cellules se reproduisent "Chacune selon sa vitesse, chacune selon son rôle" ce qui est facile à comprendre mais arrive l'extraordinaire: "je les entends je vous dis !".
L'auteur nous entraîne dès lors dans son monde ou son ressenti avec "quand elles sont nombreuses à mourir, Dissoutes dans les fluides noirs de l’oubli, Une profonde tristesse me fige. Un deuil s’empare de mes entrailles".

Voilà qui nous fait imaginer une perception très inhabituelle du fonctionnement du corps humain, une sorte d'osmose entre le corps, l'esprit et chacun des composants.

En rebondissement le narrateur reprend le contrôle de tout son petit monde "Toutes les cellules dont le terme arrive
S’abandonnent au crépuscule dans l’ivresse collective".

Et enfin "Libéré pour un temps de la nécrose...J’entends un autre fond diffus, Le son à peine perceptible de milliards de mitoses."

Depuis le titre jusqu'au dernier mot on assiste à une description étonnante du monde vivant minuscule ou organisé.
Bravo.

   chVlu   
17/2/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Globalement une lecture qui coule un peu comme du sang dans des veines pourtant j'ai buté sur quelques caillots.
La redondance du titre qui n'évite pas le coup de dico à qui ne connaît pas le mot scientifique et qui ne m'a rien apporté de plus en sens ou sensation.
Les passages que je reprend ici ont fait trébucher ton humble lecteur,les images ressenties comme trop techniques, les sonorités qui m'ont parues détonner, le rythme s'est saccadé sans raison trouvée qui soit liée au sens :

« Elles se reproduisent en moi, entre elles, »
« quand elles sont nombreuses à mourir, »
« qui pèse si lourd, »
« procrastiniquement »
« mon futur, d’ici, »
« cellules neuronales »
« mon corps du dedans, »
« et, parfois, »

J'ai apprécié l'entrée en matière qui lie le lecteur au destin du narrateur et l'invite à plonger dans le texte. Une invitation à une introspection organique.
Les trois dernières strophes
et
« Dissoutes dans les fluides noirs de l’oubli,
Une profonde tristesse me fige.
Un deuil s’empare de mes entrailles,
Piétinées par une procession quasi-muqueuse.
Une nausée tenace pose alors son siège. »
sont les passages qui m'ont paru avoir le plus de puissance poétique ce sont celles qui m'ont le plus stimulé.

L'idée de faire de la poésie biologique et morbide m'a séduite.

   Anonyme   
12/2/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une façon subtile d'assimiler un processus physiologique à celui souhaité sur le plan psychologique.
Tout ce qui nuit à l'esprit, à l'âme, pourrait aussi s'auto-détruire afin de laisser place au renouveau de l'être.

" J’ai interrogé mon passé,
En le confiant à des autres,
Des proches ou des moins proches,
Écoutes onéreuses ou sans prix.
Que de larmes saillantes et infertiles,
Laissant mon émoi assommé et mon esprit insomniaque. " Très beau passage.

A mon goût, un texte puissant.

   senglar   
12/2/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour SaintEmoi,


Quand on a lu ça on n'a plus peur de mourir ni même de se dire : Tiens je relirai bien Kafka et sa métamorphose.

Pour l'amour des cellules on se dit qu'il est bien triste : Bof ! des mitoses ! les pauvres qui nous permettent de vivre de sublimes extases. Chaque être humain est un esclavagiste ! Du moins celui-ci décerne-t-il des couronnes aux laborieuses défuntes et la minute de silence. C'est beau, j'y mettrais une musique, pourquoi pas du Wagner ?

C'est vrai que ce poème se lit facilement, on court, on vole, on file dans le courant, et si l'on a eu peur que ce soit long, on regrette que ce soit fini. Il est comme la vie en somme : TROP COURT !

A prescrire d'urgence à tout neurasthénique, ce poème vaut toutes les pommes du matin.


Merci SaintEmoi, quelle aisance !

Senglar

   Annick   
12/2/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Comme c'est bien écrit ! Si vous aviez avancé une autre théorie que celle de la mort des cellules, j'aurais tout autant adhéré. Ce qui m'a séduite dans votre poème, c'est le narrateur, avant tout, terriblement humain, qui fouille dans son corps et son âme pour comprendre ce qui lui arrive. Il y a un mouvement, un rythme dans ce beau texte qui embarque le lecteur. Les mots choisis font mouche. Ils interpellent, ils émeuvent, ils révèlent.
Et puis la fin sonne comme un espoir. Le cycle de la vie se perpétue, immuable.
Un texte fort qui prend aux tripes.

Merci.

   Stephane   
13/2/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour SaintEmoi,

Un poème étonnant sur la régénérescence du corps, et donc des cellules. Il y a une profusion d'images, de couleurs et de sens avec la description de tous ces organes, érigeant le corps en une sorte d'univers complexe et sublimé.

Un poème d'une grande force poétique propice à la réflexion, bravo.

Cordialement,

Stéphane

   sourdes   
13/2/2019
Bonjour SaintEmoi,

merci pour ce courage de poétiser ce qui se déroule au plus intime de nous-même et dont nous n'avons que peu de perception, sauf sans doute dans la pratique de certaines sagesses orientales. Jusqu'à présent dans ce domaine de l'apoptose, chère à Jean-Claude Ameisen, seuls les scientifiques, au premier rang desquels les immunologistes, nous ouvrent les yeux et la connaissance sur la survie des organismes multicellulaires que nous sommes.

Nous sommes le siège de changements cellulaires, moléculaires, incessants, sans que notre apparence soit modifiée. Sommes-nous faussement ou véritablement stables? Votre texte m'a beaucoup plu car il essaie de rendre sensible, esthétique votre propre expérience de ces phénomènes cellulaires.

Une question: pourquoi avoir choisi une organisation en vers et strophes? Je pose la question car j'ai lu votre texte comme une prose poétique, sans interruption, du début à la fin, le long de ce fil mystérieux de la vie que vous avez commencé à explorer.

Encore merci pour ce partage,

Sourdès

   Anonyme   
14/2/2019
Commentaire modéré

   wancyrs   
14/2/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut SaintEmoi,

J'ai passé les deux tiers du texte à me demander où vous vouliez en venir, et une espèce de force me poussait à aller jusqu'au bout. L'écriture, bien que se voulant énigmatique par le propos, est belle, et c'est si beau de voir qu'on peut mettre des mots sur ce que bien de gens souffrent sans savoir exprimer. Je trouve cet homme bien stoïque et sage d'accepter ce qui se passe en lui ; votre texte est sage et porteur de belles leçons de courage. Merci pour le partage

Wan

   Robot   
16/2/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Parfois inégal dans sa composition (mais comment en serait-il autrement sur un texte aussi long et sur un tel sujet)

J'avoue cependant être allé au bout de ce texte avec un grand intérêt et je tire mon chapeau pour l'audace qui a conduit à traiter ce thème.

D'autant qu'il y a de nombreux passages où la poésie et le littéraire sont bien présents.


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