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Poésie en prose
Skender : À l'hôtel des nuits sourdes
 Publié le 10/01/24  -  6 commentaires  -  2531 caractères  -  90 lectures    Autres textes du même auteur

Une nuit d'hiver, lorsque le monde dort.


À l'hôtel des nuits sourdes



Je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort car ce n'est plus ainsi que les hommes font. On me l'a dit dans un café où les cierges brûlaient bien droit et où des ivrognes en délicates tenues de ville essuyaient leurs larmes de cire brûlantes. Leurs larmes vétustes et qui ont un prix, celui d'un verre d'alcool pur et d'une nuit pour coucher là, à l'auberge qui miroite au travers d'un carreau brisé. L'air y entre et ondule, puis mord ceux qui traînent, nonchalants à leurs tables. Mais ceux-là ne sentent rien. Les innocents c'est leur triste pitance, de croiser leur regard et de se noyer dans ces yeux qui sont de véritables fournaises, de les voir avaler le bon rhum imbibé d'arômes d'autrefois. D'arômes d'éternité, pas en un siècle mais en une nuit. Et quand cette nuit vient et qu'il faut aller se coucher, avec l'obscurité comme seule compagne et le linge encore un peu sale que fournit la maison, alors seulement on commence à comprendre. Que ce n'est pas avec le ventre plein du chaud ragoût ni les cajoleries de l'immense dégoût qu'on trouvera le repos dans l'enfer qui s'annonce. Il n'y a pas de diables ni de coups de semonce. Seulement un léger air voguant dans l'air du soir, une mélodie si pieuse, comme sortie d'un cauchemar. Et dans l'alcôve où le lit est posé, sur ses quatre pieds, enfer ! Rien n'y passe. La potence au-dessus suinte d'une vilaine glace. Il fait froid. Tout à coup, tout ce qu'on a bu de rhum à vingt sous, et qui nous paraissait vertu, nous brûle le gosier, les entrailles et jusqu'au bout du ventre. C'est de la mort, mes enfants, que la nuit est le chantre. Alors on lui donne son épaule, comme à une mauvaise camarade et, cependant qu'elle nous frôle, nos essaims de volonté se fendent et périssent. C'est que demeure au fond de nous l'omnipotence du vice. Il nous rappelle un à un nos plus mauvais ouvrages. On ne souhaite pas l'écouter car il est bien mauvais, ma foi connaissez-vous un maître qui, pendant qu'il frappe l'enclume et que ses chairs se tendent, crache des vertigineuses flammes de cendres et remplit l'air du soir d'effluves de soufre ? Alors on se tait et toute la nuit on souffre. Et chaque seconde qui passe est une année dans un beau purgatoire, j'ai gravé mon nom au fronton de la gloire et je veux bien crever que d'y avoir songé. Quand vient le matin, nous sommes déjà morts. On allume la lampe et puis on se rendort. Et les pâles rayons du soleil d'hiver arrachent à nos cœurs un dernier doute. Celui d'avoir vécu, ô suprême déroute, et l'on quitte la maison vers midi.


 
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   Polza   
30/12/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Quel dommage d’avoir présenté ce texte de manière aussi condensée, me suis-je dit en le découvrant ! Cela pourrait rebuter le lecteur, me suis-je dit.

D’ailleurs, en voyant sa densité, j’ai bien failli ne pas le lire, quelle grande erreur aurai-je commise !

« car ce n’est plus ainsi que les hommes font » j’ai pensé à Aragon et son poème Bierstube magie allemande :

« Est-ce ainsi que les hommes vivent et leurs baisers au loin les suivent comme des soleils révolus » « Le ciel était gris de nuages il y volait des oies sauvages qui criaient la mort au passage au-dessus des maisons des quais je les voyais par la fenêtre leur chant triste entrait dans mon être et je croyais y reconnaître, du Rainer Maria Rilke. »

« Seulement un léger air voguant dans l’air du soir, une mélodie si pieuse, comme sortie d’un cauchemar. » Ce passage-là m’a quant à lui fait penser à la scène finale du film les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick. Outre la qualité de votre poème, vous m’avez fait voyager dans les méandres de mes souvenirs.

Je me sens parfois sans mots face à un texte que j’ai grandement apprécié, comme si j’avais une peur bleue d’abimer le transcendant avec de la platitude !

Tout ce que je peux vous dire, c’est que votre poème m’a profondément marqué, je l’ai trouvé admirablement bien écrit. J’ai eu l’impression d’assister à un voyage au bout de la nuit ; d’ailleurs, le ton employé m’ a parfois fait penser à du Louis-Ferdinand Céline…

Polla en EL

   Cyrill   
10/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Skender,
Comme mon prédécesseur en commentaire, j’ai bien entendu pensé à Bierstube d’Aragon, avec sa question existentielle. La référence est presque gênante en tout début d’écrit – un peu comme le sparadrap du capitaine Haddock – mais elle permet aussi de placer le locuteur dans son imaginaire propre et dans sa distanciation de la référence.
Si j’ai eu un peu de mal à monter dans le train, je trouve qu’ensuite la prose trouve son rythme de croisière et sa musicalité. Le regard est surréaliste, je ne sais où ni quand situer ce tableau vivant qui rassemble dans le bar d’un hôtel improbable des perdants magnifiques et des dilettantes en mal de repos au seuil de l’enfer. Un purgatoire interlope où vice et vertu se disputent la place des hommes échoués là.
Finalement, n’est-ce pas l’aboutissement de toute vie que de se retrouver seul parmi la foule aux portes de l’inconnu et soudain éclairé, frappé au front, que dis-je, interloqué par la vanité de l’existence, doutes et regrets comme culpabilité faisant partie du pot de départ ?
Un texte riche en métaphores, vicissitudes garanties.
Merci pour le partage.

   ALDO   
10/1/2024
Bonjour

J'aime quand les ivrognes portent de délicates tenues de ville !
Et que les mélodies soient pieuses tellement qu'elles semblent des cauchemars !
J'ai aimé la conjonction " C'est de la mort (...) que la nuit est le chantre" et la syntaxe aussi...

J'aime un peu moins que les rayons du soleil soient " pâles", ils le sont toujours en "poésie"...

   papipoete   
10/1/2024
bonjour Skender
Pour qui me connait... un peu depuis que je commente les textes, ce n'est point secret cette aversion que j'ai envers qui picole.
Qui picole et sa famille affole
Qui picole et de la bibine en fait une idole...
Sans forcément remonter au " pourquoi ", s'il y en a un ; mais quand on essuie les plâtres jusqu' à son dernier, on hait la picole.
NB il n'empêche que ce texte est formidablement bien écrit ; et nombre de lignes dépeignent si bien ce décor, une " cour des miracles " où visiteur contre mon gré, l'on m'intronisait VICE-ROI avec force silences, et révérences.
j'ai grand mal à noter cette prose fort maîtrisée, pour les raisons ci-dessus invoquées, aussi ne le ferai-je pas, au risque de mettre en péril, vos lignes.

   Vincente   
12/1/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
La tonalité générale est prégnante, l'on sent bien que le narrateur est à la fois plongé au cœur de la tourmente du lieu métaphorique, cet "hôtel des nuits sourdes", et pourtant comme distanciant ce qui s'y passe et lui-même ; il y a là une sorte de dédoublement qui participe sensiblement à cette prégnance en suggérant un écartèlement. L'écriture offre une unité qui la renforce encore, naît ainsi une homogénéité au travers de la disparité des ressentis et évocations.

J'ai croisé quelques singulières formulations, poétiques et fortes :

"leurs larmes de cire brûlante"
"ni les cajoleries de l'immense dégoût"
"c'est de la mort, mes enfants, que la nuit est le chantre"
"Et chaque seconde qui passe est une année dans un beau purgatoire, j'ai gravé mon nom au fronton de la gloire et je veux bien crever que d'y avoir songé."

D'autres moins abouties viennent amoindrir un peu le propos :

"Seulement un léger air voguant dans l'air du soir" (la répétition n'apporte rien en elle-même et alourdi à rebours l'intention de légèreté ; "léger air" est peu intéressant à l'oral, à tout prendre un "air léger" aurait été préférable).
"La potence au-dessus suinte d'une vilaine glace" (une potence qui suinte, difficile à imaginer l'image…)
"et l'on quitte la maison vers midi.". Pas convaincu par ce final en eau de boudin… entre autres, pourquoi "vers midi" ?

Mais l'ensemble laisse une impression très positive.

   Skender   
23/1/2024


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