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La Philosophie des salades
Nobello : La Philosophie des salades  -  Vertuose
 Publié le 20/03/09  -  8 commentaires  -  89448 caractères  -  225 lectures    Autres publications du même auteur

Clémence, après un bref coup d'œil à l'ascenseur, posa sa main sur la rampe et se mit à gravir les marches avec sa légèreté habituelle.

Aucun besoin d'exercice physique ne l'y contraignait, et ses repères familiers, au long des quatre étages du vieil immeuble bourgeois, ne lui étaient pas à ce point chers qu'elle ressente la nécessité impérieuse d'en éprouver visuellement la proximité : elle s'imposait cet effort parce que les cinq plaintes rauques que venait de lâcher, dans le lointain, la cloche fêlée du couvent des Célestines lui faisaient espérer une autre brève rencontre avec le monsieur du troisième. Le monsieur du troisième prenait toujours l'escalier.

Le regard clair et doux qui accompagnait son salut, lors de ces rencontres présumées fortuites, faisait que Clémence, sans oser les rechercher vraiment, goûtait ces petits moments avec un peu plus que de l'agrément. Contre un sourire furtif et un bredouillement de circonstance, elle emportait chez elle son « Bonsoir, Mademoiselle », qu'elle laissait résonner contre son esprit, le dos appuyé à sa porte refermée et les yeux posés sur le silence complice de son appartement.

Après, souvent, elle s'asseyait au piano pour jouer avec Bach. Respectueusement. Parce qu'elle aimait Bach. Et Debussy, et Rachmaninov. Et le monsieur du troisième.

Alors, elle inclinait sa tête avec une moue héritée de l'enfance, haussant les épaules avant de murmurer : « Clémence, tu n'es pas raisonnable... » Raisonnablement, c'était faux.

Parfois, le fil de ses pensées la conduisait vers une sorte de mélancolie douillette. Là, elle se faisait un délice masochiste du constat répété de son inadaptation aux vicissitudes de l'existence, et se sentait un peu martienne. Martiennement, cela pouvait passer pour vrai.


D'après le rythme des pas, Valentin savait disposer d'à peu près dix-neuf secondes pour attraper son blouson, l'enfiler, passer d'un geste nerveux sa main au travers de ses cheveux rebelles, prendre les clés, ouvrir la porte d'entrée et la refermer en feignant le calme le plus mesuré.


- Bonsoir, Mademoiselle !

- …'sieur


Il avait cru déceler une amorce de sourire avant qu'elle ne baisse les yeux. Comme chaque fois, elle lui laissait en manière d'obole l'impression d'avoir profité indûment, lors de son court passage, de bouffées illégitimes d'un printemps inattendu. Cela même le troublait, par ailleurs, profondément : selon ses propres jauges, ce genre d'avatar printanier aurait dû être spécifiquement réservé à l'usage exclusif de blaireaux au rang desquels il lui était pénible de se compter.

Elle passait, entamant sans effort la volée de marches qui la conduirait chez elle, et Valentin la regardait monter. Il la trouvait infiniment gracieuse, même de dos. Particulièrement de dos. Avec curiosité, il s'admit virtuellement amoureux, ce qui le combla d'optimisme.

En fait, pensa-t-il en s'emplissant les yeux du spectacle proposé, manquer parfois à son comportement habituel - descendre sans attendre, pour se faire espérer - se révélait tout à fait opportun, voire édifiant. « Je l'aime, un peu, beau cul... »


À ce moment précis, le pied de la jeune femme glissa sur une marche. Ce fut une chute courte, discrète, mais sa tête avait heurté l'un des solides angles de marbre, parvenant à en tirer un son mat de mauvais augure.

Valentin s'élança aussitôt pour stopper l'amorce de glissade entamée par le corps désormais étrangement alourdi de la fille évanouie. Ne sachant trop que faire, il tapota les joues si vite devenues diaphanes, bredouillant :


- Mad... Mademoiselle, allons... Remettez-vous, quoi ?!...


Enfin, conscient d'être largement dépassé par les événements, il appela à l'aide avec une véhémence résolue.



(... « Ça s'tire pas c'est long c'est gris fait chier / et Franck à la maison mais qu'est-ce que je glande dans cette clinique de merde... / et Vanessa salope toujours prête à sauter sur le premier paf qui se présente elle va en profiter / mal aux seins / quel besoin avait ce con de piler sur une priorité / Franck me dit toujours de mettre ma ceinture / si elle le suce je ne le touche plus pendant six mois non une semaine / est-ce que j'avais payé l'électricité ? / s'il la baise je le tue... »)


Clémence entrouvrit les yeux, émergeant d'un néant cotonneux, et les referma aussitôt, le crâne vrillé par le retour à sa conscience des perceptions lumineuses.


(... « Tiens voilà la comateuse qui s'agite si elle voyait sa tête avec son turban est ce qu'elle plairait à Franck il a toujours aimé ces petites putes à l'air fragile / j'ai encore pris du cul / elle a pas l'air méchant elle a pas beaucoup de seins Franck aime les gros seins j'ai des gros seins j'ai mal à mes gros seins / peut-être que je vais perdre un peu à manger ici sans bouger je m'ennuie... »)


Clémence avait des difficultés à se situer, mais elle convint assez rapidement de ce qu'elle n'était, en définitive et à l'encontre de ce qu'elle ressentait, peut-être pas la cloche des Célestines. Fêlure mise à part. Ainsi, le monologue décousu de la femme a priori inconnue qui pérorait quelque part à côté lui semblait manquer de sens, de cohérence, de substance. Accablée d'inconfort, elle crut un instant se sentir trop mal pour vouloir y comprendre quelque chose.

Et puis une porte s'ouvrit. Elle avait très bien reconnu le bruit et cette petite victoire lui fut, pendant un court instant, comme une bouée offerte au naufragé épuisé. Un bref déclic se produisit en elle et la bouée, soudain plombée, sombra d'un coup dans les abîmes, la laissant se battre contre un début d'angoisse : elle avait ENTENDU le bruit de la porte, et c'était le premier son, le premier vrai son qu'elle ait entendu depuis ce qu'elle devait malgré tout considérer comme son réveil. Elle n'avait pas entendu physiquement ces suites débiles de phrases bizarres, elle en était sûre. Peut-être même que personne ne se trouvait à côté d'elle, qu'elle entendait des voix, qu'on l'avait internée !


Avec précaution, la jeune femme fit une nouvelle tentative d'émergence. Après quelques battements de paupières désordonnés, un fragile semblant d'accommodation lui permit de distinguer une masse blanche et floue coiffée d'un drôle de chapeau rosâtre. Peut-être un Martien : l'idée d'être une Martienne lui semblait vaguement familière. Mais un Martien-médecin, alors, parce que sa voisine invisible venait de dire : « Bonjour, Docteur ! »

Bien qu'assez désagréablement minaudant, il s'agissait du vrai son d'une vraie voix.


- Bonjour, Madame Desnaves. Alors, Mademoiselle, on fait surface ? (« Pas mal cette petite en fin de compte / penser à facturer plein pot la prothèse du député il a les moyens »)


Ça revenait ! Dans un effort herculéen - il s'agissait quand même d'ouvrir ses paupières en espérant trouver derrière quelque chose de normal, sans savoir encore très bien où trouver la norme -, elle parvint à une presque-mise au point, et comprit que la bouche si curieusement décalée du médecin-martien se trouvait en réalité dans ce qu'elle avait présumé être son chapeau.

Ce qu'elle avait assimilé à des lèvres martiennes s'avérait finalement n'être qu'une simple poche de blouse : un faisceau d'indices concordants tendait à la convaincre d'une humanité à demi bienvenue. À demi seulement, parce qu'un être humain normal n'entend pas de choses étranges, et qu'une saine martienneté lui paraissait préférable à une humanité psychotique.


(... « Est-ce qu'il a les fesses dures le Docteur / qu'est-ce que je pourrais lui demander avant qu'il parte / Franck a les fesses les plus fermes de l'Ouest surtout quand... ») (« ... Bon alors elle sort du sirop oui ou merde pas que ça à foutre / dans quinze jours je touche ma Ferrari / éclate gonzesses frime si Annick avait su elle aurait moins ri / pas le temps de rigoler / elle a au moins mon âge elle doit être grosse et moche maintenant / rouge vrooom... »)

Elle comprit qu'elle captait leurs pensées mais se sentait trop floue pour trouver à ça une raison valable. Pourtant, elle voulut le leur dire. Ça fit :


- Screufh... aab... qssit...

- (« Ça baigne elle est revenue c'est plus mon problème / rouge vrooom... ») Mais oui, ça va passer. Et la prochaine fois que vous voudrez apprendre à donner des coups de tête, entraînez-vous un moment avec quelque chose de moins définitif qu'un escalier ! Allez, une secrétaire passera en soirée afin de régler avec vous les détails administratifs. Je vous garde quelques jours en observation. (« ... parce que les lits vides hein faut la payer la Ferrari / j'ai peut-être le temps d'un café avec l'assistante de Lachâtre / il paraît qu'une Ferrari ça suce aussi plus qu'on croit... ») Je repasserai vous voir. (« ... comme si j'avais que ça à foutre... »)


Ce docteur avait un nom imprononçable et Clémence décida de l'appeler Rougevroum. Ici, Rougevroum avait droit de regard sur tout. Il tenait à superviser personnellement chaque entretien d'embauche, prêt à payer de sa personne, même - surtout ! - pour les plus humbles. Montrant un réel souci de l'agrément présenté par son établissement, il y semait le plus possible de jeunes femmes dont l'aspect décoratif palliait le manque éventuel de compétences.

Clémence avait refermé les yeux.


Durant les trois jours qui suivirent, elle força un peu sur son abrutissement. Cela lui permit d'échapper la plupart du temps aux tentatives de conversation que sa voisine de chambre s'obstinait à tenter de lui imposer. Du fait de ses nouvelles capacités, elle savait très précisément ce à quoi pensait son ennuyeuse compagne, et n'avait par conséquent aucune difficulté à décourager les approches inopportunes.

Au constat déprimant de tant de vide chez quelqu'un qui prenait tant de place, elle s'interrogeait sur l'intérêt qu'un homme pouvait bien éprouver pour une telle absence. La réponse lui fut évidente lors d'une visite du dénommé Franck.

Franck était un homme extrêmement normal, plutôt agréable, doué d'une relative intelligence et plein d'un charme discret. Elle s'étonna de cette inadéquation et voulut en connaître la cause. Déjà, elle avait capté ses (« ... elle sent bon j'ai envie d'elle / c'est le bordel à la maison / encore encore la rondeur dure-molle de ses seins la fraîcheur de ses mains son ventre chaud… »). Etc., etc.

Cet homme était tyrannisé par ses couilles, mais très amoureux. À l'encontre des autres hommes qui étaient, pour une raison ou une autre, passés dans cette chambre, il n'avait pas une fois tenté de deviner l'une ou l'autre partie du corps de Clémence à travers l'étoffe hospitalière, même furtivement. La jeune femme ne parvenait pas à décider si elle s'en ressentait soulagée ou vexée. L'unique pensée qu'il condescendit à manifester à son égard concernait l'obstacle créé par sa présence, relativement à l'exécution trop remise d'un projet précis qui lui tenait à cœur. Enfin, si l'on peut dire.

Voulant en savoir plus, un peu honteuse mais sûre de l'impunité, elle tenta de sonder l'esprit du jeune homme et parvint immédiatement à un résultat qui passait de plusieurs longueurs ses espérances les moins avouables : elle percevait des images, des sons, des odeurs, des sensations. Certaines si précises qu'elle en retirait vivement sa conscience ainsi qu'en un acte-réflexe. Il est vrai que, même quand vingt-trois ans de virginité commencent à vous interpeller, il y a un côté abrupt à prendre connaissance par un moyen aussi inhabituel des perceptions intimes d'un homme fait.

Ainsi, pour une pucelle, ressentir avec acuité le souvenir que cultive un jeune mâle du contact de son gland contre la vulve glissante de sa partenaire, ou l'intense satisfaction qu'il éprouve à s'enfoncer en elle, voire de la chaleur douce et moite d'accueillantes muqueuses épousant son pénis d'un étui velouté - et son ardent désir de réactualiser tout ceci au plus vite -, sont comme autant de courses de haies proposées à l'analyse d'un unijambiste.

Encore l'unijambiste n'est-il pas tenu de faire la course, fut-ce par procuration. Or, Clémence vivait chaque souvenir sensoriel de son "sujet" avec toute la précision nécessaire à induire une certaine perplexité dans l'âme curieuse de la néanmoins jeune fille qu'elle était encore. Ce lui fut une expérience troublante mais d'un intérêt indubitable.

Un détail, en particulier, attira son attention.


De l'avis de Franck, qui semblait en la matière homme d'expérience, il s'agissait de la grande maîtrise que possédait madame Desnaves en la pratique d'une singularité érotique de tout premier ordre. Vu depuis le ressenti dudit Franck, bénéficiaire théoriquement exclusif de cette manne amoureuse, il y avait là un pouvoir absolu sur le plaisir des hommes que seules quelques femmes d'exception savent exercer. Il se tenait pour un heureux veinard.

Clémence avait pressenti l'intérêt qu'il y a, pour une jeune fille avisée, à faire le tour d'un tel sujet. Mais les sensations et les sentiments de Franck, si elles la renseignaient parfaitement sur l'efficacité du procédé ou les résultats obtenus, ne lui indiquaient rien quant à sa mise en pratique. Elle dut, avec un réel ennui, se concentrer sur les pensées de sa voisine afin d'espérer y trouver le bout du fil qui la mènerait à ce qu'elle cherchait.

Ce fut assez long au goût de Clémence, spectatrice obligée d'un esprit aux manifestations affligeantes, mais son obstination obtint sa récompense. Après quelques mots murmurés à l'oreille par son mari, l'œil égrillard, madame Desnaves avait, en même temps que lui montait un frisson dans les hanches, laissé passer une bribe d'information sur le sujet convoité. Cela suffit à Clémence qui, partant d'une image si fugitive, savait déjà trouver ce qu'elle cherchait.

Madame Desnaves n'avait pas donné de nom particulier à sa petite spécialité mais Clémence lui en trouva un, évident, qui lui vint sans qu'elle ait eu besoin d'y réfléchir.

Il s'agissait, en fait, d'un entraînement particulier de certains muscles internes visant à prodiguer au pénis accueilli en ces douceurs intimes une suite de très agréables constrictions rythmiques, tout l'art de la chose se trouvant dans la capacité à exercer une pression suffisante, avec une vitesse d'exécution telle que le bénéficiaire en retire la sensation d'ondes langoureuses embrassant amoureusement sa verge dans la pénombre chaude du ventre de l'aimée. Laquelle aimée se doit, pour rester performante, de s'entraîner régulièrement afin de cultiver l'endurance et la souplesse du mouvement. Ainsi que l'on fait ses gammes, pensa Clémence.

En musicienne, elle baptisa donc d'emblée Vibrato cette intéressante pratique qu'elle se promit de travailler avec sa discipline de pianiste, mais en évitant le recours aux carottes dont l'experte madame Desnaves avait usé - voire abusé - lorsqu'elle n'était encore que la fade et peu regardée mademoiselle Lamiche. Clémence, forte de l'enseignement involontaire mais très complet de sa voisine, se sentait capable d'acquérir, en s'entraînant « à blanc », une pratique convaincante du vibrato amoureux, sans pour cela céder à un légume une virginité entretenue avec soin. Les perceptions physiques très précises empruntées à madame Desnaves-Lamiche le lui autorisaient, l'imagination ferait le reste.


Valentin avait pris conscience, en regardant s'éloigner le véhicule du SAMU, d'un oubli malencontreux : occupé du souci causé par l'état de Clémence - qu'il considérait à présent comme sa protégée de plein droit -, il n'avait pas demandé aux ambulanciers l'endroit où ils comptaient acheminer leur passagère.

C'est à l'hôpital, devant le guichet des admissions où il avait longuement attendu son tour, qu'il reconnut avec confusion ignorer le nom de la jeune femme, demandé comme allant de soi par une hôtesse blasée.

Bien sûr, il avait déjà regardé plusieurs fois, avec discrétion, la boîte aux lettres attribuée à l'appartement de la demoiselle, et n'y avait trouvé que l'immuable carte de visite à l'élégance obsolète où l'on pouvait encore lire, malgré les insultes du temps, le patronyme de l'ancienne occupante. Une courte enquête lui avait appris que celle-ci, dame très digne, très âgée et grand-tante de Clémence avait eu le bon goût, avant de lui léguer les lieux, de provisionner son compte de sorte qu'elle s'acquittât sans problèmes des droits de succession.

Son interlocutrice avait eu, en délivrant cette information, un air entendu qui en disait long sur l'idée qu'elle se faisait du mérite des nantis à vivre une existence où pianoter à longueur de journée semble un comble d'occupation.

Cette considération capitale ne lui étant d'aucune aide en l'occurrence, il la relégua dans un coin éloigné de sa mémoire, près des oubliettes. Alors qu'il se demandait ce qu'il pourrait bien inventer afin qu'on lui accorde le droit de visiter chaque chambre susceptible d'abriter la chère accidentée, l'hôtesse, qui s'agaçait, lui en épargna la peine :


- De toute manière, Monsieur, nous n'avons plus un lit disponible depuis trois jours et votre amie - sauf si c'est une grande brûlée - a dû être aiguillée sur une clinique. Ça, c'est le résultat d'une politique de gestion concurrentielle, comme ils disent…


Valentin remercia, assurant que Clémence était d'un format plutôt modéré et n'avait, à sa connaissance, fait l'objet d'aucune sorte de combustion, puis s'en alla sans attendre la suite de la litanie hospitalière.

Garçon avisé, il appela le SAMU dès son retour chez lui. Malgré quelques remontrances causées par l'occupation indue qu'il faisait d'une ligne réservée à un éventuel appel vital, il obtint le renseignement recherché, et même un peu plus : la demoiselle du quatrième se nommait Clémence Lamourette. Il sourit, trouvant à ce nom un parfum de B.D. qu'il appréciait en amateur convaincu. Clémence Lamourette était en détresse, elle se trouvait actuellement à la clinique THAMMER - autrefois réputée dans le cercle fermé des hôtesses de l'air pour les soins de chirurgie faciale qu'on y prodiguait - et il y allait de ce pas.


Il y alla, effectivement, et ce fut pour s'entendre dire à l'accueil que mademoiselle Lamourette, bien que revenue à elle, restait fragile et que, hors un proche très proche, les visites lui étaient déconseillées pendant deux ou trois jours.


- Vous n'êtes pas… très proche ? avait ajouté l'hôtesse en levant un œil inquisiteur.

- Heu… non. En fait, je suis un voisin.


Elle grimaça un sourire.


- Alors il vaut mieux éviter.


C'était là une interprétation toute personnelle des directives concernant mademoiselle Lamourette, mais l'hôtesse d'accueil s'offrait un extra : elle trouvait immoral que tant de petites connes soient l'objet de l'attention inquiète d'hommes séduisants alors qu'elle, à trente-quatre ans, désespérait d'en intéresser un - même un pas terrible - plus de quelques semaines. Elle se privait d'autant moins qu'elle savait n'avoir pas à craindre de remontrances à propos de ce manquement, terminant deux jours plus tard un C.D.D. qui ne serait pas reconduit. Une conséquence directe de la "stratégie décorative" du docteur Rougevroum qui regrettait d'avoir pu, dans un moment de faiblesse, embaucher une hôtesse aussi tartignolle. Et peu douée, malgré sa bonne volonté : lors d'un entretien préalable à son éviction, elle avait tenté de faire revenir le docteur Rougevroum sur sa décision en servant ses penchants connus pour celles qui savaient, toutes lèvres et langue, lui octroyer le discours silencieux qu'il aimait à entendre. En homme bien élevé, il avait attendu qu'elle termine avant de lui confirmer son renvoi, la remerciant néanmoins de ses louables efforts.

Elle avait donc momentanément contre les hommes une dent dont elle regrettait de n'avoir pas disposé plus tôt, alors qu'elle flattait les faiblesses de son futur ex-patron. Valentin lui fut un exutoire convenable car, pris de court, il n'argumenta pas, répondant seulement « Si vous le dites... » avant de tourner les talons.


Le vibrato amoureux fascinait Clémence.

Elle s'y exerçait le plus souvent possible, jusqu'à endurer quelques crampes issues d'une région d'elle-même dont elle ignorait jusqu'alors la capacité à en délivrer.

Depuis le moment de sa découverte, elle avait cherché à approfondir une connaissance qui promettait de porter ses fruits : quelques jours lui suffirent pour posséder un début d'aisance en cette discipline. Évidemment, elle ne pouvait que présumer de son efficacité réelle en termes d'application concrète, faute d'un arbitre impartial qui puisse en témoigner, mais elle savait d'ores et déjà que rarement arbitre aurait eu affaire à pucelle si expérimentée. « Je suis, se dit-elle, la Messaline la plus vierge que je connaisse... ». Elle convint cependant facilement qu'elle n'avait, somme toute, connu que fort peu de Messalines hors celles des péplums américains qui semblaient, avec quelques décennies de recul, à peine plus perverses qu'une téléprospectrice un peu délurée.

Elle faisait quotidiennement quelques pas dans le couloir du service, où ne passaient que de rares blouses blanches. Ces blouses contenaient des gens trop pressés pour délivrer autre chose que ces monologues intérieurs aussi constants que décousus dont, la nouveauté fanée, elle s'était rapidement lassée.

Elle éprouvait cependant un regain d'intérêt quand le hasard faisait se croiser en sa présence deux êtres de sexe opposable. Elle observait alors, avec une surprise croissant au rythme de ses statistiques personnelles, que l'attention de chacun se porte souvent sur l'autre et qu'une sorte de jeu s'établit, hors conventions, fait de séduction tue, d'aventure et de sexe fantasmés que rien, souvent, ne laisse transparaître.

Ainsi de cette radiologue, vêtue avec classe d'une cinquantaine réussie et qui, après un divorce et deux enfants majeurs, regardait avec discrétion et mélancolie des fesses d'éphèbes ratées de trente ans en se désolant qu'il devait être bon d'avoir, quelquefois, posé sa tête sur un ventre plat. Celle-ci aurait été étonnée de connaître le nombre de rêveries que son allure, ses jambes ou son parfum inspiraient à ces jeunes gens : sur simple demande, beaucoup d'entre eux se seraient déclarés accessibles avec véhémence.


Il y avait eu aussi cet inconnu, visiteur en costume clair de bonne coupe, qui attendait avec calme une voisine sans voiture dont le fils aîné avait fortuitement décidé de léguer son appendice à la science.

Et puis la jeune fille assise plus loin, entre le téléphone et le distributeur d'ignobleries bouffigènes.

Ces deux-là s'étaient épiés avec application pendant dix bonnes minutes, sans rien laisser paraître. La jeune fille fantasmait l'amant magnifique qui, après lui avoir demandé de tout quitter pour l'accompagner vers un Éden doré, la révélerait à elle-même en éveillant chacune de ses fibres à force de sensualité savante et de précautions délicates - mais pas trop ! -, la berçant de ses bras puissants après de longues étreintes qui lui feraient abolir toute dignité en échange de promesses éternelles.

L'inconnu, quant à lui, se serait bien vu bourrer le cul de la jeune rêveuse pourvu qu'on lui fournisse un lave-linge doté d'un programme d'essorage énergique. Sa vision de la chose était pour le moins rugueuse, et anonyme. Il était pour l'éradication dans l'œuf de tout ce qui pouvait ressembler à un emmerdement, et comptait au nombre de ceux-ci tant les effusions sentimentales que l'étrange souci de l'autre dont témoignent certains hommes.

Clémence, bien que peu tentée par le personnage, sut lui reconnaître une certaine honnêteté : célibataire et content de l'être, il ne tentait pas de se faire passer pour autre que lui-même, et ses rares conquêtes étaient largement averties de son peu d'intérêt pour les relations suivies. À supposer, bien sûr, qu'une femme ait envie de poursuivre une relation avec un être à ce point centré sur sa précieuse personne...

La jeune rêveuse, après que le départ de l'inconnu eut clôturé l'intermède romanesque, revint à ses pensées du moment, occupées par la perspective de son très prochain mariage avec un jeune homme sans mystère mais plein de bonne volonté. Elle lui jurait quotidiennement un amour total et exigeait de lui des serments épouvantables et définitifs.

Clémence eut une pensée émue pour ce pauvre garçon qui devrait, si lui venait l'envie de renier sa dulcinée, se ruiner en psychanalyste pour l'assumer passablement.


Valentin revint deux jours plus tard. Il jugea la nouvelle hôtesse plus avenante que la précédente, mais ne s'attarda pas sur le sourire chaleureusement proposé. La fille n'avait pas terminé ses indications qu'il était déjà dans l'escalier, assurant qu'il se débrouillerait.

Quand, après avoir dûment frappé, puis attendu d'y être convié, Valentin entra dans la chambre des deux jeunes femmes, Clémence y avait déjà vu défiler, outre Franck et le docteur Rougevroum :


- 1°) Deux aides-soignantes sévèrement dessalées derrière leur sourire modeste. Ces deux-ci, dans l'optique maison, remplissaient leur office avec un zèle louable.


- 2°) Un prétendu homme d'entretien, œil fuyant et combinaison boudinée du ventre, connu pour trouver toujours au moins une panne dans les chambres d'arrivantes. Il était mal rasé, transpirait beaucoup, et il émanait de lui une impression de sale. Clémence hésita un moment à décider si cette saleté, qui semblait une constante de sa personnalité, était plus répugnante sur sa personne ou dans ses pensées. Elle conclut rapidement sur le sujet après avoir surpris dans l'esprit de l'homme quelques souvenirs faits de filles inconscientes, de couloirs déserts et de sueur aigre. Ce à quoi il s'était livré sur les corps souvent meurtris - pour essayer d'avoir une réaction, se justifiait-il intérieurement - laissa Clémence aux prises avec une nausée qui ne la quitta que deux heures après le départ du type. Elle s'était sentie salie par les fantasmes répugnants qu'elle lui avait inspirés à son cœur défendant.


- 3°) Un infirmier entre deux âges qui, sous un prétexte ou un autre, venait quotidiennement se livrer avec madame Desnaves au petit jeu qu'ils avaient mis en place sans se concerter : elle, toute candeur affichée mais n'en pensant pas moins, lui découvrait subrepticement et comme par hasard, au cours de ses mouvements, un peu plus de son anatomie qu'il n'est théoriquement autorisé aux épouses honnêtes. Lui tentait de n'en pas perdre une miette tout en paraissant n'en rien voir.


- 4°) La secrétaire annoncée par le docteur Rougevroum. Clémence avait lu en elle la première visite de Valentin, mais aussi le prochain chômage, le manque d'un homme, et d'autres choses qui allaient du tristounet au déprimant. Trouvant qu'il ne restait à cette femme pas grand-chose d'autre que son intimité intérieure, elle la lui avait laissée, n'y cherchant pas même un bout d'information sur le vibrato.


Ces visites avaient fait naître en Clémence des sentiments mêlés dont elle n'avait rien extrait de franchement enthousiasmant. La venue de Valentin, pour qui elle avait un faible certain, la prit au dépourvu : elle n'était pas sûre de vouloir connaître de lui autant que ses récentes capacités le lui autorisaient. Elle ne put cependant s'empêcher de s'ouvrir intérieurement, de se faire vacante comme une éponge essorée afin d'absorber la moindre bribe d'émotion émanant du jeune homme tout en s'interdisant, par la vertu d'une attendrissante loyauté anticipée, de chercher à fouiller son esprit pour en découvrir les secrets.

Quand il entra, donc, saluant gentiment de sa voix bien timbrée, Clémence perçut avec une pointe de jalousie l'intérêt soudain de sa voisine pour leur visiteur. Nul besoin de télépathie pour s'en apercevoir : minaudant comme jamais, elle prenait des poses de midinette en battant des cils. Comme des mites engluées, pensa Clémence qui s'en agaçait.

Elle perçut aussi l'intérêt sincère que le jeune homme éprouvait pour elle, et l'inquiétude tapie derrière sa voix claire et chaleureuse. Il se servait de sa voix avec un art discret, et en toute conscience. Elle en prit bonne note, à tout hasard.


- Vous n'étiez pas assez bien cachée pour me décourager de venir aux nouvelles. Vous savez, je n'avais jamais vu un pansement aussi seyant. L'infirmière a travaillé chez Dior ou c'est vous qui le portez comme ça naturellement ? Vous devriez lancer une mode, c’est très joli.


Clémence se sentait fondre, goûtant de l'intérieur les pensées du jeune homme. Toutes étaient tournées vers elle. Elle tenta de trouver les mots qui sacraliseraient la scène.


- Monsieur, j'éprouve beaucoup de plaisir à la profonde bienveillance que vous manifestez à mon endroit...


Valentin, en homme imaginatif et que le sujet inspirait particulièrement, n'avait pu empêcher son esprit d'en afficher une très brève mais très explicite représentation. Il s'y voyait manifestant par surprise une solide et effectivement profonde bienveillance à l'endroit de Clémence. Celle-ci lui appliqua immédiatement une baffe XXL, lâchant sans réfléchir :


- Ça, c'est mon envers, espèce de satyre !


Il fut très surpris, décontenancé parce qu'incapable d'imaginer le rapport entre l'une de ses pensées - très fugitive, de surcroît - et la réaction outrancière de la jeune femme. Il tenta un trait d'esprit, résistant à l'envie de frotter sa joue. Clémence ne frotta pas non plus sa main, qui lui faisait pourtant un mal de chien.


- À part ce besoin récent de gifler vos voisins, craint-on d'autres séquelles ?


Clémence ferma les yeux, en même temps qu'elle fermait ses portes intérieures. Elle prit cependant un temps, en ce lieu où elle se savait sûre de l'incognito, pour observer avec curiosité une image : celle, fugace - mais désormais gravée en technicolor dans les couches les plus solides de sa mémoire - que le jeune homme s'était fait de cette fantaisie érotique où elle, Clémence, tenait le rôle vedette. Elle pensa furtivement qu'un tel entrain (…) devait parfois se révéler douloureux, quoi qu'en pense sa molle mais tant échauffable voisine.

Et elle se mit en colère avec soin, en faisant juste ce qu'il fallait d'efforts pour bien laisser sentir l'ampleur du bouillonnement sous la froide maîtrise affichée.


- Allez-vous-en.


Valentin eut une moue dépitée, se prépara à dire quelque chose mais se ravisa, soupira puis, se retournant, sortit calmement de la chambre silencieuse.

Madame Desnaves semblait un peu larguée, offrant aux regards éventuels l'expression avantageuse de la tanche de trois livres échouée face au sec-beurre-cornichons dont le pêcheur accompagnera peut-être son litre de côtes-du-rhône. Clémence décida de ne pas pleurer, par solidarité avec les tanches agonisantes du monde entier.


Un jour, elle se vit enfin autorisée à quitter la clinique. Un rapide coup de sonde dans les pensées du docteur Rougevroum avait confirmé la venue attendue de clients sérieux.

Clémence, sitôt qu'elle emprunta le trottoir, fut assaillie par le flot déferlant des pensées mêlées émises par les passants. Elle prit un moment pour établir mentalement une sorte de filtre, de convention faite de telle manière que n'émerge à sa conscience que - et uniquement - ce qu'elle choisissait d'observer. Le reste demeurait comme poisson en eau trouble : apparition peu définie qui disparaît n'importe quand. Elle sourit : comment dit-on "Pêcheur en pensées", au féminin ?

L'analogie lui plaisait.


Elle prit conscience de ce qu'elle éprouvait depuis longtemps sans lui avoir accordé assez d'attention pour le formuler : les gens sont comme l'eau. Certains sont des lacs, lointains et impavides, d'autres ressemblent à des étangs, à des lochs, à des fjords, à la mer. Certains sont des ruisseaux vifs et clairs.

Une jeune femme la dépassait d'un pas rapide et sûr, froide et déterminée comme un torrent de montagne. Celle-ci n'était probablement pas l'esclave de sa sensualité.

Tentée par une petite indiscrétion qui confirmerait son sentiment, Clémence passa outre les rendez-vous à ne pas rater et les promesses de bénéfices à venir qui monopolisaient, pour l'heure, les pensées de la jeune femme, et insinua une sonde mentale discrète vers les aspects de sa personnalité à même de la renseigner plus précisément. Ce fut un choc.


Il n'y avait en cet être, sur le plan du sexe - puisque Clémence ne trouvait en elle aucune trace de quelque chose qui puisse passer pour de l'amour -, que calcul et science méditée comme un moyen parmi d'autres d'arriver à ses fins. Cette fille était capable de feindre l'abandon total dans la plus grande maîtrise et, pour avancer vers son objectif, de performances dont la douce Clémence, élève assidue mais débutante sans pratique, ignorait même qu'elles aient pu exister.

Le vibrato amoureux ne lui était pas inconnu mais elle n'en possédait pas les finesses, préférant tabler sur ses défaillances si mûrement travaillées.


De l'autre côté de la rue, trois lycéennes attendaient le bus en parlant de leurs mecs, de ceux qui ne l'étaient plus et de ceux qui n'auraient qu'un mot à dire pour le devenir. Leurs conversations parsemées de rires clairs étaient extrêmement crues, mais ce qu'elles taisaient était bien plus que ça. Clémence ne discernait rien de malsain dans ces manifestations juvéniles plus abruptes qu'obscènes, mais elle les trouvait bien jeunes pour manquer à ce point de candeur.

L'une avait une pratique instinctive du vibrato amoureux, sommaire mais tonique. Elle en avait transmis les rudiments théoriques à ses deux copines, et la plus jeune avait timidement appliqué sa science toute neuve à son béguin du moment. Celui-ci parut en retirer satisfaction, hors qu'il ne manqua pas à rejoindre ses amis aussi vite que d'habitude. La dernière des trois, qui passait pour ouvrir la bouche avec plus d'aisance que les jambes, s'était extasiée sur la gamme des sensations que lui révélait régulièrement le vibrato, passant sous silence le profit exclusif qu'en faisait un flacon de shampoing au col étroit et allongé, rehaussé de la douce protubérance d'un bouchon – vissé ! - exempt d'angles. Cette jeune fille avait les vœux plus grands que le ventre.


Le flacon de plastique, conçu avec pertinence par un designer averti, venait s'ajouter à une collection déjà impressionnante débutée avec les carottes de l'ex-demoiselle Lamiche : la liste des choses qui avaient eu le relatif privilège de séjourner dans l'une ou l'autre des cavités organiques de gens socialement bien intégrés.

Elle croisait beaucoup de ces gens, percevant au passage les milliers de détails qui fabriquent une vie, surtout ceux qu'on veut taire, comme s'ils prenaient de l'importance à n'être pas partagés.

Et une sorte de vertige la saisissait à envisager le nombre et la variété des objets que certains de ses contemporains étaient portés à s'introduire dans le fondement avec plus ou moins de délicatesse.

La modestie des uns faisant pendant à la témérité des autres, ce rite populaire ignoré remettait chacun des nombreux amateurs face à lui-même : hommes ou femmes, jeunes ou vieux, le dilettante et le passionné, le traditionaliste et le novateur, le pusillanime ou le courageux, le fantaisiste, le curieux et l'esthète y trouvent chacun la réponse adaptée à sa tournure particulière.

Et que grand bien leur fasse… pensa Clémence avec sincérité.


Tous ces anonymes l'avaient délivrée d'entraves jusqu'alors inconnues. Car elle avait compris assez vite l'inanité du vague sentiment de culpabilité qu'elle ressentait parfois de s'être livrée à ci, de s'autoriser ça et voire même autre chose. En fait, le spectacle étourdissant de l'intériorité des gens ordinaires la positionnait à ce point au degré zéro sur l'échelle de la perversité que c'en devenait vexant...

Elle décida donc, comme un premier pas vers la sérénité, de ne plus s'étonner du nombre de ceux de ses concitoyens susceptibles de prendre leur rectum comme champ d'expérimentation.


Un peu abasourdie par la profusion des sensations qui lui étaient exposées, elle se proposa de faire le point devant un lait-fraise et entra dans le premier café venu. Là, attablée dos au mur au fond de la salle, protégée par l'opacité du lait et une expression qu'elle voulait hermétique, elle put observer les gens à sa guise.

Au fait des pensées de chacun, elle savait détourner les yeux avant même que l'observé ne décide de lui couler un regard. Cela s'avérait tout à fait pratique pour ignorer avec naturel les hommes qui cherchaient à croiser le sien. Elle en compta sept, sur les dix-huit personnes présentes. Parmi les autres, cinq étaient des femmes. Des six mâles restants, deux étaient timides et le troisième vieux, moche et lucide. Le suivant était amoureux et n'avait de place en ses pensées que pour son amie tellement si chère. Le cinquième devait de l'argent - qu'il n'avait pas - à un pithécanthrope brutal et borné qui campait devant sa porte, ceci justifiant à la fois sa présence et son manque d'intérêt immédiat pour la gaudriole.


Le dernier était le patron, qui s'interdisait toute fraternisation avec la clientèle en général - eu égard au tonus de son tiroir-caisse - et tout particulièrement avec les jeunes femmes, afin d'éviter les représailles d'une épouse fortunée, prévoyante, rancunière, soupçonneuse et omniprésente.


Ce que Clémence percevait de la personnalité cachée des femmes du lieu, pour intéressant que ce fût, n'était pas de nature à faire progresser sa quête : le vibrato n'était pratiqué que par trois d'entre elles pour qui celui-ci n'était, comme pour beaucoup d'autres, qu'une fantaisie spontanée parfois utilisée comme une récréation complice mais ne méritant ni étude sérieuse ni entraînement particulier. L'une, pourtant, lui apprit que le vibrato, bien avant qu'elle ne le baptise ainsi, était populaire sous le nom familier de casse-noisettes. Elle fut un peu déçue, mais considéra que l'aimable divertissement en question n'était en rien comparable à la discipline subtile qu'elle se proposait d'élever au rang d'Art. Le casse-noisettes fut relégué dans le tiroir aux anecdotes.

Elle s'imprégna un moment des images qui peuplaient le monde intérieur de la patronne. Celle-là, qui volait ses clients chaque fois que c'était possible, qui exploitait honteusement ses employés, qui fraudait le fisc avec un acharnement haineux, évoluant continuellement entre les odeurs de graillon, de mégots froids et de poivrots sales, aurait certainement tenu le vibrato pour une courtisanerie répugnante, indigne d'une honnête femme. Elle avait une véritable aversion pour le sexe de son mari et ce qu'il avait longtemps exigé d'en faire avant de baisser pavillon, de guerre lasse. Par bonheur, elle n'en avait pas enduré d'autre, et avait fait payer à celui-ci les outrages ignobles qu'elle avait dû se résoudre à en subir.

Car l'appendice indélicat se montrait désormais aussi morne et vide que le mari qui était derrière, se contentant de lui permettre d'aller pisser de façon parfois un peu moins laborieuse que les précédentes. Ses soupçons d'épouse, éveillés par cette subite absence de persécutions, se diluèrent peu à peu dans la certitude que n'importe quel crétin faisait mieux l'affaire que son époux, même pour un boudin trop longtemps oublié. N'en était-elle pas la preuve vivante, irréfutable ?

Elle restait cependant le cerbère intraitable de son mari, mais c'était exclusivement pour le faire chier. Par pure bonté d'âme donc, le cher homme souffrant de constipation chronique.


Clémence était curieuse de comprendre le pourquoi d'une existence aussi vaine.

Et elle comprit. Elle comprit parce qu'elle avait ressenti par les nerfs de cette femme, par chaque pore de sa peau ce qu'avait vécu une trop jeune fille aux formes trop tôt épanouies, romanesque et ambitieuse mais plus volontaire qu'intelligente, et beaucoup plus candide que ses comportements ne le laissaient augurer.

Fille unique d'un petit entrepreneur enrichi dans le commerce de l'urne funéraire compartimentée, elle avait rêvé son enfance durant du prince-chevalier qui viendrait, faisant caracoler son puissant destrier, l'enlever à la mesquinerie familiale. Elle trouvait vulgaire l'existence que ses parents lui faisaient, et s'en était échappé au bras d'un beau sous-officier qui conduisait avec ostentation un petit coupé sport. Fine mouche - croyait-elle à l'époque ! -, elle s'était fait passer la bague au doigt à force de n'autoriser au pauvre jeune homme que quelques baisers chastes mais prometteurs, pleins à déborder de passion contenue. Elle gémissait alors sur sa propre hâte à se livrer à l'appel de ses sens, et y mettait une telle conviction que l'infortuné, torturé par une impatience légitime, passa ses dernières nuits de célibat dans une agitation proche de la frénésie. Il ignorait, à ce moment-là, être au meilleur de sa lune de miel.


Cette première nuit fut une catastrophe définitive. Lui, qui n'avait connu contrairement à ses dires que des filles à soldats au sourire tarifé, lui qui des heures durant s'était échauffé aux promesses brûlantes de sa fiancée sans jamais avoir reçu d'elle le moindre apaisement, prenait pour la réalité ce qu'il avait lu des femmes dans des livres écrits par des hommes pour des hommes. Certain de voir le jour de gloire enfin arrivé, il était soucieux de se montrer à la hauteur du tempérament torride qu'une éducation presque luthérienne avait eu visiblement du mal à brider jusqu'au mariage libérateur. Il s'était donc juré d'offrir, ce soir-là, un mâle à sa jeune épouse, un vrai, comme chaque femme souhaite, au fond d'elle, en rencontrer un sans jamais oser se l'avouer. Ce soir, il était un grand fauve, superbe et sans pitié, il était Hannibal soumettant les montagnes au son du barrissement des éléphants de guerre, il était le guerrier faisant subir sa loi à la chair tremblante conquise à même le sol de marbre du harem dévasté, dans les cris des servantes et le sang des eunuques. Ce soir était son soir.


Elle, n'était ce soir-là qu'une très jeune fille face à ses craintes. Pendant qu'il dénouait son nœud papillon devant le miroir en sifflotant "La Sambre-et-Meuse", elle avait éteint la lumière de la chambre puis s'était glissée encore à demi habillée entre les draps, et avait prié la Vierge - n'en déplaise à Luther, qui aurait pu mieux qu'Elle comprendre son appréhension ? - de lui faire un amant doux, tendre et prévenant.


Il fut maladroit et brutal. Entrée pucelle dans le lit de son soldat d'époux, elle dut subir malgré ses dénégations, puis ses refus et même ses supplications l'éventail complet qu'il lui fit de sa présumée science érotique, tirée en grande partie des bobards, vantardises et commentaires de copains plus prétentieux qu'expérimentés, ainsi que d'une épaisse revue dans laquelle de jeunes et beaux contorsionnistes, photographiés en couleur et en gros plans, se livraient sur papier glacé à des jeux d'adultes avertis. Ce genre de jeux que la morale vaticane réprouve formellement, et que la charité incline à déconseiller aux arthritiques, aux enrhumés et aux hémorroïdaires, ainsi qu'aux débutants...

Elle avait eu le sentiment d'être violée, jusqu'aux os, jusqu'au cœur. Il lui avait fait mal, au cul et à l'âme, et elle se souvenait encore, trente ans plus tard, n'avoir refoulé ses larmes qu'en tentant de contrôler les haut-le-cœur causés par le goût, dans sa bouche, du sperme de son bourreau. C'est à ce moment-là qu'elle s'était juré de devenir son Torquemada personnel.

Parce que s'il était admis, dans sa famille, qu'une jeune fille capricieuse se trompe dans le choix d'un époux, voire dans le choix de tromper son époux, c'était une honte et un déshonneur que de quitter un mari épousé devant Dieu et la tante Clothilde. Dieu avait fait de sa tante Clothilde une femme très, très riche, très, très âgée et très, très à cheval sur les principes, qui furent bien la seule chose qu'elle chevauchât jamais. Son père avait fait d'elle la filleule de tante Clothilde et tante Clothilde avait fait d'elle sa légataire universelle.

Sachant que quitter cet homme désormais méprisé lui ferait perdre la faveur de sa très, très chère marraine, elle avait fait son choix. Personne, depuis, ne l'avait vu pleurer.


Quand tante Clothilde eut la délicatesse d'une embolie, lui laissant un patrimoine extrêmement conséquent, le sous-officier plafonnait à l'adjudance et le petit coupé sport, volé un soir de mai, n'avait pas été remplacé. Après que son père les ait informés de la nouvelle par téléphone, elle avait attendu que son mari, surexcité par la manne providentielle, tire pendant des heures des plans sur la comète. Quand il eut posé, triomphant, la dernière pierre du dernier des châteaux qu'il se proposait de bâtir en Espagne, elle sortit du silence auquel elle s'était obligée et dit simplement « Non », avec calme, puis quitta la pièce. La semaine suivante, elle avait acheté le "bar des Amis" et s'y était enfermée pendant vingt ans avec sa victime, et l'ambition unique de lui pourrir l'existence.

Au prix de la sienne, elle avait merveilleusement réussi dans cet exercice.


Clémence éprouva de la compassion pour cette femme revêche qui avait été séparée d'une vie heureuse, de n'avoir su dire ni "non" quand c'était nécessaire ni "oui" lorsqu’il le fallait.

Elle-même manquait de bonnes raisons pour mépriser cet homme qui n'avait le tort que d'être lui-même, c'est-à-dire juste un peu trop con.

Il avait pardonné l'amertume, les humiliations et le vide d'enfants, trouvant des raisons de femme à ce qu'il ne comprenait pas. Sans le dire, peut-être même sans le savoir, il éprouvait une sorte de tendresse pour celle qui était restée. Leur union, se dit Clémence, ressemble à un hachis Parmentier : un accommodement des restes de la veille, pas très esthétique mais de nature finalement assez homogène.


Elle cessa d'observer le couple et porta son attention vers deux jeunes types attablés plus loin qui lâchaient régulièrement des regards gourmands dans sa direction. Ils parlaient à voix basse, avec des airs entendus et des sourires narquois. Leurs mentons, pointés sur la ligne bleue des Vosges, et l'ostentation vestimentaire qu'ils habitaient avec l'aisance du naturel parlaient de certitudes, de rallyes mondains, de droit du plus riche.

Leur spectacle intérieur racontait plutôt les impuissances d'enfants capricieux et malheureux, la compétition permanente, l'apprentissage des règles de survie, de maintien et de croissance au sein de la féodalité sociale, et les humiliations reçues comme un adoubement, pour calmer les plaies à l'âme. Rien ne soignait ces plaies avec autant de volupté que la pratique permanente de l'ironie acide et d'une condescendance méprisante pour la plus grosse fraction possible de l'humanité.

Bien qu'issue, à l'évidence, de ce condamnable ramassis de larves, Clémence avait eu le privilège de retenir leur attention. Ils hésitaient encore à lui faire l'honneur insigne d'une séance collective d'entraînement à la dissémination de leurs précieux patrimoines génétiques, et ils débattaient déjà de savoir auxquels de leurs copains ils la céderaient, après en avoir joui, contre une bouteille de whisky ou une ligne de coke. Elle les trouvait désagréables.


Alors elle se leva, régla son addition et se dirigea vers eux d'un pas tranquille. En avançant, elle les voyait échanger clins d'œil infatués contre rictus satisfaits, mais les sentait aussi déstabilisés, perplexes face à son comportement finalement inattendu. Elle s'assit face à eux et les regarda en silence tour à tour, doucement souriante. Il leur fallut un moment pour se convaincre de leur bonne fortune, mais pas tant que ça. Au moment où ils allaient ouvrir la bouche pour proférer une platitude sur un ton protecteur, Clémence leva devant elle un index impérieux et ils se turent. Son sourire s'élargit et elle se leva. Ils la regardaient comme des enfants devant le père Noël. Ou des chiens devant une saucisse. Une dernière fois, elle les fixa, puis son sourire retomba brusquement et elle lâcha, glaciale :


- Même pas en rêve.


Puis elle s'éloigna avec assurance. Le plus réactif des deux garçons l'apostropha, soudain raide et grimaçant.


- Hé ! Dis donc, Kleenex, qu'est-ce que tu nous fais, là ?!


Elle leva les yeux au ciel en soupirant et revint sur ses pas, les toisant de son mètre soixante.


- Ah ? On se tutoie ?

- Et plus si affinités.


Il était très sûr de lui et avait retrouvé son contrôle. L'autre commit l'exploit d'un rire à la fois gras, servile et prétentieux. Clémence, qui s'étonnait de sérénité, ne cilla même pas.


- Gentil biquet, tu es beaucoup trop incompétent pour que je m'abaisse à faire ton bonheur.


En riant, l'interpellé prit l'autre à témoin :


- Non, mais écoute-la-moi, la prétentieuse.


Il se redressa et soutint le regard de la jeune femme, ironique.


- Écoute, Bimbo. Tu ne le sais pas encore, mais tu viens de rencontrer ton rêve le plus fou. Si je veux, je peux te révéler à toi-même. Sincèrement, tu m'agaces un peu, mais je me laisserais peut-être fléchir si tu sais te montrer gentille et appliquée.


Un ange passa, et elle reprit avec calme.


- C'est toi qui vas m'écouter, espèce de caricature. Regarde-moi : je porte en moi le souvenir de milliers d'étreintes, dont certaines plus sensuelles que tu n'es seulement à même de le concevoir.


Les deux gars échangeaient des Hoo ! et des Haa ! poisseux d'admiration feinte.


- Tu ne le sais pas encore, mais tu viens de rencontrer ton cauchemar le plus vraisemblable, parce que je sais tout de toi et que tu m'agaces beaucoup. Mais si je suis gentille, peut-être que je m'appliquerai à ne pas tout révéler d'un coup, afin de te laisser quelques copains.


Son interlocuteur se tourna vers son camarade, dans une attitude affectée.


- N'est-elle pas délicieusement espiègle ? Insolente, aussi, je te l'accorde, mais ce n'est que le symptôme d'un manque de leçons adéquates dispensées par le bon professeur. En général, la guérison est proche lorsque l'intéressée vient en redemander à quatre pattes…


Clémence, mutine, pencha gracieusement la tête de côté.


- Tu veux qu'on joue, alors. D'accord, par quoi veux-tu commencer ? Veux-tu que je raconte à ton petit camarade de quelle façon tu t'es acquitté d'une dette de jeu imprudemment contractée auprès d'un caïd notoirement homosexuel, ou préfères-tu que je lui explique comment tu finances ton train de vie frénétique en vendant des petits paquets de poudre blanche ?


Le garçon devenait livide.


- C'est pas vrai ! Tu racontes des conneries !

- Elles t'appartiennent, mon mignon. Mais je t'accorde qu'il y a une imprécision : tu ne t'es acquitté ainsi auprès de ton bienfaiteur que de l'intérêt de ta dette, qui court toujours et grossit à tel point que j'en ai par avance mal pour toi. Pour les soins, cherche à "Proctologue"...

Il était blafard, et comme tétanisé. L'autre avait cessé de ricaner et se levait, menaçant.


- Dis donc, pouffiasse, je rêve ou tu es en train de traiter mon copain d'enculé ?

- Ce n'est pas une insulte mais un constat. Quant à toi, tu t'assieds immédiatement ou je conte à cet auditoire qui ne demande que ça - elle eut un geste de la main pour montrer les consommateurs voisins que les éclats de voix avaient rendus attentifs - l'intéressante manière dont tu t'es défait de cet embarrassant pucelage dont aucune femelle bipède ne voulait.


C'était tellement facile : plus les deux minets s'affolaient et plus remontait à la surface de leur conscience reproches cachés et souvenirs honteux.


- À moins que je ne renseigne ton ami sur ce que tu as fait dans les plus jolis sous-vêtements de sa sœur, en indiquant combien tu lui as donné pour qu'elle accepte de t'assister dans cet exercice douteux. Il te renseignera peut-être sur l'âge avant lequel une jeune fille - même délurée - ne peut être circonvenue sans que son corrupteur relève à la fois de la pédophilie et des assises. Tu aurais dû te cantonner à tes premières amours : la zoophilie, bien qu'également illégale, reste pénalement beaucoup moins coûteuse.


Il se rassit, décomposé.


- Mais qui vous êtes, vous ? Un flic ?


Elle pressentit soudain une sorte de danger sous-jacent. Elle voyait, dans leurs esprits enfiévrés, défiler des hypothèses dont certaines pouvaient s'avérer déplaisantes pour elle. Elle décida alors de leur jouer la Grande Scène Finale, affaire de les clouer le temps de s'éclipser.

Elle prit un air qu'elle espérait terrible, l'ajustant au fil des émotions des garçons, et parla d'une voix sourde.


- Tu n'as pas cette chance. Aucun flic ne te parlera de ce joggeur que tu as percuté en forêt de Rambouillet, accélérant sans chercher à savoir dans quel état tu le laissais, juste parce qu'une nuit de beuverie te faisait craindre pour ton permis de conduire. Il n'y avait pas de témoins et tu n'as croisé personne pendant au moins vingt kilomètres, mais moi, je le sais. Comme je sais que ton copain a incendié toute une aile de son lycée uniquement pour faire disparaître les preuves d'une tricherie qui lui aurait coûté son bac. Je sais aussi ce que vous pensez en ce moment même. C'est extrêmement désobligeant pour moi, mais terriblement dangereux pour vous. Dans votre propre intérêt, je vous suggère de vous attacher à surveiller vos actes : vous devrez désormais les payer comptant. Chaque mauvaise intention vous vaudra un désagrément, chaque filouterie une perte, chaque méchanceté une blessure. Évitez d'aller au-delà des petites bassesses minables parce que vous ne supporteriez pas ce qui vous attend après. La récréation est terminée : il faut grandir, maintenant, les garçons.


Elle percevait parfaitement l'effet dévastateur de sa petite improvisation, mais si l'un des deux était absolument liquéfié de trouille, l'autre se raccrochait à un reste de doute. Elle décida de porter l'estocade sans lui laisser le temps de se rassembler. Elle se tourna vers lui.


- Toi, je te sens hésitant. Tu penses que je suis une sorte de psychologue très douée qui aurait appris sur ton compte des choses cachées, et qui cherche à te manipuler. Franchement, ce n'est pas très raisonnable… Analyse tout ceci à tête reposée et ça ne devrait pas t'échapper. En attendant, pour aider ta réflexion, je vais devoir t'infliger un petit dommage d'avertissement. Afin que tu puisses prendre goût à ta nouvelle vie sans arrière-pensées.


Elle pouvait sentir l'angoisse alourdir le ventre du garçon.


- Tu préfères trois mois de priapisme douloureux ou six de débandade totale ?


Il eut une amorce de geste du bras en reculant un peu la tête, comme pour se protéger.


- Non ! ... non, attendez... Je… Je suis désolé...


Il s'émiettait de l'intérieur. Clémence recula d'un pas.


- C'est un début.


Elle calmait le jeu, pour éviter le traumatisme définitif.


- Allez, ça ira comme ça. Après tout, on peut trouver un avantage à se conduire comme un con : ça laisse de vastes possibilités d'évolution. Mais n'oubliez pas ce que je vous ai dit.


Elle tournait les talons, mais les deux gars lâchèrent ensemble la question qui leur brûlait les lèvres. Ce n'était pas la même.


- Mais… Vous êtes qui, vous, à la fin ?!…

- Dites… Ça va durer longtemps, votre truc ?…


Elle sourit avec entrain.


- Futés comme vous l'êtes, je vous laisse deviner. Bon vent, les garçons.


Et elle se retourna, saluant avec aplomb les buveurs médusés qui n'avaient rien perdu du spectacle et, du coup, se mirent à applaudir. Le patron se pencha sur son bar et bougonna :

- Je préviens : on fait pas de quête ici et les consommations servies doivent être payées, numéro de clown ou pas numéro de clown.


Clémence gagna la sortie sous les regards amusés. Elle entendait en s'éloignant ses victimes s'apostropher :


- Dis donc, enflure, qu'est-ce que c'est que cette histoire avec ma petite sœur ?

- Ta gueule, avec ça, tu vois bien qu'elle dit n'importe quoi… !

- Tu me prends pour un con ? Tout ce qu'elle a raconté était rigoureusement exact !

- Ah, ouais ? Alors c'est vrai que tu t'es fait défoncer le cul pour un peu de fric ? Eh bien moi, tu vois, je ne parle pas aux enculés.


Elle sentit la douleur du garçon avant d'entendre le bruit du coup de poing. Nez cassé, avec certitude. Le brouhaha, qui sortait de l'établissement en même temps qu'elle, fit remonter d'instinct ses épaules. Vite, elle se désolidarisa de l'esclandre qui s'amorçait, et partit d'un pas tranquille alors que les curieux s'amassaient déjà, attirés par l'inhabituel.


Pendant qu'elle avançait, l'esprit volontairement clos aux sollicitations extérieures, elle lutta contre une bouffée d'incompréhension agacée. Au lieu de se réjouir d'avoir mouché deux prétentieux imbéciles, elle se sentait insatisfaite.

Comment font certains hommes pour avoir envie de femmes qu'ils mépriseront si elles commettent l'erreur de leur céder ? Comment parviennent-ils à se prétendre propres en étant convaincus de les salir ? Car enfin, il faut bien que cette prétendue crasse vienne de quelque part puisqu'ils tiennent à ce point à en dénoncer la présence…

Il lui fallait reconnaître ça à Valentin : dans son esprit, la brève représentation qu'il s'était faite de leur étreinte virtuelle, pour furieusement intime qu'elle fût, ne sous-entendait rien d'avilissant, au contraire. C'était plutôt gai, généreux. Doux, complice. Admiratif, empreint d'une respectueuse sauvagerie. Plein de délicatesse virile et de puissance attentive, et d'autres choses encore. Elle en venait même à se demander comment une fille normale et disponible pouvait se montrer stupide au point de gifler un homme aussi craquant au seul prétexte qu'il ait pu présumer de choses aussi agréables. Surtout dans une situation aussi naturelle. Somme toute.



Valentin avait le blues. Le vrai, celui qui se joue avec une guitare désaccordée pour bien sentir la dissonance, reposer l'âme en brimant l'oreille. Ou juste parce qu'on n'en a rien à branler. Du blues qui joue pour soi seul, et qui se mord la queue avec obstination sans y trouver d'agrément.

Il avait beau se répéter avec calme et conviction que, rien n'ayant encore existé entre Clémence et lui, le dommage n'était pas plus important que ça, il avait les boules. Immensément.


Il fit voler à travers la pièce la revue qu'il avait à la main, sans rage, juste pour chasser les rêves lacérés qui racontaient encore les courbes de la nuque de Clémence, le rythme de son pas et son parfum qui parle d'elle encore un peu après qu'elle soit passée. Cela n'eut aucun effet durable sur les harcelantes phalènes qui s'obstinaient à lui tourner autour. Pour cesser d'y penser, il se mit à y réfléchir. Qu'avait-il donc bien pu dire ou faire pour provoquer une réaction pareille ?

Un coup sur le front peut-il induire ce type de troubles du comportement ?

Il se connaissait bien, et savait avec certitude ce que la jeune femme lui inspirait. Ce genre de sentiment, par nature, exclut la possibilité d'une crétinerie oubliée dont elle aurait pu se vexer : il ne voyait en elle rien à moquer, rien qui lui déplaise.


Elle avait pourtant paru apprécier sa visite, et puis il y avait eu ce changement d'humeur quasi instantané et la gifle qui l'avait accompagné, blessante de plus que la force d'un coup. Sa réaction, se dit-il, n'aurait pas été plus vive s'il lui avait crûment proposé la botte. Et il était certain de n'avoir rien dit qui puisse être interprété comme tel, fût-ce par un ivrogne en tenue de scaphandrier. L'hypothèse de séquelles cliniques lui paraissait de plus en plus vraisemblable.

C'était plus facile à envisager : contre ça, au moins, il pouvait tenter quelque chose. Plus facile que d'en faire son deuil sans comprendre. Elle semblait avoir tant changé, en trois jours...

Bien sûr, il mesurait l'ironie qu'il y a, pour un garçon présumé lucide, à trouver "changée" une presque inconnue, comme si quelques saluts aimables pouvaient prendre la mesure de qui que ce soit. Mais il mesurait aussi le décalage entre sa connaissance objective de Clémence et le sentiment profond, spontané d'une connaissance autre, intime et véritable, qui lui chuchotait que tout cela n'avait aucune importance et se dénouerait de soi-même parce qu'elle l'aimait. Et elle l'aimait forcément, à cause de la façon dont lui se sentait l'aimer. Une évidence reste ce qu'elle est, même déraisonnable, parce que c'est comme ça.

Alors il se vit l'apprivoiser, l'aider à se retrouver. Il se vit l'assistant avec patience et bonne humeur, supportant d'éventuelles crises violentes sans plus les reprocher qu'une fièvre sournoise. Il se vit patient, la prenant dans ses bras sans vouloir l'embrasser, la couvrant d'attention et faisant attention à ne pas chercher à trop la découvrir. Passant des nuits de veille à la regarder dormir, avec l'envie de la toucher, juste un peu, qu'elle se sente rassurée jusque dedans ses rêves, et n'y cédant jamais pour ne pas qu'elle s'éveille. Et si son sentiment de quelque chose entre eux devait se vérifier, ce serait après. Pour qu'elle le choisisse, pour qu'elle veuille de lui en pleine conscience.

Il se sentit mieux. Le blues était allé bercer un autre endolori. On sonna à la porte et il alla ouvrir en remontant ses manches.


Clémence ôta son doigt de la sonnette. Son cœur, plus timide que sa volonté, tentait furieusement de s'échapper de sa poitrine pour s'enfuir vers le connu de son appartement, quelques mètres plus haut.

La cloche des Célestines avait sonné sept heures, mais elle avait pris l'escalier sans un regard vers l'ascenseur, pour être sûre de ne rien rater. Elle s'était arrêtée devant la porte de Valentin et avait sonné dans le même mouvement, craignant qu'une hésitation ne l'amène à remettre à plus tard ce qu'elle avait résolu de faire avant même de retrouver son piano. Bach comprendrait sûrement.


Le souffle court, elle cherchait à percevoir malgré la porte les pensées du jeune homme. Mais son talent ne s'exerçait pas hors la présence effective des observés, et elle dut se contenter de tendre l'oreille pour deviner l'approche de son pas. Maintenant, elle avait en plus mauvaise conscience. Elle trouvait minable d'avoir tenté d'épier ses pensées, ainsi qu'elle l'aurait fait d'un quidam sorti de nulle part et promis à y retourner. Sincèrement repentante, elle se rassembla à l'intérieur d'elle-même afin de s'interdire toute incursion indélicate, mais en se faisant vacante à ce qui viendrait naturellement de lui. Telle qu'elle s'était sentie lors de sa courte visite à sa chambre d'hôpital, mais avec la volonté arrêtée de n'opposer qu'un sourire indulgent aux représentations mentales un peu trop enthousiastes qui pourraient échapper à Valentin.


Elle était certaine qu'il en valait la peine. Et certaine aussi que son "don" entraînerait à coup sûr un essaim de désagréments, de désillusions et de sujets de fâcheries avec n'importe quel homme et que, puisqu'il fallait faire avec, elle préférait que ce soit avec lui. Elle se proposait de le lui dire, sans savoir encore si elle irait jusqu'à tout lui dire.


Quand il ouvrit la porte, elle prit en plein cœur ses pensées de l'instant, qui l'occupaient toujours et ne parlaient que d'elle. Dépouillées du reste de légèreté qui les accompagnait encore à l'hôpital, elles gagnaient en profondeur ce qu'elles avaient perdu d'insouciante fantaisie.

Submergée par ce flot chaud et doux qui l'envahissait, elle percevait la surprise et la joie du garçon, son soulagement. Il était amoureux, vraiment amoureux et elle sut qu'il allait l'aimer, longtemps, parce qu'elle ressemblait assez à ce qu'il présumait d'elle. D'autant plus qu'elle avait, en quelques jours, beaucoup compris du plaisir des hommes. Elle goûta l'instant avec volupté, retardant le moment de parler jusqu'à la lisière de l'acceptable, puis demanda :


- Vous m'invitez ?


Elle baissait la tête, faussement contrite.


À moins, bien sûr, que vous ne préfériez des excuses publiques...


Il rit. Dans sa tête, il riait aussi et elle en débordait de reconnaissance.


- Sincèrement, je suis bien content que vous soyez là et je me fous du reste. Vraiment.

- Je sais.


Elle croyait ne l'avoir pas dit mais il avait entendu.


- Vous avez dit quelque chose ?


Elle resta un instant silencieuse, l'envisageant d'un regard éhontément expressif, et sut immédiatement l'effet que sa prestation avait eu sur Valentin.

BA-OUM. Elle trouva qu'être télépathe n'a finalement pas que des inconvénients.


- Tu n'as pas envie qu'on se tutoie ?

- Qui dois-je tuer pour obtenir ça ?

- Si tu me proposais d'entrer, ça suffirait peut-être…


Il s'effaça de devant elle avant même la fin de la phrase.


Ils parlèrent tour à tour pendant plus de quatre heures, apprenant à se connaître. Passé ce temps, leur conversation devint plus rare, leur élocution plus difficile du fait que leurs lèvres refusaient absolument d'interrompre plus de quelques secondes leur propre volubilité tactile.

Clémence était bouleversée. D'abord par la force, la violence, même, des sensations qui l'investissaient sans qu'elle sache s'y opposer, mais elle tenait à ce bouleversement-là. Et aussi parce qu'il lui semblait trahir tout ce qu'elle percevait de l'amour de Valentin, de son terrible et merveilleux désir d'elle qui, au pied du mur, la troublait infiniment : il avait autant envie de ses yeux que de son cul, de sa voix que de sa peau. Et elle se sentait prête à aller chercher dans les coins les mieux cachés d'elle-même tout ce qu'il ignorait vouloir faute de le connaître, et à le lui offrir, sans condition. Mais elle ne pouvait pas s'abandonner, se faire un délice de chaque pensée, de chaque émotion de son presque amant sans lui avouer auparavant l'indiscrète singularité qui la différenciait des autres femmes. Elle ne voulait pas le blesser, ni lui faire de la peine, ni même heurter son amour-propre, et surtout pas être à l'origine de la première cachotterie qui existerait entre eux.


- Attends, Valentin. J'ai un aveu à te faire… Ce n'est pas facile à dire et je ne suis même pas certaine que tu y croies. J'ai envie… je veux que tu m'aimes, mais en connaissance de cause…


Une pensée traversa furtivement l'esprit du jeune homme, l'obscurcissant un peu sans rien y changer d'autre. Elle sourit.


- Non, je ne suis pas séropositive. Ni vraiment malade de quoi que ce soit, d'ailleurs. Mais c'est assez inhabituel et tu voudras peut-être reculer, ou prendre certaines précautions, alors je dois t'en parler.


Valentin crut avoir compris et son sourire attendri fit plisser ses yeux.


- Et c'est vraiment difficile. Si j'essayais de deviner, est-ce que ça t'aiderait ?


À son grand étonnement, elle lut en lui combien l'évidence de sa virginité habitait chaque occupant de l'immeuble, comme une sorte de bien collectif, l'un des piliers de leur culture d'escalier. Lui n'avait pas attendu les confidences des commères pour trouver à Clémence bien des choses de pucelle. Elle sut qu'il serait très doux.


- Bien. Valentin…


Elle soupira.


- … j'ai deux aveux à te faire.


Le jeune homme avait été fasciné par la conviction que Clémence mettait à ses explications. Il avait le sentiment que chaque début d'objection qui naissait en lui se voyait soufflé dans l'œuf en quelques mots, ce qui tendait à confirmer les assertions de la jeune femme. Valentin était un garçon logique et cohérent qui se suffisait de l'évidence, mais la culture de doute vaguement paranoïaque dont nos sociétés occidentales sont imprégnées exigeait une certitude qu'il ne voulait pas demander à Clémence. Celle-ci lui proposa immédiatement de la mettre à l'épreuve et cela constituait, en soi, un début de réponse. Il alla au plus simple :


- Tu saurais me dire à quoi je pense en ce moment précis ?

- Bien sûr. Tu essaies de penser que tu m'aimes mais tu te demandes si ce n'est pas un peu trop évident pour prouver quoi que ce soit. Tu viens aussi, très subrepticement, de trouver à ton goût la naissance de mes seins et malvenu le bouton qui limite l'échancrure de mon corsage.


En riant, il posa une main sur ses yeux, comme pour s'interdire les tentations.


- C'est épouvantable ton truc !


Il releva la tête, le regard brillant.


- Non, en fait c'est génial. J'ai seulement besoin d'un moment pour m'y faire. (Une ombre de sérieux passa sur son visage.) Tu vas devoir faire des efforts, toi aussi. Il m'arrive de temps en temps de penser de façon si crétine que j'ai du mal à me supporter. Il va falloir que tu fasses mieux : maintenant que tu es là, je détesterais que tu n'y sois plus. C'est ce qui s'est passé à l'hôpital ?


Elle hochait la tête comme une enfant prise en faute.


- Et je pensais à quoi, au juste ?


Elle rougit violemment. Pas à l'image elle-même, qui lui était désormais familière, mais au défilé de celles, largement apparentées, qui traversaient l'esprit de Valentin, lequel n'éprouvait aucun doute sérieux quant au sens général de ses pensées d'alors.


- C'était quelque chose comme ça, tu as raison. Mais c'était normal, c'était bien et j'ai eu tort. Je t'en voudrais si tu cessais d'avoir autant d'imagination, et encore plus si tu n'aimais plus m'y faire danser.


Elle se blottit contre lui, cherchant à enfouir son nez dans le cou de son amoureux, et souffla à voix basse :


- À voir, comme ça, j'aime bien comme tu danses.


Elle hésita quelques secondes.


- J'ai hâte que tu m'apprennes.


Clémence avait fini dans un murmure dont pas une inflexion n'avait échappé au garçon. Elle s'en était assurée, vite fait.



Jusqu'à plus ample information, ce qui se passa entre eux cette nuit-là reste de l'inédit dans l'Histoire Amoureuse de l'humanité.

Clémence en fut la pucelle la plus étourdissante, les souvenirs venant à mesure des besoins pallier l'inexpérience. Elle fut, pour lui plaire, des dizaines de femmes dont elle avait aimé les manières d'aimer, elle fit ce qu'elle savait que son amant voulait et ce qu'elle avait vu du plaisir d'autres hommes et qui pourrait l'amuser, ou le faire défaillir. Elle se sentait admirée, se voyait si gracieuse en l'esprit du garçon qu'elle s'en découvrait presque des manières de danseuse, et elle s'y sentait bien parce qu'il l'aimait ainsi. Elle surveillait en lui les désirs nouveaux, cherchant à le combler pour qu'il l'aime encore plus, mais ça lui devenait un peu plus difficile à mesure que s'installait une sensation inconnue : elle se sentait femelle, pulpeuse et désirée, forte et douce, et charnelle, et vacante. Elle apprenait sa peau au long des caresses de son aimé-d'amour, lisant en son esprit l'odeur de ses seins, celle de ses cheveux et d'autres choses encore qu'il respirait ainsi que des parfums princiers. Elle s'y découvrait belle, précieuse et importante comme jamais elle ne l'aurait cru, hors par ses yeux à lui. Elle apprenait son goût, des lèvres de son homme. Elle découvrait son dos, creusé pour son amant et pour laisser venir mourir plus haut les vagues qui gagnaient peu à peu au sable de ses fibres. Elle admira ses fesses de fille offerte, et reconnut la fleur que Valentin voyait en effleurant les pétales de sa vulve par ses doigts-papillons.

Livrée à des frissons qui la faisaient se tordre, Clémence se laissait gagner par l'oubli d'exister lorsqu’elle pressentit, dans l'esprit du jeune homme, une zone grise et floue qui s'étendait, semblant couvrir une faute oubliée ou un remords honteux et avide de lumière. Elle vit, désolée, se creuser ce fossé qu'elle n'avait pas voulu et qui leur volait l'amour.


- Quelque chose ne va pas ?


Dans le cœur du garçon, la voix de Clémence se tintait de clochettes. Elle fut rassurée mais pas assouvie.


- Tu ne le sais pas ? Alors je peux te cacher quelque chose ?


Le sourire était malicieux et personne d'autre qu'elle n'aurait su y déceler une pointe d'ironie amère.


- Tu devrais pouvoir, un peu. En y mettant toute ta vigilance et tant que tu ne t'endors pas. Mais ne te fatigue pas : je ne volerai pas tes souvenirs, je te le promets. Crois-moi, je t'en prie, je m'interdis de te prendre plus que tu ne voudras bien me donner.


Elle savait sans qu'il ait à le dire qu'il était convaincu de sa bonne foi, mais elle insista.


- Ni maintenant ni jamais, je t'assure.


Valentin prit une décision si brusque, si instinctive que Clémence ne vit rien venir.


- Vas-y, dit-il en se redressant.


Ses yeux brillaient à nouveau.


- On ne s'en sortira pas en jouant à cache-cache, pas plus qu'en se fixant des règles impossibles à tenir. Tu m'as bien dit que tu pouvais regarder au fond des gens, et y voir jusqu'aux choses qu'ils préfèrent oublier ? Vas-y, plonge, je vais essayer de te mettre la lumière partout…


La jeune fille percevait la détermination de son homme, soudaine et inébranlable. Parce qu'elle était femme, elle tenta pourtant une improbable négociation.


- Tu as conscience de ce que ce petit jeu pourrait nous coûter ? J'ai tellement peur de gâcher ce qu'il y a entre nous… peur de te juger, tu peux comprendre ? Je suis une fille comme les autres, tu sais, et même - pour ce que j'ai pu en voir - plutôt bardée d'a priori !

- Tu es la Fée-de-l'escalier et je veux te garder.

- Arrête de plaisanter, je n'ai pas envie de moins t'aimer et c'est un jeu idiot.

- Ne t'en fais pas : on ne va pas jouer, mais prendre la mesure de ce qu'il y a entre nous, justement, parce que c'est ça qui va nous protéger. Moi aussi, je suis un homme comme les autres. Devant tes regards - quels qu'ils soient - nous sommes à égalité, et j'ai même ton amour d'avance sur eux. Alors, je n'ai pas peur, ni pour toi ni pour moi. Puisque tu peux voir en moi, tu sais que ta… particularité ne me gêne pas. J'y vois même une occasion de grandir un peu, et je n'ai rien contre. Tu vas certainement m'aider à me rester fidèle. Pour ça, il faut que tu puisses tout regarder de ce que je suis. Et ne t'inquiète pas trop : regarder, ce n'est pas connaître. Je crois pouvoir encore te surprendre et t'amuser après ça.


Il s'interrompit un moment et elle respecta son silence, jusqu'à ne pas chercher la suite en son esprit. Elle se serait maudite de n'en être que seulement tentée.


- Tout à l'heure, un vieux souvenir m'a retenu par l'épaule, un souvenir désagréable que j'ai vite cherché à te cacher. On dirait bien que j'ai réussi mais ça m'éloignait de toi, et je devais te le cacher aussi. Et puis j'ai compris qu'à force de calculer tout ça je ne pensais plus à toi. Je ne croyais pas que ça puisse t'échapper et j'ai voulu te le dire avant que tu ne le découvres. Alors, tant qu'on y est, débrouillons-nous pour faire en sorte que ça n'arrive plus : vas-y une bonne fois et regarde partout, débarrasse-nous de ça.


Il fit encore une pause et répéta, plus bas :


- Vas-y.


Clémence n'eut pas le temps de protester encore. La conviction de Valentin l'avait faite hésitante et elle laissa passer les quelques secondes qui le lui auraient peut-être permis.

Il avait fermé les yeux et s'appliquait à se détendre, relâchant muscle après muscle, apaisant ses tensions internes par une sorte de non-effort qui surprit la jeune femme. Elle sut qu'il appliquait une technique de relaxation apprise lorsqu'il était enfant, et jamais oubliée parce qu'elle guérissait encore les plaies de sa vie d'homme. Elle voyait cela avec une clarté étonnante. Parce qu'elle n'en ressentait pas ici la présence, elle prit conscience pour la première fois de la dérangeante sensation d'intrusion qui avait accompagné toutes les incursions qu'elle s'était autorisée dans l'esprit de gens qui l'ignoraient. La netteté de ses perceptions présentes n'était que l'absence du voile d'hostilité inconsciente que jetait sur lui-même un esprit observé, perquisitionné à son insu.

Simultanément, elle comprit avec certitude que ses visites indélicates auraient été beaucoup plus difficiles à réaliser avec des sujets dûment prévenus de ses possibilités d'investigations. Elle voyait à présent nettement la capacité de l'esprit humain conscient à se défendre de semblable invasion, capacité latente mais qui s'exerçait instinctivement et pouvait à l'évidence s'affiner jusqu'à rendre totalement vaine la pratique de son propre talent.

Avec intérêt, elle nota que le traumatisme accidentel qui lui valait ce talent avait bien dû le prendre quelque part, étant donné l'impossibilité de tirer quoi que ce soit de rien du tout.

L'hypothèse d'une prochaine étape de l'évolution humaine lui parut peu vraisemblable du fait de la défense hermétique qui lui était si facilement opposable : on n'invente pas le lance-pierres dans un monde en armure.

Elle penchait plutôt pour une explication par le passé lointain de l'humanité, dans lequel cette protection avait, en se généralisant, rendu obsolètes les pratiques télépathiques. Elle s'avisa avec attendrissement que le lien étrange entre certains parents et leur nourrisson pourrait en être une survivance bien compréhensible : un bébé n'a rien à cacher et rien en lui ne cherche à juger.


Valentin était calme comme un lac au matin. Elle s'agaça d'avoir cessé un instant de penser à lui. Elle le sentait disponible. Activement disponible.

Et puis il commença d'ouvrir ses portes intérieures, lui offrant sa nudité sans en connaître rien, tel un amant aveugle. Sans rien demander, sans rien proposer, il laissait s'envoler souvenirs, rêves et faux-espoirs, hontes, fiertés et remords, et tout ce qu'il rencontrait sur les chemins de son esprit, les faisant flotter comme duvet à la brise afin qu'elle y fasse son choix. Afin que rien ne reste caché. Alors, elle eut la surprise de s'entendre appeler : Valentin, du fond de lui-même, lui parlait doucement de confiance et d'amour.

Parce qu'elle avait foi en ce compagnon qui venait la chercher là même où elle se croyait seule, elle s'immergea en lui.

La première surprise qui l'y attendait fut une sensation d'espace, l'absence du sentiment d'oppression, de tension qu'elle avait jusqu'alors toujours constaté chez ses hôtes involontaires.

Elle avait attribué cette sorte de rumeur ambiante aux flux des pensées, à l'activité d'un vouloir constamment aux aguets qu'elle croyait être le lot commun. Valentin semblait avoir réussi à s'en affranchir.

Elle ressentait partout sa présence sereine, comme une approbation tendre et rassurante même lorsqu'elle contemplait de lui ce que chacun cherche à cacher. Il s'était fait vacant, s'était voulu tellement visible qu'il en devenait transparent. Du coup, toutes choses en lui restaient sans conséquence ; les souvenirs coûteux de moments imbéciles, les instants de plaisir, les gloires douloureuses et les temps de grâce se mêlaient en nuées vaporeuses qui s'effilochaient doucement au vent de son esprit. Sa vie défilait là, qu'il laissait se dissoudre aux regards de Clémence ; il n'habitait plus rien de tout ce qui faisait sa personnalité et il était quand même. Il n'avait ici rien à défendre et ne voulait, ne désirait rien, mais il aimait toujours. Il n'était même plus que ça : un élan d'amour, immobile et débordant. Clair comme un cristal. Fluide et gai comme une source.

Clémence était émue à pleurer. Parce que ses cils s'alourdissaient de larmes, elle fit cligner ses yeux à plusieurs reprises, puis éprouva subitement le besoin de les garder ouverts sur une réalité familière, afin de retrouver un semblant de maîtrise d'elle-même. Ou pour fuir le sentiment de commettre un sacrilège : en frôlant de si près l'âme de Valentin, en contemplant de lui ce qui, au-delà des apparences, des usages, des cultures est en chacun de nous le sanctuaire ultime, le lieu sacré du Lien, elle se faisait l'impression d'outrepasser son droit d'inventaire de fille amoureuse.

Il était devant elle, deux fois dénudé et encore vêtu de simplicité sereine. Clémence le trouva noble, de cette noblesse qui ne revendique rien, et infiniment beau, aussi.


Les yeux clos, il respirait avec calme. Elle se laissa captiver par certains détails qui l'enchantaient, faits d'ombres sur des muscles masculins ou de veines qui palpitent, accrochant la lumière. Elle aimait sa peau, son odeur, sa douceur. Elle aimait son souffle. Et elle s'avouait avec satisfaction aimer aussi beaucoup cet un-peu-de-lui qu'elle ignorait des autres, qui semblait savoir parfois s'animer d'une vie propre, chantant son désir d'elle aux racines des hanches de son homme.


Elle s'avisa soudain d'une évidence improbable : ils se faisaient l'amour depuis des heures, offerts absolument, et son beau Valentin l'avait plusieurs fois éparpillée de plaisir. Elle-même connaissait chaque pouce de sa peau pour l'avoir caressé ou pétri, mordu ou embrassé, ou s'y être attardé, voire pire. Elle connaissait sa jouissance d'homme, la lui avait volée d'une langue assassine alors qu'il cherchait à la lui refuser, au fallacieux prétexte de ne pas heurter ses pudeurs de vierge. Et vierge, justement et à sa très grande stupéfaction, elle l'était encore. Physiquement, au moins. Cent fois elle avait cru que, il avait eu l'intention de, il s'était passé presque et même un peu plus loin, mais elle était certaine de n'être pas déflorée et n'en revenait pas. Et justement, Valentin avait ouvert les yeux et la regardait. L'admirait, plutôt, à en croire la ferveur d'un témoignage de plus en plus lisible.

Elle aimait le voir bander. Elle aimait savoir, sentir qu'il bandait pour elle, Clémence, et elle commençait à envisager d'aimer en profiter pleinement. Sans trop différer. Si possible.

Elle s'ouvrit à nouveau aux pensées de son amant, à ces pensées superficielles qui constituent le monologue intérieur, centré sur lui-même, de chacun d'entre nous. Valentin était revenu de son au-dedans. Avec ravissement, elle entendit qu'il lui parlait, à elle, et qu'il lui parlait d'elle.


(Est-ce que tu sais comme tu es belle vue de mes yeux ? / À l'instant j'ai senti ton cœur se percher sur mon âme / et j'ai pu me croire comblé / J'ai pu croire ne rien vouloir d'autre parce que mes paupières closes cachaient encore tes seins tièdes / souples, tendres / si doux à caresser / à respirer / et le creux de ton cou fait pour poser mes lèvres / et la lumière qui danse sur la soie de tes hanches / tes jambes longues-douces / la fleur de satin rose que tu caches au milieu / son calice brillant qui mène à tes douceurs secrètes / au velours que tu gardes à l'écrin de ton ventre / j'aime l'envie que tu as d'être trouvée jolie / de vouloir que je t'aime, que j'aie envie de toi / ta façon de tirer tes épaules en arrière pour remonter tes seins qui n'en ont pas besoin / j'aime savoir que tu m'aimes / en être certain / je veux que tu me veuilles encore / que ma bouche et mes mains ne te suffisent pas / regarder grandir ton envie d'être prise / alors que mon sexe me hurle mon besoin d'entrer en toi, loin / regarde-moi encore comme ça / je vais froisser tes lèvres / toutes / et tenir de toi ma paix... )


Elle se sentait folle de lui, comme jamais. Elle se sentait chaude, douce, accueillante.

Éminemment malléable. Glissante.


Par la fenêtre, derrière lui, elle voyait le ciel de la nuit se fendre doucement sous les doigts pâles du jour qui veut naître. Lui, l'air calme, se jouait le héros détaché des passions du monde. Mais il avait tellement, tellement envie d'elle, et elle se sentait si... vide de lui qu'elle se coula entre ses bras. Elle se cambra au contact des paumes de Valentin sur ses hanches, attirant sur ses seins la joue de son amour, les doigts dans ses cheveux, puis glissa contre lui, embrassant au passage tout ce qu'elle rencontrait, encore émerveillée du pouvoir qu'elle s'était découvert sur le plaisir de son homme. Elle prit le temps de chuchoter à la verge du garçon tout le bien qu'elle pensait de cette différence, puis retourna se lover autour de lui, nouant ses jambes après sa taille juste ce qu'il fallait pour sentir ce pénis vibrant comme serti contre sa vulve. De ses mains, Valentin avait saisi les cuisses de Clémence loin dessous et dedans, tout près des fesses, où la peau est si douce qu'on veut continuer d'y promener ses doigts. Là où il est facile à un mâle averti d'ouvrir à ses désirs les rideaux d'amour qui interdisent de manière si accueillante le vagin des femelles humaines.

Elle n'aurait jamais cru qu'un homme ait à ce point envie d'entrer en elle. Et à ce point envie de ne pas lui faire mal. Sans la télépathie, elle n'en aurait rien su. Elle aurait ignoré la sensation troublante pour n'importe quelle femme du besoin que son homme a de sa chaleur unique, du fin fond de son ventre, de sa façon à elle d'être humide, accessible.

En s'écartant un peu, elle fit de sa main une cage de douceur pour le membre chéri, tout brillant du vernis étalé de ses lèvres, et le guida avec une timide assurance à l'orée de son désir de fille. Alors elle embrassa son amoureux, en écrasant ses seins contre ses muscles d'homme, chapardant sa bouche de ses lèvres. Elle se sentait profonde et se fit doucement lourde, laissant entrer en elle la chair de Valentin, chavirée de tendresse que de la pénétrer le rende si heureux.

Elle avait attendu sans la craindre la douleur cent fois promise dans la cour du lycée mais ne fut pas surprise qu'un bref tiraillement la remplace et s'oublie. Imperceptiblement, sa bouche s'entrouvrit parce que son souffle s'accélérait au rythme de la lente, suave progression en elle du cadeau palpitant qui la faisait une autre. Valentin la serrait, la caressant partout comme s'il voulait être sûr de ne pas la rêver. Il la voulait plus fort, plus loin et elle se sentait prête à être déflorée jusqu'au cœur, jusqu'à l'âme pourvu que ce soit lui et qu'il en ait envie.

Elle le laissa passer doucement les bras sous ses genoux et les lui remonter presque jusqu'aux épaules. Il croisa ses mains dans le dos de Clémence et se leva ainsi, la portant sans effort. Il resta un instant debout, à se savoir en elle, sûr qu'elle écoutait son bonheur d'être un homme à ce moment précis. Ainsi, il la porta jusqu'au bord de la table où il l'assit à demi. Puis il souda ses yeux aux siens et s'enfonça profondément dans sa chair alanguie, avec une calme puissance qui la faisait fragile.

Elle eut une sorte de hoquet, parce que l'air lui manquait de sentir Valentin si présent dans ses entrailles. Le garçon s'était immobilisé à la fin du bout du plus loin d'elle, presque après le possible.


- Ne bouge pas... Je t'en prie, ne bouge surtout pas...


Elle avait murmuré comme une prière ardente, défaillante de trop d'impressions inconnues mais n'en voulant pas moins.

Dans cet hors-du-temps, elle se souvint du vibrato et sentit naître en elle le remous maintes fois répété qui montait, aisé et naturel, cajolant le sexe de Valentin dans son nid de velours comme le ressac caresse les algues au fond de l'océan.

Ils restaient immobiles, dans cet étroit contact d'esprits et de muqueuses, nourrissant leur plaisir du plaisir de l'autre. Clémence frissonna de se connaître prise, écartelée pour lui ; et puis elle s'oublia pour n'être plus que vagues déferlantes se creusant à mesure du bonheur de son homme. Avant qu'elle ne ressente, en son tréfonds douillet, les spasmes pulsatiles qui cabraient le phallus de son aimé-si-fort, elle avait perçu en lui l'appel de l'instinct mâle, si différent du sien, qui sait revendiquer d'un ton si péremptoire son besoin de lancer de sa vie au ventre des femmes.

Cet assouvissement était à Valentin une telle délivrance, il ressentait comme un tel privilège qu'entre tous les ventres tentants elle ait offert le sien, son ventre précieux de Fée-de-l'escalier, de Princesse-au-turban pour garder en ses plis sa semence mouillée, qu'elle s'en surprit le cœur débordant d'amour, et ça coulait partout, la submergeant en flots de joie violente qui la firent se tordre et refermer les yeux.


Clémence sut qu'il était plus tard parce qu'elle s'était surprise à chercher vaguement dans ses souvenirs l'éventualité qu'une pucelle puisse éprouver un tel plaisir lors de son premier rapport sexuel. Elle en conclut qu'il était bon d'avoir été à la fois vierge et télépathe.

Elle n'était plus ni l'un ni l'autre et le savait avec la même évidence tranquille, la même confiance joyeuse. Elle se savait aimée, et son preux chevalier avait annulé le sortilège en prenant sa vertu.

En le regardant dormir, les paupières agitées de rêves désormais inaccessibles, elle avait su qu'il lui faudrait renoncer à connaître de lui plus que ce que sait voir une femme amoureuse. Elle trouva que c'était bien, dans l'ordre des choses.

Son envie de sourire avait envie de mots.


- Merci, mon Prince charmant, d'avoir levé de ton sexe glorieux le charme qui me tenait éloignée des vivants... en étant trop près d'eux.


Elle avait murmuré mais Valentin l'avait entendue du fond de son sommeil. Son premier réflexe fut de la serrer brièvement contre lui, comme s'il avait pu craindre que ses rêves ne l'emmènent en partant. Rassuré par ce contact, il avait émis un ronronnement interrogatif qui pouvait passer pour une invitation à répéter.

En riant doucement, elle avait pris entre ses mains et posé sur son cœur la tête ébouriffée de son aimé-d'amour.


- Ce n'est rien, bel ami... des sottises de fille heureuse. Dors, mon chéri, retourne à tes rêves.


Il était déjà rendormi. Elle soupira, dans un sourire indulgent.


- Tu me raconteras... Peut-être.



 
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   Menvussa   
21/3/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Si j'ai aimé ? Oui, bien sûr.

"Madame Desnaves semblait un peu larguée, offrant aux regards éventuels l'expression avantageuse de la tanche de trois livres échouée face au sec-beurre-cornichons dont le pêcheur accompagnera peut-être son litre de côtes-du-rhône."

Cette phrase m'a réveillé, oui, je n'étais pas en grande forme et, si je prêtait attention aux mots, à leur sens, je ne vivais pas encore la lecture.


"Cette jeune fille avait les vœux plus grands que le ventre."

Là, j'ai plus que souri.


Des six mâles restants, deux étaient timides et le troisième vieux, moche et lucide.

Celle-là aussi je l'ai bien aimé.

Mais j'arrête là pour les mises en exergues car je ne vais tout de même pas tout noter et puis, j'ai à lire et du tès bon.


Voilà, c'est déjà fini.

Un récit qui se construit comme cette relation amoureuse qu'il évoque. Une pudeur contenue derrière ces mots que l'on pourrait dire crus. Le lecteur est déçu... Comment l'auteur pourra-t-il encore nous émouvoir après ceci, c'est tellement fort, tellement beau.

   Pat   
31/3/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Un seul commentaire avant le mien ? (je ne l'ai pas lu...). Je suis étonnée que cette histoire qui est ma préférée après celle de "génitique", n'ait pas eu le succès que j'imaginais. Un peu chaud peut-être... mais sans vulgarité aucune, du genre que j'apprécie particulièrement. J'aurais bien aimé avoir les pouvoirs même temporaires de cette jeune fille. Allez, qui n'a pas rêvé de savoir ce qui se tramait sous les alcôves (enfin, alcôve, c'est une façon de parler... puisqu'on va direct à l'essentiel). Une belle histoire d'amour, dont le romantisme tranche sur l'aspect plus dévergondé : étonnant de mêler vertu et sexe de cette façon. La vierge délurée, un fantasme masculin ? (ou Le... par excellence). Bon, on ne t'en veut pas Nobello, même si en tant que chienne... de garde. Parce qu'on parvient tellement à entrer en empathie avec tes personnages qu'on ressent toute la tendresse que tu leur portes et qu'ils dégagent. Même les personnages secondaires, comme ce couple au café qui s'est détruit à petit feu (j'ai beaucoup aimé cette histoire...). Il y a plein de fils narratifs dans ce récit, qui donnent envie d'en savoir plus. Ces personnages secondaires auraient leur place dans des romans à part. C'est sans doute le reproche que je pourrais faire à ce chapitre des salades. On a l'impression que tu as envie de raconter plein d'autres histoires, mais elles ne sont pas suffisamment développées, ou trop (en fait, je pense que certaines parties aurait pu être un roman à part entière, ou quelque chose de plus foisonnant, dans ces rencontres que fait Clémence... Mais, le risque est sans doute de perdre Clémence en cours de route, ou d'en faire une toile de fond qui nous la ferait perdre de vue. Je ne sais pas.
En tout cas, c'est évidemment bien écrit, l'idée est réjouissante, même si elle reste (malheureusement) improbable. C'est ça qui est chouette : écrire quelque chose qui ne peut exister (comme dans Génitique) et pourtant, on marche... On ne se pose même pas la question de la cohérence. Sans doute parce qu'elle l'est. Pas dans une vision triviale (quoique) de la réalité, mais à un autre niveau. celle du cœur ? C'est un peu eau de rose et lisse à la fin (comme pour Génitique), et pourtant, ça n'est pas très gênant. Juste un peu. J'avoue avoir un faible pour toute la partie "fantastique" où elle découvre et se sert de son super pouvoir (ça doit vibratotianer quelque part, sans doute...). Je ne vais pas faire une analyse détaillée pour comprendre (contrairement à la manière dont j'ai souvent décortiqué les textes), parce que j'ai envie de me laisser bercer par cette histoire pleine de sensibilité, d'humour et d'imaginaire... Le style y est évidemment pour beaucoup (le ton, les trouvailles lexicales, la fluidité...). Merci pour ces bons moments, Nobello.

   Anonyme   
12/4/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Nobello

Désolée de plus en plus de retard n'est il pas mais...
Alors pour le coup bravo
J'ai tout simplement adoré (bon déjà ton style promis je n'en parle plus)

Mais le thème génial et tout ca se lit sans forcer aucune longueur. (bien aimé les digression comme la patronne du café, les deux types etc...)...Ca ne tombe jamais dans les lieux communs , c'ets génial

Merci et bravo....

Xrys

   nico84   
12/4/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Pat, le peu de commentaire peut s'expliquer par la longueur du texte.

Moi même, j'ai peu l'habitude de lire des textes aussi long sur ordinateur. Et je n'ai pas été deçu. Quelle écriture fine et intelligente. Pas vulgaire, mais d'une sensualité rare. J'ai adoré chaque histoire dans l'Histoire.

Tu as porté son don jusqu'au bout. Ta nouvelle est parfaite. Fond et forme bien travaillés. Il y a tant à dire. Je suis admiratif sur l'ensemble de tes possibilités. On passe de l'humour, à la reflexion, à l'amour, la sexualité ...

A tous les oniriens, lisez ce texte !

   Pat   
13/4/2009
Pour discuter et approfondir vos points de vue sur ce texte, merci de le faire ici

   NICOLE   
9/5/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Je n'ai qu'une chose à te dire : j'aurais voulu l'avoir écrit moi même. Cette histoire est merveilleuse de délicatesse et d'hérotisme contrôlé. Je tire mon chapeau au funambule qui oscillle avec grâce au dessus de la miévrerie et de la facilité (bien au dessus), sans jamais s'y laisser glisser. Merci pour ce moment d'exception. Ne cesse jamais d'écrire.

   horizons   
11/6/2009
Une quête de l'amour absolu (ou de l'autre) touchante. La communion des corps et des esprits par le biais de la télépathie, si elle n'est pas nouvelle, est traitée ici avec un lyrisme et une exaltation pleins de sincérité, de chaleur (si j'ose dire).
Et oui, ça serait tellement bien si on y arrivait, Nobello...
Par contre, je suis moins d'accord avec le côté "vierge effarouchée" de ton héroïne. A la limite, pour que l'union soit parfaitement accomplie il aurait fallu que le jeune homme soit aussi vierge qu'elle. Là, Clémence (sans revendications féministes à 2 balles) est inféodée au plaisir masculin avec ce "vibrato" qui dessert la profondeur de ton propos. En quoi une technique sexuelle parmi tant d'autres serait-elle la clé d'une jouissance hors norme? C'est tellement subjectif...Autant la télépathie "mentale et physique" me paraît un formidable moyen de "fondre ensemble" homme et femme, autant le "vibrato"...De plus ce genre de subtilité acrobatique est-elle vraiment accessible à une "pucelle"? Cette contradiction dans le personnage de Clémence se retrouve dans la scène du café. Elle est jeune, fragile et parle zoophilie et autres pratiques de haut vol avec deux mâles surexcités. Bon, ok, l'encdote étant croustillante, on te pardonne cette invraissemblance.
Pour finir, quelques digréssions étaient un peu longuettes (en particulier l'intimité de toutes ces femmes: Mme Desnaves, la tenacière, la passante...etc)
Globalement un texte qui ne laisse pas indifférent servi par un style toujours impeccable. Joli titre également.
H

   Anonyme   
21/8/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément
Une fois n'est pas coutume, pour ma note qui dira mon impression... En effet, est-ce que ce n'est pas encore plus réussi que Génitique ? Je ne sais pas. Il reste cette impression fabuleuse d'une écriture qui dit et dit merveilleusement, d'une histoire, car c'est bien une histoire sous un titre qui ne le dit pas, le titre générique, que l'on raconte. Je salue l'humour, la douceur exquise, le jeu si poétique que tu t'accordes avec le langage. Vertuose ? Vous avez dit vertuose ? Non, virtuose, c'est ce qu'il convient de dire à propros de ce texte magistral.


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