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Sentimental/Romanesque
Alice : Rousseur
 Publié le 17/02/16  -  15 commentaires  -  10983 caractères  -  346 lectures    Autres textes du même auteur

Même de se marier, ça ne l’a pas tuée.


Rousseur


Mon grand-père a commencé dans l’herbe.


Mon arrière-grand-mère n’a pas joui, mais elle a exulté. Elle sentait la vie, sous elle, dans l’herbe, dans les restes de fleurs du mois de septembre, et elle s’en est contenté le temps de crier par-dessus le ciel.


Lui, c’était tout et c’était rien ; c’était le tout qu’on rencontre un jour et le rien qu’on raconte aux gens. Il était plus vieux qu’elle, il était amoureux, il la trouvait belle, assez belle pour qu’il la couche sur l’herbe, plus moelleuse que le foin dans la grange d’en face.


En l’embrassant pour lui dire au revoir, il avait caressé ses cheveux roux, et il avait su que par en-dessous elle était pareille : brûlante, échevelée, interminable. Il n’avait pas eu peur pour elle. Et il était parti faire sa vie. Mon grand-père était resté collé.


Mon grand-père, quand on a su qu’il existait, il n’a pas été détesté. Il a été pris en compte.


Sa mère a travaillé, tranquillement, pour qu’un homme l’accepte. Pas pour qu’un homme l’aime, se faire aimer c’était trop facile quand on était folle et rousse et libre, tellement facile que ça en devenait inutile. Les jupes, le foin et le rire, on n’épousait personne pour ça.

Elle a rapidement déniché le candidat idéal, un agriculteur raisonnablement prospère dans la force de l’âge vivant dans le village voisin, suffisamment voisin pour que ça soit quelqu’un du coin et suffisamment loin pour qu’il n’ait jamais pu la voir avec d’autres prétendants. Il n’est utile de rendre jaloux que les amoureux.

Quand elle a fait mine de le rencontrer par hasard, le jour du grand marché, elle tirait son bœuf qui tirait son chariot, ses bras sûrs et tannés, pugnace comme une travailleuse-née. Et plutôt que des yeux doux, c’est un regard, tout bien enrobé à la fois d’âme et de morgue, qu’elle lui a décoché. Les yeux invitent, les regards s’installent : deux semaines plus tard elle s’est retrouvée mariée.


Mariée et enceinte de deux mois.


Mon arrière-grand-mère, je n’arrive toujours pas à croire qu’elle soit morte de vieillesse. Il n’y a pourtant rien qui pouvait la tuer.

Même de se marier, ça ne l’a pas tuée.


Ça ne l’a pas tuée lorsque, dans le noir, il s’est mis à pétrir ses hanches comme on tente de deviner les contours d’un objet. Elle était dans le lit de ses noces, un peu trop belle pour son bien, elle le subissait ; et elle était, elle était quand même, de tout son être, ses mèches rousses déployées sur ses épaules, son visage et son regard. Peut-être même qu’elle l’aimait déjà un peu, comme on aime parfois d’instinct ceux qui nous font du mal sans le savoir.


Parfois, quand je ferme les yeux, j’arrive à imaginer la scène, tout en roux.


Mon arrière-grand-mère qui se laissait violer, qui camouflait mon grand-père le temps de lui donner un permis d’existence, qui pensait que maintenant, enfin maintenant, aux yeux du monde, de Dieu et de la Loi, ça se pouvait, que le bébé existe. Ça se pouvait.

Un bébé justifié, c’était un bébé sauvé.


***


Mon arrière-grand-mère n’a jamais eu honte.

En voyant son plus vieux, devant son mari, devant le curé, devant les invités, elle continuait de répéter : « Celui-là, c’est celui qui est arrivé dans de la vie. Dans plein de vie. »

Parfois, la vie c’était tellement plein que ça se divisait pour ne pas imploser, et continuer de vivre. C’était comme ça qu’elle voyait mon grand-père. Comme un trop-plein sous sa peau qui se serait scindé pour que tout survive, pour que les parents continuent leur route, aussi légers qu’avant, de l’herbe jusque dans la moelle.


Il était arrivé prématuré, mais drôlement bien fignolé, et ça n’avait pas eu d’importance : qu’une femme accouche mariée et elle pouvait approximer les calculs tout son soûl. Elle avait décidé de l’appeler Jacob, et même son mari avait su que ce n’était pas discutable.


Le reste du temps, il décidait, et elle louvoyait au travers ; elle savait louvoyer comme personne, ça a fait son bonheur et celui de ses enfants.


La nuit, elle s’éclairait aux nuages. S’il se mettait à pleuvoir après qu’elle avait suspendu les draps humides à la corde à linge, elle attendait qu’ils se remouillent, puis elle attendait qu’ils sèchent. Se dépêcher d’allumer les lampes, comme courir pour que rien ne se mouille, ça lui avait toujours semblé aussi bête que ce l’est.

Quand elle ou un enfant se blessait elle faisait raconter par Thérèse et Arthur, la troisième et le cinquième, une histoire de pirates, pour réinventer le bleu sur le coude, ou sur la pommette quand le mari buvait. Dans la vie, pour se sentir mieux ou pire, tout est une question d’histoires belles et moches, et ça elle le savait.


Il y avait des jours où le mari, mon arrière-grand-père officiel, se mettait soudainement à regarder sa famille plutôt que de s’échouer les yeux dessus. Ces jours-là les enfants ne savaient plus trop où donner de la tête. Quand on n’aime subitement plus dans le vide, on ne sait plus tellement aimer. Elle, qui avait définitivement transformé ses yeux en regard quand mon grand-père avait pris racine, elle cuisinait à son mari sa tarte préférée, et il pouvait redevenir un pirate. Les enfants se calmaient.


Elle, elle savait aimer n’importe qui, n’importe quand, n’importe où. Y compris son mari. Les gens extraordinaires comprendront.


***


On était en août quand quelque chose l’a alourdie pour la première fois.


Aux dix ans de Jacob, le mari s’était brusquement rendu compte qu’entre le berceau et le champ il y avait une autre étape, et les enfants qui savaient parler avaient finalement été inscrits à l’école. Pour deux ou trois ans, quelques heures du lundi au samedi, juste pour dire, et après on enverrait peut-être le plus vieux se faire nourrir ailleurs, chez les prêtres, parce qu’il apprenait trop vite et se musclait trop lentement.

Les plus petits étaient gardés toute la journée par des tantes, pour permettre à la mère, luxe suprême, de ne pas trop se fatiguer pendant les derniers mois de son énième grossesse. Et doucement les histoires belles et moches s’étaient espacées.


Si on avait pris le temps de lui demander, elle aurait affirmé que c’était ça, sa maladie. Carence en rêves. Plus encore que sa taille, c’était un bout de son regard qui maigrissait. Rien ne l’avait jamais autant fatiguée que de se promener dans la maison et dans le blé, accomplissant ses tâches, regardant les draps sur la corde se mouiller et se sécher, attendant qu’on rentre et qu’on veuille bien lui raconter des libellules. De guerre lasse, elle prenait de longues marches et salissait consciencieusement ses deux seules jupes, pour avoir à les relaver.


« C’est tout ce que je vais faire de moi-même, moi, tout ce que je vais faire de mes dix doigts, je le sais. Laver, je vais laver, et bien le faire. Eux, ils vont apprendre. Ils ont le droit, ça me ronge en dedans sans eux mais je veux pas qu’on les sorte de l’école. Sauf qu’il est pas question qu’il envoie mon Jacob au pensionnat. J’arriverai même plus à laver si le pensionnat mange mon Jacob. Et alors je servirai plus à rien. Alors je serai morte, vraiment morte, pour la première fois. »


Ironiquement, lorsque les enfants revenaient le soir, c’était pour la trouver si vacante qu’ils n’osaient même plus parler. Seul Jacob venait s’asseoir près d’elle pendant qu’elle reprisait. Il lui proposait une tisane, embrassait sa joue et s’accroupissait au bas de sa chaise, glacé malgré lui par la pâleur qui lui restait sur les lèvres.


Ce n’était pas sa vraie mère, celle-là était toute en cire.


***


L’école n’avait pas commencé depuis un mois qu’elle tombait malade pour de bon.


C’était un croisement entre une fièvre et un malheur, ça l’a clouée au lit.


« Anémie » a avancé l’herboriste, celui qui au village se rapprochait le plus d’un médecin. « Ou bien grippe. Tout cas c’est clairement pas le p’tit l’problème. »

D’office, on l’a transportée à l’étage et on a éloigné les enfants qu’on pouvait éloigner de la possible source de contagion. Seul Jacob restait et n’en démordait pas : étant arrivé sans qu’on ait eu à le lui demander, il était passé maître dans l’art de justifier sa présence. Tant pis pour l’école si la mère en cire fondait sous le ventre immense. Et puis, elle savait lire, la mère. Même en parlant à peine elle lui apprenait les mots plus vite que quiconque.


Le bon mot pour décrire l’état de la jeune femme aurait sans doute été « catatonie ». Mais en termes de mots savants on n’en demandait pas tant à l’époque.

De toute façon, peu importe le nom qu’on donnait à ce qu’elle avait, la seule chose que son médecin par défaut était à même de lui conseiller, c’était d’expulser la chose rapidement, et puis d’aller prendre l’air. Tous les remèdes mènent à l’air.


L’accouchement, un matin de novembre, lui a laissé le regard tout délavé. Pour la première fois depuis longtemps, on voyait ses yeux dessous, touchants et trop jeunes, avec la peur du viol tapie dans la couleur. Jamais un de ses enfants ne l’avait si peu sauvée.


Les tantes lui ont proposé une semaine au calme dans le cottage d’un cousin germain ; loin du mari, loin des enfants, au bord de l’eau, là où le fleuve et la mer c’était tout comme.

Sans l’ombre d’une hésitation, la rouquine a rétorqué qu’elle passait son tour. Entre des embruns et les yeux bruns de son Jacob, qui pouvait encore se faire manger par le pensionnat si elle relâchait sa surveillance, son choix était clair. Elle manquerait d’air.


***


L’arrière-grand-père a mis du temps à se décider. Accepter la liberté ça n’était pas son affaire, en particulier la liberté de sa femme aux cheveux trop longs, sa femme qui avait refusé tout net de les couper, ses flammèches, absolument tout net.

Ce matin d’octobre, il l’a réveillée en plongeant, pour la première fois en plusieurs années, son nez dans l’acajou de sa tête. Elle sentait l’herbe, les hommes, les tornades et les enfants, comme au premier jour. Chez mon arrière-grand-mère, même les odeurs ne s’appropriaient pas.


Il a attendu qu’elle soit assez réveillée pour pouvoir regarder jusqu’au fond de sa fièvre. Puis il a murmuré, en lui caressant les taches de son :


– Emmène donc ton Jacob voir la mer.


Ce sont ces mots-là qui l’ont guérie, sans doute encore plus que les vagues. Peut-être avait-elle la conviction que le pirate, même amoureux, serait incapable de l’emmener plus loin, que ça ne valait plus la peine de s’en rendre malade. Jusqu’à la mer, ça n’était pas par-dessus le ciel, mais c’était assez loin pour qu’elle puisse se dire qu’elle partagerait sa vie avec un bon mercenaire, et que son plus vieux ne se ferait pas manger. Ça aurait suffi à n’importe qui d’extraordinaire.


Je la verrai toujours, devant la mer avec son Jacob, le soleil en coups de crayon autour d’elle, sa silhouette blanche et rousse comme l’haleine de l’eau. Mariée à tout et à rien. Effervescente.


 
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   hersen   
3/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Pas besoin de savoir si l'arrière grand-mère a existé : elle représente si bien ce que pouvait être à l'époque la difficulté d'être une femme avant d'être une mère, qui était à peu près la seule reconnaissance sociale.
Se marier vite fait avec un laisser pour compte côté coeur est un sort peu enviable, mais que ne ferait-on pas pour son enfant.

Il y a dans cette nouvelle une grande douceur et elle finit par une preuve d'amour de ce mari "de circonstance" alors que la vie avec lui ne fut pas facile.

Suivre son chemin, c'est ce qu'a fait cette femme en défendant ses valeurs le plus qu'elle l'a pu. L'école pour ses enfants, par exemple.

Sur un sujet pareil, je ne suis jamais impartiale car je considère que chacune des femmes qui a su un jour dévier de ce qu'on attendait d'elle a favorisé l'égalité par des lois.

Il n'y a pas si longtemps qu'une femme peut voter ou ouvrir un compte en banque sans l'accord du mari. Une soixantaine d'années ?
Est-ce qu'on réalise le si peu de temps que cela représente ? Enfin, la contraception accessible à toutes, 1974 ?

Alors cette femme, couchée dans l'herbe, a participé à cette évolution.

Avoir su y apporter malgré tout cette douceur est très fort : c'est reconnaître le droit à un espoir toujours présent.

Flammèche pour parler d'une mèche de cheveux roux, très beau.

Merci de cette lecture.

   carbona   
4/2/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour,

Je n'ai pas été très emballée par cette lecture. Une lecture laborieuse j'ai envie de dire puisque j'ai attendu tout le texte de m'immerger, sans succès. Les mots ne m'ont pas parlé, j'ai eu la sensation de beaucoup de fioritures et au final il ne me reste presque rien.

Désolée,

Carbona

   vendularge   
5/2/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Voilà un texte qui raconte avec beaucoup de talent l'histoire courte mais dense de la vie de ces gens, âpre et laborieuse. Celle des femmes aussi, engrossées neuf mois sur douze pendant vingt longues années.

J'aime la construction narrative, la sobriété qui la rend très efficace, cette alternance de phrases courtes et simples (mais pas tant que ça) qui vont si bien aux personnages.

Bref, un grand bravo pour cette nouvelle d'une grande qualité.

   Pepito   
17/2/2016
Coucou Alice,

Forme : au milieu des merveilles, quelques points durs tel que :
"Il n’est utile de rendre jaloux que les amoureux." un truc coince dans la construction, mais j'ai pas trouvé mieux
"deux semaines plus tard elle s’est retrouvée mariée." pourquoi pas, tout simplement : "deux semaines plus tard elle était mariée." ?
"et elle était, elle était quand même, de tout son être, ses mèches rousses déployées sur ses épaules, son visage et son regard." là je vois un truc intéressant, mais je suis pas sûr, j'aime, pourtant, la formulation alambiquée. Peut-être manque-t-il un "elle même" ?

Puis, au hasard :
"Il était arrivé prématuré, mais drôlement bien fignolé, " mmm, miam ! excellent... le petit coup de pied dans le derrière des conventions.
"La nuit, elle s’éclairait aux nuages." c'est le genre, que meme en plein nuit, je sais qui a écrit... ;=)
"à regarder sa famille plutôt que de s’échouer les yeux dessus." ça c'est le genre... dont je suis jaloux ! ;=(

Fond : ben voilà, pas trop tôt !!!!
"Un bébé justifié, c’était un bébé sauvé." ouch !!! ça c'est rude... et vrai...
"Parfois, la vie c’était tellement plein que ça se divisait pour ne pas imploser, et continuer de vivre." si c'est pas bon ça ! miam !
"tout est une question d’histoires belles et moches" heureux ceux qui ont beaucoup d'imagination !

A mon avis, si c'est pas ton meilleur texte, on en est pas loin. Vraiment superbe !!

Un grand merci.

Pepito

Edit : je l'ai peut-être : "Rendre jaloux les amoureux n'a pas d'utilité." ... mais c'est pas encore le top... ;=)
Au fait, tu t'approches du "Conte de Suzelle" à grands pas... si c'est pas un compliment ça ?!

   Anonyme   
17/2/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Alice

Lecture qui ne se laisse pas dévorer. Faut prendre le temps de décortiquer les images, de peser les mots. De voir où ils mènent. Certaines phrases sont magnifiques et coulent comme un millésime et d'autres arrachent le palais, cachent leur lot d'épines sous une apparente décontraction.
Le rythme est lent. Faut se laisser bercer, prendre le temps.
Mais quand même, à la fin, il demeure comme un trop plein, une surabondance. Le plat de résistance est chargé de couleurs. Elles mettent en appétit et puis ça cale vite.
C'est beau. C'est généreux. Chaque petite feuille est soigneusement ciselée.
Mais peut-être fallait-il cette abondance pour mettre en scène cette histoire. Merci pour la lecture.
Veldar

   Anonyme   
17/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Quoi, moi, faire un commentaire de ce truc-là ?
Comment voudriez-vous que je puisse en dire quoi que ce soit ?
Chaque phrase lue, je l'ai retournée, disséquée, pour voir comment ça fonctionne, des fois que je serais capable d'en apprendre quelque chose.

Tout ce que je peux vous dire : ça fonctionne... plein tube !
Peut-être qu'un jour je comprendrai comment ça marche. En relisant souvent. Peut-être.



Finalement, je vous fais quand même un petit ajout, mûri au cours de la journée :

L'une des principales réflexions que je me suis faites au cours de la lecture : vous avez un style particulièrement elliptique et particulièrement à bon escient. Vous maîtrisez parfaitement l'inertie de votre machine, comme si la logique du récit continuait à se dérouler toute seule pendant un temps et que vous ne deviez en faire que le juste nécessaire pour entretenir le mouvement, le lecteur étant embarqué dans un véhicule dont il ne ressent pourtant aucun soubresaut. Cette synchronisation doit être difficile à régler. Mais peut-être vous est-elle naturelle.
Ca donne l'impression d'être plus intelligent lorsque l'auteur vous fait confiance.

"Elle s'éclairait aux nuages." :
Comme j'adore cette phrase ! On ne peut pas dire que votre style soit célinien, mais je retrouve là une partie de ce que j'adore chez cet écrivain. Dans cette phrase et bien d'autres, vous vous présentez comme son égale. Carrément !

C'est du très haut niveau.

   Anonyme   
17/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
En abordant cette énième nouvelle de toi je me croyais parée, je connais si bien les frissons qui remontent mon col lorsque je te lis, que cela devrait suffire à contenir le trop-plein d’émotion, n’est-ce-pas ?

C’était sans compter sur le mystère qui engendre ta magie.

J’achève de lire les dernières lignes de « Rousseur » la gorge nouée, le froid sur la peau…

Bon sang ! Où vas-tu puiser cette somme de tendresse ? Parce qu’une chose est d’éprouver les sentiments, mais une autre, et non des moindres, c’est d’arriver à retranscrire leur écume avec cette compréhension si fine du noble de l’humain qui est la tienne, et qui fait que l’on ne peut que t’aimer, Alice.

Alors oui, je sais, j’englobe tout : l’auteure et l’histoire ! Parce qu’il m’est difficile de dissocier les nouvelles que tu écris de tes valeurs que tu véhicules si généreusement et qui me touchent énormément.
Je suppose « que seuls les gens extraordinaires comprendront » ! ^^

Tout ce que l’on croit déjà savoir s’habille de chair sous ta plume. Quelle est belle ton allégorie de la condition féminine des siècles passés, sauvage, fière et si douce à la fois. J’ai adoré le paragraphe sur les histoires qui habillent les bleus, avec ta poésie au sommet.

Il faut que tu saches que tu apportes au « Sentimental Romanesque » ses lettres de noblesse. Je suis fière d’être une des fidèles de ton lectorat passionné.

Merci, merci, merci… mille fois merci amie mienne

   troupi   
17/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'en ai jamais rien dit mais j'ai tout lu d'Alice, des fois je me disais ; comment peut-elle avoir vingt ans et une telle écriture ?
Je pense aussi que c'est son meilleur texte. La profondeur d’âme du personnage est encore plus marquée que dans d'autres nouvelles. C'est sûrement ce ressenti qui me fait laisser une petite trace aujourd'hui.
Je ne vais pas noter les expressions et phrases qui m'ont le plus touché, ça serait trop long, je dis juste bravo pour cette fine observation des gens.
Alice au pays des mots rêve et nous embarque à chaque fois.
Merci pour ce talent offert.

   widjet   
17/2/2016
Ce qui sûr, c’est que lire Alice n’est pas suffisant.

Le plus souvent, il faut relire Alice. Bref s’y prendre à plusieurs reprises. Il faut aussi beaucoup de silence. En écrivant cela, je m’interroge en même temps sur mon ressenti. Ai-je aimé ce texte ? Plus que n’importe quel autre où j’avais un avis sinon pertinent au moins assez établi, là, je ne sais pas.

C’est pourquoi je n’évaluerais pas.

Le sensibilité, la richesse, la poésie, la narration, la lenteur (une grande qualité que la lenteur) bref tout ça, désormais, c’est de l’acquis. Et, pas de doute, j’aime ça. Alors qu’est-ce qui cloche parfois ? Je ne sais pas toujours ce qui fait que je change souvent d’avis. Cela peut être moi, lecteur, enfin la qualité de ma lecture plutôt, ma capacité physique (le forme du moment) et intellectuel. Ma sensibilité aussi. C’est possible oui. Le style ?…Oui…Non, pas le style car je crois que j’aime cette façon d’écrire, mais quelque chose qui me tient trop à distance, qui me fait depuis quelques textes pousser un soupir d’un ennui poli. Et les yeux secs.

Je cherche…

Ce dont je suis certain c’est qu’il y a des moments où je me perds ; ou la forme employée, la tournure, le phrasé, l’image qui m’est donnée par l’auteur, me déroute, me désoriente. A peine le temps d’ingérer (et parfois de l’apprécier) qu’une autre formule m’arrive. Et ainsi de suite. Ce n’est pas moi qui reprocherait à un auteur de stimuler un lecteur, de solliciter son intellect, son coeur, mais quand le procédé devient trop récurrent, ça a tendance à me mettre des cadenas autour du palpitant (à l’instar de quelqu’un qui irait piocher régulièrement dans son dictionnaire pour comprendre tous les mots qu'il ne pige pas). Alice apprécie mon honnêteté, je le sais, alors elle ne m’en voudra pas. De temps en temps, je ne peux m’empêcher en lisant et m’arrêtant sur certaines phrases qui me paraissent revêtir un sens particulier, profond ou plusieurs niveaux de lecture avant de me dire que si ça se trouve, c’est juste…allez, je le dis, un peu d’esbroufe. La plupart des lecteurs, y trouveront leurs comptes, car nul n'ignore que lorsqu'on veut absolument chercher un sens, on finit toujours par - grâce à notre force d’auto-persuasion - y trouver quelque chose. Et puis, de nos jours, moins on comprend, plus on crie au génie :)) …Dans la seconde qui suit, je me rétracte aussitôt. Car je lis aussi Alice autrement que dans ses textes et je sens bien que cette écriture fait partie de ce qu’elle est. Alors, si ce n’est pas surjoué, peut-être qu’à l’instar d’un Système d’Exploitation, je ne suis plus compatible ? Misère.…

Tu peux constater combien je suis largué, hein ?

Sur ce texte et même sur tous les autres, il y a beaucoup de jolies choses, et comme je l’ai dit, il y a cette pudeur, cette délicatesse « à fleur de plume » ; tellement de talent, alors pourquoi suis-je si parasité par des trucs comme : « c’était le tout qu’on rencontre un jour et le rien qu’on raconte aux gens » ou « Quand on n’aime subitement plus dans le vide, on ne sait plus tellement aimer ». Désolé, si certains tombent en pâmoison, moi le plus souvent devant ces formules (ou la manière dont elles sont formulées ? Sais pas) je reste pantois d’incompréhension. Ou je me sens con, ça dépend des jours, de l’humeur. Bref, ça ne me parle pas ou ça me donne une impression de "balancé" ("tous les remèdes mènent à l'air", ça claque bien, mais je n'arrive pas à me projeter au-delà de la jolie résonance auditive...ce qui est déjà pas mal me diras tu).

Veldar pointe dans son commentaire quelque chose qui peut-être m’éclairerait et qui pourrait - en partie - expliquer pourquoi je perds le fil et un peu de ma concentration en lisant (cette histoire en particulier) , c’est ce sentiment de « trop plein ». L’abondance qui fait que très vite, je suis rassasié ou je n’apprécie plus de la même manière ce florilège que je dois relire deux ou trois fois pour bien comprendre l’exacte portée (encore une fois c’est peut-être de mon fait). Parfois trop de générosité indispose. Quand on maîtrise la farandole des mots comme toi, je pense et suggère (humblement) de (me) laisser déguster, picorer.

La saveur n'en sera que meilleur.

Bref, je suis perdu car je sais et me souviens aussi que j’avais beaucoup aimé les premiers textes d’Alice.

Alors, bordel, que m’arrive-t-il ?

W
(auteur super ingrat)

   Automnale   
18/2/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Que faire quand tout est gris, que rien ne va, que l’hiver n’en finit pas et que la date affichée sur le calendrier rappelle des moments douloureux ? Eh bien on s’offre un Alice. Et voilà !

Elle a frappé fort - très fort -, une fois encore, notre petite amie Québécoise.

« Rousseur », pour ne rien manquer, tout savourer, être épaté, sous le charme, doit se lire au moins deux fois. A nos risques et périls certes, car, ensuite, l’héroïne nimbée de flammes ne quitte pas notre esprit. Il y a, dans cette histoire, une atmosphère à la Maupassant, un petit je ne sais quoi à la Barbey d’Aurevilly… Ou, encore, le coup de pinceau d’un grand maître impressionniste. Au fil de notre lecture, nous ne savons trop si nous devons sourire ou être émus. Nous sommes émerveillés.

Ah, le grand-père d’Alice ! La façon dont il a été conçu, dans l’herbe folle, c’est quelque chose (nous devrions toujours savoir où et comment nous avons été conçus)… Il est vrai que le géniteur n’était ni plus ni moins le tout qu’on rencontre une fois et le rien qu’on raconte aux gens… En partant faire sa vie, il n’avait pas eu peur pour sa conquête éphémère. Pourtant le grand-père, lui, est resté collé… Et quand on a su qu’il existait, il n’a pas été détesté, il a été pris en compte (l’histoire commence, en effet, fort).

Mais comment procéder, à présent ? Se faire aimer c’était trop facile quand on est folle et rousse et libre… Et puis, les jupes, le foin et le rire, on n’épouse personne pour ça… Lorsqu’elle a rencontré celui sur lequel elle a fixé son dévolu, elle tirait son bœuf qui tirait son charriot… En vérité, elle a fait mine de le rencontrer par hasard. Et l'élu n’y a vu que du bleu ! Les yeux invitent, les regards s’installent, deux semaines après elle s’est retrouvée mariée (les délais légaux pour publication des bans étaient-ils respectés ?). Mariée et enceinte de deux mois…

L’arrière-grand-mère d’Alice, même de se marier, ça ne l’a pas tuée… Ca (avec une cédille) ne l’a pas tuée lorsque, dans le noir, le malheureux élu s’est mis à pétrir ses seins comme on tente de deviner les contours d’un objet. Elle le subissait. Mais peut-être l’aimait-elle déjà un peu, comme on aime parfois d’instinct ceux qui nous font du mal sans le savoir. Alice parfois, lorsqu’elle ferme les yeux, arrive à imaginer la scène, tout en roux... Son arrière-grand-mère se laissait violer, juste pour camoufler le grand-père, le temps de lui donner un permis d’existence. Bref, le grand-père est arrivé prématuré, mais drôlement bien fignolé ! (tout ceci, de la part de l’auteur, est du grand Art).

La nuit, l’arrière-grand-mère s’éclairait aux nuages… Elle mettait des enfants au monde, lavait, lavait encore, faisait sécher les draps, allumait les lampes… A propos, allumer les lampes, comme courir pour que rien ne se mouille, ça lui avait toujours semblé aussi bête que ce l’est ! Par ailleurs, elle savait que, dans la vie, pour se sentir mieux ou pire, tout est question d’histoires belles et moches (voilà qui confirme l'entame de ce présent commentaire)… Les gens extraordinaires comprendront…

Donc, elle lavait, s’éclairait aux nuages, mettait ses enfants au monde, mais, surtout - surtout - elle adorait son Jacob, le grand-père d’Alice… Et Jacob, le grand-père d’Alice, lui rendait bien cet amour… D’ailleurs, il était hors de question d’envoyer son amour en pensionnat. Elle n’arriverait plus à laver si le pensionnat mangeait son Jacob. Elle ne servirait plus à rien. Oui mais, voilà, le mal-être s’installa, l’arrière-grand-mère d’Alice tomba malade. Au motif de carences en rêves, elle devint comme en cire. Même que l’herboriste ne put faire grand-chose. Mais Jacob était là, et bien là. Arrivé sans qu’on ait à le lui demander, il était passé maître dans l’art de justifier sa présence. Néanmoins, lorsque l’arrière-grand-mère d'Alice s’éveilla, on put remarquer la peur du viol tapie dans la couleur de ses yeux.

Evidemment, les tantes lui conseillaient de s’évader, de s’aérer. Oui mais, entre les embruns et les yeux bruns de son Jacob, son choix était clair : elle manquerait d’air. Or, un matin d’octobre, le bisaïeul de substitution d’Alice plongea, pour la première fois en plusieurs années, son nez dans l’acajou des cheveux de l’arrière grand-mère. « Emmène donc ton Jacob voir la mer », dit-il.

Et Alice, de conclure de façon époustouflante : « Je la verrai toujours, devant la mer avec son Jacob, le soleil en coups de crayon autour d’elle, sa silhouette blanche et rousse comme l’haleine de l’eau. Mariée à tout et à rien. Effervescente. »


Voilà, à peu près, toute l’histoire de « Rousseur »… Cette histoire qui a réussi à nous faire oublier la grisaille, la froidure d’un hiver qui n’en finit pas et la triste date affichée sur le calendrier. Ce récit - l’auteur me pardonnera, j’espère -, je l’ai savouré à la manière de délicieux caramels mous au beurre salé de Bretagne !


Bien sûr, le véritable grand-père de l’auteur (e) se prénomme René ou André, et certainement pas Jacob ! Bien sûr, dans sa vie d’écrivain, l’auteur (e), pour notre bonheur, s’inventera - je n’en doute pas - un nombre conséquent de faux grands-pères et de fausses arrière-grands-mères… Il n’empêche, comme ceux-ci ont du caractère !

Alice nous montre ici, si besoin était, l’étendue de son exceptionnel talent, de son incroyable imagination. Avec tant de sensibilité, d’humour sous-jacent (sans point d’exclamation, et cela c’est épatant), de brio, elle crée sur son écran, avec intelligence et une écriture ô combien originale et vivante, des personnages inoubliables. Nous ne pouvons que demeurer admiratifs.

Epoustouflant, oui.

   Anonyme   
18/2/2016
 a aimé ce texte 
Un peu
Quelle chance vous avez Alice de recevoir autant de compliments, de commentaires aussi enthousiastes. À chacune de vos parutions, comme un fan club se précipite pour vous lire. C'est la plus belle des récompenses pour un auteur et ce n'est certainement pas tombé du ciel. Vous avez un talent indéniable, que je reconnais mais qui pour ma part ne me touche pas plus que ça, pour des raisons déjà exposées. Vous évoluez à merveille dans ce registre sentimental, familial, où des émotions subtiles se rajoutent à une ambiance quasi poétique. C'est beau tout plein mais définitivement loin de la dure et froide réalité ; celle qui fait mal, par nature insensible, qui ne s'encombre pas d'un habillage littéraire. Or c'est plutôt celle-là que j'apprécie.

   Alice   
20/2/2016

   in-flight   
20/2/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Alice,

Je passe sur l'aspect sociologique, tout est bien retranscrit: en immersion dans le monde rurale d'avant (jolie pied de nez pour "coucher sur l'herbe" plutôt que dans le foin, une déviation pour éviter l'image d'Épinal)

C'est l'histoire d'un "ventre" qui souffre et qui préfère " manquer d'air " par dévotion (soumission) envers sa famille. Cest de la mansuétude à tout crin parce qu'elle n'a pas le choix et j'ai bien cru que tout ça allait mal finir... Ce qui a rendu la fin plus savoureuse. Ce "bon mercenaire", je suis certain qu'il s'est trouvé heureux de prendre cette décision. Ça se propage vite le bonheur des fois. Des fois...

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Au rayon grivois, j'ai adoré "par en dessous" et "pétrir les hanches" (la levée du pain/la levée de la rousse).

"les gens extraordinaires comprendront" --> encore faut-il qu'ils aient conscience, ces gens-là, de leur capacité d'adaptation, de leur bonté infinie. C'est pas son homme qui va lui rendre hommage.

"lui raconter des libellules" --> inconnu au bataillon. Un exotisme lexical nord américain sans doute...

   MissNeko   
23/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Même si la lecture à parfois était laborieuse ( tournure de phrases particulière notamment) j ai aimé l atmosphère à la fois dure et poétique. Un beau portrait de femme.
Merci pour ce partage.

   senglar   
4/3/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonsoir Alice,
(vu l'heure tardive)


Peut-être insistez-vous trop sur la rousseur mais cette nouvelle est pour moi une véritable découverte - Maupassant plutôt ancré XIXè et plus concis - et tout contrairement vous faites allusion à une certaine découverte... qui me semble postérieure au récit (ne jamais faire étalage de ses connaissances, ne jamais dire que l'on sait, gommer la documentation), je pourrais rechercher le passage (mais seulement si vous me le demandez ;) ). Je rencontre ici une vraie plume - originale et qui accroche - et c'est un ravissement.

J'en sors enchanté.

En fait je n'en sors pas...

Croyez-moi Alice je reviendrai !


senglar ex brabant


PS : Bien sûr la rousseur ici est la clef.


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