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Réalisme/Historique
alvinabec : Bobun spécial
 Publié le 28/11/18  -  7 commentaires  -  6344 caractères  -  63 lectures    Autres textes du même auteur

Toi et moi.


Bobun spécial


On commence par un plan fixe sur son visage, plus précisément son regard qui semble rire avec des yeux noirs un peu liquides, dit-il. Je veux ça. Absolument. Puis tu enchaînes avec un zoom arrière sur la terrasse, quelque chose de large, les arbres dénudés, un soleil inattendu entre les branches d’un hêtre ; bien rouges, le hêtre comme le soleil. Mais, l’arrière-saison, c’est un peu inattendu comme tu dis, pour un soleil de feu, non, dis-je ? Ce n’est pas les Laurentides ici, les hêtres des avenues... Débrouille-toi, je te donne les couleurs du projet, ne me coupe pas sans arrêt, s’agace le grand. Il faut que l’on avance, tu sais.

La vue englobe donc à ce moment, nous sommes d’accord, le restaurant, pas mal de gens en extérieur à siroter une bière, la rue à sens unique, le canal, des badauds de fin de semaine. Au vu de leur pas ralenti, quasi vacancier, on est certain d’être à vendredi, cravate absente sur un costume chiffonné, chaussures sportives. Une tranquillité encore timide, pas tout à fait installée, bref on constate un mélange d’entre-deux. À la terrasse, les blousons sont ouverts sur une absence de débraillé, du sérieux les pieds au sol, de la bière, du soleil, des téléphones. Beaucoup. On s’appelle, on se donne RV, on s’attend. Bruissement de grande ville. Et une voiture blanche en surimpression très rapide.

La caméra se rapproche de la fille aux yeux noirs, mais quelque chose d’un peu flouté autour de ses cheveux, elle téléphone elle aussi, bien sûr, on suppose un amoureux à la façon dont elle sourit à son verre rempli d’un liquide vert sous un parasol de papier. Le spectateur doit suivre son parcours dilué dans la boisson exotique. Là, on feed sur sa vie.

Allez, on envoie du classique, arrivée de la petite Malgache à Paris, là grâce à la récolte de l’or-vanille, toute la famille s’y est investie dans ces champs de vanilliers, tu le sous-entendras, tu mettras quelques photos bien choisies de l’île, de l’ethos, hein, pas de misérabilisme, ce n’est pas le fil de l’histoire. Bon, une fois établie sa candeur-fraîcheur, tu tiens le parcours de la fille, on la voit brillante, en fac, en Vélib’, en métro les jours de pluie. Elle visite, elle aime les bruits citadins, les salles de concert, les musées, les petits restos de quartier, la foule au parc quand le ciel est bleu. C’est grisant après les étendues vertes et parfaitement dépeuplées de l’île.

Elle s’active, milite pour le droit des femmes et ceux des minorités, elle défend les LGBT, envoie de l’argent pour la construction d’écoles à Madagascar, elle se penche sur un bouquin d’anat., que sais-je, gamine prometteuse sans afféterie. Tu y mets les petits riens qui dessinent le personnage, c’est ta partie. Et surtout, surtout, là j’insiste, tu me la fais saine de partout, Okay ? Évidemment, rétorqué-je.

Elle est figée, presque immobile devant une fenêtre. Elle rêve à son avenir, sans aucun doute médical, elle est faite pour ça, soigner c’est ce qui la motive le plus dans ce monde pressé. Elle imagine, après ses années hospitalières, s’installer dans un cabinet de groupe, peut-être dans un quartier populaire, bon, pour les détails tu verras mais il y faut un parallèle avec ses origines... Je pense à un travelling tout bête et au loin une autoroute avec peu de trafic si ce n’est une petite voiture blanche qui file sur la voie de gauche.

Alors, maintenant, on s’occupe de l’amoureux, celui-là il le faut juste ici. Il sonne chez elle, ou plutôt chez eux, puisqu’on apprend par le décor un brin bordélique où les baskets mâles s’emmêlent les lacets avec les féminines qu’ils partagent le même appartement. Elle ouvre, elle est contente, lui saute quasiment dessus, elle est spontanée, lui un peu moins. Mais ça colle entre eux, c’est fluide. On s’attarde sur leur façon de vivre ensemble, la cuisine encombrée, les instruments de musique, peuple gai de la pièce principale, mets un saxo bien en évidence sur le piano, on a à ce moment la certitude d’être en présence d’un musicien. Il chante l’espoir sous une coupe afro seventies, il est aussi crépu qu’elle a les cheveux raides. Projets, projets, un resto un concert la semaine prochaine, quelque chose comme ça. Tu insistes sur la légèreté de l’être, tu cadres large. Et ça englobe encore, bien sûr, une voie d’autoroute et une voiture blanche comme une lumière traçante sur la ligne fluorescente du macadam.

Tu peux, sans y être obligé, élargir sur des vues accélérées de la ville, les bâtiments, les bruits, les hommes remontés comme des mécaniques, déversés d’un métro ou s’y engouffrant, va voir du côté de Metropolis ou des Temps modernes, des images anciennes certes, grises peut-être, actuelles toujours. Bon, maintenant tout doit aller très vite. Et comme une fulgurance, la voiture, toujours la même, sort d’une bretelle périphérique et s’engage vivement sur l’avenue au nord de la ville. On la voit très distinctement avec plusieurs occupants cagoulés, peut-être quatre, voire cinq. Le véhicule opère un virage aléatoire et stoppe sur le terre-plein central.

Dans un fondu enchaîné, retournons à la terrasse du resto, la fille s’accroche à son téléphone, elle écoute un message, l’amoureux sera là plus tard, il est encore en studio, qu’elle commande son Bobun spécial, ce à quoi on suppose qu’elle acquiesce en hochant la tête. Une drôle de lumière irisée remplit le champ dès ce moment, tu flouteras. Puis tout devient opaque avec un éclairage rougeoyant de labo photo. Entre les kalash’ qui s’emballent, les corps au sol et les cris qui s’ensuivent, elle ne perçoit, d’un seul coup, plus rien.

On finira avec un plan rapproché sur l’œil noir qui coule dans le liquide vert, quelque chose de très lent, un fond sonore de balles traçantes, rien de plus. Sobriété. Moi, je lance les grandes idées, le pitch général tu vois, après c’est à toi de mettre en images, hein ? Tu précises, c’est tout. C’est ça, la réalisation, très cher. Oui, dis-je. Je réalise. Le financement, pas de problème, je suis certain de trouver, on est dans une décennie de repentance. On va le faire ton court métrage. Un vendredi, en novembre. Le lendemain des attentats les panneaux lumineux de la ville titrent : « Paris est une fête », gros plan là-dessus et... générique de fin.

Bon, c’est pas mal aussi, tu fais comme tu veux mon vieux, mais l’idée d’ensemble, c’est moi...


 
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   plumette   
10/11/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un très bon texte, dont l'écriture m'a emportée d'un trait jusqu'à la fin.
C'est visuel ( normal!) rapide , évocateur et vraiment efficace.

j'ai beaucoup aimé ces dialogues indirects ( je crois que cette forme a un nom particulier)
j'ai du aller voir sur google ce qu'était un bobun...un très bon titre car il intrigue.
J'ai été sensible au cynisme du réalisateur, tout le long en filigrane qui donne à ce txte un côté glaçant.

chapeau!

Plumette

   maguju   
28/11/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Sans doute parce que nous sommes en novembre et parce que les événements dramatiques du 13 novembre 2015 résonnent encore fortement en chacun de nous, j'ai de suite compris comment finirait votre texte...J'ai aimé le parti pris d'un découpage de votre histoire en différents plans caméra détaillés. Cela permet au lecteur de visualiser parfaitement chaque scène-à ce titre l'atmosphère d'une soirée de début de week-end est parfaitement rendue- mais cela induit également une distanciation salutaire en regard de l'événement dramatique que l'on sent venir...Bravo

   David   
29/11/2018
 a aimé ce texte 
Pas
Bonsoir,

Je ne suis pas transporté, je me suis arrêté au premier "dit-il" qui semblait sorti de nulle part, mais j'ai saisi peu après que c'est un espèce de "dialogue-monologué", quelqu'un qui parle tout seul avec un autre, ou plutôt qui fait semblant d'impliquer l'autre dans ce qu'il conçoit complétement : la réalisation d'un court métrage sur les attentats de Paris, celui à la terrasse d'un resto vietnamien précisément (Il y a vraiment eu une victime malgache, stella Verry Soanirina, médecin).

En fait c'est celui qui écoute qui est le narrateur, et il cite sans guillemets ni tirets celui qui parle, et celui-qui-écoute donne quelques répliques quand même, mais c'est un procédé étrange, un peu étouffant quand même j'ai trouvé, mais pas inintéressant.

Il y a un espèce d'humour de la situation, dans la façon de faire du protagoniste qui contrairement à ce qu'il avance, ne laisse pas grand chose au hasard. Son "fait comme tu veux" semble plutôt un "démerdes-toi". Le thème du court-métrage accentue la froideur des consignes scénaristiques bien sûr.

Je me demande s'il y a un parallèle à saisir entre la situation décrite et l'évènement qui est sa raison d'être, je n'y arrive pas vraiment.

Le titre désigne une salade, peut-être à lire au sens figuré, j'y suis invité il me semble, mais bref, j'ai pas trouvé ça digeste.

   jfmoods   
29/11/2018
Un scénariste discute avec un réalisateur du court-métrage qu'il envisage de lui faire tourner.

Les 7 premiers paragraphes de la nouvelle semblent nous guider vers la douce apothéose d'une histoire d'amour ("on suppose un amoureux à la façon dont elle sourit à son verre rempli d’un liquide vert sous un parasol de papier", "Il sonne chez elle, ou plutôt chez eux, puisqu’on apprend par le décor un brin bordélique où les baskets mâles s’emmêlent les lacets avec les féminines qu’ils partagent le même appartement. Elle ouvre, elle est contente, lui saute quasiment dessus, elle est spontanée, lui un peu moins. Mais ça colle entre eux, c’est fluide.").

Cependant, des éléments savamment disséminés perturbent notre lecture idyllique du début du texte. En effet, les contours d'un événement traumatisant, vieux de 3 ans, s'esquissent insensiblement (complément de temps : "vendredi", cadre spatial : "la terrasse" × 2, "le restaurant, pas mal de gens en extérieur", "la rue à sens unique, le canal, des badauds", "une voiture blanche en surimpression très rapide.", "les salles de concert", "les petits restos de quartier", "si ce n’est une petite voiture blanche qui file sur la voie de gauche.", "une voiture blanche comme une lumière traçante sur la ligne fluorescente du macadam").

Les trois derniers paragraphes de la nouvelle ne feront que confirmer la glaçante inquiétude qui s'est insinuée en nous : c'est bien de la terreur, c'est bien des attentats de 2015 dont il est question ici ("Et comme une fulgurance, la voiture, toujours la même, sort d’une bretelle périphérique et s’engage vivement sur l’avenue au nord de la ville. On la voit très distinctement avec plusieurs occupants cagoulés, peut-être quatre, voire cinq.", "Entre les kalash’ qui s’emballent, les corps au sol et les cris qui s’ensuivent, elle ne perçoit, d’un seul coup, plus rien.", "Un vendredi, en novembre. Le lendemain des attentats les panneaux lumineux de la ville titrent : "Paris est une fête"").

En tirant au maximum sur la corde sensible du spectateur ("on envoie du classique, arrivée de la petite Malgache à Paris, là grâce à la récolte de l’or-vanille, toute la famille s’y est investie dans ces champs de vanilliers"), les deux compères vont mettre en image l'innocence persécutée ("Elle s’active, milite pour le droit des femmes et ceux des minorités, elle défend les LGBT, envoie de l’argent pour la construction d’écoles à Madagascar.", "Elle imagine, après ses années hospitalières, s’installer dans un cabinet de groupe, peut-être dans un quartier populaire", "tu me la fais saine de partout").

Ils comptent bien récolter les fonds néccessaires pour mener à bien le projet ("Le financement, pas de problème, je suis certain de trouver"). En slalomant sur ce créneau particulièrement porteur ("on est dans une décennie de repentance."), ils assureront au court-métrage une visibilité maximale pour en tirer, l'un et l'autre, notoriété et profit.

Cette nouvelle courte et percutante pointe efficacement le cynisme et l'arrivisme.

On peut lire la nouvelle sous cet angle...

I) L'horizon d'attente du bonheur

1) Une femme méritante

"arrivée de la petite Malgache à Paris, là grâce à la récolte de l’or-vanille, toute la famille s’y est investie dans ces champs de vanilliers"
"Elle s’active, milite pour le droit des femmes et ceux des minorités, elle défend les LGBT, envoie de l’argent pour la construction d’écoles à Madagascar"
"on la voit brillante, en fac"
"Elle imagine, après ses années hospitalières, s’installer dans un cabinet de groupe, peut-être dans un quartier populaire"

2) Vers la consécration amoureuse

"on suppose un amoureux à la façon dont elle sourit à son verre rempli d’un liquide vert sous un parasol de papier"
"Il sonne chez elle, ou plutôt chez eux, puisqu’on apprend par le décor un brin bordélique où les baskets mâles s’emmêlent les lacets avec les féminines qu’ils partagent le même appartement. Elle ouvre, elle est contente, lui saute quasiment dessus, elle est spontanée, lui un peu moins. Mais ça colle entre eux, c’est fluide."
"Tu insistes sur la légèreté de l’être, tu cadres large"

II) Le surgissement de la barbarie

1) Des signes annonciateurs

"vendredi"
"la terrasse" × 2,
"le restaurant, pas mal de gens en extérieur"
"la rue à sens unique, le canal, des badauds"
"une voiture blanche en surimpression très rapide.", "les salles de concert"
"les petits restos de quartier"
"si ce n’est une petite voiture blanche qui file sur la voie de gauche."
"une voiture blanche comme une lumière traçante sur la ligne fluorescente du macadam"

2) Les attentats de Paris

"Et comme une fulgurance, la voiture, toujours la même, sort d’une bretelle périphérique et s’engage vivement sur l’avenue au nord de la ville. On la voit très distinctement avec plusieurs occupants cagoulés, peut-être quatre, voire cinq."
"Entre les kalash’ qui s’emballent, les corps au sol et les cris qui s’ensuivent, elle ne perçoit, d’un seul coup, plus rien."
"Un vendredi, en novembre. Le lendemain des attentats les panneaux lumineux de la ville titrent : "Paris est une fête"

III) La détresse en pâture

1) Un exercice de racolage

"un plan fixe sur son visage, plus précisément son regard qui semble rire avec des yeux noirs un peu liquides"
"tu mettras quelques photos bien choisies de l’île, de l’ethos, hein, pas de misérabilisme, ce n’est pas le fil de l’histoire"
"une fois établie sa candeur-fraîcheur, tu tiens le parcours de la fille"
"Et surtout, surtout, là j’insiste, tu me la fais saine de partout"
"Le financement, pas de problème, je suis certain de trouver, on est dans une décennie de repentance."

2) Une esthétique du carnage

"- Tu peux, sans y être obligé, élargir sur des vues accélérées de la ville, les bâtiments, les bruits, les hommes remontés comme des mécaniques, déversés d’un métro ou s’y engouffrant, va voir du côté de Metropolis ou des Temps modernes, des images anciennes certes, grises peut-être, actuelles toujours."
"un plan rapproché sur l’œil noir qui coule dans le liquide vert, quelque chose de très lent, un fond sonore de balles traçantes, rien de plus. Sobriété."

Merci pour ce partage !

   Pepito   
22/1/2019
Hello Alvinabec,

Je suis passé dire un ch'tit coucou.
Promis, j'ai forcé mais je n'ai pas atteint la moitié du texte. C'est quoi, une parodie de Godard ? ;-))

Sinon, l'antinomie de "du sérieux les pieds au sol, de la bière" m'a fait sourire. Allez, la prochaine fois sera la bonne !

Pepito

   Anonyme   
25/2/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Je ne vous infligerai pas un commentaire plus long que votre texte : j'ai été plutôt séduit par le style et par l'idée générale.
Il y a peut-être quelques petites facilités (RV… vous auriez pu l'écrire en entier !) mais c'est d'une bonne tenue dans l'ensemble.

   mirgaillou   
2/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien
On appelle ça un synopsis.
Tout va forcément vite. Pas de chichis, on "jette" des idées (ou des impératifs?) Le scénariste n'a guère le choix.
C'est lui qui fera le boulot à la base et qui sera le plus mal payé.
C'est parfaitement réaliste donc efficace à défaut d'être surprenant. Mais après tout que savons nous de ce milieu si nous n'y travaillons pas? Là la porte est entrouverte et ne donne guère envie de faire partie de ce monde!


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