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Sentimental/Romanesque
AP : L'étagère
 Publié le 13/07/11  -  10 commentaires  -  17807 caractères  -  93 lectures    Autres textes du même auteur

Un homme annonce à sa femme qu'il souhaite accepter une promotion qui devra les contraindre à encore déménager. Courte nouvelle qui se déroule dans l’huis clos de leur cuisine. Au cours d'une "non-discussion" s'éclairent les différents enjeux de leur de vie couple sur le déclin.


L'étagère


Il était une fois un beau matin d’été. Non. Ce n’était pas l’été mais l’hiver, ce n’était pas le matin non plus mais la fin d’une journée lugubre, comme beaucoup de nos journées d’hiver, où le voile opaque d’une brume glaciale se mêlait au crachin pénétrant que distillaient des nuages gris, gros et bas. Ce n’est pas une histoire mais rien qu’un petit bout d’une histoire, de mauvais goût d’ailleurs, qui a un avant et aussi un après, mais ça, c’est une autre histoire. Elle va raconter un peu de la précarité, mais pas celle qu’on lit dans les journaux. Bref, c’est une histoire ordinaire.


Partir en mars, je sais bien, c’est un peu tôt. Une semaine pour donner ma réponse. C’est pas la première fois. Mais ce coup-ci, ce sera peut-être plus… délicat, ouais. Elle qui va déjà pas bien depuis qu’elle a perdu le bébé. Et en même temps, ça l’aidera peut-être à oublier. Ouais, ça va lui occuper l’esprit. De janvier à mars, ça fait quoi ? Deux ou trois mois ? Et puis zut, de toute façon le plateau passera pas deux fois. En plus, y paraît que Nantes c’est vachement sympa. Édulcorer la chose. Vite. La maison n’est plus qu’à une rue, un virage, une manœuvre.

Le cliquetis de ses mocassins résonna sur le marbre blanc de la petite allée pentue. Ce soir, elles étaient glissantes. Les feuilles d’automne, qu’il n’avait pas eu le courage de balayer à temps, y avaient laissé leur empreinte brunâtre. Un coup d’œil furtif par la fenêtre de la cuisine. Elle y était assise. Avant, elle s’était beaucoup ennuyée de lui, et elle l’avait toujours attendu, le soir. Maintenant, il l’ennuyait beaucoup, et elle ne l’attendait plus. Elle étudiait, quand elle en avait encore le courage, mais le plus souvent elle allait simplement se coucher. Ce soir-là était encore différent. Pas plus que son estomac, sa tête ne parvenait à ingurgiter quoi que ce soit, et en même temps, elle n’avait pas sommeil. Elle avait reçu un message du docteur. Un texto immédiatement supprimé par prudence, qu’elle connaissait déjà par cœur et qu’elle se répétait en boucle. Enquiquinant ce désir impérieux. Oui. Vraiment enquiquinant. Durant ces dernières semaines de deuil, elle n’avait pensé qu’à lui. C’était absolument indécent.


La cuisine baignait dans une lumière douce et rosée. Elle y avait installé deux fauteuils rayés de blanc et de rouge ainsi qu’une petite table basse. Au début, il avait trouvé cela bizarre, mais il devait bien admettre que c’était une bonne idée. À côté, une petite étagère métallique supportait tout ce dont ils avaient besoin. Cafetière dernier cri, quelques bouquins, le journal télé, mais aussi une boîte à sucre, un pot à crayons, la lampe Berger ainsi que deux ou trois plantes vertes. Au-dessus, une affiche publicitaire Ricard, pour lui faire plaisir, à lui. Les murs couleur béton contrastaient avec les couleurs vives des bibelots tandis que les voilages noirs qui étaient tirés le soir venu apportaient une touche de glamour et d’intimité tout à fait réussie. Elle avait un talent indéniable pour arranger les choses. Elle lui parlait de d’équilibre des volumes, de répartition des couleurs, d’alternance entre le vide et le plein, d’harmonie, de praticité, d’ergonomie, même. Il n’y entendait rien, mais outre que le résultat était toujours probant, il lui concédait de bonne grâce la maîtrise de leurs intérieurs successifs, puisqu’il lui semblait aussi que cela l’aidait à investir chacun de leurs nombreux déménagements. La bouilloire crépitait tandis qu’il fit tinter les glaçons dans son verre. Emmitouflée dans sa sempiternelle robe de chambre gris vieux, elle dégaina sa première cigarette. Comme elle attendait qu’il s’assoie pour l’allumer il se dépêcha de verser l’eau chaude dans son mug à pois préféré et s’installa enfin près d’elle, son pastis à la main. L’air le plus naturel possible, il articula ses premiers mots.

Les sujets qui fâchent ? Avec un sourire entendu, elle attrapa son agenda. Il s’agissait sans aucun doute d’un déplacement à Paris, à cause duquel il rentrerait très tard un de ces soirs prochains, voire même pas du tout. Lorsqu’il parla de Nantes, elle ne réagit pas encore. Puis il dit mars et elle se mit à rire. Ben voyons ! Ils ne manquaient pas d’air à la banque ! Alors elle attendait la chute, bien sûr, parce que, là-dessus, ils avaient été formels : aucun départ en dehors des grandes vacances. En effet, elle venait juste d’entreprendre des études à l’université. Et puis de toute façon il lui avait promis qu’ils étaient à Strasbourg pour cinq ans, oui, et, bon, ça faisait encore… quatre ans, non ? Ils venaient à peine d’arriver. Cinq ans, il les avait promis. Pour une fois, rester un peu. Au moins le temps pour elle d’obtenir son diplôme. Mais quand il commença à parler de prendre des congés, de ne partir que trois ou quatre jours par semaine, son sourire s’éteignit lentement, et ses grands yeux incrédules se figèrent sur rien pour ne plus s’en détacher.

Elle est comme figée, recroquevillée sur le fauteuil. Sa cigarette se consume dangereusement au-dessus du sol. J’avance le cendrier tout en essayant d’atteindre son regard. En vain. C’est quoi le film dans sa tête ? Est-ce que j’ai sous-estimé sa peur ? Le débit de mes mots s’accélère. Peut-être qu’en parlant plus vite je la rassurerai plus fort. Mais l’étrangeté de son regard perdu, ce retranchement indéniable dans sa posture quasi fœtale commence insidieusement à m’énerver. Merde. Elle ne joue pas le jeu. Sans la quitter des yeux, je m’enfonce dans mon siège tout en croisant les jambes. Mes bras retombent lourdement sur les accoudoirs. Bon sang, contenir ma bête. Je n’aime pas cette sensation. Faire fi de sa torpeur apparente. Ce n’est peut-être qu’un jeu. Attendre. Elle craquera. Elle craque toujours.

Quand on est petit, on croit que tout sera possible, plus tard, quand on sera grand. On sera moins timide, moins moche, et plus fort aussi. Demain, plus tard, tout sera possible. Elle, elle croyait encore qu’elle serait grande un jour. Mais ce jour-là, plus tard, n’arrivait jamais, puisque toujours c’était le maintenant qui se déroulait. Partir et tout quitter, encore. Tout quitter et tout recommencer, encore. Sa mâchoire se crispa quand la bile lui monta à la bouche. Bien sûr, il devait s’agir comme à chaque fois de la promotion la plus déterminante de sa carrière. Alors c’est l’idée de la fatalité qui la submergea tout d’abord, dans un désespoir mutique et sourd. Lui ne parlait plus. Il faisait toujours cela. Il attendait qu’elle craque, et d’ailleurs elle craquait immanquablement, entamait un long monologue auquel il ne répondait pas, elle vidait son sac, se soulageait, s’apaisait peu à peu, puis ils recommençaient à discuter comme si de rien n’était. Seulement là, pas de diatribe inconsidérée, parce que tout était trop bousculé et douloureusement dramatique. Un drame, c’est une histoire qui finit invariablement, inexorablement mal. Arriver pour repartir aussitôt. Chaque recommencement était le début d’un nouveau drame. Chaque emménagement la promesse d’une séparation. Le script, une discussion à bâtons rompus avec des gens de passage. Non, ce soir elle n’avait pas envie de causer.

C’est pas normal. Statistiquement parlant je veux dire. Les minutes s’égrènent les unes après les autres. Elle devrait avoir craqué depuis longtemps. Je n’entends que le tic-tac de l’horloge et le vrombissement de la ventilation. Fichtre. C’est lourd le silence. Ça pèse des tonnes. Ça vous oppresse de partout. Ça s’abat vos épaules, ça fait siffler vos oreilles, ça vous tord le ventre, vous pince le cœur. Je reconnais ce silence.

Ils étaient partis à Marseille, quelque temps auparavant. C’est lui qui avait voulu, pour le travail. Elle ne voulait pas mais elle se serait sentie trop coupable pour refuser. Alors elle avait fait un tableau : d’un côté, le risque que ce soit elle qui souffre, de l’autre, la certitude que ce serait lui. Ce fut elle, et du coup lui aussi. Quand ça avait été le pire, les cigales s’étaient tues depuis longtemps. Le mistral, pourtant si agréable sous le cagnard estival, hululait, menaçant, par le conduit de la cheminée. En contrebas, le feu de bois des voisins se répandait à l’horizontale sur la petite cour de leur maison. Depuis la fenêtre de la cuisine obscurcie par l’avancée du balcon revêtu de lambris sombre, la grande grille verte un peu rouillée. Le soir, elle ne parlait plus non plus. Quand elle pleurait, c’est qu’elle allait bien.

Quand elle se décida enfin à déposer son mégot, à tâtons, dans le cendrier qui avait atterri par terre, elle pouvait pointer du doigt la vanne. Elle la sentait, physiquement. C’était formidable et effrayant. Elle n’aurait su dire si les années l’avaient rendue plus forte ou plus fragile. Elle avait l’impression que sa coquille s’était calcifiée, épaissie, et qu’à l’intérieur tout s’était ramolli. Lorsqu’ils regardaient un film, elle pleurait de plus en plus souvent, de plus en plus facilement, mais toujours en cachette. Elle ignorait d’ailleurs s’il s’en rendait compte. Maintenant les mots tendres lui écorchaient davantage ses lèvres qu’elle mordillait tout le temps. Sans les voir, elle devinait ses mouvements à lui, mais dans cet instant précis et précieux c’était tout à fait secondaire. Alors quoique son esprit encore lucide brandissait le sens interdit, bien qu’elle était certaine que c’était mal, c’est avec un plaisir indicible qu’elle se laissa enfin emporter par la déferlante. Tout son petit corps se secoua d’un sanglot irrépressible. La vanne était ouverte. Dans un spasme elle avait décidé de s’ouvrir toute entière et sa révolte, sa vérité au grand jour, elle plongea à cœur perdu dans le torrent de sa perte, celui du désaveu et de la trahison qu’elle savait impardonnables, parce qu’en cet instant ô combien paradoxal elle se sentait transportée par un soulagement aussi profond qu’extatique, parce que plus aucune tension ne contraignait son être éberlué de lui-même, et toute sa peur, sa peine, sa douleur s’échappaient dans le relâchement le plus total, le plus inouï.

Quoi ? Mais comment ça, elle partira pas ? Putain. Merde. Mais merde, quoi ? OK. Bon, alors, mes conneries pour alléger le départ en mars, ha. Bon sang mais c’est contractuel ! Con-trac-tu-el ! Et je fais comment moi ? Je la regarde. En plus elle pleure. Ben oui elle pleure. Et moi, je fais quoi ? C’est ça, pleure. C’est rien. C’est juste qu’elle panique. Hein ? Pas de panique. Elle a toujours fini par accepter. Ouais, c’est rien. Ça va le faire. C’est normal, elle a peur. Ouais. Chut la bête. Restons calme. Faut juste pouvoir la rassurer. Une semaine. Ça ira.

Lui, il était un homme d’habitude. Elle le lui reprochait souvent d’ailleurs. Elle disait qu’il était un robot. Il était un être d’habitude mais pour autant, les départs, les voyages ne l’avaient jamais inquiété, au contraire. Il y voyait l’opportunité nouvelle d’un bonheur nouveau, et pour aussi loin qu’il s’en souvienne, il avait toujours envisagé sa vie comme cela. À la banque, la mobilité était contractuelle. Et puis on y aimait bien les spéculations, les intrigues en tout genre. Le territoire du groupe était un grand échiquier, eux, ils étaient les pions qui ne pensaient qu’à prédire leur prochaine case. Toute évolution en passait par là. Il était véritablement ambitieux. Il croyait, à juste titre, en ses compétences et il pensait pouvoir en faire quelque chose. Il voulait par-dessus tout en faire quelque chose. Elle, elle aimait bien la nouveauté. Les nouveaux habits, les nouveaux bijoux, les nouveaux sacs à main et les nouvelles chaussures. Les nouveaux crayons, les nouveaux cahiers, ou classeurs, cela dépendait des moments. Les nouvelles décos, aussi, d’ailleurs il lui en donnait bien l’occasion. Si elle aimait les habitudes, c’est parce qu’elles étaient rassurantes. Mais ce qu’elle redoutait par-dessus tout, c’est la solitude. Elle, c’était la contradiction en personne. Indépendante mais abandonnique. Orgueilleuse mais complexée. Obstinée mais timorée. Sensuelle et tellement coincée.

C’était sorti de sa bouche. « Je ne partirai pas ». Alors enfin elle le regarda. Son visage, parfaitement délimité par sa jeune barbe aux reflets roux, était impassible. Seuls ses yeux, rivés sur elle, trahissaient quelque chose d’animé, mais qu’elle ne savait pas reconnaître. Elle pensait que c’était peut-être de la colère. Ils étaient beaux. Foncés mais lumineux, petits mais pleins, ourlés d’une frange épaisse et courbe. Elle l’avait dit, mais pourtant elle savait bien qu’il n’avait pas vraiment compris. Alors elle précisa « jamais », et comme elle ne se sentait pas le courage de poursuivre, elle se leva, lentement, et sans rien ajouter s’apprêta à quitter la pièce. Non, elle ne le suivrait plus. Il y avait l’université, bien sûr. Mais surtout, ce désir enquiquinant et impérieux. Aliénant et prometteur. Capricieux et exaltant. Si vivifiant. Comme elle n’était pas idiote, elle ne s’illusionnait guère quant au caractère perpétuel d’un tel transport, mais outre qu’elle ne pouvait l’ignorer, elle avait résolument envie de le vivre. Pleinement. Oui il y avait ce désir et son objet, ici, maintenant.

Tic-tac de l’horloge et vrombissement de la ventilation. Pourquoi a-t-elle dit « jamais » ? Bourdon, sourd, inquiétant. Mon bassin, il s’enfonce, dans le fauteuil. Picotement le long de ma colonne vertébrale. Le sol, il bée, sous moi, comme un gouffre. Un gouffre, comme le sien. Béant mais interdit, depuis des semaines. Putain j’ai envie de la prendre, maintenant. Je sais pas si je l’aime ou si je la déteste. Juste envie de le faire pleurer, son gouffre. Contractuel, oui, entre nous aussi. Allez on se calme ! On respire. OK. Là. Là. C’est rien. Chut, la bête. C’est rien.

Maintenant, elle voulait aller se coucher. Depuis sa fausse couche, c’est ainsi qu’elle se protégeait. En dormant, plus que de mesure. Chaque fois qu’elle se cachait sous la couette, elle repensait au docteur, à l’agitation des muscles de ses avant-bras lorsqu’il avait enfilé ses gants de latex. Elle revoyait son regard rempli de tendresse et de compassion tandis qu’il lui avait écarté les cuisses. Elle revivait la manière dont il lui avait fait mal, dont il avait éprouvé ses contours intérieurs pour préserver ceux de son mini-bébé-mort-coincé-en-elle qu’il était allé chercher. Par peur et de froid, elle avait tremblé comme une feuille, tout du long, et son genou n’avait cessé d’effleurer son épaule, par saccades. Après qu’il l’eut délivrée, il avait réprimé une caresse en lui tapotant la joue. Son docteur.

Il n’avait pas été là. Dès qu’elle avait senti les premières douleurs, elle avait sauté dans un taxi. À l’hôpital, on l’avait installée dans une chambre, au cas où, car le travail s’était interrompu. Alors elle était sortie prendre l’air sur le parking, et quand elle lui avait téléphoné pour lui dire de ne pas s’inquiéter, c’est à son répondeur qu’elle avait parlé. Après une nuit sans sommeil, les contractions avaient repris leur funeste frénésie. Elle avait pensé avoir le temps de se laver, mais à peine ses cheveux gorgés de mousse, l’hémorragie s’était échappée d’elle pour se déverser tout droit sans le siphon de la cabine de douche. Elle avait tenté de le lui raconter. En fait, elle avait espéré qu’il ait mal aussi. Elle aurait bien aimé. Elle lui en voulait. Elle ne le voulait plus.

Dans son mouvement, la pelure chaude et épaisse qu’elle portait tout le temps s’entrouvrit sur sa jambe nue. Une myriade de petites paillettes en redessinaient odieusement le galbe. C’était insoutenable. Avant qu’elle n’ait atteint la porte, il saisit son poignet, l’attira vers lui et chercha à l’embrasser. Comme elle tourna la tête, il la fit tomber sur le fauteuil d’un brusque revers de pied. Sa main gauche lui encercla le cou et son genou droit s’enfonça dans son giron. Il la jaugea quelques instants, le temps de finir son Ricard. Il n’outrepasserait pas l’interdiction du gouffre. Mais il se fit plus lourd. C’était facile. Il dut poser le verre pour libérer son autre main. La ceinture céda bruyamment. Les boutons se défirent rapidement. Le pantalon glissa sans encombre. Alors il lui pinça le nez. Tellement facile. Stupéfaite et suffocant, elle n’eut d’autre choix que d’ouvrir la bouche. La cuisine baignait dans une lumière douce et rosée. Elle regarda la petite étagère métallique qui supportait tout ce dont ils avaient besoin. Cafetière dernier cri, quelques bouquins, le journal télé, mais aussi une boîte à sucre, un pot à crayons, la lampe Berger ainsi que deux ou trois plantes vertes. Au-dessus, une affiche publicitaire Ricard, pour lui faire plaisir, à lui. Les murs couleur béton contrastaient avec les couleurs vives des bibelots tandis que les voilages noirs qui étaient tirés le soir venu apportaient une touche de glamour et d’intimité tout à fait réussie. Sa mâchoire se crispa quand la bile remonta. L’étreinte fortuite le fit jouir immédiatement.


La banque n’est plus qu’à une rue, un virage, une manœuvre. Le cliquetis de mes mocassins résonne sur le pavé du parking privatif. Le bâtiment est cossu. Je frappe à la porte puis j’entre sans attendre. L’air le plus naturel possible, je tends ma lettre de démission. Maintenant je vais rentrer, je vais la kidnapper, et je me ferai pardonner. Nous partirons, loin, nous quitterons tout pour tout oublier. Je vais l’emmener en voyage. D’abord. Oui, ce sera bien. Sur une plage de sable fin, je lui ferai un autre bébé. Puis nous nous installerons, quelque part. N’importe où. Elle va être tellement contente.

La cuisine baignait dans une lumière jaune et dorée. Sur l’étagère métallique, la cafetière était encore chaude. À côté du journal télé et de la lampe Berger manquaient quelques bouquins. La vieille pelure gris vieux gisait par terre. Non loin, une lettre attendait.


 
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   Anonyme   
13/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une écriture efficace, je trouve. Un peu trop dramatique pour une tranche de vie et une fin ouverte, peut-être (la pipe forcée, je crois que c'est un acte trop grave pour espérer que les choses s'arrangent ensuite, ce qui du coup ferme la fin à mon avis), mais j'aime cette présentation alternative des points de vue, les échappées sur les démons de chacun.
Cela dit, je maintiens que le dramatique affiché a pour effet paradoxal d'atténuer l'intensité.

   beth   
20/6/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Les temps verbaux sont confus. L’histoire elle-même est confuse vers la fin. Le « je » apparaît sans raison littéraire à la fin du récit.
Irréalisme psychologique : une mère perd son enfant et ne pense qu’au Dr qui l’a accouchée. La description d’une scène présentée comme sensuelle lors d’une fausse couche est totalement irréaliste et déplacée.
Le choix du vocabulaire n'est pas toujours heureux: « la table supportait tout ce dont ils avaient besoin. »/l’hémorragie s’était échappée d’elle/
Il y a un manque de clarté dans les changements de points de vue des personnages : on met un peu de temps à savoir qui parle.
Cependant il y a une étude psychologique des rôles genrés qui pourrait être intéressante, si l’histoire elle-même l’était. Ce qui n’est pas le cas.

   Pascal31   
26/6/2011
 a aimé ce texte 
Pas ↑
C'est une nouvelle que j'ai eu beaucoup de mal à lire : la faute à ce changement fréquent de narration (parfois il s'agit de l'homme ou de la femme du couple, parfois c'est le narrateur "tiers", cela rend la lecture très pénible, surtout que le temps grammatical varie à chaque fois). De plus, le style ne m'a pas convaincu (par exemple, j'ai été gêné par l'abus de "y" : "En plus, y parait que Nantes", "y avaient laissé leur empreinte", "Elle y était assise", "Elle y avait installé deux fauteuils", "Il y voyait l’opportunité nouvelle", "on y aimait bien", etc.). L'histoire ne m'a pas passionné et ce couple qui se déchire n'a provoqué en moi aucune empathie. Je me suis plutôt ennuyé...

   Marite   
9/7/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Le fond de cette nouvelle m’a intéressée mais l’écriture doit, je pense être retravaillée.

- Les répétitions et la profusion d’adjectifs à certains passages alourdissent l’expression sans apporter un plus à la compréhension de l’histoire pour le lecteur.
Ceci dès le premier paragraphe : matin – hiver – journée et lugubre – opaque – glaciale – pénétrant – gris, gros, bas …

- « Il était une fois » n’est pas utile et devrait être supprimé. Pourquoi ne pas commencer simplement par : « Un soir d’été, … etc »

- Le passage d’un personnage à l’autre pour les réflexions (pas beaucoup de dialogues) n’est pas très clair. De même l’usage des adjectifs possessifs à certains endroits prête à confusion :
« Alors enfin elle le regarda. Son visage, parfaitement délimité par sa jeune barbe aux reflets roux, était impassible. » « son visage » j’ai cru que c’était elle et « sa jeune barbe » m’a fait comprendre que non.

Je n’ai pas trouvé le mot : mutique dans le dictionnaire ; que signifie ce mot ?

Les mocassins sont généralement des chaussures souples, aussi je trouve que ça ne concorde pas avec : cliquetis… et résonna …

Donc en résumé, il faudrait je crois simplifier l’écriture, ne pas faire des phrases trop longues et éviter de multiplier les adjectifs à l’intérieur d’une phrase.

Mes encouragements à l’auteur.

   Pat   
10/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une chouette écriture. Les changements de points de vue qui peuvent paraître surprenants, mais qui me semblent volontaires. Ça donne une espèce de mouvement en boucle qui part dans plusieurs directions, un truc assez étouffant, un peu comme des pensées que l'auteur essaierait de traduire. Mais de tout ça se tisse un fil directeur intéressant. J'aime beaucoup quand on nous sort de notre zone de confort.

   Pattie   
10/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien
J'aime beaucoup ce texte, malgré le problème du je/il du personnage masculin - problème qui, je suppose, est délibéré : le niveau de l'écriture est trop élevé pour une erreur aussi grossière.
Il y a des passages un peu flous - mais là aussi, je pars du principe que vu le niveau de l'écriture, ils sont exprès.
Le souci du détail, le flou, cette perte de repère (on ne sait plus quel narrateur nous tient la main dans ce dédale), tout ça contribue à faire du texte un drame humain ordinaire, enfermant, et pour moi passionnant.

   Perle-Hingaud   
10/7/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
C’est violent, noir. Les changements de points de vue narratifs ne m’ont pas tant déstabilisée, ils mettent un peu de piment, attirent l’attention. Le mal-à-l’aise s’installe très vite, quand on commence à ressentir la violence de l’homme. A partir de là, on s’attend au pire. J’ai trouvé bien retranscrites les pensées de l’homme, aveugle, qui s’attend à réparer, alors que son acte est simplement irréparable. Un texte amer.

   Anonyme   
13/7/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Quoi de plus basique à la genèse de l'histoire que de commencer par "Il était une fois".
Un "il était une fois" anodin, léger, qui laisse présager d'un conte. Qui finit mal ou bien peu importe, on n'y est pas encore.
Mais ces premiers mots sont légers, un brin taquin.

L'auteur s'attable, tire sur ses manchettes, pose les premiers mots, rature, griffure, s'échauffe :
"un beau matin d’été.
Non.
Ce n’était pas l’été
mais l’hiver,
ce n’était pas le matin non plus
mais la fin d’une journée lugubre"

L'auteur se détend, s'envole dans une description fort bien troussée puis se ravise :
"Ce n’est pas une histoire mais rien qu’un petit bout d’une histoire,"
s'excuse :
"de mauvais goût d’ailleurs,"
s'explique :
"qui a un avant et aussi un après, mais ça, c’est une autre histoire."
Ose enfin :
"Elle va raconter un peu de la précarité, mais pas celle qu’on lit dans les journaux."
Referme le piège :
"Bref, c’est une histoire ordinaire."

Or-di-nai-re ??? se récrie un chœur de voix attentives.

"Partir en mars"... et l'on part dès ce mot là avec lui.
Et le décor change complètement. Il y a ce ouais qui me replonge directo dans le présent. Et dans le drame qui va se nouer.

Et ça décolle comme un avion à réaction : mutation, départ, perte du bébé. Chagrin. Silence. Non-dits. Car tout est intérieur. Ces mots à lui, ses silences à elle.

"Seulement là, pas de diatribe inconsidérée," d'ici au point final du paragraphe, je trouve ça trop rapide, trop décousu, il y a quelque chose qui m'a sortie de l'écriture, prenante, envoûtante presque.

"Ça s’abat vos épaules,"

J'aime la connaissance parfaite que l'homme a de la femme. Ca a quelque chose de rassurant, et de profondément manipulateur.
Il connait chaque note de la partition, il est sûr de lui, limite arrogant, planifie tout à sa place. S'arrange des inconvénients, véniels. Aucune considération pour l'autre, fatigué de l'autre. Et elle aussi. Alors qu'est-ce qu'ils font encore ensemble ?
Ils attendent la goutte qui fera déborder le vase ?
Est-ce que tout ça n'est pas de sa part, un sabordage volontaire, peut-être pas prévu, mais au fond, attendu ?
Ce qui transforme la fin.
Mais qui est alors en désaccord avec le but et la fin... Lâcheté masculine ?
"C'est pas ma faute, c'est pas moi c'est la Bête... ça va s'arranger... tout fini toujours par s'arranger (avec elle) ? Je peux faire ce que je veux, elle encaissera encore..."
Dites moi, AP, elle me bouscule votre nouvelle qui commence par ce "il était une fois une histoire ordinaire"...

"lui écorchaient davantage ses lèvres qu’elle mordillait tout le temps." ces ? plutôt que "ses" la voix qui parle n'étant pas désincarnée mais horriblement "extérieure" comme un oeil qui regarde et attend le dénouement.

"elle se serait sentie trop coupable pour refuser." de refuser ? (j'ai jamais su)

"La vanne était ouverte. Dans un spasme elle avait décidé de s’ouvrir toute entière" autre chose que "s'ouvrir" ? Non pas pour éviter la répétition mais parce que cette fois ci j'ai bien l'impression que la vanne - et la femme - ne vont pas faire que s'ouvrir. C'est nettement plus violent, d'autant que c'est rentré, emprisonné. Puissant.

"Ce fut elle, et du coup lui aussi." c'est ici que l'amour s'est arrêté ? Qu'il s'est fait hermétique à sa souffrance, ne l'a plus entendue ? Parce là, qu'elle souffre à nouveau, il s'en moque.

"le cagnard estival" un peu comme le "ouais" du début. Décalé.

"Alors enfin elle le regarda. Son visage, parfaitement délimité par sa jeune barbe aux reflets roux, était impassible." Bien que j'aime beaucoup ces voix qui racontent, et cet œil froid qui regarde, ici le hic c'est que c'est son visage à elle qui porte la barbe rousse.

"Lui, il était un homme d’habitude." j'aurais mieux vu un s à habitudes.

"Toute évolution en passait par là." sans le en ?

"Oui il y avait ce désir et son objet, ici, maintenant." ici me fait penser à la pièce où ils se trouvent. Maintenant, aurait tendance à le confirmer.Or l'objet de ce désir n'est pas présent dans la pièce.

"Maintenant je vais rentrer, je vais la kidnapper, et je me ferai pardonner. Nous partirons, loin, nous quitterons tout pour tout oublier. Je vais l’emmener en voyage. D’abord. Oui, ce sera bien. Sur une plage de sable fin, je lui ferai un autre bébé. Puis nous nous installerons, quelque part. N’importe où. Elle va être tellement contente."
Ou comment se faire des illusions et y croire absolument.

Superbe texte. Il m'a vraiment remuée, énervée, attendrie, émue, dégoutée, effarée.

BRAVO

   Anonyme   
13/7/2011
Commentaire modéré

   Anonyme   
15/7/2011
 a aimé ce texte 
Pas
Si je comprends bien, dans le deuxième paragraphe, on suit les pensées de l'homme rentrant dans son sweet-home ; la fin me gêne : «  La maison... une manœuvre ». Difficile de croire que quelqu'un puisse penser cela en arrivant chez lui.

Ensuite, des « mocassins » qui cliquètent, je n'y crois pas une seconde. Peut-être dans « Chantons sous la pluie » car, seuls des États-uniens peuvent porter des mocassins à bouts ferrés (avec des pantalons à damier).

Ici : « Le cliquetis de ses mocassins résonna sur le marbre blanc de la petite allée pentue. Ce soir, elles étaient glissantes. » Elles étaient glissantes ? de quoi s'agit-il ? On suppose que vous parlez des dalles de l'allée, néanmoins ce n'est pas évident (donc « sur les dalles de marbre blanc » aurait été plus explicite). 

Dans le troisième paragraphe, la transition entre les pensées de l'homme et celui de la femme n'est pas nette.

Après « harmonie », « praticité » est laid (commodité ?).

Un problème de temps me semble-t-il : « La bouilloire crépitait tandis qu’il fit tinter les glaçons dans son verre. »

Un mug est un gobelet, une tasse haute ; un peu avant vous parlez d'un verre.

« à cause duquel » : lourd et peut-être incorrect.
« et ses grands yeux incrédules se figèrent sur rien pour ne plus s’en détacher. » : ne se figèrent.
Puis  « Elle est comme figée » : deux fois le même mot.
« ce retranchement indéniable dans sa posture quasi fœtale » : « dans sa posture » est curieux. Dans une posture me semble plus approprié.
« Ça s’abat vos épaules » : sur vos épaules. D'ailleurs, ce paragraphe sensé faire partager les réflexions du mari, n'est pas crédible une seconde (tic tac).
« Depuis la fenêtre de la cuisine obscurcie par l’avancée du balcon revêtu de lambris sombre, la grande grille verte un peu rouillée. » : je ne saisis pas le sens de la phrase. Soit elle n'est pas terminée, soit j'ai raté quelque chose.
Idem : « Quand elle se décida enfin à déposer son mégot, à tâtons, dans le cendrier qui avait atterri par terre, elle pouvait pointer du doigt la vanne. »
« Maintenant les mots tendres lui écorchaient davantage ses lèvres qu’elle mordillait tout le temps » : les lèvres.
Etc.
Me gênent également ces fins de phrases 'cassées' :
« toujours attendu, le soir. »
« il l’ennuyait beaucoup, et elle ne l’attendait plus. »
« en même temps, elle n’avait pas sommeil. »
« pour lui faire plaisir, à lui. » (le « à lui » me semble superflu.
« d’ergonomie, même. »
« Ils étaient partis à Marseille, quelque temps auparavant. »
Etc.

Globalement, je n'ai été séduit ni par l'histoire, ni par l'écriture. Beaucoup de lourdeurs et d'imprécisions dans ce texte. Du coup, j'ai « abandonnique ».

Désolé, mais il me semble que ce texte est à retravailler. Bonne continuation.

   alvinabec   
23/7/2011
C'est joliment troussé, bien emmené, l'alternance des discours efficace. Certains paragraphes gagneraient à plus de concision; les négations répétées dans le premier d'entre eux inciteraient à abandonner la lecture, ce qui serait dommage. A vous lire...


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