Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Réalisme/Historique
arwin : La cité de Smaïr
 Publié le 22/01/14  -  4 commentaires  -  33113 caractères  -  57 lectures    Autres textes du même auteur

Nouvelle qui s'inspire de l'écriture de Jorge Luis Borges. Sur la découverte d'une ville souterraine en Cilicie.


La cité de Smaïr


Il n'y a pas si longtemps je croisai à la sortie de la Salpêtrière Scipion Martin, qui avait été traité pour allergie, et pouvait enfin rentrer chez lui. Comme j'avais passé la matinée à flâner sur la Canebière et ne prévoyais rien pour l'après-midi, je l'invitai à un restaurant sur le Vieux Port. C'est à la Chèvre hypermétrope (1), devant une assiette de fruits de mer, que nous évoquâmes nos souvenirs communs. La découverte de Smaïr, la détermination de son histoire et de ses croyances, occupèrent une fois de plus la première place dans notre conversation. Il est vrai qu'à l'époque, lorsque nous menions tous deux ces recherches, nous étions restés plutôt isolés dans le monde de la recherche.

La cité souterraine de Smaïr, chargée encore de nombreux mystères, fut construite dans une région reculée de l'Arménie, à l'ouest de l'Euphrate. Rares étaient ceux qui s'aventuraient sur ces terres arides, ce paysage rocailleux parcouru par des écheveaux de crevasses. Qui se serait attaché à un tel endroit, au point de s'y installer ? Ce n'est ainsi que bien des siècles après son abandon que la cité fut tirée de l'oubli (2), il y a tout juste dix-neuf ans, lorsqu'une fréquentation assidue de manuscrits inexploités permit d'en délimiter l'emplacement exact. Les témoignages de son existence passée avaient pourtant presque été réduits à néant comme on le verra.


1) Découverte de Smaïr


La recherche de Smaïr, me rappela Scipion, avait été initiée par l'analyse des reflets qui se logeaient chaque jour dans les vitres de ma chambre. Tous les jours et à heure fixe, elles offraient, pour ainsi dire, la très lointaine image de la cité disparue, que nombre de corps intermédiaires (vision incertaine, mémoire défaillante, mains à la graphie confuse) avaient déformée depuis ces temps reculés. Elle flottait devant moi sous la forme la plus dépouillée qui soit, un triangle aux contours obstinés, lequel trouvait son double en face, dans ma seconde bibliothèque. Il s'agissait du coin d'une pochette cartonnée, coincée entre deux premières rangées de livres. Un professeur, H. Müller, me l'avait remise autrefois, jointe à quelques encyclopédies d'une édition ancienne. Je l'avais remisée avec les ouvrages sans intérêt immédiat. Pris de quelques scrupules, je la délogeai de son emplacement, et trouvai à l'intérieur un texte très court dans une langue qui m'était inconnue, texte joint à un Post-it comprenant l'inscription :


Inintelligible. Copie d'original trouvée le 16 mars 1962, bibl. BnR, Saint-Pétersbourg. Feuille détachée. Période estimée : XIIe - XIVe.


Hélas, j'eus beau agiter un tas d'hypothèses, consulter de nombreux ouvrages de références, je ne parvins pas même à déterminer en quelle langue le texte avait été écrit (Müller avait pourtant dû penser que j'y parviendrais, car il avait joint une brève note dans laquelle il me laissait les références exactes du document, un des innombrables manuscrits de la bibliothèque nationale russe de Saint-Pétersbourg). J'envoyai une missive à Scipion, qui interrompit momentanément sa partie de tennis (pourtant avantageusement menée) et me répondit sur-le-champ. Il identifia la langue en question à du grabar, ou arménien classique.

J'ignorais tout de cette langue, à l'époque ; aussi, il me fallut avoir systématiquement recours à son savoir. Je lui livrai les informations dont je disposais et l'enquête se poursuivit à deux. Cependant, malgré nos efforts conjoints, un grand nombre de difficultés surgirent dès le départ. Ainsi, l'identification de la langue ne nous permit de comprendre qu'une petite partie du texte, lequel était probablement crypté. La copie de Müller (comme le révélaient des notes que je retrouvai dans une seconde pochette) s'avéra partielle, et, selon ses mots, « l'original avait déjà une forme fragmentaire ».

Pourtant, le peu que nous déchiffrâmes excita au plus haut point notre curiosité : il était question d'une mystérieuse « cité » venant « juste après le petit désert de Kanam », laquelle était « privée de louïs » (certainement : « de lumière »). Celle-ci aurait eu pour nom « Smaïr » (également graphié « Smahir »).

La perspective de découvrir une ville antique inconnue, ayant réellement existé, ou appartenant au fonds mythologique arménien, nous transporta. Hélas ! Nous eûmes beau le soumettre à un questionnaire serré, le texte ne nous fournit par la suite aucune indication sur l'emplacement, réel ou fantasmé, de Smaïr. Bien au contraire, il demeura des plus hermétiques, s'attachant à un étrange « jeune homme », lequel était « olorm », c'est-à-dire « malade » ou « affligé, accablé » (le terme revêtant les deux significations). Tout aussi énigmatique était le paragraphe suivant, qui disait le corps du jeune homme « lordos » ce qui évoque l'idée de « torsion » de « déformation » (3).

Que pouvait-on en déduire ? Qu'avait à voir le jeune homme avec la cité de Smaïr ? L'auteur était-il un médecin pour employer ces termes d'apparence technique ? Le jeune avait-il été la proie de troubles nerveux – « grand mal » ou ergotisme – comme le supposait audacieusement Scipion, et sujet aux visions engendrées par des troubles organiques ? Les médecins, prêtres et hygiénistes, enregistraient autrefois les paroles des malades, et les regardaient comme des oracles apportés par les dieux. Les paroles du jeune homme, bien que non littéralement transcrites, pouvaient se rapporter à de tels écrits. Cette hypothèse, nous en convînmes, reposait sur trop peu de choses pour être considérée comme solide. Elle ne nous permettait d'aucune manière de spéculer sur l'existence de la cité. Nous n'étions guère avancés, après six bons mois de recherches, et la consultation des quelques rares spécialistes en la matière. Les opinions des uns et des autres divergeaient incroyablement ; toutes, cependant, s'accordaient à trouver le texte suspect. Harris, le linguiste américain, que nous consultâmes par lettre en mars 69, refusa tout bonnement de croire à l'authenticité de celui-ci (4). Il resta cependant le parfait gentleman qu'il avait toujours été en nous signalant que l'original pourrait peut-être être retrouvé : « J'ai téléphoné à un confrère de l'université Lomonossov de Moscou, M. Vladimir Asprejan, qui pourra vous retrouver à Saint-Pétersbourg où il donne des conférences ce mois-ci. »

Ayant épuisé toutes les données que nous fournissait le document de Müller par des interprétations renouvelées jusqu'à l'absurde, nous résolûmes d'entreprendre le voyage en Russie en juillet 70. Asprejan, bien que surchargé de travail, nous reçut le plus aimablement du monde, et nous aida à mettre la main sur l'original, copie du seizième siècle d'un livre de médecine, « tahar-hâbkim », était-il précisé. L'archiviste ne put nous donner des explications : un tel nom n'évoquait rien pour lui. Ni Asprejan, ni Scipion ne surent en trouver la signification : « Qui purifie les hommes », avança l'un, « Qui est le produit des hommes-feuilles », lança l'autre – ce qui déclencha chez nous un fou rire intempestif en pleine salle des archives, sous le regard désapprobateur du responsable. (En réalité, sa traduction d'apparence farfelue était de loin la plus conforme au texte, nous le verrons.)

Asprejan, rendu perplexe par la résistance qu'offrait le texte à l'interprétation, nous fournit un précieux contact universitaire. Un vieux professeur, M. Boris Adamov, qu'il avait connu il y avait une dizaine d'années, s'était particulièrement intéressé (la chose lui revenait à présent en mémoire) à cette histoire de cité. Il accepterait peut-être de nous recevoir si nous lui en parlions. Nos coups de fil demeurant sans réponse, nous décidâmes, après avoir pris congé d'Asprejan, de nous rendre à son domicile, dans la banlieue de Saint-Pétersbourg. Mais l'adresse avait changé ; et, quand nous parvînmes au nouveau domicile d'Adamov, son ancienne épouse nous informa à regret de son décès, lequel remontait à deux ans. Elle nous invita cependant à inspecter sa salle de travail : la pièce était restée telle quelle depuis son décès ; du moins, nul n'avait touché à ses travaux universitaires, et son « journal d'investigation » semblait offrir un résumé de ses recherches sur le manuscrit de Saint-Pétersbourg. En remerciant Mme. Adamov nous commençâmes à déchiffrer le journal. Il nous conforta dans l'hypothèse d'un jeune homme venant se faire guérir (non pas, certes, pour être épileptique, mais parce qu'ayant souffert « d'une blessure de flèche ». Le corps « lordos » était en fait un « membre » brisé par une flèche qui avait cassé l'os !). De plus, Adamov avait été, comme nous, convaincu de la grande ancienneté du texte, qu'il faisait remonter aux XIIIe - XIVe siècles, d'après les variations dialectales perçues. Comme nous, il avait rêvé de découvrir l'ancienne cité et pensait s'en rapprocher de plus en plus par une étude méticuleuse des textes. Hélas ! Le nom de Smaïr, étrangement répété dans les premières pages, envahissait littéralement le journal vers la fin, sans que soit plus formulée une quelconque hypothèse de recherche.

À la centième page du journal force était de nous rendre à l'évidence : Adamov avait depuis longtemps sombré dans une obsession maniaque, et ses démarches, rationnelles au début, devenaient de plus en plus suspectes. Il prétendait ainsi vers la fin être à même de déceler dans la Kabbale (5) des allusions cryptées à la cité de Smaïr, que nul n'aurait jusqu'ici entrevues (6). De même le matériau employé devenait obscur : écrits apocryphes, recours à l'astrologie médiévale, témoignages de troisième main, ou commentaires de commentaires (eux-mêmes équivoques). « La plus grande méfiance s'imposait au début, la plus grande indifférence vers la fin », résuma cruellement Scipion. La cité de Smaïr, avec sa propriété de se dérober sans cesse aux tentatives d'approches (7), de reculer sans cesse dans un horizon lointain comme un mirage, avait fini par faire sa première victime.

Si les interprétations d'Adamov nous avaient éclairés sur la traduction du texte, elles ne livraient pratiquement pas d'hypothèse géographique nouvelle, se contentant de préconiser l'usage du pendule magnétisé au-dessus de la carte de la Turquie, « en insistant sur l'Arménie ». L'enquête semblait donc en rester là. (Dépités, nous passâmes la soirée avec la veuve Adamov qui nous invita à dîner. Nous lui racontâmes nos déboires sur un mode farcesque, pour son plus grand amusement, et nous prîmes une sérieuse muflée avec la vodka locale.)

Nous visitâmes l'année suivante sans grand espoir les musées et collections archéologiques d'Arménie. À ce stade, notre recherche bénéficia d'un apport soudain qui, à présent que j'y songe, semble tenir du miracle. En arpentant un petit musée, non plus en Arménie cette fois, mais proche d'Istanbul, je tombai avec stupéfaction sur « un écrit des Tahar-hâbkim », du XIIIe siècle, exposé sous verre. La légende, irréellement didactique, délivrait paisiblement une vérité après laquelle nous avions couru pendant des mois : « Les Tahar-hâbkim ou hommes-végétaux, ainsi appelés pour leur savoir en botanique, sont une confrérie médicale issue d'une famille du Xe siècle, dont certains descendants peuplent encore les régions désertiques de Cilicie, à l'ouest de l'Euphrate ». Scipion (qui continuait alors ses recherches, malgré ma désapprobation, dans la lointaine Mongolie) ameuta une foule d'historiens, cartographes et géomètres, pour nous aider à situer avec précision les Tahars. Je passais une nuit paisible dans un hôtel d'Ankara quand une équipe d'une vingtaine de personnes débarqua dans ma chambre, Scipion en tête. On me somma de faire mes bagages. J'enfilai en hâte ma veste sur mon pyjama et nous nous rendîmes à quatre cent cinquante kilomètres de là, en Cilicie, dans le hameau de « Blâther-whahib » (8). Ici se trouvaient les derniers Tahar-hâbkim, ceux qui ont (en principe) conservé les récits de leurs ancêtres conteurs.

Nous pénétrâmes, Scipion et moi, dans la maison de Sacha Ramein, vieux pulmonaire qui conservait les écrits familiaux. Prévenu par les habitants du village de nos intentions, il haussa le ton lorsque nous formulâmes notre demande : « Nul Tahar-hâbkim ne révélera les secrets de ses ancêtres en laissant un étranger consulter ses registres immémoriaux ! » Puis il ferma les yeux et, levant la tête vers la toiture percée de sa maison, croisa les bras en prenant un air outré. Scipion aligna cinq cents dollars sur le tabouret en peau de chèvre devant le vieillard.

Le vieillard ouvrit à moitié ses paupières, caressa sa barbe chenue, répéta la même phrase, prit la même pose ; Scipion aligna la même somme devant lui. Le vieillard ouvrit alors tout à fait les yeux, s'exclamant : « Mais je vois que vos cœurs sont purs étrangers, vos intentions nobles, et grande votre piété. Puissent les dieux de l'ancienne Perse vous bénir et le Dow Jones vous rester toujours favorable ! » Il parla ainsi, s'empara des billets, et nous montra un énorme pot en terre cuite qui contenait des roses desséchées : « Ce pot en terre recouvre une trappe qui contient les écrits de mes ancêtres. Prenez garde de ne pas déchirer les pages ! (Et boutonnez mieux votre veste étranger, on voit votre pyjama à fleurs !) »

Le cœur battant nous nous précipitâmes vers la trappe pour en extraire les manuscrits tant convoités. Le neuvième manuscrit de la deuxième liasse contenait le rapport du médecin, ce même texte dont nous avions si longtemps cherché le sens :

« Le 6e de kechvane, l'année 5121 [année 1360 du calendrier grégorien], un des villageois vint de nuit m'apporter le corps d'un jeune homme, très mal en point, dont l'omoplate droite avait été transpercée par une flèche, laissant l'articulation de l'épaule déformée, et lui ôtant l'usage de son bras. Malgré la gravité de sa blessure, le jeune homme parvint à articuler quelques mots en hébreu vulgaire lorsque je lui parlai. Je tâchai de le guérir en mettant tout le soin que mon art réclamait. La flèche s'était enfoncée [… partie illisible]

Sa plaie s'infecta rapidement en dépit des potions, et de l'hellébore, et une fièvre violente s'ensuivit. Dans son délire il me tint des propos étranges en hébreu, souvent dénués de sens, où revenait une cité "souterraine", privée de lumière, dont il se serait évadé. Je ne pus m'empêcher de le questionner lorsque sa fièvre lui accorda un peu de répit. Je réalisai avec surprise que son langage comportait non seulement de l'hébreu, mais aussi un peu de notre grabar. Aussi, alternant entre les langues, je parvenais à comprendre ce qu'il voulait dire. Je retranscris ici toutes ses paroles dans notre langue.

La cité, me dit-il, avait été construite par le Grand maître, en des temps immémoriaux ; elle était bâtie intégralement sous terre : on y vivait à la lueur des torches, excepté pour ceux qui avaient le privilège d'accéder au grand puits central, qui donnait à l'air libre. Son père ayant été tué par les gardes de Smaïr (j'entendais pour la première fois le nom de la mystérieuse cité), il avait tenté de fuir à son tour dans le désert en remontant par le puits. Les gardes l'avaient poursuivi, lui décochant leurs flèches lorsqu'il courait dans la plaine désertique.

Je ne pus obtenir davantage d'informations du jeune homme. Il était désorienté par ce qui l'entourait, la disposition de la pièce, les instruments à son chevet, la lumière trop violente de l'extérieur, et ne parvenait pas à répondre à la plupart de mes questions […] Malgré quelques brèves périodes de répit, son état empirait. L'interroger devint impossible. Le 12ème de kechvane la fièvre l'emporta, sans que je puisse rien faire.

J'interrogeai plus tard le villageois qui m'avait amené mon patient. Il me dit l'avoir trouvé dans cet état sur la route, juste après le petit désert de Kanam. »

Au même moment, à environ trente kilomètres de la maison de Sacha Ramein, des ingénieurs saoudiens réalisaient des forages dans une plaine désertique. Ils tombèrent sur d'étranges vestiges de constructions souterraines : gigantesques soupentes en bois, pierres taillées, meubles vétustes, lambeaux de vêtements. Un seul livre, de proportions gigantesques, fut trouvé, sur les quarante hectares de maisons troglodytes. Lorsque, en septembre 1972, sous la menée de Scipion notre équipe détermina l'emplacement de la cité en s'aidant des écrits de Ramein, nous constatâmes avec stupeur que la place avait été investie par la compagnie pétrolière en question et que les derniers restes de Smaïr avaient été empilés pour former les monceaux d'une décharge publique.


2) Histoire et métaphysique


Les pages qui suivent exposent, telle que nous avons pu la reconstituer, l'histoire tortueuse de Smaïr. Celle-ci reste largement parcellaire, on le verra, et il est fort à craindre qu'elle ne soit jamais achevée, la quasi-totalité des produits de la cité ayant disparu dans l'exploitation des sols pétrolifères de la région.

L'immense livre, dont on a vu qu'il constituait le seul témoignage écrit du passé de Smaïr (nonobstant quelques gravures sporadiques, dans les grottes les plus reculées), nous fut confisqué par les autorités locales à notre retour de Blâther-whahib. Un comité scientifique – nous apprit-on deux ans plus tard – s'était penché sur ce manuscrit, et avait conclu qu'il s'agissait d'un faux, datant tout au plus du XIXe siècle : des tribus sécessionnistes l'avaient fabriqué de toutes pièces, réécrivant l'histoire ancienne pour servir leur cause. (Mais en 75 un des membres du comité scientifique (qui traitait entre autres notre « affaire ») se révéla être un espion à la solde du Shah (ou d'une autre puissance : les journaux restaient très confus). Quoi qu'il en soit, se sachant démasqué, il prit la fuite avec de mystérieux microfilms logés dans ses semelles, microfilms qui pourraient bien contenir des informations tirées du manuscrit, nous assura un universitaire turc. L'espion, dont les déplacements étaient suivis par l'armée s'égara dans la région montagneuse de Semdinli, avant la frontière iranienne. Affamé, assoiffé, les vêtements déchirés par une mauvaise chute, les pieds en sang, il entra vivement dans la bergerie d'un petit hameau qui abritait, outre quelques ovins faméliques, une cinquantaine de militaires lourdement armés.)

Malgré les dénégations que nous opposa le comité, dans les années qui suivirent, nous restions convaincus de l'authenticité du document. Quant aux autres objets découverts, ils furent probablement détruits ; nous ne pûmes en ramener une petite partie dans notre jeep, comme nous projetions de le faire, et dûmes les laisser à Ankara. Seul Harris, que nous rencontrâmes à Ankara, put examiner nos trouvailles. Il hésita cependant longuement avant d'admettre l'existence possible d'une civilisation smaïrienne.


Des rares manuscrits qui restent de cette époque (et notamment celui du moine Aristakès), ainsi que des fouilles qui furent faites, il résulte que :


En 1064, les féroces Seldjoukides, clan turc mené par Alp Arslan, déferlèrent sur les États arméniens, causant mort et destruction. La ville d'Ani, à l'avant-garde, fut rapidement menacée par l'avancée des troupes du sultan. Confrontés à une attaque soudaine, les deux préfets byzantins en place organisèrent une résistance, qui s'avéra efficace un temps ; mais la même année, après une lutte acharnée, les Turcs s'emparèrent de la ville, massacrant ses habitants.

Or une petite troupe composite, majoritairement hébraïque, avait pris les devants : se sachant promis à quelque mort atroce ou à la condition d'esclave, des hommes s'étaient risqués hors des murs de la ville, quelques jours avant le massacre final.

Horrifiés, ils entendirent les lamentations de leurs compatriotes restés dans l'enceinte et virent les dégâts irrémédiables produits par la baliste turque, postée sur une colline voisine (9). Un homme, Vaâl-Thab, s'imposa rapidement à la tête de la troupe. Il jura par les divinités infernales de conduire celle-ci hors des états dévastés d'Arménie. Il imposa un ordre tyrannique en son sein, allant jusqu'à abandonner ceux qui ne pouvaient plus suivre, et exigeant la soumission totale des petits groupes dispersés qui venaient se joindre à eux, dans le vaste mouvement de diaspora. Après deux mois d'errance la troupe se fixa dans un des déserts de la Cilicie. Là Vaâl-Thab accrut encore son pouvoir sur les hordes de réfugiés, se dotant d'une milice, « les assermentés », exigeant que chaque homme renonce à exposer sa religion au grand jour, pour se fondre davantage dans son clan.

Dans les dernières années de sa vie, vers 1070, Vaâl-Thab allait imposer à la communauté de Smaïr la loi du secret le plus absolu, une loi totalitaire. Nul n'avait le droit de quitter Smaïr, car il pouvait révéler l'emplacement de la cité aux Turcs. Nul ne pouvait faire parvenir de courrier à l'extérieur, en se servant de messagers. Les livres, plus généralement toute forme d'écrit, furent bannis de la cité, mis en pièce et enterrés dans le désert (10) : Vaâl-Thab avait dû se heurter à la résistance des différentes communautés de croyants, notamment des Hébreux. Aussi, il réduisit par la force toute forme de particularisme. Les livres sacrés étaient les derniers témoins de la diversité des groupes qui s'étaient joints originellement dans la diaspora arménienne ; mieux valait les faire disparaître, et les remplacer par un livre unique, le Grand livre, dans lequel se trouvaient écrits l'histoire et le destin de Smaïr. Il est possible néanmoins qu'aux religions initialement marquées succéda pour un temps – deux ou trois générations – un ensemble confus de croyances, qui fut rapidement éradiqué. Mais celui-ci n'est pas reconstituable. Qui peut imaginer ce que donnerait un croisement entre des religions aussi diverses que le judaïsme et le zoroastrisme ? (Ou encore avec ces restes de mithraïsme, que certains experts ont cru (à tort selon nous) identifier dans la région ?)

La cité dura presque trois siècles, jusqu'en 1360, année où écrivit le médecin (on ignore tout à fait pourquoi les habitants l'ont désertée à cette date). Les descendants de Vaâl-Thab se succédèrent à la tête de la cité avec, à leur côté, leur garde rapprochée, « les assermentés » ou « hommes à tunique pourpre », détenteurs de privilèges (comme l'accès permanent au puits central, couvrant une aire de près de 15 000 m²). À côté de ce groupe de prédateurs, très minoritaires, semble s'être développée une foule d'hommes plus ou moins pauvres et asservis. (Scipion et moi peinions à nous accorder sur le statut des individus au sein de la cité : mais les informations dont nous disposions étaient pratiquement nulles, exceptées celles consignées dans le Grand livre, où il n'est pas aisé de faire la part des croyances et des informations objectives sur l'état de la société.)


***


Lors d'une recherche de la métaphysique smaïrienne, il faut garder à l'esprit ce statut originel de réfugiés qui, fuyant un pouvoir tyrannique, abdiquaient au profit d'un autre leur pouvoir de discrétion. La peur qui les avait fait fuir ne les quitterait plus désormais, nourrie par l'imaginaire des tyrans qui se succéderont à leur tête ; l'extérieur, le monde des Turcs, sera toujours perçu comme fondamentalement hostile par les Smaïriens, de même que tout changement perçu au sein de la cité. Ainsi, qu'il me soit permis de rapporter la formule introductive du Grand livre :

Les événements constituent une série close qui se répète à l'infini. Seule leur donne l'apparence de nouveauté l'ordre dans lequel ils surviennent.

Idée exprimée dans un style que nos métaphysiciens n'auraient pas renié, et dont les conséquences sont innombrables. Elle se comprend pourtant aisément dès qu'un exemple est fourni. Ainsi, prenons quelques-uns des très nombreux faits consignés dans le Grand livre. Soit « a » la mort de Vaâl-Thab (vers 1070) ; « b » la mise à mort de l'hérétique Urartu, « c » la perte de la 210e page du Grand livre, « d » la terreur consécutive à cette perte, « e » une crise de famine survenue en 1098. Ainsi, la série S consignée dans le Grand livre est la suivante :

S = a, b, c, d, e.

Ces événements, dirons-nous, sont chacun uniques par leur nature, et ne sont pas destinés à se répéter. Pourtant, le Grand livre affirme par exemple que la mort de Vaâl-Lhi, petit-fils de Vaâl-Thab, est égale à « a », et que les deux événements n'en forment en réalité qu'un. Si vous dîtes aux Smaïriens que la mort du grand-père n'est pas la même chose que celle du petit-fils, ils refuseront de vous croire : c'est, disent-ils, la même mort du Grand maître qui vient de se produire ; seul diffère le contexte.

De même, en l'an 1124, un des troglodytes fut surpris en train de faire des gravures figuratives dans une partie reculée de la grotte, acte considéré comme sacrilège. Les Smaïriens effrayés ne surent comment prendre la chose, mais Vaâl-Lhamen, cinquième roi régnant, leur assura que la chose n'était absolument pas nouvelle, et qu'elle correspondait en tout point à la rébellion et à la mort de l'hérétique Urartu dans des temps plus anciens (soit à « b »). « La peur que vous avez manifestée, assura-t-il, est exactement la même que celle qui vous saisit lors de la perte de la 210ème page du livre sacré (soit l'événement "d"), perte elle-même consignée dans le Livre. »

On en arrive ainsi, en prenant deux autres événements ultérieurs à la série S2 = a, b, d, e, c (où S2 n'est en réalité qu'une vérification, sous une autre forme, de S). S2 = S, en réalité. La série S est dite archétypale : peu importe l'enchaînement apparent des événements, l'important est qu'ils se répéteront tous à l'identique dans l'avenir (du moins, c'est la conviction qu'en ont les Smaïriens) et qu'ils finiront tous par être groupés dans une même série stable.

On le voit, pris dans une multitude de groupements sériels, eux-mêmes formant des séries plus vastes (S, S2, S3 sont par exemple un ordre particulier d'une série plus vaste, incluse dans le Grand livre), l'événement au sens strict n'existe pas, dès lors qu'il est réduit à un fait consigné dans le Grand livre. Pour les Smaïriens, au sens strict, le temps ne passe pas mais est figé dans un présent plus ou moins riche.

Ces considérations trouvent leur parfait aboutissement dans une formule plus prosaïque, consignée par les hommes à tunique pourpre :

Tout événement nouveau témoigne d'un défaut de mémoire.

Défaut de mémoire, l'étonnement et la peur des Smaïriens découvrant dans des parties reculées de la cité des gravures, défaut de mémoire leurs tergiversations sur la nécessité ou non de signaler ce fait au Grand maître. De mêmes hommes (des hommes en tout point identiques) ont connu, l'espace d'un instant (le même instant) de semblables errements, avant de faire leur devoir en dénonçant l'hérétique. Que ce dernier se nomme Urartu ou Khosrov, qu'il grave sur les parois des représentations du monde extérieur ou qu'il prône le départ de la cité peu importe : la consultation du Livre nous apprend que ces éléments, qu'on croyait significatifs, n'avaient aucune pertinence, qu'ils ne déterminaient aucune différence entre ces deux états de fait.

Platon fait de l'acte de connaissance une anamnèse, le souvenir de l'état passé dans lequel se trouvait l'âme, avant de chuter dans la prison du corps. Certes, les Smaïriens font de la reconnaissance et du souvenir la modalité même de la connaissance. Mais l'âme n'est pas tombée du monde des Idées pour les Smaïriens : elle s'est échappée du livre sacré, et cherche désespérément à en épouser chaque ligne, sans y parvenir jamais parfaitement. Elle coïncidait autrefois (mais cet autrefois a-t-il un sens ?) avec le livre, elle était le livre (11).


***


On voit dans cet exposé succinct, fait à partir de pages copiées du Grand livre, quels inextricables raisonnements contient la métaphysique smaïrienne. Nous n'avons pu rendre compte qu'approximativement de celle-ci, et suggérer au lecteur quelle perte ce sera pour l'humanité que la disparition des vestiges de Smaïr.

Des chercheurs qui avaient participé à cette découverte, Scipion et son équipe, Harris et moi, aucun ne disposait de suffisamment de preuves pour porter un témoignage qui méritait d'être écouté. Leur parole seule en vérité fut engagée, si bien que toute possibilité de publication « scientifique » fut exclue dès l'origine.

En 1995, soit près de quatre ans après nos retrouvailles à la Chèvre hypermétrope, Scipion décéda d'une pneumonie. En suivant le corbillard dans son petit village natal, mon désarroi augmenta subitement, et de façon surprenante, à la pensée que je restais peut-être le seul témoin de l'existence de Smaïr (après le décès d'Asprejan, en 81, Harris nous avait quitté en 85). Submergé par l'émotion je ne restai pas longtemps à la cérémonie et quittai le cimetière avant le dépôt du cercueil.

Lorsque, en 2013 (âgé à présent de soixante-trois ans), la recherche d'une hache celto-ligure (mentionnée par un auteur latin du IIe siècle avant notre ère, Astartus) me conduisit dans un musée à proximité du village de Scipion, l'envie me prit de faire un détour et, je ne sais pourquoi, de voir sa tombe. Or celle-ci (je m'en aperçus dès mon approche) comportait, outre les marques d'adresse à ses parents, des caractères gravés en samogitien, langue que nous affectionnions tous deux, autrefois. Il me vint à l'esprit que cette inscription, témoignage de l'incroyable dextérité linguistique qui avait été celle de Scipion et par laquelle il s'adressait maintenant à moi seul de l'autre côté de la rive :

« À V.L., ce fripon avec qui je découvris la cité de Smaïr »,

était aussi d'une autre nature, qu'elle offrait sous forme d'énigme, comme jadis à heure régulière dans les vitres de ma chambre, le très lointain reflet de la cité de Smaïr, copie dont l'original avait été irrémédiablement perdu.




Notes :


(1) L'établissement a depuis peu fermé, le patron n'arrivant plus à lire correctement les factures qu'il recevait.


(2) L'antique cité de Smaïr est parfois confondue avec celle d'Uqbar mise à jour par les écrivains Borges et Bioy Casares. Mais, premièrement, Uqbar se situait dans une région reculée d'Irak ou d'Asie mineure, et non sur le territoire arménien ; deuxièmement, elle restait purement fictive, et était le produit d'une conspiration d'intellectuels appartenant à une société secrète.


(3) Pour les questions de sémantique cf. Bernard Sergent, Les Indo-européens, §205-207 éd. Payot ; G. Schmitt avec la « Grammatik des Klassich-Armenischen », in IBN, 1981 ; et l'ouvrage si connu de Meillet, dont le titre exact m'échappe maintenant, mais imprimé à coup sûr par les pères mékhitaristes en 1936. Il faut également signaler qu'un de mes grands-oncles avait écrit au sujet de « la nosologie phrygo-arménienne », ouvrage qui se rapprochait miraculeusement de notre sujet, et nous permit de traduire approximativement les termes sus-évoqués. L'ouvrage, que je n'avais jamais ouvert auparavant, car trop éloigné de mes préoccupations, me bouleversa. Sans que je m'en sois jamais douté, c'est à moi qu'il dédiait ce travail (« À ce fripon de V.L. », disait la dédicace).


(4) « It shouldn't be so old: maybe a simple dialect of Turkish? »


(5) On doute ainsi qu'Ibn Ezra (XIIe siècle) ait eu vent d'une quelconque manière de l'existence de la cité, lui qui voyagea seulement à l'ouest du continent européen. Les commentaires d'Ezra utilisés par le professeur (notamment ceux sur le Pentateuque) ne sont malheureusement disponibles dans leur version intégrale qu'en hébreu sur le site daat.ac.il. Il n'existe pas d'autres versions à ma connaissance.


(6) « On se demande si les kabbalistes eux-mêmes les ont aperçues ! », notait-il à la toute fin dans son carnet (c'est dire l'état d'errance dans lequel il se trouvait).


(7) Nous découvrîmes à notre stupéfaction que dans les années 80, soit huit ans après la découverte effective de Smaïr (non publiée, on le verra) des linguistes canadiens cherchaient toujours la cité à partir du document de Saint-Pétersbourg, et avaient trouvé la mort dans une expédition en Sibérie. Notons au passage cette pointe d'humour noir de Harris, quand il eut vent de l'affaire : « S'ils avaient eu de meilleures connaissances linguistiques, ils ne seraient probablement pas morts ! »


(8) « Le dromadaire perplexe », selon ma traduction, mais je n'ai jamais pu savoir si Scipion l'approuva ou s'il s'en moqua véritablement.


(9) Cf. les écrits de Mathieu d'Édesse, autre moine, qui relata le siège d'Ani.


(10) Probablement faut-il voir dans cette pratique la peur d'allumer un feu trop important, que l'ennemi aurait pu repérer de loin.


(11) Les Smaïriens entretiennent avec le papier un rapport très particulier. Ils l'appellent « matière-esprit », ou « matière recelant un esprit » et y voient l'être le plus semblable à l'homme (avant même les animaux domestiques et les charognards du désert).


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   jaimme   
17/1/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Mon coeur et mon esprit balancent à la lecture de cette nouvelle.
Je me suis retrouvé dans (ce que j'aime beaucoup) l'érudition détournée et parfois même dans les recherches à la mode lovecraftienne. Tout cela agrémenté d'humour ce qui n'est pas pour me déplaire, et même des sentiments amicaux vers la fin.
Mais j'ai eu la nette impression que l'écriture n'est pas achevée. Impression confortée par les scories d'une relecture à peaufiner (majuscules aux noms de peuples, entre autres). Il y a des ruptures de rythmes dans la chronologie du récit qui sont inconfortables ( on passe d'une enquête presque heure par heure, à des révélations qui s'étalent sur des années, presque sans solution de continuité), et l'exposition de la métaphysique issue de la lecture du Livre (qui me semble capillotractée) me semble inutile. On passe d'une enquête passionnante et amusante à un exposé ex abrupto de l'histoire de cette communauté et à leur "religion" alors qu'on ne sait pas encore comment le narrateur a pu avoir ces renseignements. Il me semble aussi difficile d'imaginer qu'un philologue puisse, à partir d'un seul livre qui ne semble exposer que des événements, pouvoir tirer des conclusions aussi précises sur les séquences. Il aurait fallu donner des phrases tirées du livre qui mettent sur la voie, à mon avis.
En tout cas ma lecture fut, globalement, très agréable et cette nouvelle contient un très beau potentiel.
J'espère que mes notes de lecture vous seront utiles!

   Anonyme   
22/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien
Je vais être franche : en Espace Lecture, ce texte m'est tombé des yeux, et pourtant j'adore Borges. Je ne l'ai lu en entier, le texte, que lors de son passage dans la centrale de correction.

Qu'est-ce qui m'a gênée, malgré l'idée que je trouve très bonne ? Eh bien, je crois que c'est une question de dosage. Pour moi, le côté clin d'œil est trop appuyé, comme si j'étais en face d'un interlocuteur affligé d'un tic qui l'amène à baisser convulsivement sa paupière. Si je me rappelle bien, j'ai décroché à la note sur "Uqbar" en me disant "non, là c'est trop". Déjà, le coup de la Chèvre hypermétrope dont le patron n'arrive pas à lire les factures m'avait heurtée ; cela m'a rappelé un vieux texte de Umberto Eco où l'auteur analyse plaisamment du point de vue sémiotique une phrase sur une commode et indique en passant que tel auteur, ne sachant que faire de la commode dans la structure langagière, la vend à un brocanteur.
Soit, il y a pire comme références que Borges ou Eco, mais les exemples ci-dessus ressortissent pour moi d'un humour d'érudit forcé (l'humour), d'un loufoque plastronnant qui, ai-je l'impression, me clame "regarde comme je suis à l'aise, comme je me joue des codes !". Et j'aime pas ça, je n'apprécie pas cette recherche à tout crin de connivence.

Bon, et qu'en est-il de l'histoire ? Eh bien, elle est amusante, plutôt intéressante, mais... dommage qu'elle arrive après Borges, quoi. Dommage, à mes yeux, que somme toute vous vous contentiez de reprendre un thème et un ton desquels je pense que vous ne vous affranchissez pas suffisamment.

Certes, encore une fois comme référence il y a bien pire ! Mais, à mon avis, vous ne sortez pas ici de l'hommage confit au maître, vous ne livrez pas votre propre "revisite" de ses thèmes et, comme si vous craigniez d'affirmer votre voix, vous vous réfugiez (mon impression, hein) derrière le second degré très appuyé, comme une distance supplémentaire.
Sauf à la fin qui, pour moi, est émouvante.

   David   
22/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Arwin,

La fin est très jolie, en ouvrant une hypothétique "descendance" à la première intuition ou suggestion fortuite du héros, qui l'avait mis sur la piste de cette mystérieuse cité. Le ton est celui d'un journalisme scientifique je dirais, avec quand même un humour assez présent, mais qui n'entache pas tant la crédibilité du texte, à ma lecture. Je me demande quand même si un air plus sérieux ne lui aurait pas donner une "aura" plus grande, une atmosphère plus captivante.

C'est assez imprécis de rapprocher ce récit d'un de Jules Verne, l'humour en plus, mais il y a quelque chose dans le ton qui me rappelle agréablement d'anciennes lectures, au double sens de ma propre vie et de l'époque d'écriture, ça fait "début 20e" je dirais, un peu plus "salé" par les digressions humoristiques.

En tout cas, c'est une escapade plaisante que cette histoire, merci et encore, à l'occasion :)

Edit : j'ai oublié en commentant la référence à Borgès du tout début, j'ai un peu patiné pour reconstituer mes impressions du coup.

   rosebud   
7/2/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Mon pauvre Arwin ! 29 lectures, 3 commentaires (un 4ème avec le mien), c’est indigent pour cette nouvelle qui réclame il est vrai de l’attention et de la constance pour en tirer du plaisir. C’est beaucoup demander.

Le problème avec votre nouvelle, comme avec Borges en général, c’est que ça résiste un peu. Quoique… Après de longues années sans avoir lu une ligne de Borges, j’ai dévoré « le rapport Brodie » qui se mange sans faim et se savoure sans fin. Borges est un de ces écrivains intouchables dont il est impossible de déclarer en public qu’on ne l’aime pas. Tout le monde se récriera en parlant de culture encyclopédique, labyrinthe, infini, … et tout sera dit. Si l’on savait que les trois-quarts de ces prétendus lecteurs n’ont jamais rien lu de lui... Lire à ce sujet le livre de Pierre Bayard : « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus » - Une merveille.

J’apprécie particulièrement ces récits où s’entrelacent la fiction et la réalité. On bute sans arrêt sur des noms de personnages ou de lieux dont on se demande à chaque fois, en tout cas si l’on n’est pas cultivé de pied en cap, s’ils sont réels ou inventés. C’est vertigineux ! Je trouve l’exercice particulièrement réussi en l’occurrence. Le dosage enquête policière, culture générale, humour (parler le plus sérieusement du monde de la « sérieuse muflée à la vodka » chez la veuve Adamov – il fallait oser) me semble idéal.


Oniris Copyright © 2007-2023