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Fantastique/Merveilleux
Asrya : Seven
 Publié le 23/06/23  -  12 commentaires  -  10399 caractères  -  93 lectures    Autres textes du même auteur

Elle était apparue un matin.


Seven


Elle était apparue un matin.

J’étais rentré de Paris. J’avais posé mon sac dans l’entrée, j’avais enlevé mon manteau, mon écharpe, mes chaussures ; je m’étais jeté sur le canapé et j’avais allumé la télé.

Elle devait être là, quelque part, claudiquant dans un coin à la recherche d’un endroit où se poser ; je n’y avais pas prêté attention. Je m’étais couché sans la remarquer.


Lorsque je m’étais réveillé le lendemain, elle était là, pendue au milieu de la porte, à quelques centimètres de mes yeux, à mi-chemin entre le sol et le plafond.

Si je ne m’étais pas arrêté, je l’aurais percutée. Elle serait tombée sur moi, ou sur le carrelage. Peut-être se serait-elle enfuie ? Peut-être qu’elle se serait faufilée quelque part ? Peut-être qu’elle serait partie ? Peut-être qu’elle serait restée, qu’elle se serait mise à grimper le long de mon pied, de mon pantalon, qu’elle aurait rejoint mon pull, mon dos, qu’elle aurait caressé les poils de ma nuque et qu’elle se serait à nouveau suspendue devant moi.


Cela m’avait perturbé.


J’avais l’étrange sensation qu’elle n’avait rien à faire là ; une anomalie.

Je venais de prendre de l’eau dans le frigo, de m’asseoir à la table du salon, de boire un verre et de manger un morceau de pain aux graines – sésame, courge, lin.

Je m’apprêtais à retourner vers le frigo, ranger la bouteille, jusqu’à ce qu’elle apparaisse, me barre la route. Je m’étais arrêté, par surprise déjà ; puis, pour être sûr de ne pas rêver, d’être certain de la voir, et analyser.

Que faisait-elle ici ?

Jamais il n’y en avait eu, pas là. Pas en face de moi, pas entre le salon et la cuisine, pas entre le plafond et le sol, pas là, pas comme ça. Elle m’avait perturbé.

Ce n’était pas une araignée de grenier, velue, aux pattes longues et aux crochets saillants, pas une tégénaire ; pas une araignée de plafond, légèrement translucide, les pattes effilées, la force blafarde, pas une pholque phalangide ; pas non plus une araignée de caves, petite, légèrement colorée, à l’abdomen renflé, pas une veuve des villes. C’était une épeire.

Assez fade à vrai dire, pas de taches, pas de couleurs exotiques, à peine plus grande que l’ongle de mon petit doigt, tout d’ordinaire hormis cette difformité axillaire : une patte lui manquait. Elle en avait sept, bien sept, et non huit comme je m’y attendais. Je ne sais pas ce qui lui était arrivé. Elle ne paraissait pas mal en point, seulement atrophiée.

Que faisait-elle ici ?

Une épeire, entre ma cuisine et mon salon. Une épeire chez moi, pas en dehors. Pas derrière ma fenêtre, ni devant. Une épeire sur ma porte.

Scrutant les horizons, je me mis à chercher la trace d’une toile, l’une de ces toiles caractéristiques que l’on dessine innocemment. Aucune. Rien.

Juste elle.

Et ce fil qui la maintenait. Ce filament fin, invisible pour qui n’y prête pas attention, balançant gentiment de côté, rythme irrégulier, indolent.

Poursuivant mes activités, je m’étais baissé afin de passer en dessous. Elle n’avait pas bougé. Elle avait l’air calme.

Je m’étais habillé, j’avais préparé mon sac, et j’avais repris le train pour Paris.


Seven.

C’est ainsi que je l’avais appelée – je n’étais pourtant pas du genre à angliciser.

Elle était restée là, toute la journée. J’avais laissé sa présence dans un coin de mon esprit sans m’attendre à la retrouver à mon retour. Elle s’était recroquevillée dans une échancrure du coin supérieur de la porte, près du mur. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été pris d’intérêt pour un autre que moi. L’idée m’avait fait sourire : « de la compagnie ».

Cela m’avait troublé : « sourire ».


Seven était du genre discrète. Elle n’avait pas pour habitude de s’immiscer dans mon quotidien. Elle me laissait faire mon petit train de vie, et je lui laissais faire le sien. Je la voyais se balader, passer d’un coin à l’autre, se pendre, se blottir à nouveau, sans jamais comprendre ce qu’elle attendait.

J’espérais qu’elle trouvait de quoi se nourrir. Je m’égayais de ne pas avoir un don pour l’entretien : les drosophiles qui guettaient les moindres miettes lui faisaient certainement des repas des plus exquis. Cela m’arrangeait.

J’espérais qu’elle ne s’ennuyait pas ; danses bancales, tissage de fortune, lutte gravitaire, repas frugaux, solitude. Je l’observais. Elle était radieuse, elle m’illuminait.


Dehors, le ciel était gris. Il faisait particulièrement froid. Je le subissais d’autant plus que je devais promener le chien de ma mère, apparue en urgence un matin pour se rendre à Paris.

Je prenais le train deux à trois fois par semaine pour l’y retrouver ; veiller. Et je repartais.


Mon appartement n’avait jamais été aussi gai.

J’en oubliais l’ombre des immeubles à côté, les pétards tirés en fin de soirée, les miasmes de la collectivité, les trottoirs recouverts de déchets.

Seven était là. Et je m’en réjouissais.

Je m’étais mis à cuisiner ; de petites choses pour commencer, lui jurant de m’entraîner, de me dépasser, de lui montrer que j’étais capable de faire des plats extraordinaires.

J’avais commencé petit, par une purée, maison ; j’avais poursuivi avec un risotto, aux poireaux ; je m’étais lancé dans un cassoulet, frais, et j’avais fini par une pièce montée, pour moi seul.

Je m’étais avancé évidemment, folie des premiers temps.

J’avais l’impression qu’elle me regardait, que ses yeux composés fixaient ma planche à découper, que ses chélicères vibraient d’envie, qu’elle communiait. Je m’avançais, aveuglé.

Je me sentais pousser des ailes, enjoué de retrouver une vie plus saine ; comme dans ces livres, lorsque je n’avais pas le choix, avant d’être inondé de technologies, avant d’être ailleurs, avant de grandir. Finies les plateformes de streaming, les applications superflues, les commandes en ligne, fini tout ce merdier. Seule la Vie. Elle, et la Vie.


De jour en jour, je me levais avec l’appréhension de la retrouver.

De jour en jour, je me couchais avec l’appréhension de la retrouver, de toujours la retrouver.

De jour en jour, je me suis mis à m’inquiéter. Et si elle n'était plus là ?


Un soir, je me suis étonné d’avoir la conviction de devoir renouveler ma garde-robe.

Je n’avais plus grand-chose de neuf, rien de saillant, rien de digne.

Je m’étais alors rendu dans un magasin de prêt-à-porter lambda. Je n’y retrouvai à mon désarroi que vices et péchés : du made in China, du made in Partout. Je quittai alors la boutique pour me rendre au centre-ville.

Je n’avais jamais mis les pieds dans un commerce de cette facture. Je n’aurais jamais eu l’impression d’y être à ma place avant. Mal à l’aise, mais les pensées tournées vers Seven, je me surpris à ne pas envoyer paître une vendeuse venue me conseiller.

Elle me donna différentes tenues, m’invita à les essayer et m’en fit la description avec la plus grande sincérité commerciale.

Je ne m’étais jamais vu avec de tels vêtements. J’aurais pu passer pour un autre. Me reconnaîtrait-elle ?

Engagé par la ferveur de la commerçante, j’avais sorti ma carte bancaire plus vite que nécessaire. Sans trembler devant les quatre chiffres affichés par le lecteur de carte, j’avais composé mon code avec un sourire satisfait en pensant au découvert que je risquais de découvrir.

Je rentrai et m’affichai, enfin, seul dans mon appartement, vêtu comme jamais, pavanant dans l’entrebâillement du salon pour lui en mettre plein la vue. Au lieu de cela, je l’aperçus, peu emballée par ma dégaine. Elle avait grise mine.

En m’approchant, je constatais qu’elle avait rapetissé, nettement. J’avais passé tant d’heures à la contempler. Cela aurait dû m’être imperceptible.

Angoissé par son dépérissement, j’avais installé une chaise à proximité pour suivre l’évolution de son état de santé. Je m’y asseyais. Souvent.

Elle bougeait peu, trop peu.

Je luttais pour fermer les yeux le moins possible. J’exigeais de moi la plus grande concentration.

Je voulais agir. Je ne savais pas comment. Je guettais le moindre indice.

Mon frère m’avait demandé si je comptais me rendre à Paris pendant le week-end. Je lui avais répondu que j’avais des choses à faire. Je cherchais un moyen de m’assurer que Seven s’alimentait.

J’essayais tant bien que mal d’attirer des proies à proximité, mais rien n’y faisait. Elle continuait de s’amoindrir. Elle était là, je le savais, et bientôt, je n’en verrais plus qu’un point. Un simple point noir posé sur la peinture. Je ne comprenais pas.

Je m’étais demandé s’il n’aurait pas fallu que je l’attrape, que je la mette dans un récipient et que je la mette dehors, dans le seul environnement dans lequel elle devait être.

Je ne m’y résolvais pas. Je ne voulais pas en arriver là, il devait y avoir une autre solution.


Seul dans mon appartement, je ruminais.

Je me tournais vers elle, lui assénais des regards durs. Je soupirais. Je me mis à la sermonner, à l’invectiver. Je voulais qu’elle me réponde. Aucune réaction.

Il m’arrivait de me mettre à hurler, de sortir de mes gonds, d’en dire bien plus que mes pensées, l’insulter. Rien. Elle ne communiquait plus.

Devant si peu d’ardeur, je m’effondrais par saccade. Mon corps ne répondait plus d’aucune logique. Elle était là. Elle avait tout ce qu’il lui fallait. J’étais là.

Je tentais de me remémorer sa forme d’antan, de retrouver les sourires qu’elle m’avait donnés. En vain.

Peu à peu, je mis le reste de ma vie de côté. Je ne sortais plus. Je ne mangeais plus. Je ne parlais plus. Je ne pensais plus, plus à autre chose.

Je restais assis, las d’espérer, résigné, attendant qu’elle m’échappe.


Mon téléphone sonna.

Elle était là, derrière moi, suspendue entre le sol et le plafond, énorme, elle m’englobait.

Je sentis ses griffes passer autour de moi, m’attirer vers elle, me serrer. Le torse brûlant, je la retrouvais, enfin, plus forte que jamais ; crochets immiscés, déversant le poison qui me consumerait.


C’était mon frère. Les médecins avaient gardé un maigre espoir que le greffon ne soit pas rejeté. Après un mois de réanimation, l’organisme de ma mère avait lâché.

Je n’avais pas dit un mot. Je m’étais contenté de raccrocher.


Je fermai les yeux, je la revis, belle, son chien entre les bras.


Elle était apparue un matin, cela m’avait perturbé. Elle n’avait pas pour habitude de s’immiscer dans mon quotidien, cela m’arrangeait. Elle avait l’air calme.

Elle était là, je le savais, et bientôt, je n’en verrais plus qu’un point.


 
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   Jemabi   
2/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
La fin est bien amenée, par touches successives, et elle reste néanmoins surprenante. Elle éclaire a posteriori tout le déroulé de cette aventure hors du commun, l'apparition aussi soudaine qu'importune d'une araignée qui devient en peu de temps le principal centre d'intérêt de la maison, et même le seul. Une bien belle façon de traiter du lien qui unit un fils à sa mère, sans discours démonstratif, sans pathos. Pour moi, deux passages se détachent de l'ensemble pour nous amener vers quelque chose de l'ordre de la comédie, celui où le héros fait la cuisine et celui où il renouvelle sa garde-robe, tout cela dans l'espoir de plaire à sa nouvelle amie l'araignée. Dommage qu'il n'y en ait pas plus comme cela. Mais tel quel, ça reste un texte sans lacunes.

   Disciplus   
4/6/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
L'écriture est naturelle mais au service d'idées
Je ne suis pas arachnophobe mais cette histoire d'épeire de fenêtre ne m'a pas permis de rejoindre l'univers de l'auteur(e). Je salue la tentative, mais je suis resté en dehors.
Une expression m'est venue pour caractériser le personnage : Il doit "avoir une araignée au plafond"
L'épisode de la recherche de vêtement est superflu. La chute est absconse.
A revoir
claudiquant .../... où se poser = contradiction
Je m'égayais de ne pas avoir un don = verbe mal choisi
Je n’aurais jamais eu l’impression d’y être à ma place avant = compliqué
je m’effondrais par saccade = non
Mon corps ne répondait plus d’aucune logique. ???

   jeanphi   
5/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Très belle nouvelle, d'une tristesse époustouflante et d'une originalité on ne peu plus ordinaire ...
J'aurais voulu critiquer la rigidité et l'application sans débordement de la forme, mais votre texte s'y prête à la perfection. De même pour la personnalité introvertie de votre narrateur, l'histoire lui donne entièrement raison. Mais quelle tristesse !
Au plaisir de voir de qui il s'agit lors de la parution du texte que je souhaite à l'auteur afin de me plonger dans d'autres de ses récits et de les comparer sur l'échelle du mal de vivre.

   JohanSchneider   
23/6/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Excellente nouvelle, originale, cohérente, structurée parfaitement, portée par un vocabulaire riche et élégant.

Que demander de plus ?

Compliments à l'auteur.

JCS en EL

   Donaldo75   
11/6/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
C’est la deuxième nouvelle que je lis aujourd’hui. Je vais commenter au fur et à mesure de ma lecture. Le style est « Fantastique / Merveilleux ». J’écarte les yeux pour bien comprendre. Dès le début, je me demande qui est la « elle » évoquée mystérieusement dans les premières phrases. Et ça continue. Est-ce du suspense ? On dirait. Bon, ça saoule quand même pas mal sur la longueur. Tout ça pour une épeire. Même pas Spiderwoman ? Cela me rappelle un album de Tintin dont je ne me souviens plus le titre mais où une épeire diadème fout sa merde. « Que faisait-elle ici ? » dit le narrateur. C’est une bonne question. La suite sent le remplissage et non la réponse à mon interrogation de lecteur. Je me tâte de m’écouter un petit « Child in time » en concert de 1970 par les Deep Purple version Ian Gillian. Puis apparait le mot « Seven ». Comme dans le film de David Fincher avec Brad Pitt et Morgan Freeman. Pas mal vu de la part de l’auteur de donner un nom à l’arachnide. Du coup, la narration est mieux incarnée. La suite sent la fascination pour la petite bête qui monte. Cela va bien dans le registre proposé. Personnellement, j’aurais resserré la mise en page pour donner de la densité à la narration car en l’état cela reste assez convenu alors que la situation l’est moins. Bon, le passage culinaire et l’aparté sur les technologies me semblent un peu ringards dans du fantastique mais chacun son truc, ça peut plaire à d’autres lecteurs. Je perds un peu de la dimension « hors normes » promis par la catégorie, de ce fait. Malheureusement, la suite va en s’effilochant. Le texte perd de la narration. Il relate en presque accéléré alors que c’est le moment de mettre de la profondeur et de la densité afin de dépasser l’idée initiale. La fin tente quelque chose, une allégorie mais elle tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. C’est nébuleux, pas très adroit. Et puis c’est fini.

   AMitizix   
25/6/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
La nouvelle m'a plutôt plus.
L'écriture est fluide, on suit bien le narrateur dans ses différentes actions. Ses émotions et réflexions sont plutôt bien exposées. En revanche, il y a parfois des expressions assez familières (« vêtu comme jamais », par exemple), qui côtoient un vocabulaire très technique (sur les araignées), un autre raffiné dans certaines descriptions, et enfin un dernier style beaucoup plus courant (je pense à « lambda » ou à « made in »). J’ai parfois un peu tiqué sur ces différences, surtout pour le registre parfois familier ou trop prosaïque qui, selon moi, affadit un peu l’ambiance du « merveilleux », du conte. D’autres soutiendront peut-être que cela incarne davantage l’histoire – question de goûts personnels.
Je passe du temps et des lignes à râler sur de petits défauts ; je répète tout de même ce que je disais tout à l’heure, afin de ne pas éclipser mon avis principal sur le style, qui est tout à fait positif : la lecture est fluide et agréable.
Pour le fond maintenant : en ce qui concerne la chute, je la trouve un peu compliquée, il faut repenser au texte pour essayer de remettre la métaphore que j’y vois dans son contexte. J'ai eu un peu de mal avec les quatre derniers paragraphes, il m'a fallu les relire pour comprendre l'idée et la comparaison.
J'aurais trouvé intéressant de développer un peu plus sur les sentiments du narrateur, son environnement, le lieu dans lequel il vit, surtout, qui pourrait être un reflet de ses états d’âmes, et ce, d’autant plus que l’araignée vit dans cet environnement – mieux, elle en fait partie. Cela aurait peut-être permis de « poétiser » plus le texte, en apportant une autre dimension symbolique très intéressante. C’est une suggestion, peut-être ne correspond-elle pas à l’avis et au projet de l’auteur.
Pour résumer : la lecture est agréable, l’histoire est compréhensible, un peu plus compliquée à suivre sur la fin, mais cela ne remet pas en cause mon avis positif sur le texte : merci et bonne continuation !

   Angieblue   
23/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Araignée du matin, chagrin !
Moi, je suis une vraie arachnophobe, et je suis également superstitieuse.
J'ai bien aimé les passages où le narrateur se lie d'amitié avec l'insecte pour combler sa solitude. Une bien étrange cohabitation.
La chute, je ne m'y attendais pas. Le décès de la mère, et donc l'araignée comme un mauvais présage. C'est bien effrayant quand elle devient géante. Berk, heureusement que le film d'horreur ne dure pas.
La perte de sa mère, c'est la pire chose au monde. Je ne sais pas ce que j'écrirai lorsque ça m'arrivera, mais ça sera très très violent et d'une douleur incommensurable.
Chez vous, je sens que ça représente un grand vide, une immense solitude et une perte de sens, de repère.
La disparition de l'araignée aurait également été une idée intéressante pour symboliser le vide, la douleur...Mais l'image du monstre qui nous englobe a aussi du sens car la perte de notre mère est, en effet, une sorte de cauchemar...
En somme, j'ai plutôt apprécié, et la fin est plutôt subtile avec l'anomalie du début qui revient comme un disque que l'on se repasse. Et, en effet, quand on subit un choc, on se repasse la scène en boucle, on revoit les évènements qui ont précédé, on cherche le signe qui annonce que tout va basculer, que tout va changer...

   Corto   
24/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Asrya,
Je trouve votre projet plutôt audacieux. Vouloir intéresser le lecteur avec une araignée qui pendouille là où elle ne devrait pas, ce n'était pas gagné d'avance. Et pourtant de ligne en ligne je me suis laissé prendre par cette mini aventure en voyant parfaitement l'évolution du narrateur. Que fait-elle là ? Elle est handicapée d'une patte. Pourquoi s'installer au milieu de la porte ? Que trouve-t-elle à manger ? etc. Bref, que des questions que je ne me serais pas posé moi-même avant de prendre une décision radicale.

Donc le narrateur m'apparait plutôt bizarre, d'autant qu'il adopte ensuite un comportement inhabituel, achats, rapports à l'environnement etc. à partir de cette entame: "Dehors, le ciel était gris. Il faisait particulièrement froid".

Doit-on comprendre que Seven est un déclencheur pour s'intéresser à autre chose qu'à sa petite routine au point de composer "mon code avec un sourire satisfait en pensant au découvert que je risquais de découvrir." ? La suite montre qu'il ne faut pas se tromper de registre.

Et soudain le "téléphone sonna". Le décès de la mère effondre tout.
Seven devient une chape de deuil, énorme, un symbole non maîtrisable "Je sentis ses griffes passer autour de moi".
Sa présence devenue inquiétante, envahissante, était annonciatrice et percute le souvenir de la mère "Je fermai les yeux, je la revis, belle, son chien entre les bras".

La formulation des quatre phrases du final concrétisent un méli-mélo de sentiments, un tourbillon émotionnel, sans doute incongru, à coup sûr évocateur du désarroi d'un fils qui vient de perdre sa mère.

Vous avez créé une ambiance plutôt que raconté une histoire, et de ce point de vue cette nouvelle est réussie. Elle était risquée et je m'y suis laissé prendre, avec prudence suivie d'un applaudissement.

Au plaisir.

   Cyrill   
24/6/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
J’aime bien cette histoire peu croyable d’un type qui se met à changer ses habitudes par la simple présence d’une araignée, boiteuse qui plus est, à son domicile. Je suppose qu’elle est censé représenter ce que la perte probable de la mère fait au narrateur. Je me suis dit qu’il avait peut-être enfin l’impression de vivre alors que la figure de l’autorité maternelle allait disparaître. La suite me fait penser que non, mais je n’en suis pas sûr.
En tout cas, c’est un ‘objet’ de préoccupation pour lui, quelque chose qui le perturbe.
J’ai trouvé des lourdeurs dans l’écriture, bien que je comprenne le choix d’un langage assez ‘parlé’. Également des précisions absolument inutiles comme le morceau de pain : c’était suffisant, pourquoi ajouter le nom des graines le composant ?! Disons que ça m’éloigne de l’histoire, je me mets à me représenter un personnage adepte du bio, or quelle importance ? Des situations que j’ai du mal à visualiser, comme au tout début : il se réveille ( dans sa chambre je suppose ) et voit aussitôt l’araignée qui pourtant est pendue, comme je l’apprendrai plus tard, à la porte entre cuisine et salon.
Le choix de faire un retour en arrière dans le temps, et donc d’écrire une grande partie du récit au plus-que-parfait, ne me paraît pas très judicieux. Il en résulte une déperdition du vif dans l’action.
La chute est amenée de façon un peu surprenante, je ne sais pas vraiment quoi faire – et ce n’est pas un reproche - de la transformation de l’araignée en monstre : le greffon, l’angoisse ? Ni comment rattacher cette araignée à la mère, sinon par le fait que la mort représente peut-être une anomalie qui va changer le cours de la vie. On peut considérer qu’elle ne communique plus dès l’instant où la mère meurt : le fil est donc rompu.
Merci pour le partage.

   hersen   
24/6/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime beaucoup
Une très belle métaphore entre la toile d'araignée, emprise, et le fil auquel elle se pend, lien.
La mère est amenée dans l'histoire mine de rien. Il faut donc un temps pour comprendre que l'araignée est le thermomètre de la santé de la mère, d'une recherche de plaire, une pièce montée à soi tout seul quand on est seul à la manger, une garde-robe renouvelée à prix d'or pour attirer l'attente (mention spéciale pour "made in Partout' !)
Au fil de l'histoire, de l'angoisse du narrateur, on suit l'araignée métaphore, on sait qu'elle est mal en point, il lui manque une patte. De fil en toile, l'histoire de l'angoisse de voir, savoir, qu'un être cher va partir.

J'ai trouvé parfois l'écriture non pas surfaite, mais qui en rajoute un peu. ce n'est pas vraiment nécessaire, ce genre de fantastique se contente fort bien du dépouillé. Mais ce n'est qu'un avis tout personnel, pas de quoi se pendre à la toile ! :)

Merci pour la lecture !

   Louis   
29/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
« Elle était apparue un matin » :
la première phrase marque une apparition subite, inopinée, inattendue.
Un « matin », il fallait que ce fut un matin, temps du commencement, apparition au seuil d’une période nouvelle.

Le début du récit introduit un décalage entre le temps de la présence et celui de l’apparition de l’araignée.
Sa présence est supposée antérieure à son apparition remarquée.
Il s’agit bien d’une présupposition puisque le narrateur ne pouvait pas savoir qu’une araignée s’était installée dans son "intérieur".
Le narrateur "sait" qu’elle était déjà là, lorsqu’il est de retour de Paris, en soirée, alors qu’il ne l’a pas encore aperçue.
Pourquoi ce décalage ? Pourquoi ne pas faire coïncider sa présence avec son apparition ?
Si elle devait être présente, et non pas arriver de nuit, c’est que cette présence se trouve en rapport avec les actes du narrateur au moment de son retour.
Que fait-il ?
« J’avais posé mon sac dans l’entrée, j’avais enlevé mon manteau, mon écharpe, mes chaussures. »
Il ôte ses habits "du dehors", ses habits sociaux, qui constituent son apparence à l’extérieur de l’appartement, et n’appartiennent pas à son "intéreur", à sa vie d’intérieur. L’araignée devait être présente au moment de son intimité, celui du retour de soi à soi.

L’araignée concerne donc la vie personnelle, la vie la plus intime du narrateur.

Elle est découverte dans une position centrale, « au milieu de la porte », au milieu du passage, « à mi-chemin entre le sol et le plafond », là où elle est la plus visible : « à quelques centimètres de mes yeux ».

Elle s’est mise en vue. Il faut qu’elle soit vue.
Elle met en arrêt. « Si je ne m’étais pas arrêté… »
interrompt le narrateur dans ses gestes quotidiens, les suspend. Elle est d’abord un temps suspendu.

L’araignée occupe une place particulière, inédite, inhabituelle : «Jamais il n’y en avait eu, pas là. »
Elle occupe un seuil, un lieu de franchissement, en une présence telle qu’on ne peut lui passer à travers ; on ne peut que la heurter, la «percuter », si l’on n’y prend garde.
Elle indique un seuil à franchir, spatialement cette fois.

Cette rencontre entre le narrateur et l’animal ne constitue pas pourtant un point d’arrêt de l’un et de l’autre, mais un moment de pause dans un devenir.
On peut dire, en effet, que se produit ici, dans cette rencontre, ce que G. Deleuze nomme un "devenir-animal", et plus précisément en l’occurrence un "devenir-araignée".
Deleuze repère ce devenir-animal chez de grands écrivains : le devenir-chien de Kleist, le devenir-porc-épic de Lawrence, le devenir-taupe de Kafka, le devenir-veau de Moritz, le devenir-baleine de Melville etc. et même un devenir-araignée chez Proust dans La Recherche, ( Deleuze est l'auteur de : Proust et les signes ) mais en un sens assez différent de celui qui semble se manifester dans cette nouvelle.

Devenir-araignée : non pas que le narrateur ressemble à une araignée, l’imite, ou s’identifie à elle, mais constitue avec elle un "bloc" où coexistent des éléments humains et des éléments arachnéens.
« Les devenirs ne sont pas des phénomènes d’imitation, ni d’assimilation, mais de double capture, d’évolution non-parallèle » : écrit Deleuze.

Quel est ici le tracé de ce devenir ? Quelles captures ?

« J’avais l’étrange sensation qu’elle n’avait rien à faire là » : note le narrateur à propos de la position inhabituelle de l’araignée.
Et pourtant, elle est là. Pas ailleurs. Elle y a « à faire ». Le narrateur y revient, pour se demander : « Que faisait-elle ici ? »
Par cette interrogation, il avoue seulement son ignorance et son incompréhension. Mais reconnaît aussi qu’elle a quelque chose à y faire, bien qu’ignorant la nature de ce "quelque chose".
La position de l’araignée, bien qu’incongrue, suppose quand même un « à faire ».
Elle n’est pas là par hasard.
Il y a quelque chose à faire, de sa part et de la part du narrateur.
On ne peut dire de celui-ci qu'il n'a "rien à faire" de sa présence, au contraire.
Un "à faire" donc entre elle et lui. Il y a à faire entre eux. Le devenir-animal est un «être-entre» dit Deleuze. Devenir-araignée : la grande affaire.

Un autre animal, pourtant présent : « Je devais promener le chien de ma mère », s’avère quasiment absent, et nul "devenir-chien" ne s’effectue.

L’araignée, non le chien.

Si l’araignée a tracé une ligne bien visible, son "affaire’"consiste à tirer des fils.
Elle a des fils à tisser pour un seuil à franchir, pour occuper un passage. Un passage à franchir avec elle. Sans l’ôter, sans la «percuter », sans la faire fuir.

Des fils aussi sont à tirer par le narrateur, des lignes à tracer, entre lui et sa mère, et le nom de la mère, celle qui "a régné". Rappelons la comptine de Prévert : "Le Pape est mort":


Le Pape est mort, un nouveau Pape est appelé à régner.

Araignée ! quel drôle de nom, pourquoi pas libellule ou papillon ?

Vous n'avez pas bien compris, je recommence.



Un fil aussi est à relier au nom du père ( Pape ou papa) : l’araignée est une « épeire ».
Tracer les fils en réseau entre mère "et père", et lui, le narrateur ; tirer les fils entre les parents et leur "fils". Non dans une clôture familiale, la ligne à tisser est celle aussi qui ouvre sur le monde social. Celui dont le narrateur a voulu se défaire, en ôtant ses habits, en un retrait, un repli, une solitude.

« Pas de traces d’une toile » : remarque le narrateur. C’est qu’il y a des fils invisibles, des fils abstraits à produire.

Tisser, et se nourrir ; tisser pour se nourrir : deux fonctions de l’araignée.
Et deux captations.
Ligne de la nourriture : au fil de l’expérience du regard arachnéen, le narrateur en prend de la graine ; il en fait son pain.
Alors il ne se néglige pas, ne se laisse pas dépérir, mais se nourrit correctement.
La ligne se fait souci de la nourriture dans un contexte de solitude : souci de la nourriture pour l’araignée : « J’espérais qu’elle trouvait de quoi se nourrir (…) les drosophiles qui guettaient les moindres miettes lui faisaient certainement des repas des plus exquis (…) J’espérais qu’elle ne s’ennuyait pas (…) Repas frugaux. Solitude. »
Des « repas exquis » et non frugaux, deviennent le "faire" du narrateur : « Je m’étais mis à cuisiner ».
Les repas préparés deviennent plus consistants, plus raffinés. Il faut un regard par lequel il peut y avoir fierté de la qualité que l’on a su donner aux plats, reconnaissance d’un savoir-faire gagné, et qui assure de la capacité d’autonomie acquise, sans plus dépendre des petits plats de "maman". Et ce regard ne manque pas : « J’avais l’impression qu’elle me regardait »
Il y a cette « pièce montée » pour soi seul, mais peuplée déjà virtuellement des "autres', prête au partage et montage de pièces pour une sortie hors de la solitude.

L’autre captation se révèle dans le fil du tissage, qui conduit au tissu, aux vêtements. Le narrateur se tisse, tout autrement que l’araignée, par des choix de tissus, les combinaisons vestimentaires une nouvelle apparence, quel qu’en soit le coût. Il lui faut avoir "de la ligne". Il lui faut soigner sa relation sociale, tracer cette autre ligne hors de la solitude.
La toile abstraite qui se tisse, on le voit, ne vise pas un enfermement, un emprisonnement ; elle est un réseau ouvert, elle trace des lignes de fuite vers une vie nouvelle, et une extériorité qui semble pourtant si peu avenante.

C’est une ligne de vie qui se construit, dans ce devenir-araignée.
Une puissance de vie s’accroît de cette rencontre : « Seule, la Vie. Elle, et la Vie » ; et elle est aussi puissance de joie, cette joie qui toujours traduit une puissance plus grande d’exister :
« Mon appartement n’avait jamais été aussi gai ».

Alors on comprend mal ces deux phrases du texte :
« De jour en jour, je me levais avec l’appréhension de la retrouver.
De jour en jour, je me couchais avec l’appréhension de la retrouver »
L’appréhension est une crainte. Or le locuteur ne craint pas de retrouver l’araignée, mais tout au contraire de ne pas la retrouver.
« appréhender » peut aussi signifier une saisie intellectuelle, par l’esprit. Mais la formulation du texte ne convient guère à ce sens.
La troisième phrase anaphorique :
« De jour en jour, je me suis mis à m’inquiéter. Et si elle n’était plus là ? » semble plus logique, et la phrase s’avère plus correcte.

De son côté, l’araignée capte l’angoisse du narrateur pour sa mère malade.
Dans le réseau abstrait des lignes, l’une est fantastique-fantasmatique : ligne-mère.
L’araignée semble connectée à la trajectoire de sa maladie, au devenir de son « greffon », elle à qui aussi une partie corporelle s’avère défaillante, d’où son nom Seven, nom aussi de sa présence espérée sept jours sur sept.
Dans son devenir-fantasme, elle devient géante, prend toute la place : « énorme, elle m’englobait ».
Araignée : à la fois vivante et passage par la monstruosité de la mort, force et poison mortel. Passage par un point noir géant.

L’araignée n’a pourtant pas assimilé le narrateur.
De ligne, elle se réduira à un petit « point ».
Mais elle aura tracé pour le narrateur le chemin de vie, lui aura donné la force d’exister par soi et dans le rapport à autrui ; l’aura aidé à franchir le seuil d’une vie sans la présence de la mère.
Elle a régné ; discrète désormais, elle laisse au narrateur la voie ouverte à son propre règne. « Elle » :dans une ambiguïté du désigné, comme ce même pronom à la fin du texte.

Merci Asrya pour ce récit à la fois intéressant et émouvant.

   Edgard   
4/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Asrya,
Votre nouvelle est surprenante. Bien écrite selon moi, sans effets trop voyants.
A la première lecture, le côté "mère araignée" aussi aimante qu'envahissante, m'avait échappé, puis je suis retourné voir, et effectivement vous semez des petits cailloux tout au long du récit, qui se révèlent importants, et donnent de la profondeur au texte.
peut-être quelques répétions ou longueurs (que fait-elle là...) qui ne sont pas vraiment nécessaires. On comprend très bien l'envahissement de la petite bête sans trop expliciter.
La chute est vraiment émouvante et inattendue, elle éclaire d'une lueur tendre le reste du texte.


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