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Réalisme/Historique
Vilmon : Le cueilleur d'abricots
 Publié le 21/06/23  -  9 commentaires  -  9082 caractères  -  56 lectures    Autres textes du même auteur

Un homme assis sur de vieux pneus m’avait raconté une histoire.


Le cueilleur d'abricots


Lors de mon voyage à vélo dans le sud de l’Espagne, je me suis arrêté pour prendre une pause dans un typique pueblo blanco de l’Andalousie. J’y marchais aux côtés de ma bicyclette en suivant les étroites ruelles du centre historique. J’adore me faufiler parmi ces dédales aux pavés centenaires, aux édifices rongés par l’âge et rafistolés, ces architectures qui s’empilent les unes sur les autres avec le temps et ses charmes de réaménagement coquet par ses habitants. Après avoir longé au hasard ces résidences peintes à la chaux, je suis arrivé sur la petite place publique, encadrée par son église et son clocher en pierre, la mairie coiffée de ses drapeaux colorés et un ancien marché couvert et son lavoir. Le soleil était de plomb en ce milieu du jour alors que tous les villageois s’étaient retirés pour la sieste. Seul, je pouvais savourer à ma guise ces instants paisibles dans une scène qui m’enchantait en déambulant lentement, prenant soin d’y observer chaque détail qui attirait mon regard.


Un homme m’a surpris alors que je contournais l’église, à la recherche d’un belvédère avec un possible panorama. Il y avait plutôt un vieil olivier, sans doute plusieurs fois centenaire, qui couvrait de fraîcheur la cour arrière sous ses longues branches. À son pied, des restants de maçonnerie et de bouts de bois s’étaient accumulés dans un tas, résultat d’une ancienne restauration, où se sont aussi amoncelés quelques détritus. Sous l’ombre du feuillage, l’homme était assis sur quelques vieux pneus, habillé modestement de vêtements défraîchis et usés. En me voyant, il a commencé à me parler d’un espagnol agrémenté de la saveur locale. Je l’ai écouté avec attention, intrigué par ce qu’il me racontait en tendant sa main vers la droite, voulant me désigner une région derrière ces murs qui nous entouraient. Je ne saisis pas toutes les nuances de cette langue avec aisance, mais j’en ai compris la majorité des passages.


Por el pasado, habìa albaricoqueros en las colinas. Autrefois, me disait-il à ce que j’en ai déduit, il y avait d’immenses vergers d’abricotiers sur les collines autour de ce village. Chaque printemps, les dédales étaient tapissés par leurs pétales blancs finement accentués de rose, le parfum de leurs fleurs embaumait chaque recoin de pierre. Una frangancia fina y delicada, avait-il précisé en touchant légèrement le côté de son nez avec son index. Il avait appris à prendre soin de ces vergers dès son jeune âge. Je sentais la fierté dans sa voix lorsqu’il affirmait cultiver les plus beaux abricots de toute l’Espagne. Mais, il y a quelques années, un gel les avait tous surpris au début avancé d’un printemps, ils avaient perdu la moitié de la récolte. Et l’année suivante, un énorme feu de broussailles avait emporté les abricotiers qui avaient survécu. Il était maintenant trop âgé, m’avait-il avoué en terminant, il n’avait plus le courage ni la force de reprendre sa vie.


Sur ces derniers mots, il s’est saisi la tête entre les mains et a appuyé ses coudes sur les genoux. Je l’ai regardé quelques minutes pendant que le silence s'installait entre nous, légèrement ému par ce récit. Sans savoir si c’était là sa véritable histoire, j’ai pris la monnaie au fond de mon sac de taille et je l’ai déposée à ses pieds. Il n’a pas bougé, j’ai senti un malaise. Embarrassé, je me suis éloigné pour retourner vers la place publique, croyant l’avoir insulté par ce geste de charité. Avant de quitter la ruelle, j’ai tourné mon regard vers lui. Il était toujours dans la même posture et mes quelques sous reposaient au sol devant lui. Envahi par une tristesse qui me nouait légèrement la gorge, j’ai décidé d’enfourcher mon vélo et de laisser au plus vite ce village. Pendant que je pédalais allègrement sur la route de campagne, j’observais les collines arides aux quelques taches de verdure et je me suis imaginé son histoire.


« Je m’appelle Pablo Sanchez, un nom très commun pour une personne plutôt ordinaire. J’ai passé toute ma vie au village de San Antonio della Ricoletta, dans les riches collines d’abricotiers qui l’entourent. Dès mon plus jeune âge, j’ai vécu parmi ces abricotiers, à contempler leurs fleurs, à humer leur doux parfum qui m’enivre, à prendre soin de leurs fruits, à les cueillir avec agilité et délicatesse et à savourer leur chair sucrée et légèrement acidulée. Au plus profond de ma mémoire, je me rappelle cette fois lorsque mon père m’a soulevé au bout de ses bras pour que je puisse admirer les pétales et sentir l’arôme d’une fleur d’abricot. Ce fut comme un coup de foudre, malgré mon très jeune âge, je savais déjà ce que je ferais durant toute ma vie. J’ai appris à faire mes premiers pas à l’ombre de leur feuillage, j’ai formé mes muscles à racler la terre près de leurs racines pour favoriser l'écoulement de la pluie, mes malheurs ont été consolés sous le doux bruissement de leurs feuilles, j’ai gravé des cœurs sur leurs troncs lors de mes premières amours, je les ai traités avec grand soin, plus que de ma famille, et, chaque année, j’ai été récompensé par leurs fleurs et leurs fruits.


J’ai vécu de beaux jours pendant des décennies parmi ces collines d’abricotiers. J’avais acquis une notoriété, j’étais l’un des plus rapides cueilleurs d’abricots et je connaissais presque tous leurs secrets. Parfois, même les propriétaires des vergers des autres villages venaient me demander conseil, mais je restais humble et fidèle à mes amours. Un jour, un vieil homme est passé pour me rencontrer, il m’a raconté qu’il avait parcouru toute l’Europe à la recherche de l’abricot qui lui ferait retrouver le sourire. Je l’ai conduit parmi mes abricotiers, nous avons marché pendant des heures sous leurs branches courbées par les fruits avant qu’il ne s’arrête sous l’une d’elles pour y tendre la main. D’un geste sûr et souple, il a détaché un des fruits et l’a porté à sa bouche. Il s’est ensuite tourné vers moi et m’a souri avec franchise. “Voilà un abricot qui a le goût de l’amour et qui me rappelle le cœur de ma défunte femme.” Mais il a aussi ajouté que malgré tout l’amour du monde, rien ne peut empêcher les malheurs. J’avais alors eu un mauvais pressentiment. Je lui avais offert quelques abricots que j’avais moi-même séchés et il m’avait quitté en souriant et en déclarant que son périple était terminé, qu’il ne craignait plus la mort.


J’ai senti le vent du changement venir, comme cette sécheresse plus persistante dans les brises de l’ouest, ou ces vagues de froid qui revenaient nous hanter durant le printemps. Mais j’étais heureux et ce bonheur me rendait aveugle. J’avoue avoir été stupéfait il y a quelques années, lorsque le gel a anéanti la moitié des bourgeons éclos. Même les spécialistes météorologiques n’avaient pas compris ce qui s’était passé ; cette inversion thermique avait pris tout le monde par surprise. Je me suis acharné au travail, oubliant le sommeil pour prendre soin des rescapés. J'étais persuadé de pouvoir refaire surface parmi ces eaux agitées. La qualité de la récolte avait comblé la pauvre quantité, j'avais retrouvé l'espoir.


L’année suivante, je m’étais préparé à cette éventualité en installant des brûleurs à gaz et des couvertures isolantes, nous étions plusieurs à passer des nuits blanches à protéger nos précieux bourgeons contre le gel. Nous avions réussi à conserver les arbres qui avaient été épargnés. Malheureusement, quelques mois plus tard, une sécheresse hors du commun est venue sournoisement nous accabler. Les restrictions d’eau ont asséché toutes les broussailles et les abricotiers. Il ne restait que des fruits rabougris sur les tiges, presque toutes les feuilles étaient tombées. Et pour clore l’horrible spectacle, un énorme feu incontrôlé a tout avalé sur son passage, mon verger et ma maison. J’ai tout perdu, même ma famille qui m’a quitté. Une part de ma raison s’est envolée en fumée, je ne voulais pas laisser mes collines et ils ont préféré mettre les voiles, s’éloigner au plus loin de ces malheurs.


Je m’appelle Pablo Sanchez, un nom plutôt commun pour un homme perdu et seul. J’étais le meilleur cueilleur d’abricots lorsque ces collines en étaient recouvertes. J’y ai vécu mes plus belles et mes plus désastreuses années. Je les parcours encore chaque jour en foulant la poussière et les mauvaises herbes pour me les remémorer. Je reste ici bien que tout ait disparu, car mes souvenirs sont maintenant plus puissants que la réalité. »


J’aimais bien ce récit que j’avais imaginé suite à cette étrange rencontre. Une histoire qui se termine avec tristesse, une tragédie pour ces abricotiers tués par le feu et la glace. Je préférais m’en tenir au témoignage de l’homme plutôt que de modifier son récit en une fin heureuse. Mais j’étais plus préoccupé par cette histoire que par mon parcours sur la route accidentée. J’ai maladroitement évité un trou et j’ai roulé dans un second, ma roue avant s’y est cognée au fond. J’ai senti un relâchement dans mon guidon, j’ai remarqué mon pneu qui s’écrasait lentement. Je me suis arrêté et je l’ai tâté, malheur, c’était une crevaison.


 
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   Disciplus   
1/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Style narratif sobre. Lecture aisée. Écriture maitrisée. bien que studieuse. Un récit sympathique pour une histoire simple.
Pour l'authenticité, j'eus préféré que ce soit le vieil homme qui raconte directement sa vie au voyageur. Nous aurions appris la destruction du verger (le point fort) sur la fin de la discussion. Le connaitre trop tôt enlève du "punch" au texte.
Un peu plus d'émotion n'eut pas nuit, tant dans son amour des arbres que dans leur perte. La chute semble plaquée et fade.

   Asrya   
1/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Ah... ces cyclistes.

Bien que je n'arrive pas particulièrement le concept du bien être à pédales, je tiens déjà à saluer le courage dont font preuve tous ces fous du guidon.

L'idée est ici très intéressante.
On commence par suivre l'un des protagonistes, assez banalement, puis un second entre en scène et lui raconte une partie de sa vie. Pour quelle raison ? Peu importe, ici, nous ne lisons qu'une part d'humanité, et les raisons de cette dernière sont si éparses, qu'il n'y aurait de réelle raison à en trouver (houlà, je me perds...).

Puis, notre premier protagoniste se glisse machinalement dans la peau du second, en essayant de retranscrire, imaginer sa vie, au gré d'une balade qui a tout d'ordinaire, hormis le périple cérébral qui l'accompagne.

Je reconnais ce sentiment d'évasion, d'aventure, d'imaginaire qui jaillit au sein de chacun d'entre nous (je l'espère), à un moment ou à un autre de telle ou telle situation.
L'idée m'a conquis.

Sur la réalisation à présent, je pense qu'il y a quelques zones améliorables.
La première concerne la transition entre l'histoire du second personnage et la manière dont le premier se la raconte ensuite en tête.
Peut-être est-ce simplement une question de mise en forme et que des guillemets auraient résolu l'affaire. Je ne sais pas. Il réside ici, à mon simple avis, un défaut, ténu, à peine visible capable d'entraver la lecture pendant un instant.
Certes, rien de dérangeant en soi, mais s'il y a matière dénouer cet instant, alors pourquoi pas.

Le second concerne la similarité d'événements racontés entre les deux protagonistes.
Nulle folie dans la vision pensée et imaginée du personnage principal, du moins, pas de réelle folie. La rencontre avec l'homme à la recherche de l'abricot du sourire est mignonette, mais n'a pas suffisamment de gage pour me garder transi dans la lecture.
Une impression de "réchauffé" surgit, de redondance, qui aurait probablement pu être évitée si des éléments plus "rocambolesques" avaient surgi de l'esprit rêveur de notre promeneur. Certes, la volonté de "coller" au récit de ce dernier est nécessaire, et l'exercice est délicat, je le conçois.
Encore une fois, rien de réellement dérangeant, juste peut-être une sensation d'inexploitation.

Enfin, la chute.
Pour le coup, je n'ai pas accroché.
Pas toujours évident de trouver quelque chose qui tienne la route (sans jeu de mot), mais là, le côté brutal de la crevaison ne l'est pas assez, du moins pas suffisamment ressenti pour être satisfaisant. De mon côté : chou blanc.

Une lecture que j'ai donc globalement appréciée, et qui je pense est née d'un texte de bonne qualité.
J'espère que d'autres l'apprécieront également.
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   jeanphi   
1/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Cette nouvelle est agréable et fine. Elle revête différents aspects, différentes focales. Un caractère très humanisant, très reposant. L'écriture est très belle, calme, presque insoucieuse malgré la gravité de son récit. Une belle manière de mettre en avant la situation critique de certains cultivateurs en proie aux sécheresses et aux incendies.
Il y a un air rassénérant de "les voyages forment la jeunesse" sur fond de rapportage d'observation de terrain non pompeux.
Merci pour cette lecture

   Jemabi   
3/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Beaucoup de charme se dégage de cette nouvelle dont l'empathie pourrait être le maître-mot. Une écriture simple, sans chichis, est au service d'une construction pour le moins originale puisque la compassion du touriste envers cet homme se transforme en un flash-back imaginaire raconté à la première personne, le tout restant très réaliste et crédible. On a là affaire à un touriste d'exception, comme il en existe hélas trop peu à travers le monde. Passe enfin en filigrane dans cette nouvelle tout le tragique d'une vie consacrée au travail dans les champs, travail acharné que des intempéries plus puissants que toute volonté humaine sont capables de détruire du jour au lendemain.

   Donaldo75   
9/6/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
aime un peu
Je commente au fur et à mesure de ma lecture. « J’y marchais aux côtés de ma bicyclette » ne me semble pas de la plus belle forme d’écriture, pour employer un euphémisme. Je vais continuer à chipoter : « En me voyant, il a commencé à me parler d’un espagnol agrémenté de la saveur locale. » C’est quoi, la saveur locale ? Je place cette remarque parce que parfois j’en lis de semblables dans d’autres commentaires et que je me demande pourquoi. J’en ai enfin trouvé la raison : le fait de se poser la question peut signifier que ces derniers mots sont de trop et n’apportent rien dans la narration ou dans la forme qu’ils ne magnifient pas. Ils remplissent juste la page. Fin de la parenthèse. « Por el pessado, habìa albaricoqueros en las colinas. » Là, je ne vois nulle part la traduction. Alors, je m’en remets à Google Traduction qui me sert ça : « Par le lourd, il y avait des abricotiers sur les collines. » Je ne suis pas plus avancé, je m’en remets à ce que la narration me donne dans la suite. Je suppose que c’est une figure de style pour amener de la poésie. J’aime bien les abricots, ça tombe bien. Bon, vu que ce texte a des airs de chronique, je suppose que je ne dois pas attendre un pitch dramatique ou des faits historiques. Je continue, équipé de mon traducteur numérique. Puis le récit change de perspective, le narrateur raconte la vie du gars qui lui a sorti sa phrase en espagnol. Et là, il y a une forme de conte dans la manière de raconter, pas immédiatement mais au fur et à mesure. Ce n’est pas désagréable à lire. Je me laisse aller. J’avoue que ça me tente de me mettre un petit Miles Davis du genre « Siesta » avec Marcus Miller pour agrémenter ma lecture mais je résiste. La narration n’est pas fluide. La clarté n’est pas la tendance. Pourtant, l’écriture reste stylistiquement propre. Ce n’est pas facile d’être un abricot, me dis-je de temps à autres. Et encore moins de les ramasser. C’est un peu la morale de la fin de cette histoire, quand le narrateur reprend la main. Je trouve d’ailleurs la manière de conclure assez maladroite. Un pneu crevé après plusieurs paragraphes sur la vie de Pablo Sanchez l’homme qui ramassait des abricots, ça fait assez « cheap ». Dommage, il y avait un ton.

   Perle-Hingaud   
21/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai bien aimé cette chronique. Le témoignage du narrateur permet un langage simple et clair, avec un ton et un rythme plaisant, presque un conte. La trivialité qui entoure cette vie dramatique (l'anecdote du pneu crevé) donne une perspective décalée, un peu absurde comme un livre qu'on referme pour revenir à ses occupations terre à terre.
Sympathique !

   ferrandeix   
9/7/2023
J'ai ressenti dans ce récit à peu près les mêmes insuffisances qu'a signalées Istrya, de sorte que j'aurai peu à rajouter. Cette nouvelle aurait pu être excellente si, à partir du récit laconique du cultivateur d'abricot, le narrateur avait imaginé une histoire "rocambolesque" selon le terme d'Istrya) et si, par exemple ce narrateur avait pu trouver par hasard un indice suggérant que sa version imaginée était la réalité, ce qui aurait constitué une chute intrigante. Par ailleurs, l'écriture présente assez de souplesse au niveau de la syntaxe. Difficile de critiquer, quoiqu'il n'apparaisse aucun effet littéraire notable. Je reste donc un peu déçu.

   Vilmon   
6/8/2023
Bonjour, pour plus d'explications sur ce récit :
ICI

   Atoutva   
26/8/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
La sécheresse, un thème bien dans l'actualité pour cette nouvelle écrite simplement.
Un récit, la vie d'un vieil agriculteur espagnol, imbriqué dans un autr récit, la promenade à vélo du narrateur.
Les deux chutes se combinent et relient les récits.


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