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Fantastique/Merveilleux
bakus : Cadre havre exquis
 Publié le 18/12/12  -  6 commentaires  -  21822 caractères  -  86 lectures    Autres textes du même auteur

Un poulpe peintre se perd dans son tableau en bord de mer.


Cadre havre exquis


« L’homme sans mythologie de l’homme, ce n’est que de la barbaque. » Romain Gary


Havre exquis : petite chambre bleue, vue sur la mer, voisinage charmant et convivial, remplie de vieux rossignols volants, disponible de suite.


Malheureusement pour le charmant voisinage, après leurs multiples et infructueux passages, les visiteurs ne laissaient jamais plus aucun message, car ils avaient mal lu le début de la page : les rossignols étaient dans la chambre et volaient sur des murs hors d’âge.


Elle allait donc être occupée par un homme démesuré, immodéré et surtout bancal, tellement disproportionné pour demeurer dans une chambre aussi menue que c’en était devenu un régal. Pour les yeux : il débordait, dégueulant de la chambre sur la grande rue conviviale. Pour les oreilles : un peintre dans cette chambre aux voltigeantes peintures murales ! Vous imaginez dans notre belle carte postale ! Un peintre, le scandale ! L’abîme était presque trop bien mise, et tous avaient peur de s’y perdre et avec eux, leur vue sur la mer…


Il faut dire que l’homme aime à se sentir à l’étroit, pourquoi pas alors dans une petite chambre bleue en déshérence. Et les rossignols chantaient divinement bien lorsqu’il envahit l’aire de son nouveau toit, il ne pouvait que se satisfaire d’une aussi belle résidanse.


Et leur chant raisonnait comme la sirène de l’aube des temps, celle qui le réveillait de ses cauchemars en hurlant, dont il espérait chaque nuit la venue en suppliant, qui maintenant ensorcelait le lobe de son pavillon complaisant, pour finalement s’évader par sa fenêtre en riant : vue sur la mer…

Il ne pouvait alors qu’être enchanté et danser comme un dément, sur cette petite scène de l’homme trop grand, trop gland pour son ère de vie ou lebensraum comme le tonnent si mal les canons de nos amis allemands.


Ajoutez à cela qu’il avait la curieuse habitude d’avoir des tentacules là où tous avaient des mains, et malgré tout ce que marée, chaussée lui serinaient en vain, il avait décidé de les garder non sans mal, ne serait-ce que pour mieux leur dépeindre le revers des cartes postales, vue sur la mer…


Alors il passait son temps à écouter les rossignols volants, essayant de capturer sur sa toile leur chant scintillant, sous l’azur depuis trop longtemps défraîchi de cette petite chambre bleutée. Pourtant ils se concertaient tous les soirs pour étonner ses tympans, tournant et tournant autour de sa tête étourdie par tant de beauté.


Toile après toile, ses tentatives échouaient à attraper ces rossignols. Ses pinceaux s’animaient au bout de ses tentacules, dansant leurs airs devenus ridicules, jamais il n’arrivait à leur prendre cette beauté au vol, à rendre la grâce de leur chant sur ses toiles minuscules. Car même dans sa si petite chambre transpirant le formol, un si grand poulpe ne pouvait manquer de recul : le peintre sentait bien que ses toiles suaient la vérole. Trop petites, insignifiantes, il en avait fait un monticule, en haut duquel il méditait assis : vue sur la mer…


Un jour, il partit, armé de son seul courage, bien décidé à leur offrir la plus grande toile des parages. Le poulpe parvint à sauver des mauvais temps et de leurs outrages, une immense fresque abandonnée à même le sol immonde. Heureux comme le chevalier qui au terme de sa quête féconde, a enfin trouvé l’épée enchantée qui protégerait tous les rossignols du monde, il la serra dans ses tentacules et la prit par la taille. Ses pinceaux allaient enfin pouvoir danser dans un champ à la hauteur de la bataille. Et il la ramena dans sa chambre pour la restaurer sans s’encombrer d’autres détails.


Mais cette petite chambre mansardée, le peintre y tenait à peine debout, et son instinct sentait que la fresque apeurée, elle, n’y tenait pas du tout. L’angoisse de la toile blanche tétanisait le poulpe soudain privé d’aire. Maintenant à côté de ses tentacules polluant l’atmosphère, la toile immense débordait, défigurant encore plus la carte postale balnéaire : les enfants ont peur d’aller à l’école avec toutes les histoires qu’on leur raconte sur vous ! Et les touristes vont finir par ne plus venir pour la vue sur la mer…


Mais il savait que ni les enfants ni les touristes n’avaient peur de sa mauvaise réputation, car sur le chemin de la mer et de l’inspiration, il lui arrivait souvent de perturber les clichés des seconds et les jeux des premiers. Les enfants de carte postale étant peu rancuniers, en le regardant ils avaient vite deviné : comme tous les poulpes sur cette terre, il était maître dans l’art du jonglage depuis la divine Création. Soucieux de l’aider à atteindre la perfection, ils lui jetaient pierres après pierres. Autant de balles qui sifflaient ces airs qu’il n’arrivait toujours pas à saisir, tellement de balles sifflant claquant bourdonnant leur solitude, il ne pouvait qu’en faire un plus grand essaim. Bourdonnant sifflant claquant ces balles dans l’air vibrant de plaisir, elles ne chantaient pas comme les rossignols de son nid en décrépitude, plutôt comme une chambre à hère cloué sur la roue du destin, usée jusqu’à la corde par les allées et venues des cycles d’antan sur les pavés de la voie des martyrs. Ou comme ce vieux chanteur à la croix de bois qui gagné par la lassitude, fatigué par les répétitions des temps sans fin, menait sans entrain cette mauvaise troupe venue des âges obscurs de l’humanité en délire, laissant leurs voix criardes emplir l’ère de leurs vieilles habitudes, donnant vie à cet air des pierres qui s’emballent dans un plus grand essaim. Un si grand essaim qu’il l’incorporerait dans son œuvre à venir, d’essaim claquant bourdonnant sifflant de toutes ses balles devenues multitude, il deviendrait ainsi petite musique de chambre à l’aurore suivant la nuit des tant. L’essaim-balles tournant et tournant autour de sa tête il entendait leurs rires, les enfants et leurs jongleurs pourront toujours sifflant cet air bourdonnant, l’essaim-balles claquant, admirer cette douce vue sur l’amer…


Quand il finissait de jouer avec les enfants à musée, il prenait congé comme un peintre bien élevé, et reprenait sa balade inspiré par les pierres et ce nouvel air, car en bon poulpe il souhaitait plus que tout capter aussi la beauté de l’amer. Alors il s’y plongeait, touchait le fond, regardait tout en haut droit dans la lune et il s’y perdait. Il vint le jour, il vint la nuit, il vint tellement que pour la lune c’en devint une éternité. Parfois il prenait le large et à grands coups de tentacules essayait de la rejoindre tout au fond de l’amer. Au retour, il retrouvait difficilement son chemin dans le labyrinthe d’éther. Mais il continuait, plongeant sans cesse, le poulpe soûlot ne respirait plus, il attendait la fin de l’apnée : un génie au moins son étincelle jaillirait bien d’une bouteille à l’amère jetée. En vain ne devinant pas ce qu’il faisait là jusqu’à ce qu’il vît la lune comme possédée, ce magnifique corps céleste où se sont vautrés tant d’autres avant lui dans leurs visions alambiquées, cette même lune, différente selon les dieux, leurs conventions, selon les cieux, leurs conversations mais toujours la même, lune. Et il absorba sa contemplation du fond de sa pataugeoire, il faisait nuit noire et pourtant les rossignols chambraient doucement le champagne de leur victoire.


Il inspira un grand bol d’air et courut ventre à terre, même pour un poulpe ce n’est pas banal, en tout cas il courut plus vite que le vent des balles, porté par le souffle puissant de la lune et malgré le ressac de l’amer, presque d’un saut de poulpe il traversa ce décor de carte postale. Il se mit à douter en dégueulant ses tentacules aux pinceaux inanimés sur le trottoir. Comment allait-il peindre quelque chose d’aussi petit, d’aussi insignifiant ? Avec du vitriol ? À quoi bon lutter avec une aussi grande toile ? Comment donner à une fresque la beauté du chant des rossignols ? Pourtant ses tentacules vibraient d’avance à l’idée de dépeindre ce chant si grand dans sa si petite gloire. Conscients de l’énormité, de l’ampleur de la tâche qu’ils devaient accomplir, afin de saisir le nécessaire à leur faire voir. Tellement superflou que ça en paralysait ses tentacules près de défaillir. Se sentent-ils capables d’attraper les rossignols et de jongler avec eux comme avec l’essaim-balles… comme avec les cymbales… oui c’est plus facile avec des cymbales, tout le monde entendra les cymbales, ça claque fort, c’est simple mais l’air est bien rendu avec les cymbales, important ça les cymbales, fort les cymbales… oui l’idée, le concept même de la lâcheté traversa la tête du poulpe peintre comme une balle d’ère comprimée, il savait et prit un pinceau, traça deux, trois lignes sur un écriteau et le punaisa au tréteau. Juste à temps, soudain le clairon des rossignols retentit sur les murailles, suivi de près par le sifflement des cymbales qui bourdonnaient doucement avant de claquer fort défigurant le chant de bataille… Ses tentacules saisirent les pinceaux sales, mais comme pétrifiés par le petit air devenu grand, ils refusaient encore de laisser libre cours à leur envie bestiale. Le souffle de la lune lui fit enfin comprendre la clé des chants : c’est la guerre poulpe, les rossignols contre les cymbales, tu peux jongler avec les deux, choisis ton camp. Sa mission devint de libérer la lune de la domination des cymbales, ses pinceaux se firent petites touches sur la toile et les tentacules s’animèrent comme autant de bâtons de maréchal, battant la mesure de l’orchestre volant en escadrilles vers la victoire finale. Et ils la peignirent ensemble, sous les sifflements constants des cymbales, les mirages patrouillaient comme à la parade nuptiale : la lune sans grands airs se rendait en plein champ des rossignols morts au concerto des nations. La lune était là en haut de la fresque à gauche du peintre en action, posée comme une caresse sur le chambranle de la porte, il s’attristait à l’idée de la laisser à l’extérieur de la sorte, la carte postale allait encore rechigner mais il savait que cette fois il entendrait la symphonie victorieuse des rossignols couvrir sa triste complainte d’encombrée. Et il se mit à peindre en bas à droite, ses pinceaux s’agitaient survoltés, attrapant tous les oiseaux au vol pour rapprocher leur désormais toute petite voix de ses oreilles. Il se glorifiait du son de leurs trompettes sans pareil, habitait leurs airs de son plus simple appareil, pendant que ses tentacules immortalisaient par toutes petites touches la petite chambre bleue et ses rossignols dans le ciel. Plus elles allaient et plus elles devenaient folles, possédées, enivrées, plus les notes s’égrenaient, et plus les rossignols se brisaient le cou contre les pinceaux qui aspiraient leurs dernières gouttes de chant à même le gosier. Avant la fin, les dernières touches, le peintre envoya au monde entier : adieu vue sur l’amer… et il dessina un petit garçon à la fenêtre profitant du bon air des rossignols, avec un grand sourire de traviole. Plus il dessinait ce guignol et moins il avait de tentacules, il fit rendre gorge à la dernière note dans un dernier soupir et le dernier pinceau disparut avec la dernière touche en remuant de plaisir, le poulpe était content et il s’oubliait en pensant : si jamais tu veux sortir de là, il te faut atteindre la lune, atteindre la lune, atteindre la lune…


Il se réveilla dans la chambre bleue petit enfant, il ouvrit la fenêtre en grand, et inspira de bon cœur l’air des rossignols volants. Pourquoi sortir de là où tout est d’un beau éclatant, les cymbales ne résonnent plus dans le vide sidérant, et même si la lune continuait de souffler viens je t’attends, il lui répondait pas tout de suite… les rossignols… leur si beau chant…


Les habitants de la carte postale se sont d’abord réjouis de l’absence des tentacules dégoulinants, la lune débordait encore sur la chaussée attenante, mais il n’était plus là, lui, sûrement en vacances, pourvu qu’elles soient permanentes ! Même les poulpes vont en thalasso pour se changer de la vue sur l’amer ! La première personne à s’inquiéter fut l’agence immobilière, le loyer ne rentrait plus et les lettres de relance ne servaient à rien, ce n’était définitivement pas anodin, et avec lui, elle devait assurer ses arrières. Elle rentra dans la petite chambre bleue un beau matin, enjamba la lune sans manière et vit une grande toile presque entièrement vide avec un petit enfant dans un coin, il écoutait les rossignols dans l’embrasure de la fenêtre avec un sourire malin. Au milieu était accroché avec une punaise en voie de momification un écriteau si incompréhensible, sibyllin, elle ne put que comprendre tous les mots un par un.


Cadre : havre exquis, écoutez le chant des rossignols et aidez le petit garçon à atteindre la lune.


Prise dans une toile d’incompréhension, l’agence rameuta la carte postale : qu’est-ce que ça veut dire en terme comptable ? Et quel impact sur le cours de l’action ? Il est parti ? Il a enfin poussé son dernier râle ? Il s’est suicidé ? Pas trop tôt ? Rhoo quand même vous n’avez pas honte de dire ça ? Peut-être qu’il va revenir ? Rhoo vous n’avez pas honte de penser comme ça… La petite carte était perplexe, finalement elle décida d’honorer les dernières volontés du mort présumé. Il avait beau avoir un coup de pinceau peu assumé, dans la mort toutes les créatures de Dieu ressemblent à leur créateur, fit l’église comme par réflexe, elle s’assit fit mine d’écouter religieusement les rossignols devant les autres pêcheurs et dessina une croix sanguinolente avec un poulpe en Sauveur. La mairie vint et dessina le drapeau de la France dans ses petites mains afin de pouvoir réclamer la lune et l’associer à son destin, puis une petite télévision pour qu’il ne s’ennuie pas en attendant de meilleurs lendemains. L’école lui offrit des traités d’algèbre, de géométrie ainsi qu’une belle bibliothèque sentant le sapin, afin qu’il puisse se frayer plus facilement un chemin et qu’une fois établie, la colonie continuerait la grande œuvre des peintres et des écrits vains. Tant que la chambre ne sera pas à nouveau désirée par quelqu’un, la toile pourra rester là, fit l’agence dessinant un bail au fusain. Elle savait ce que ce contrat tout symbolique contenait de réel, plus personne ne voudrait de cette chambre maudite, lui soufflait une petite voix au fond d’elle, et avec l’envol du poulpe l’investissement dans le minéral entourant l’amer allait s’écrouler très vite. Son flair ne l’avait pas entièrement trompée, elle avait bien anticipé en bonne agence immobilière. Car les enfants jouant près de son ancienne chaumière affirmaient que le fantôme d’un poulpe agitant ses tentacules, essayait tous les soirs de pleine lune, le cœur empli d’un désespoir ridicule, de s’envoler vilement en vélo vers sa nouvelle maison, suivant une nuée de rossignols chantant depuis le crépuscule. Non pas que ce soit vrai, le poulpe était irrémédiablement dans le tableau sans espoirs de guérison. Mais si les hommes aiment être à l’étroit dans leurs sensations, les enfants eux aiment dériver vers le grand large dans les détroits de leur imagination, parfois eux aussi prennent l’amer pour mieux cingler vers la lune qui se reflète à l’horizon. Mais si personne ne voulait vivre près d’une aussi admirable pollution, les fantômes devenus légendes attiraient l’attention, tout le monde voulait décrypter le cadre havre exquis, qui pour se faire peur selon le rituel satanique requis, qui pour percer l’énigme de l’écriteau, qui pour essayer d’écouter les rossignols baignant dans le sang de leur berceau, d’autres se contentèrent de savourer la vue sur l’amer… et de pouvoir dire qu’ils y ont été. Autour de l’amer d’ailleurs, la pierre s’indexait sur le cours du poulpe envolé. Le village de carte postale se mit à fourmiller comme jamais, tout le monde voulait sa petite part de la grande toile envoûtée. Les autorités compétentes commençaient à s’inquiéter : plus elle se remplit, plus elle s’agrandit ! De quel prodige ce fabuleux dessin semble-t-il s’animer ? Comme s’il devait atteindre son objectif de relier entre eux tous ces visiteurs uniques mais semblables, la lune et son petit poulain. La toile dégueulant dans la rue n’était-elle pas pire au fond que les tentacules de ce vaurien. Cette malédiction n’allait-elle pas finir par engloutir la belle carte postale sous son air de rien. Les anciens avaient peur pour leurs biens, la mairie avait plus peur pour son siège que pour les anciens, l’église plus peur pour sa chapelle que pour leurs âmes de païens. Seule l’agence protesta que l’activité économique du village ne s’était jamais mieux portée, comme elle gérait tous les petits commerces elle savait de quoi elle parlait. Pour la prospérité et les obligés de toutes les agences du monde immobilier, il fut décidé de laisser la toile s’étendre pour continuer à profiter de ses bienfaits. Les anciens hurlaient : la carte postale n’a plus rien de charmant et de convivial, quel avenir prépare-t-on pour l’humanité ! Et les jeunes leur répondaient : vous ne comprenez rien à la modernité ! Vous n’avez pas votre place dans cette société !


Pendant qu’autour de la toile tout le village se déchirait, le petit garçon écoutait les rossignols chanter. Il ne se lassait pas d’entendre la douce musique sortant de leurs sifflets. Mais attirés par le ramage autant que par le plumage de ces oiseaux, des centaines de corbeaux quittèrent leurs clochers de fable et leurs chapelles en carte postale pour venir les flatter, peut-être espéraient-ils se repaître de quelques fromages d’un genre nouveau.


Car les pèlerins de la toile n’étaient pas tous des poulpes inspirés, loin s’en faut, pire encore en peignant sa grande bataille sur sa petite parcelle de toile il avait tué les rossignols jusqu’au dernier. Les pèlerins dessinaient à défaut de peindre et gaffaient au lieu de graffer, les plus sages se contentaient de griffonner ce qu’ils voyaient, une vue sur l’amer… Le plus souvent ceux qui s’essayaient aux rossignols bredouillaient des corbeaux, quand leurs enfants ne dessinaient pas des bites sur le tableau. Mais les enfants dessinent des bites auxquelles s’amarrent ensuite les corbeaux. Vite les pinceaux ne furent plus habités que par les noirs dessins de ces sombres oiseaux, allant en nombre croassant, déchirant les tympans de ceux qui se contentent de regarder passer leur infâme et morbide procession silencieusement.


Les hordes de corbeaux envahirent l’aire des rossignols maudits, se faisaient coucou de leurs nids, vautours de leurs entrailles et de leurs fruits, nuées barbares partout où ils vandalisaient l’arôme antique du champ des volatiles conquis. Le cadre : havre exquis se putréfiait et les vers qui en sortaient n’asticotaient plus âme qui lit. Il réunit ses dernières affaires, les mit en ordre de marché : sa croix, sa bannière, quelques livres depuis longtemps ouverts, et ce fut le grand départ. Loin de cette petite chambre, longtemps il a erré au hasard. Loin du chant des rossignols, longtemps il a rampé les yeux perdus dans le brouillard. Privé d’air il se remit à entendre le souffle de la lune venant de partout et de nulle part, qui lui disait je t’attends, viens, reviens victorieux pour un nouveau grand soir. Comment allait-il l’atteindre lui qui ne savait pas voler, soupirait-il de désespoir.

Soudain il réalisa que les corbeaux volaient tous à l’envers, ce sera facile, il n’aura qu’à leur passer sur leur ventre à l’air, d’un ventre à l’autre, le plus souvent possible pour atteindre la lune et sortir de son propre univers. Et il s’élança de corbeau en corbeau à travers le plafond de vers, à cette altitude, il n’entendait plus les échos du chant des rossignols restés sur terre, il avait même cessé de les imaginer depuis qu’il avait quitté l’atmosphère, il filait vers la lune ventre à terre, mais plus il s’en approchait plus elle s’éloignait, froide, glacée pleine de mystères. Et soudain les corbeaux se dérobèrent, le lâchèrent et il plongea tout droit dans l’amer… où la lune promise ne faisait que se refléter, ce qu’il voulait à tout prix éviter, l’amer…

Et au long de sa chute il maudissait entourez-moi corps beaux de malheurs, mais les corps beaux s’ils ne connaissaient pas les poulpes autrement que préparés avec du beurre, connaissent les peintres et leur vieux code d’honneur. Les peintres, les corps beaux et la toile savaient tous ce que les poulpes ignorent, qu’il ne faut jamais peindre la lune mais seulement son reflet dans l’amer… C’est pour cela que les corps beaux regardaient en souriant le petit garçon qui hurlait à la mort, pendant sa chute vers l’entrée de sa grosse toile, tout au fond de l’amer…


Ça y est il était sorti de son propre cadre : havre exquis. À moitié putréfié mais vivant, il regarda la toile et ses nuées de croquis, un petit malin l’avait retourné, même les petits malins savaient ! Et il sourit. Il s’assit admiratif devant le grand espace qu’elle avait encore laissé vierge prêt à être rempli, devant l’énormité que requérait à nouveau sa tâche pour libérer ce qui doit être conquis, mais il n’avait plus ses tentacules lâches, le poulpe avait des doigts maintenant. Il regarda cette toile tellement grande pendant longtemps, tellement vide malgré les nuées de corps beaux, malgré sa lune, ses reflaids dans l’amer, et ses rossignols toujours fiers… Il se dit que jamais plus il ne peindrait aussi bien sans ses tentacules égarés dans le tableau, mais il regardait enfin cette nouvelle vie comme un cadeau.

Encore une fois il sourit, prit un papier, un stylo, chassa quelques mouches amères, les rossignols volaient entre les cymbales que persifflaient ses lèvres lorsqu’il se mit à animer vigoureusement son instrument pour le requiem de leur perfection :


« La barbaque sans la mythologie de la barbaque, ce n’est que de l’homme…


 
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   Anonyme   
18/12/2012
Ouf ! Très franchement, j'ai eu du mal à arriver au bout... Il faut dire que j'ai du mal à la base avec les jeux de mots, et que je trouve trop voyant et brutal le procédé des rimes internes en prose. Et il y en a un max !

Bon, sinon j'ai trouvé le symbolisme assez laborieux, je dois dire ; pas élémentaire, non (j'ai pas compris grand-chose), mais manifestement plein chargé d'intention, jusqu'à la surcharge. Je n'ai pas du tout aimé.

J'évalue parce que c'est obligatoire en Espace Lecture, mais je retirerai mon évaluation si le texte est publié : ma prévention contre le symbolisme assumé (j'ai l'impression qu'il est posé volontairement, non surgi de l'auteur malgré lui), les rimes en prose et les jeux de mots me rendraient je pense vraiment trop partiale.

   Artexflow   
18/12/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Euuuuuuuuuuuuuuuuuuu(...)uuh.

Quoi dire ? Non mais franchement ? Je ne sais pas vraiment. C'est symboliste, le ton général de la nouvelle me plaît. On entendrait presque la musique derrière le texte. Le ton est bon, la diégèse aussi...

Simplement...

J'ai trouvé votre récit trop opaque, symboliste mais TROP, ici tout est à lire au 7ème, au 19ème et au 216561655454ème degré métaphorique. En même temps oui !
Je sais bien que vous avez fait exprès, alors évidemment je me sens un peu idiot, là, à vous dire que votre nouvelle symboliste est trop symboliste... Disons que très subjectivement, en fait, ça m'a laissé pantois, ça m'a perdu, très très vite, et soit je relisais des paragraphes entiers pour bien saisir votre intention, soit je me perdais tout simplement.

Je ne perçois pas l'intention, enfin, pas vraiment, l'intention derrière votre texte, justement, sa symbolique, et pourtant, pourtant je suis bien certain qu'il y en a une ! Ça m'embête vraiment, cette situation, quand je sais que si je n'ai pas totalement apprécié un texte, c'est à cause de ma propre incapacité à le saisir...

Ah ! J'ai lu les commentaires et socque est plutôt d'accord avec moi... Bon ça me rassure...

Autrement, sur les jeux de mots et les rimes. Les premiers m'ont plutôt plu, pour ce qui est des rimes, pas vraiment, disons que c'est à la fois trop visible et trop sporadique.

Enfin... Ne prenez rien de tout ça mal !

Je conseillerais un peu plus de clarté, mais je suis certains que d'autres lecteurs sauront apprécier pleinement ce texte, présenté comme il l'est ici.

La somme de travail n'est sûrement pas négligeable, et ça se ressent. Encore une fois mise à part cette opacité, c'est tout de même assez bon :)

Félicitations, et à plus tard sur le site des rêveurs :)

   brabant   
18/12/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Bakus,


Voilà un texte que je verrais très bien illustré de dessins coloris pastel, un peu naïfs et sans trop d'arrière-fond, au fur et à mesure s'élaborant. Un peu comme ces cahiers de coloriage mais sans de gros traits. Encore que... mais, bon... . Paragraphe significatif à gauche, page colorée/coloriée à droite, s'élaborant en dualité fraîche et candide. Tel quel il m'apparaît incomplet ; ainsi que je le vois ce serait un émerveillement en construction/se construisant.

On s'y sent bien passé le premier étonnement ; après, on joue le jeu ou pas. Il faut passer sur certains jeux de mots pas forcément heureux, d'autres les rattrapant ; veiller quand même à ne pas trop les accumuler.

Texte finalement magique où l'innommable devient nommable et où un poulpe finissant par attraper la lune redevient enfant, que sauvent des corbeaux volant sur le dos tandis que les rossignols ont appris à l'homme poulpe à compter sur ses doigts.
Horreur ! Que faire de dix doigts quand on avait des centaines de ventouses ? Bref c'est la condition de l'humanité... et peut-être le triomphe de la barbaque.
Alors je reprends le texte au début où Gary le poulpe rêve du galopin Ajar.
Mais pourquoi la mort au bout du chemin ?...
Hélas la mort !

Texte à conseiller à celles/ceusses qui vivent à cheval entre le réel et l'imaginaire.
Aux équilibristes du fil des possibles...
Sans câble et sans filet !


Impressionnant !


:)

   Anonyme   
20/12/2012
Bonjour Bakus,

Face à un tel texte, que dire ? les mots me manquent... C'est complexe. Est-ce le fruit d'un travail laborieux ou celui d'une imagination débordante ? Je ne sais pas trop quoi en penser. Je ne mettrai donc pas de note, qualifiant cette nouvelle presque d'OVNI (OLNI comme Oniris définit si bien les Laboniris). C'est un étrange mélange de poésie, de philosophie et d'expérimentation. Vraiment déroutant.
Oui, les rimes nous sautent aux yeux, c'est chantant, beaucoup trop même pour un tel texte. Ce travail sur les mots se fait au détriment de la fluidité des phrases. C’est si complexe qu’il faut s’y reprendre à plusieurs fois pour comprendre, si ce n’est le sens, au moins les jeux de mots ! (perso, j’adore l’idée de « La mer » face à « L’amer »)
Le lecteur a du mal à suivre et j’avoue avoir décroché plusieurs fois. Et que dire de ce sentiment final ? En fait, je n’ai pas compris grand-chose, désolée.
Mais il y a du talent dans ces écrits, c’est évident, faudrait-il encore qu’il ne soit pas noyé. Franchement, un peu plus de légèreté serait appréciée (surtout éviter les gros paragraphes !).
Par contre, j’applaudis l’innovation et l’audace ! Perso, je ne sais pas si je suis capable d’en faire autant !

Ciao !

TDiazom

   Anonyme   
28/12/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Curieux. Bizarre. Intéressant, très.
Le début est mieux que le milieu et meilleur que la fin. C'est souvent ainsi, on s'essouffle à poursuivre une idée bonne et un trop bon commencement.
Je reprends donc : seule faiblesse dangereuse, un trop bon début.
Quel dommage ! On aurait pu avoir là un texte bien ordinaire, un peu pesant, genre clafoutis cireux par endroits mais, jusqu'à "... il méditait assis : vue sur la mer...", c'est excellentissime, vrai de vrai !
Après, à mon sens des plus humbles, faudrait sérieusement repasser le sujet afin de le lisser, de le couler, tout fluide, dans ce qui a précédé pour en faire du... Salinger, ça va ? ( non, à la réflexion, beaucoup trop long et tout touffu mais y'aurait de ça en s'y re-prenant bien )
Chouette et, au final, pas choc mais y'a du potentiel, assurément.

   Anonyme   
31/12/2012
Waouh... Bon... Je m'excuse, car je n'ai pas lu jusqu'au bout, mais de fait, je ne note pas... Jusqu'à ce que je m'arrête, à "champagne de la victoire" (et encore, j'ai du m'y reprendre à deux fois pour arriver jusque là), mon esprit a été envahi de "Quoi ?", de "What the fuck ?" et de "Mais... quoi ?". Trop de rimes peut-être, mais ce qui pose problème, réellement, c'est le symbolisme... ça aurait pu être un poulpe peintre, mais il a fallu des rossignols, les canons allemands, etc... et de "grand" il est devenu "gland"... J'avoue n'avoir strictement rien compris...


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