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Réalisme/Historique
BGDE : David
 Publié le 29/05/08  -  3 commentaires  -  9469 caractères  -  19 lectures    Autres textes du même auteur

Les suites d'une gifle.


David


Les rares fois où David restait assis deux ou trois minutes à la suite, encore fallait-il que les conditions fussent exceptionnellement favorables, c’était juste avant que la sonnerie de l’école ne retentisse. Il se figeait, massif et ramassé sur sa chaise, dans la position du boxeur outsider à deux secondes de l’entame du combat, prêt à jaillir et à canonner. Pas du tout l’attitude finaude du pugiliste stratège, impassible à l’entame des hostilités. Ni celle d’un compétiteur battu seulement d’un cheveu qui se dandine disgracieusement à l’annonce de la décision des juges tout en spéculant avec rancune sur la stratégie à adopter à la prochaine castagne. Non ! David adoptait ostensiblement la posture va-t-en-guerre du batailleur hargneux, impatient d’en découdre, pressé de lâcher ses coups destructeurs trop longtemps contenus. Rien que son visage effrayait. Une tronche de barbare, sans couleurs, sous l’emprise de spasmes chroniques. Une gueule sans âge, usagée, boursouflée d’arrière-pensées et de contre-jours sournois. Un faciès bardé d’âpres épis chevelus et barbelés. Une trogne calleuse, malfaisante, aux rictus acérés.


Personne n’aimait David. Personne ne se serait aventuré à communiquer avec lui. D’ailleurs personne, ni en classe, ni à la cantine ne s’asseyait à ses côtés. À la cantine, l’épouvantable énergumène usait d’une roublardise impitoyable qui lui assurait l’exclusivité de ses plats préférés. À peine la dame de service avait-elle achevé de déposer au beau milieu de la table, avec un soupçon de gourmandise maladroitement dissimulé, la platée collective de purée fumante et bien odorante, que David s’empressait aussitôt de saupoudrer l’inoffensif récipient en faïence bleue de délictueux postillons glaireux. Et pour faire battre en retraite les plus blindés des victimes malencontreusement réquisitionnées à sa table, il fallait bien que toutes les places de la petite salle à manger soient occupées, le garnement touillait le tout savamment et ostensiblement, à l’aide de la louche en alu, en proférant des invectives venimeuses. Évidemment, peu s’aventuraient ensuite à y prélever pitance. Et ce n'est pas parce qu’il pénétrait en classe que David était en odeur de sainteté. C’était un autre pied de nez tout aussi radical auquel il s’adonnait qui lui garantissait un périmètre de protection rapprochée infranchissable. Cette fois-ci, c’étaient des effluves très dissuasifs, annoncés par des brondissements avant-coureurs qui éloignaient même les plus approximatifs en matière de bienséance.


Un tel élève avait mis peu de temps à foudroyer le délicat équilibre pédagogique que le jeune et bonasse instituteur que j’étais s’épuisait à maintenir. En ce temps-là, les récents évènements de 1968 avaient fasciné certaines élites en quête de considérations élogieuses à bon marché. Quelques penseurs opportunistes croyaient tenir là un moyen commode pour dépoussiérer, à moindres frais, le tout-venant des programmes de l’Éducation Nationale.


De nouveaux concepts sur l’éducation connurent une vogue passagère. Ils étaient inlassablement préconisés par la fine fleur éducative à la mode dont ma conseillère pédagogique se glorifiait d’appartenir. Elle n’avait de cesse de me rappeler à l’ordre. Elle parvint, à force de rabâchages quasi mystiques, à m’embarquer dans une aventure pédagogique bien trompeuse. Il s’agissait, disait-elle, de combiner adroitement le minimum recours à l’autorité avec la plus large tolérance possible. Il n’était pas aisé de réussir ce boiteux amalgame. En tout cas, ce challenge n’était pas du tout à ma portée. Pour réussir, et je ne l’ai compris que bien plus tard, il eût fallu que mon mental soit à la croisée de deux qualités pour lesquelles la nature s’était montrée à mon égard méchamment parcimonieuse. Je ne disposais pour passer au travers des coups de boutoir d’élèves de la trempe d’un David ni du charisme ni de la sérénité indispensable pour atteindre ces performances pédagogiques. Je me réfugiais dans de faciles faux-semblants identitaires. Je rêvais d’une personnalité qui n’était pas la mienne. À force de la convoiter, je me la suis attribuée déloyalement. Et, c’est gratifié d’une nature virtuelle aux grandeurs usurpées à des modèles de trop grande taille, que chaque matin je rentrai en classe tout confiant pour en ressortir quelques heures plus tard tout déconfit. Je confondais être et paraître. Discerner la différence, à l’époque, n’allait pas de soi, pour moi.


Pour en revenir aux performances de David, les jours se suivaient mais ne se ressemblaient pas. Beaucoup de choses, en fait, dépendaient de sa présence ou de son absence. Le plus souvent, il n’était pas là. Ses parents, des gens du voyage, paraît-il des descendants directs des Atsinganos, des romanichels intégristes, anarchistes d’origine égyptienne, rebelles et décidés à tout pour préserver l’intégrité de leur liberté, ne le laissaient venir en classe que très rarement. Je ne suis d’ailleurs jamais parvenu à comprendre la logique à laquelle ils se rangeaient pour autoriser leur invivable progéniture à bénéficier de mon enseignement.


J’avais l’habitude de préparer le travail de la journée, sur place, tôt le matin, en classe. J’avais beau arriver aux premières lueurs du jour, David était déjà là si d’aventure c’était son jour. Je le trouvais, toujours à la même place, aux avant-postes, belliqueusement campé à califourchon sur la camionnette de service garée au fond du préau. Dès que je le repérais, je ressentais comme une aigreur au creux de l’estomac. Je me consolais cependant assez vite car j’y concevais un estimable avantage. Je remisais sévèrement à la baisse mes ambitions scolaires du jour en me contentant d’objectifs modestes, aisés à atteindre et moins coûteux en efforts


David, c’était aussi le premier à pénétrer en classe. Il achevait, par un redoutable feulement guerrier, sa fulgurante course que la montée des escaliers n’était pas parvenue à modérer. Il n’a jamais eu de place définitive. De deux choses l’une. Ou bien il se répandait au fond de la classe en réquisitionnant les deux dernières rangées. Ou bien, il s’asseyait au plus près du tableau juste à côté de la porte. Chaque option avait ses avantages et ses inconvénients. J’avais peut-être bien une petite préférence pour la première alternative. Elle avait pour effet de faire affluer le contingent ordinaire des autres écoliers au plus près de moi. Piégés près du tableau, ils n’osaient plus se retourner. Du coup, les yeux rivés sur leur maître, ils ne relâchaient pas d’un pouce leur attention, enrichie, ce jour-là, d’une plus-value inespérée.


C’était le lendemain où j’avais fort à faire pour calmer certains d’entre eux, outrés qu’on pût la veille mettre autant de pagaille dans leurs affaires. Le fait que David choisisse le premier rang n’était pas non plus pour me déplaire, finalement. C’était ma seule chance pour capter le regard fuyant de l’élève. Allais-je obtenir de sa part quelques minutes d’attention ? En tout cas, j’en suis sûr, il éprouvait une franche curiosité ou, pour le moins, une sorte d’amusement fortuit devant mon zèle subitement exalté par un face à face irréel. D’ailleurs, se risquer au premier rang, n’était-ce pas de sa part un commencement de reddition ? Il me plaisait de penser que, peut-être, je pourrais l’entraîner provisoirement vers un semblant de coopération.


J’avais particulièrement peaufiné puis mis en réserve dans les recoins les plus crédules de ma mémoire, rien que pour ces précieux et rares moments, des exercices uniquement oraux, des sortes de badinages instructifs, mitonnés et réservés exclusivement pour David. Du sur mesure quoi, que je sortais dare-dare, dans un fragile enthousiasme. Mes espoirs se ranimaient. J’appâtais le réfractaire garnement par des questions inoffensives et amusantes. Quelques rares fois, j’ai cru même toucher au but. Le blindage de l’insoumis était prêt à se fendiller. Dans ses yeux s’ébauchaient des tentations inhabituelles et indécises. Des clartés tremblotantes hésitaient à se pétiller. Elles allaient acquiescer, certainement. Et quasiment sur le point de toucher enfin au but, je me retrouvais au pied du mur, amer, meurtri, désillusionné. David se levait, désengourdi, un peu honteux. Il regagnait son instinctive méfiance et le fond de la classe, muet et à nouveau diaboliquement indifférent à mes charges et mes charmes didactiques.


Cette sorte de jeu au chat et à la souris n’a jamais tourné à mon avantage. À la longue, l’accumulation de ces vexants loupés eut raison de ma débonnaire obstination. David ne vit rien venir. Moi non plus. C’était un matin, pourtant comme les autres, à peine peut-être plus terne. Ce matin-là me surprit à donner à David une gifle, j’en conviens, retentissante et irréfléchie. Elle venait à maturité pour régler définitivement un bras de fer intenable.


- Quand même, David, tu es comme tous les autres !


C’est la phrase que je m’entendis prononcer.


C’est dans le couloir, quelques instants après, en descendant en récréation, que pour la première fois David me parla spontanément. En titillant furtivement le fond de ma veste pour obtenir mon attention, esquissant l’unique sourire que je lui connus, il me susurra maladroitement à l’oreille :


- Merci Monsieur. Je ne savais pas que j’étais comme les autres. C’est vrai au moins ?


Depuis, je n’ai jamais revu David. J’appris, quelques jours plus tard, le départ précipité du clan des romanichels.


 
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   Bidis   
29/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Dans ce texte qui, tout d'abord, ne me passionne pas trop, soudain je trouve une information qui éveille mon attention : les Atsinganos sont les ancêtres des Roms...
Mais cet enthousiasme ne m'empêche pas de trouver que l'information prend trop de place entre le sujet (parents) et le verbe (laissaient), il y aurait peut-être avantage à tourner la phrase autrement. Et comme ce détour par les Atsinganos est fort intéressant, peut-être serait-il judicieux de le développer...
D'ailleurs, à partir de ce moment, le personnage de David a pris beaucoup plus de relief et ma lecture devient plus attentive.
J'ai trouvé la chute légère, inattendue, assez émouvante et qui reste en suspens dans l'imagination du lecteur.
L'écriture, à mon avis, est agréable et imagée mais quelquefois un peu maladroite.
Ici, pour moi, quelque chose ne va pas du tout : « Des clartés tremblotantes hésitaient à se pétiller. Elles allaient acquiescer, certainement. » : « se pétiller » me convainc très moyennement et en plus ce serait beaucoup plus joli d'écrire simplement : « des clartés qui hésitaient. ». Puis « acquiescer » est une action vraiment trop humaine, je trouve que cela ne va pas pour une chose. Ici on pourrait reprendre l'idée de pétillement. Ce qui donnerait : « Dans ses yeux s’ébauchaient des tentations inhabituelles et indécises, clartés tremblotantes qui hésitaient. On les sentait sur le point de pétiller. »
- les "brondissements" me gênent parce que, pour un mot que je ne trouve pas dans le dico, il ne me semble pas particulièrement représentatif. Le tout à fait correct "borborygme" conviendrait mieux. Ou alors, il s'agit de coquilles prises pour une licence d'auteur et il faut lire "vrombissement"...
J'ai relevé deux petites répétitions :
- Il se figeait, massif et ramassé sur sa chaise, dans la position du boxeur outsider à deux secondes de l’entame du combat, prêt à jaillir et à canonner. Pas du tout l’attitude finaude du pugiliste stratège, impassible à l’entame des hostilités. (répétition « entame »)
- «mode dont ma conseillère pédagogique se glorifiait d’appartenir. Elle n’avait de cesse de me rappeler à l’ordre. Elle parvint, à force de rabâchages quasi mystiques, à m’embarquer dans une aventure pédagogique bien trompeuse (pédagogique). "

   Anonyme   
30/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Je ne me sens pas trop autorisé à donner des conseils, juste un ressenti.

Dans le premier paragraphe, la phrase

"Pas du tout l’attitude finaude du pugiliste stratège, impassible à l’entame des hostilités. Ni celle d’un compétiteur battu seulement d’un cheveu qui se dandine disgracieusement à l’annonce de la décision des juges tout en spéculant avec rancune sur la stratégie à adopter à la prochaine castagne".

n'est pas naturelle.

J'ai beaucoup aimé le reste sauf la chute qui me laisse sur ma faim.

   Anonyme   
11/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Pas mal…
La chute — qui je trouve n'était pas à la hauteur du reste — m'a coupé dans mon élan accéléré par l'histoire.


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