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Réalisme/Historique
Blitz : Secousses
 Publié le 01/12/15  -  14 commentaires  -  16575 caractères  -  120 lectures    Autres textes du même auteur

Une jeune "domestique-esclave" se retrouve seule dans les ruines de Port-au-Prince après le tremblement de terre de Janvier 2010. Elle n'arrive pas à quitter la maison dans laquelle elle a passé la majeure partie de son existence.


Secousses


Elle lâcha enfin le poteau de bois qu’elle agrippait depuis plus de vingt-quatre heures. C’était celui du fil à linge. Elle étendait la lessive quand cela s’était produit. Elle faisait le linge comme tous les matins à la même heure. Tous les matins depuis un nombre d’années qu’elle ne pouvait pas vraiment estimer. Elle ne savait pas très bien compter. Fort heureusement pour elle, elle avait mangé avant de faire la lessive. Elle avalait toujours un grand bol de bouillie de manioc le matin. Tous les matins. Mais cela faisait tout de même plus d’une journée, en tout cas, une journée entière et une nuit. Et elle commençait à avoir faim de nouveau.

Mais Marie-Angèle ne voulait pas quitter la cour de sa maison. Sa maison. Enfin, celle de Madame et son fils. Même s’ils étaient morts maintenant. Elle ne les avait pas vus morts, mais elle s’en doutait bien. Ils devaient être quelque part là-dessous. Sous des mètres de béton, de verre et de plâtre. C’était le verre brisé qui impressionnait le plus Marie-Angèle. Les morceaux pointus qui dépassaient du tas avaient l’air de la menacer. Comme pour la dissuader de rentrer. Elle aurait eu du mal à rentrer dans la maison, de toute façon. Il n’y avait plus d’ouverture. Il y avait juste un tas de fatras. Un énorme tas qui masquait la vue.

Quand cela s’était produit, elle avait d’abord entendu le grondement. Puis elle avait vu la colline en face se soulever et avancer vers elle. Comme une vague qui roulait et écrasait tout au passage. Elle savait ce qu’était une vague. Madame l’avait déjà emmenée à la mer. Loin de Port-au-Prince. À Jacmel. Elle l’avait emmenée pour s’occuper de Monsieur, quand il était encore petit. Elle avait même joué à courir devant les vagues qui s’écrasaient sur le sable, en tenant Monsieur par la main. Mais cette vague-là, elle était faite de terre, de maisons et d’arbres. Les bâtiments semblaient se soulever d’eux-mêmes et retomber lourdement. Elle l’avait bien vu. Puis elle avait senti la vague arriver et soulever leur maison. Elle avait agrippé le poteau du fil à linge, comme si c’était une bouée, pendant que tout s’écroulait autour d’elle.

Elle restait assise. Toujours terrifiée. Elle attendait quelque chose mais elle ne savait pas quoi. De toute façon, elle ne savait plus quoi penser. Alors le mieux c’était d’attendre que quelqu’un vienne lui dire ce qu’il fallait faire. Peut-être les cousins de Madame. Ils venaient presque tous les dimanches. Mais on était mardi ou mercredi, elle ne savait plus très bien. Alors cela faisait combien de jours à attendre ? Et elle n’avait plus rien à faire pour s’occuper. Elle ne pouvait pas faire le ménage ou la cuisine. Elle ne pouvait même pas coudre. Elle aimait bien coudre. Elle faisait des belles nappes avec des fleurs ou des palmiers. Mais tout était à l’intérieur. Là-dessous.

Elle vit soudain une forme bouger dans le buisson qui longeait le chemin d’accès. Son cœur se mit à battre à toute vitesse. Quelque chose d’inattendu se passait. Un visage apparut entre les branches. C’était un jeune garçon. Elle l’avait déjà vu rôder dans le quartier. Il s’appelait Justin même, et c’était un enfant des rues, même pas bon à travailler chez un patron, juste capable de ramasser à manger dans les fatras. Il l’appela par son nom. « Ma’ie ‘Gèle ! Ma’ie ‘Gèle ! » Elle ne lui répondit pas, se contentant de le fixer avec défiance. S’il comptait rentrer dans la propriété pour piller, il aurait affaire à elle. Toujours assise à même le sol, elle fit glisser une pierre grosse comme son poing sous sa jupe déchirée. Elle pouvait lui envoyer en pleine figure s’il attaquait. Elle savait se défendre. Même si elle sentait qu’elle avait moins de force aujourd’hui. Le dernier repas était trop loin.

Le garçon ne sortit pas du buisson. Il se contenta de la dévisager. Sans montrer d’intention quelconque, comme s’il était curieux et qu’il n’avait pas vu d’être humain depuis bien longtemps. Soudain il lança quelque chose au milieu du chemin. Puis il disparut aussi soudainement qu’il était arrivé. L’objet qu’il avait adroitement projeté juste devant le portail éventré était une poche plastique. Une vulgaire poche dans laquelle on met ce qu’on achète au magasin. À l’intérieur, Marie-Angèle pouvait voir des fruits. Des cachimans, que Madame appelait poliment des « pommes-cannelle », en insistant bien sur chaque syllabe. N’empêche que c’était quand même des cachimans et Marie-Angèle le savait trop bien. Les vendeurs en apportaient deux fois par semaine. Les fruits que Justin avait jetés étaient apparemment trop mûrs et avaient éclaté dans la poche plastique en touchant le sol. Mais ils firent saliver Marie-Angèle. Alors, elle fit une chose qu’elle ne faisait pas toute seule d’habitude. Jamais en tout cas sans instruction de Madame. Elle sortit dans la ruelle. Ou le chemin, comme certains l’appelaient. Marie-Angèle saisit la poche plastique et retourna vite se réfugier à l’intérieur de la propriété, près du seul mur intact de la maison. Elle plongea la main dans le sac et se mit à manger à pleine bouche les deux pommes-cannelle trop mûres, sans même prendre la peine de recracher les gros pépins noirs ou la peau rugueuse. Elle mangeait tout et à toute vitesse, comme si on pouvait venir lui dérober le précieux festin qui lui était venu de nulle part. Une fois les fruits terminés et le sac bien raclé par ses doigts avides, elle s’assit de nouveau en repensant à Justin qui l’avait nourrie, alors qu’elle ne lui avait jamais adressé la parole. Peut-être pourrait-elle aller avec lui ? Elle réfléchit longtemps à cette possibilité étrange.

Mais elle ne pouvait pas partir. C’était chez elle. C’était là où elle avait grandi. Oh bien sûr ce n’était pas tous les jours fête pour elle et elle avait eu son lot de petits malheurs et de brimades. Mais elle ne connaissait rien d’autre. Et Madame était un petit peu comme la mère qui l’avait oubliée ici. Un jour, il y avait longtemps. Madame criait bien quelquefois, mais elle ne la battait jamais, ou alors pas trop fort. Elle l’avait même défendu contre Monsieur. Le garçon était progressivement devenu un jeune homme et des envies l’avaient travaillé. Il avait essayé d’arracher la jupe de Marie-Angèle. Madame était intervenue. Elle s’était vraiment fâchée. « Il ne fallait pas que cela se fasse ! », criait-elle. Elle avait frappé son fils avec un journal roulé serré. Jusqu’à ce qu’il promette de ne plus recommencer. Marie-Angèle savait bien que Madame ne voulait surtout pas que son fils fasse un enfant à Marie-Angèle. Cela aurait été contre-nature. Une chose abominable. Comment une restavek pouvait-elle avoir un bébé avec un fils de bonne famille. Et que feraient-ils après, la fille s’installerait dans la maison sur le canapé en regardant la télévision ? Et prendrait même une autre servante ? Allons donc, c’était absurde, il ne fallait pas que cela se fasse. Voilà tout. Monsieur l’avait tout de même tripotée à plusieurs reprises après ce jour-là. Il avait fallu que Marie-Angèle menace d’appeler Madame pour que les attouchements cessent. Comme par magie. Mais maintenant elle ne pouvait plus jouer à ce jeu-là. Monsieur était mort. Bien écrasé dans sa maison. Et Marie-Angèle ne pouvait plus lui résister en le grondant. Oh comme elle aurait aimé qu’il soit encore là à l’embêter !

Un hélicoptère passa au-dessus de la maison. Puis un autre. Elle en avait entendu également plusieurs de l’autre côté, vers le bas de la Delmas. Il y en avait encore d’autres qui arrivaient. Il devait se passer quelque chose d’important en ville. Ou alors c’était à cause de toutes les maisons détruites ? Marie-Angèle se dit que c’était possible. Et cela la rassura un peu. En y pensant bien, peut-être que la terre ne s’était pas soulevée partout, il y avait sans doute des endroits où les gens n’étaient pas morts. Peut-être à Jacmel ? Ou chez les Américains ?

Le deuxième jour se terminait. Personne n’était encore passé dans la ruelle. À part Justin. Comme si la ville avait été entièrement abandonnée par le monde. Elle voyait pourtant des gens s’affairer sur la colline en face. Il y avait même des bruits de moteur de temps en temps. Et des pleurs, encore des pleurs. Puis des prières hurlées par des groupes de damnés qui criaient que le moment était enfin venu. Qui remerciaient Dieu et Jésus et tous les saints pour leur imposer cette épreuve bien pénible afin de tester leur foi. Ils allaient être récompensés puisqu’ils croyaient toujours. Et les cris des prières se répercutaient de collines en collines jusqu’à faire un affreux tintamarre qui ne voulait plus rien dire.

Le noir se fit peu à peu et les cris se firent plus rares, les pleurs aussi. Ou alors ils étaient plus loin.

La nuit s’écoulait. Lentement. Les chiens avaient pris le relais des pénitents et des pleureuses. Ils hurlaient de loin en loin, sans vraiment se répondre. Sans raison apparente. Marie-Angèle était assise contre le même morceau de mur. Le seul endroit qui tenait droit et retenait le tas de gravats qui s’empilaient derrière. Elle dormait par petites phases brèves et se réveillait en sursautant, sans qu’il y ait de véritable raison pour troubler son demi-sommeil. Peut-être la peur de nouvelles secousses ? Il y en avait eu deux pendant la journée. La première avait duré de longues secondes et Marie-Angèle avait été terrorisée. Elle avait eu peur d’être engloutie, que la terre s’ouvre encore et emporte finalement tout ce qui l’entourait, et elle avec. Comme pour tout bien finir. Elle avait cette idée en tête. Il fallait finir.

Elle sentit progressivement un goût amer et métallique lui envahir la bouche. Une nausée montait doucement. Était-ce le manque de nourriture ? Ou autre chose qu’elle n’arrivait pas à identifier ? Elle était peut-être malade ? Comme la fois où elle avait eu la dengue. Madame avait appelé le docteur. Il avait dit qu’il n’y avait pas de traitement, qu’il fallait attendre que cela se passe. Alors elle était restée allongée pendant trois jours. Madame avait dû payer une domestique pour la remplacer pendant que la maladie passait. Mais après trois jours, Marie-Angèle avait trouvé la force de se lever et de faire la cuisine. Madame l’avait félicitée, elle lui avait dit qu’elle était une fille courageuse. Elle avait bien aimé quand Madame avait dit ça. Ce n’était pas souvent qu’elle recevait des compliments. Mais maintenant, même si elle tombait malade et guérissait, personne ne serait là pour la féliciter. Alors c’était mieux si elle ne tombait pas malade. Elle l’avait décidé. Mais vers l’aube, juste avant que la nuit devienne moins noire, ses narines se mirent à trembler. Il y avait une odeur. Une odeur qui la dérangeait et qui commençait à créer des spasmes dans son ventre. Oui, il y avait une mauvaise odeur. Marie-Angèle se dirigea à quatre pattes vers une fente dans le pan de mur sur lequel elle s’était appuyée toute la nuit. Elle colla son nez à l’ouverture et, comme poussée par une curiosité inutile, elle inspira à pleins poumons. Elle savait inconsciemment que c’était une bêtise, mais elle n’avait pas pu retenir un réflexe de curiosité enfantine.

Elle vomit presque aussitôt, son corps se pliant en deux, se tordant sous la douleur d’un estomac vide remontant vers la gorge pour tenter d’expulser les dernières glaires restantes du repas de la veille. Les gros pépins des pommes-cannelle jonchaient maintenant le sol. Toujours à quatre pattes, elle s’éloigna du mur, mais sans sortir des limites de la propriété. Elle se pelotonna contre la butte de terre qui délimitait le petit jardin. Elle comprenait maintenant d’où venait le goût désagréable qu’elle avait dans la bouche et la nausée qui continuait à la faire pleurer. C’était l’odeur de la mort. Celle des cadavres de Madame et peut-être de Monsieur, qui devaient se trouver juste derrière le mur lézardé. Des cadavres qui commençaient à pourrir et à se répandre en fluides nauséabonds sur des gravats qu’ils enveloppaient de leurs corps aplatis.

La clarté se fit peu à peu sur la rue dévastée, comme à regret. C’était le troisième jour. Et l’odeur se renforçait, comme alimentée par la chaleur du jour qui se levait. Marie-Angèle ne respirait plus que par petites goulées désagréables. Mais elle ne savait pas comment échapper à cette agression. Elle devait faire quelque chose mais elle ne savait pas quoi. Elle n’avait pas encore envisagé de partir. Pour aller où ? Elle avait encore plus peur de s’éloigner de chez elle, du seul endroit qu’elle avait connu dans son existence. Du seul endroit au monde où elle se sentait à l’abri. Enfin, ça c’était avant. Maintenant elle ne savait plus, mais la peur de partir était encore plus forte que le dégoût de rester.


– Tu en veux ?


Elle se retourna brutalement, comme si on l’avait piquée avec une aiguille.

Justin était là. Accroupi au milieu du sentier. Comme la veille, elle ne l’avait pas entendu arriver. Il avait sans doute l’habitude de se déplacer sans bruit. C’était un gosse des rues, ils faisaient tous ça.

Il la regardait sans montrer aucun sentiment, aucune émotion. Comme si lui aussi était mort. Ils étaient tous morts d’ailleurs. Mais sa figure n’était pas comme la veille. Il avait une large moustache blanche qui avait débordé sur une joue.


– C’est du dentifrice. Tout le monde en met. À cause des odeurs, tu comprends. Tu en veux ? répéta-t-il.


Il se leva et s’approcha en tendant le tube en plastique rouge et bleu. Marie-Angèle ne répondit rien, elle se crispa un peu lorsqu’il passa le portail mais elle ne fit aucun geste. Elle saisit le dentifrice qu’il lui tendait. Elle fit comme le jeune garçon, un boudin blanc entre sa lèvre supérieure et son nez. Elle respira ensuite en reniflant bien fort.

Justin sourit, son masque immobile s’était effacé. Comme si la présence de la jeune fille était pour lui aussi une bouée, un peu de dentifrice qui masquait temporairement le désarroi qu’il ressentait mais qu’il ne pouvait avouer à personne.


– Ça marche bien, hein ?


Marie-Angèle hocha finalement la tête. C’était la première fois qu’elle entrait en contact avec lui, qu’elle reconnaissait qu’il existait. Auparavant, lors de ses précédentes visites, elle l’avait seulement fixé avec méfiance ou complètement ignoré en regardant le sol.


– Il ne faut pas rester là, dit-il en pointant du menton la maison effondrée.


Elle le regarda. Ses yeux s’ouvrirent en grand. C’était une interrogation.


– Tu peux venir avec nous. Il y a des gens qui nous donnent à manger. Une fois par jour.


Elle secoua vivement la tête, sans émettre un son. Elle ne pouvait pas quitter sa maison. Et elle avait encore peur de l’inconnu.


– Comme tu veux. Je reviens ce soir.


Il s’éloigna de quelques pas, puis se retournant, lui lança :


– Tu sais, on est un grand groupe !


Puis comme s’il comprenait qu’un groupe d’enfants des rues pouvait faire encore plus peur à Marie-Angèle il rajouta :


– Mais je te défendrai !


Une fois Justin parti, la jeune fille retourna s’asseoir contre la bordure de la cour. Elle ne voulait plus approcher les ruines de la maison. Sa maison. En elle, quelque chose commençait à se détacher. Les heures suivantes, Marie-Angèle fixa le mur lézardé qui tenait encore par miracle. Elle ne le quitta pas des yeux, comme pour bien l’imprégner dans sa mémoire. Pour emporter quelque chose avec elle. Petit à petit, l’idée qu’elle ne pouvait plus rester commençait à s’imposer. Et plus encore, l’idée de partir prenait place.

Le dentifrice placé sous ses narines séchait progressivement et elle commençait à sentir de nouveau l’horrible remugle qui s’échappait des ruines. Elle avait essayé tous les espaces de la cour pour se soustraire à l’odeur. Mais plus rien n’y faisait et elle avait l’impression que les corps pourris de Madame et de Monsieur venaient se coller sur elle, se mêlaient à ses cheveux, à ses habits, lui rentraient par les oreilles et par le nez. Elle en avait les larmes aux yeux. C’était devenu insoutenable.

Alors Marie-Angèle sortit de l’enceinte de la résidence et s’assit dans le chemin. Elle avait fait ces quelques pas seule, sans qu’on l’autorise à sortir. Elle venait de prendre une décision d’elle-même. Elle se sentait bizarre. Pas seulement à cause de la nausée qui la tourmentait depuis le matin, mais parce qu’elle se sentait soudain seule. Et elle décida qu’elle n’aimait pas ça.

Lorsque Justin apparut en traversant la haie, Marie-Angèle était debout. Elle l’attendait. Le garçon la fixa un moment, puis se retourna en lui faisant signe de le suivre. Il savait qu’elle viendrait.


 
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   Anonyme   
20/11/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour,
Magnifique histoire d'une très grande qualité. On est à la place de cette jeune femme, on vit chaque instant avec elle, on ressent ce qu'elle ressent, on reste tétanisé comme elle par les appréhensions que lui inspirent ses maîtres qui, soudain, n'existent plus et l'effroi de cet inconnu qu'il faudra bien affronter à un moment ou un autre.
Tout semble si authentique, vu par cette pauvre esclave moderne, qui va devoir quitter le cocon de sa cage pour l'espace terrible de la liberté, et cela bien malgré elle, et dans des conditions que l'on imagine effroyables.
Le style est particulièrement bien approprié à ce type de récit, avec ses phrases courtes, sans lyrisme, sans excès de misérabilisme. On est vraiment dans l'âme de la jeune fille qui n'a vraiment rien connu d'autre que sa vie.
Mille bravos à l'auteur.
C'est une parfaite réussite.
A vous relire avec ferveur.

   Perle-Hingaud   
1/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Blitz,

Je dois tout d’abord saluer votre écriture, sa diversité et la maitrise du style. En effet, en espace lecture, je n’ai pas un instant imaginé que c’était l’auteur de Rohingyas que je lisais. Votre écriture se fond ici parfaitement avec ce qu’on imagine être les pensées, les formulations de cette femme.

Au point que le premier paragraphe m’a paru lourd, maladroit. C’est le seul reproche que je fais à ce texte : il faut passer ce paragraphe pour y pénétrer. Sérieusement, lisez ces phrases à haute voix : elles ont toutes le même rythme, presque la même longueur, la même structure.

Ensuite, ça coule de mieux en mieux et c’est extrêmement vivant, sensible. Un très grand récit. J’espère que vous me surprendrez encore souvent de cette façon…

   Pepito   
1/12/2015
Bonsoir Blitz,

Forme : très bonne écriture.
Juste que le pavé d'un seul tenant, bonjour la digestion. Ne pas oublier les lecteurs sur ordi.
"Quelque chose d’inattendu se passait." ben par rapport à un tremblement de terre, c'est sûr ! ;=)

Fond : On parle de quoi là : traumatisme ou esclavagisme ? Les deux mon général... bon d'accord, mais bonjour la dilution.

3 jours pour se bouger, même après un tremblement de terre, cela me semble un poil long. Surtout quand on a retrouvé la capacité de raisonner à la fin du premier. Le fait d’être esclave ne veut pas dire que l'on soit neuneu...

La description de la bonne/esclave m'a furieusement fait penser à "Une seconde mère", magnifique (et oh combien réaliste) film brésilien.

Au fait, pour faire une nouvelle, il ne faut pas finir par une chute ? ;=)

Merci pour la lecture.

Pepito

   hersen   
1/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Nous sommes en 2010 et il y a encore des esclaves.
Ce tremblement de terre va forcer cette femme, qui n'a eu d'autre vie, à se prendre en main alors qu'elle ne faisait rien sans en avoir l'ordre.
C'est cela qui me frappe le plus, la façon qu'a l'auteur de décrire la non-personne que devient quelqu'un qui vit en réclusion au sein d'une famille.

le texte est très fort car il ne s'attarde pas sur des considérations humanistes. Le fait de nous décrire le désarroi de cette femme est plus parlant que tous les rapports sur le sujet.

Merci Blitz.

   Mauron   
2/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Très beau texte sur l'apprentissage de la solitude. Un désastre et tout devient autre. Et on peut enfin devenir libre, accéder à cette liberté qui faisait peur. Un tremblement de terre, au fond. Ironie du sort. La maison a englouti ses propriétaires, et heureusement la servante avait mangé avant... Mais ce sont les hasards qui "font bien "les choses. Le texte montre très puissamment ce passage de la mort à la vie, ou du moins, ce passage de la "non-vie" de la servitude, à la vie... Quoique... Il n'est pas dit que ce Justin ne devienne pas à son tour un maître?... La servitude c'est d'abord dans la tête, et il est possible que Marie-Angèle ait encore et toujours besoin de murs, quels qu'ils soient.

La façon de narrer est à la fois sobre et efficace. Cette maison réduite en un instant en un "tas" a quelque chose de dérisoire et de terrible à la fois.

   carbona   
2/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Blitz,

Ce que j'aime avec vos textes c'est que je n'ai pas besoin d'avoir envie de lire pour les lire. Ils se laissent lire tout seuls et ça c'est formidable !

Je ne m'ennuie pas, dès la première ligne je suis happée et pourtant il ne se passe pas grand chose (au niveau des faits) dans ce récit et on n'a pas non plus un étalage de sentiments exorbitant.

C'est là votre secret je crois : la qualité d'écriture. C'est fluide, ça s'imbrique, les mots créent une histoire ! Il y a une simplicité et une précision dans la description de la scène que quand bien-même on voudrait s'en désintéresser, on n'y arriverait pas.

Vous avez choisi de donner un ton simple à vos mots, dans la peau de la narratrice. Mon bémol concernerait cet aspect. J'ai trouvé qu'il y avait parfois trop de répétitions (de vocabulaire, de elle) et un lexique parfois trop simple. J'ai également tiqué sur le "Oui, il y avait une mauvaise odeur" < inutile de le redire pour moi. Mais malgré cela, l'ensemble reste très agréable.


Merci beaucoup pour cette lecture !

   Louis   
3/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
L’image par laquelle débute le texte me semble très pertinente et très significative : « Elle lâcha enfin le poteau de bois qu’elle agrippait depuis plus de vingt-quatre heures. » Le personnage central de cette nouvelle, Marie-Angèle, jeune fille esclave, a besoin d’un tuteur pour se tenir dans la vie, et quand ses maîtres-tuteurs subitement disparaissent, elle s’appuie au poteau de bois, tuteur de substitution.

Ses maîtres n’étaient pas des tuteurs qui remplissaient des fonctions éducative et pédagogique, « elle ne savait pas très bien compter », reconnaît-elle, par exemple. Ses tuteurs ne l’ont pas "élevée", mais rompue à leur service, dans un état de soumission et d’obéissance.

Le poteau-tuteur auquel elle s’est accrochée lui a sauvé la vie, quand la « vague de terre » s’est abattue sur la demeure : « Elle avait agrippé le poteau du fil à linge, comme si c’était une bouée ». Le tuteur de substitution, comme ses maîtres et tuteurs, ont assuré sa survie, rien de plus.

Désormais, la jeune fille devra assurer elle-même sa survie, et si possible sa vie.
Le rapport ancien, le rapport du maître à l’esclave tout à coup s’est écroulé ; l’ordre des choses, celui qu’elle a toujours connu, s’est effondré. Le passé s’est refermé comme la maison réduite à un amas de gravats : « Elle aurait eu du mal à rentrer dans la maison… Il n’y avait plus d’ouverture. Il y avait juste un tas de fatras »

Si le retour à l’ordre d’asservissement du passé est impossible, aucun avenir ne s’est ouvert pour la jeune serve. Il ne reste qu’un présent de désarroi et d’épouvante. Elle ne sait plus à quoi se tenir, plus à quoi s’en tenir. Elle ne pourra plus rester contre cet autre tuteur qu’elle a trouvé, un « morceau de mur. », le « seul endroit qui tenait droit et retenait le tas de gravats qui s’empilaient derrière.» L’odeur écœurante du passé, l’odeur de mort des cadavres, est devenue insupportable.

Marie-Angèle ne se réjouit pas de la disparition de ses maîtres. Elle ne s’exclame pas : « Enfin libre ! ». Cette idée de liberté lui est inconnue, elle ne lui vient à aucun moment à l’esprit ; Marie-Angèle ne semble pas même connaître le mot.

La liberté prend la figure étrange de ce jeune garçon qui vient l’épier, Justin, « l’enfant des rues ». Et ce garçon lui inspire avant tout la peur, il lui apparaît comme un « pilleur », conformément au classement des individus enseigné par ses maîtres, un rebelle qui refuse de se soumettre, un être inférieur « même pas bon à travailler chez un patron » ; il lui apparaît comme la menace d’une agression.
Elle prend aussi la figure d’une solitude.
Ainsi, la liberté ne la réjouit pas, elle lui fait peur. Il va lui falloir décider par elle-même, agir et penser par elle-même ; il va lui falloir être elle-même, alors qu’elle n’avait appris jusqu’à présent qu’à obéir. Il va falloir lui apprendre à se passer de tuteurs.
La liberté n’est pas donnée, elle se gagne, elle est une conquête, une difficile conquête.
La jeune fille devra la conquérir elle-même, à la faveur d’une catastrophe naturelle. Nul ne l’a libérée de ses chaînes.

Qu’importe la liberté, pensera-t-on, il faut d’abord survivre. Ne pas mourir de faim.
Mais la survie de la jeune esclave va dépendre d’une libre décision : ou bien elle suivra Justin, ou bien elle restera sur la terre dévastée de ses maîtres à mourir de faim, à suffoquer sous l’odeur nauséabonde, ou être emportée par une nouvelle réplique de la secousse sismique.
L’instinct de survie la pousse vers Justin, qui de plus est en mesure de la nourrir ; une autre force la retient sur ce lieu où elle a toujours vécue, ainsi que la peur de l’inconnu. Elle se trouve donc face à un dilemme où la place sa situation nouvelle de liberté.
Une liberté de choix lui est dévolue, qu’elle n’a pas voulue, par laquelle elle a à choisir entre la mort d’une part, la survie et la liberté d’indépendance d’autre part.
Elle choisit la vie du côté de Justin.
La dernière image est belle : elle attend « debout », sans tuteur ; elle s’est levée, elle a choisi la liberté.

Merci pour ce texte qui montre très bien les tourments de cette jeune fille esclave face à la situation nouvelle, inattendue et bouleversante qu’elle doit affronter, et comment elle en arrive à choisir librement la vie et la liberté.

   Vincendix   
3/12/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Malheureusement, l’esclavage existe encore, et pas seulement à Haïti avec les « restavecs ». (Je crois que c’est plutôt un C qu’un K , c’est parlant).

Un récit poignant et qui dénonce cette pratique infâme, seulement, je pense qu’il comporte quelques invraisemblances.
Lors du tremblement de terre, les secours sont intervenus rapidement dans les quartiers d’un certain standing, déjà pour éviter les pillages mais aussi en raison de la configuration des lieux, plus facilement accessibles que les bidonvilles comme celui de la Ravine Pintade, et puis priorité aux « riches », c’est bien connu.

Autrement, le sort de la jeune femme est bien décrit et sa crainte de se retrouver avec d’autres personnes est plausible.

Je regrette certains passages qui en "rajoutent" un peu avec la répétition de "madame" et autres marques de déférence en pratique au 19ème siècle.

   nemson   
3/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
En voyant le sujet je me suis dis: ça y est on va pleurer dans les chaumières...Non, pas de misérabilisme, juste le malheur comme décor et on en fait ce qu'on veut, pleurer ou pas mais personne nous tends un mouchoir, première bonne surprise. Ecriture très maîtrisée fluidité rythme ect.. Rien a dire. Je regretterais peut être une certaine froideur, un ton un peu documentariste, fin bref ça manque un peu de poésie mais bon ne chipotons point.

   Anonyme   
3/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est ici une écriture parfaite qui nous emmène au cœur d’un sujet original sans tergiverser.

Ce que j’aime en lisant, c’est de frotter mes certitudes à d’autres réalités, pour élargir à l’infini les points de vues possibles. Et comme votre construction de texte est efficace, je me retrouve vite à la place de Marie-Angèle.

Là où je pensais embrasser la liberté toute neuve qui s’offrait à moi, sautant au cou d’un Justin providentiel, c’est votre talent d’auteur sachant finement décortiquer les méandres psychologiques, qui m’a entraînée vers d’autres rivages.

Vivre libre n’est pas juste une happy end, c’est aussi une affaire de chair et de sang.

Comme vous l’avez compris, j’ai aimé vous lire.

Merci Blitz.

   Coline-Dé   
3/12/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bien aimé cette écriture rigoureuse qui tient le pathos à bonne distance. Sur un sujet assez casse-gueule parce qu'inclinant trop facilement au préchi précha, vous avez gardé au récit une certaine froideur sans pour autant tomber dans l'insensibilité. Le personnage de Marie Angèle est très bien campé, avec une psychologie très juste ( le réflexe de défendre un bien qui appartenait à ses maîtres, le poteau auquel on se cramponne quand le monde connu s'est écroulé)
De nombreux détails donnent un accent de vérité ( le dentifrice par exemple).
Je regrette juste un petit manque de poésie ( rien d'exotique, juste une certaine façon de faire frotter les mots...) mais c'est un goût personnel qui ne remet pas en cause votre talent !

   Anonyme   
17/12/2015
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Histoire très touchante qui met vraiment finement en scène comment il est dur de se couper du lien qui attache les humains à leurs maîtres.

Le texte est fluide, les informations son amenées clairement, on ne doit pas s'y reprendre à plusieurs fois pour comprendre l'histoire.

Le style des phrases est parfois très bon avec un vocabulaire riche, (exemple du mot remugle que je crois n'avoir jamais rencontré avant, bravo pour la trouvaille) d'autres, j'ai eu l'impression de phrases très légèrement plus pauvres.
Mais c'est excellent dans l'ensemble.

   Walid   
20/12/2015
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Je n'ai pas seulement aimé la nouvelle mais je l'ai adoré.
La lecture est fluide notamment grâce à l'utilisation de mot simple ce qui rend la lecture disponible à tous du plus jeune au plus vieux.
L'effet de chute à la fin et l’amélioration de la relation entre deux personnage qui n'ont fait que s'éviter rend le texte magistral.

   Epitete   
21/1/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Le seul "point faible" que je pourrais donner à ce texte, c'est le début. Le premier paragraphe m'a semblé long, je me suis dit que j'allais m'ennuyer.
Mais après, je suis rentrée dans l'histoire et je suis impressionnée. D'abord, vous avez une plume remarquable ! Ensuite, on a l'impression d'être avec elle, d'être dans sa tête, on comprend la solitude, la peur, l'incompréhension, la nostalgie, la méfiance.
Et tout a l'air tellement réaliste. Vraiment, j'ai adoré.


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