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Sentimental/Romanesque
boutros : Spontané et sauvage
 Publié le 31/07/16  -  4 commentaires  -  12749 caractères  -  50 lectures    Autres textes du même auteur

Un drame en rappelle un autre. Pourquoi suis-je encore là pour le raconter ? se demande un survivant.


Spontané et sauvage


Cronphe fonce vers le lieu de l’enterrement. Il a le goût du risque, il adore conduire trop vite. À ses côtés, son frère Jean tente de le raisonner :


– Qui va piano va sano ! À quoi ça sert de risquer la mort pour un mort ? Tu conduis toujours trop vite, mais là ce n’est pas le bon moment.

– On est en retard, dit Cronphe dans le vrombissement du moteur. Saint-Ambroise est à quatre cent vingt-deux kilomètres, d’après mon GPS.


L’écran du GPS, collé au bas du pare-brise, affiche la petite vue cavalière de la route express. Et un dépassement dans un dos-d’âne. Les pneus crissent. Et encore un dépassement sans visibilité.


– C’est curieux, dit Jean, on va vers l’ouest. J’aurais juré que Vrie habitait dans le sud.

– Je suis la route indiquée par mon appareil. C’est du fiable, une bonne marque. Quand est-ce que tu as vu Vrie la dernière fois ?


Vrie c’est celle qu’ils vont enterrer. D’une falaise à pic elle a sauté. Ou est-elle tombée ?


– Moi, la cousine Vrie je l’ai vue l’été passé, dit Cronphe. Elle avait un air joyeux, l’air d’aller bien. Elle regrettait moins que d’habitude. J’étais content parce que ses « j’aurais dû » à longueur de soirée, je n’en pouvais plus.

– Et là elle se tire comme ça, sans avertissement, ou se fait éjecter c’est selon, en laissant un gosse de sept ans.

– Pas compréhensible.


L’écran du GPS montre le grignotage des kilomètres. Cronphe colle un tracteur avec remorque.


– On n’arrivera jamais à l’heure à ce train-là.


Sans oser contredire son bouillant cousin, Jean regarde discrètement la carte de France. Faut-il vraiment aller si loin vers l’ouest pour aller vers ce Saint-Ambroise de malheur ? Il regarde encore le GPS, qui par moment montre l’ensemble de l’itinéraire, un trajet obstinément tendu vers les grandes plaines de la Loire, vers l’Atlantique, jusqu’à un point et un nom, Saint-Ambroise. Bon sang mais ce n’est pas le bon Saint-Ambroise ! Il y a deux Saint-Ambroise et on se dirige vers l’autre !


– Euh, hum, Cronphe mon cousin, nous avons un petit problème. Il y a deux Saint-Ambroise et nous nous dirigeons vers le mauvais.

– Comment ? Qu’est-ce que tu racontes ? Impossible !

– Si si, je te jure.


Cronphe n’admet pas facilement ses erreurs. La conversation durera bien quinze ou vingt minutes, précieuses minutes quand on est si en retard, précieuses minutes qui comptent double, car pendant tout ce temps la voiture avale des dizaines de kilomètres qu’il faudra parcourir en sens inverse une fois l’évidence admise : on s’est trompés de Saint-Ambroise, il faut faire demi-tour. Cronphe, quand il est furieux, devient injuste et odieux :


– Tu n’aurais pas pu me le dire plus tôt, espèce d’imbécile !

– Je me tue à te le dire depuis un quart d’heure.

– Ouais ben tu aurais pu être plus clair.


Demi-tour au premier carrefour, avec hurlements de pneus. Cette fois on roule vers le sud. Nouvelle pointe de vitesse, au maximum de ce qui est routement possible. Jean ne peut s’empêcher d’en rajouter une couche :


– Et toi conduis plus calmement ou laisse-moi sortir. Je n’ai pas l’intention de mourir à cause d’un enterrement.

– Bon bon, ça va.


Cronphe ralentit effectivement. Jean se plonge dans la carte, établit un itinéraire vers l’autre Saint-Ambroise, celui du sud. Mais l’angoisse du retard est la plus forte ; Cronphe reprend ses pointes de vitesse, ses dépassements périlleux. Jean, les yeux sur la carte, ne voit pas le camion qui vient en face plus vite que prévu, le tracteur avec remorque à droite qui empêche de se rabattre.

Rien, il ne voit rien, il n’a rien vu et ne se souvient de rien quand il se réveille sous un plafond blanc, sans aucune douleur. L’infirmière lui annonce comme ça, en lui passant une lavette savonnée sur le ventre, que son cousin Cronphe n’a pas survécu au choc frontal. Mêlé au choc et à l’effroi de perdre son cousin, Jean a cette pensée ambiguë, qui l’effraie lui-même par sa froideur : le sort aurait-il fait justice à celui qui le narguait si insolemment ?

Alors Jean se souvient de l’histoire de la tête dans le sac, qui lui est arrivée l’année précédente.


** ** **


La tête dans le sac, racontée par Jean :


Ça commence comme une rencontre sensuelle et inattendue. Non, si je remonte un peu plus loin dans le temps, ça commence par une question : comment faire pour s’intégrer dans une ville étrangère dont on ne parle pas la langue ? Dans la ville américaine de Jacks-Hopkids, la réponse m’est venue sur une affiche griffonnée à la main et agrafée sur un tronc d’arbre. La danse contact. Une expression prometteuse, qui exacerbe mon goût pour l’imprévu. L’emplacement de l’affiche sur un trottoir de Charles Street, me dis-je, pourrait être une façon de sélectionner les piétons, les rares personnes qui ne circulent pas assises, dans une ville où même les plus fauchés ont de ces gigantesques carcasses de voitures qu’ils rafistolent ou bichonnent entre les cerisiers en fleurs de Charles Village. Danse contact ? Plaisir et aventure au programme !

En fin d’après-midi, tout arc-bouté de volonté contre mes appréhensions, je me rends au lieu indiqué pour la répétition de danse contact, la salle de gymnastique d’une vieille école du centre-ville. Les parquets sont en bois clair bien ciré, une quinzaine de personnes sont déjà là, en tenues amples et pieds nus. Ouf, me dis-je, on n’est pas dans une exposition de fesses et d’abdos tout frais démoulés du fitness ; je ne me sens pas trop dépareillé avec mon vieux collant de ski, mon T-shirt méconnaissable et mon physique de flemmard un peu trop bien nourri. La responsable me demande mon nom et me souhaite la bienvenue pour une séance d’essai, les participants me sourient et ne semblent pas trop jauger ni juger mon état. La plupart semblent comme moi des étudiants, quelques-uns ont l’âge de mes parents ou de mes grands-parents. Là aussi me voilà un peu rassuré : la danse ne sera sans doute pas trop acrobatique. Nous commençons par quelques exercices de portage de partenaire. Très amusant de découvrir des façons de porter sans effort une personne qui peut avoir le double de son poids.

Je suis dans cet état d’esprit particulier, très rare chez moi, du gentil conquérant paré pour une rencontre et sûr de son succès. Une longiligne personne à la peau blanche et au regard doux a retenu mon attention. Non seulement parce qu’elle semble légère, ce qui est rassurant quand la monitrice annonce des tandems-virevoltes, mais aussi à cause d’un maintien tendre et penché qui augure beaucoup de gentillesse. Je fais la plupart des exercices avec elle et je frôle en frissonnant ses blonds et longs cheveux lisses. La responsable propose de petits exercices pour « prendre confiance dans nos capacités ». Primo : roulage. Comme demandé, la longiligne personne me roule sur le dos et je lui roule sur le dos. Nous nous murmurons quelques mots, très doucement car aucune musique ne couvre nos paroles. Sa voix a le velouté du célesta. Nouvel exercice : portage. Je tourne en l’air accroché à ses genoux, elle tourne autour de ma taille. Elle me susurre qu’elle a reconnu mon accent. Elle le dit en français. La responsable du cours félicite tout le monde, elle nous trouve tous fantastiques. Maintenant : sauts. La longiligne personne saute dans mes bras et je bondis sur ses épaules et tout cela s’appelle de la danse contact, et les paroles se glissent entre les gestes. Oui elle parle français, elle adore cette langue, elle s’appelle Vianne. Nous décidons en peu de mots de poursuivre la conversation après la danse contact. Je danse encore (puisqu’on appelle ainsi nos contorsions) avec d’autres partenaires, même un géant, un gaillard grand et gros comme un ours que je porte sans difficulté grâce à l’art de saisir et de porter qui nous est enseigné.

Je ne sais pas de quoi nous avons parlé dans ce bar sino-thaï de Jacks-Hopkids. De simplicité, de vie sauvage, de sincérité ? Comme le remplissage était gratuit, nous avons rempli encore et encore nos grosses tasses de cafés parfumés à la noisette, à la vanille, au chocolat. L’important se faufile entre les mots, le long des yeux fixés sur un sourire léger. Un plaisir inéluctable glisse le long de sa peau translucide, un vertige hors-sol nous emporte hors du bar et jusqu’à cette maison de briques rouges pareille à toutes les maisons de briques rouges de Charles Street, où je loge.

Je crains de ne pas savoir lui plaire et, au contraire, Vianne me surprend : son plaisir, elle le trouve et l’exprime avec une rapidité étonnante. Une grande simplicité. Le soir même ! On se jure que ce n’est pas dans nos habitudes.

Le lendemain et souvent dans les semaines qui suivent, nous nous revoyons. Elle gare sa belle décapotable entre les cerisiers en fleurs de Charles Street et nous passons un moment délicieux dans la maison de briques rouges. Mais parfois Vianne ne peut absolument pas me voir pendant deux, trois jours d’affilée. Son travail de clerc de notaire, m’explique-t-elle, la retient, le soir, ou même des week-ends entiers. Elle me le dit sincèrement. Elle tient beaucoup à cette franchise entre nous.

Le printemps s’écoule ainsi entre attentes et délices et mon année d’étude arrive à son terme. Quand je rentre en Europe nous perdons un peu le contact. Était-ce une simple amourette de voyage ? Un petit mot par-ci par-là. Des nouvelles seulement, aucune déclaration sur nos sentiments.

Vianne m’annonce un crochet depuis son séjour aux Pays-Bas où elle demeure dans sa famille d’accueil du temps où elle était au pair. Elle me rend visite dans la maison où je passe l’été au-dessus du lac Léman. On est sur la terrasse ombragée par le grand tilleul, au frais en pleine canicule, les Alpes au loin bleuissent dans la brume de beau temps. Assise en face de moi, le dos rond et la tête penchée, Vianne ne dit rien, elle sirote son diabolo menthe à la paille, parfois lève les yeux vers moi et me regarde avec une moue et un haussement de sourcils. Elle me semble un peu moins longiligne, un peu plus ronde, difficile à dire comme elle est enveloppée de grands habits très amples. Le teint un peu moins frais. Et surtout je ne retrouve pas le contact facile de Jacks-Hopkids, je m’ennuie. C’est clair : par consentement mutuel, ces retrouvailles sont nos adieux.

L’été poursuit sa course, je traîne sous le tilleul, lis un peu, n’entreprends rien. Le temps arrive où je reprends les cours, Vianne n’est plus que l’agréable souvenir d’une rencontre éphémère vouée au néant, septembre est arrivé.

Un jour alors que je révise mes notes comme tous les jours, arrive un mot d’elle : il lui est arrivé des événements terribles, elle est à l’hôpital, doit fuir très vite, sans argent, et se cacher quelque part. Elle donne un numéro de téléphone. Je l’appelle immédiatement. Sa voix de célesta est encore plus fluette que sous le tilleul. Elle me demande l’hospitalité, car elle… A-t-elle eu un accident ? l’interromps-je sans doute par crainte de son récit. Non, c’est un accouchement, une fille. Elle est mariée, écrit-elle en s’excusant, elle n’osait pas me le dire, de peur que l’information me détourne d’elle. Et ce n’est pas le plus terrible.

Ce qui vient de se passer et ce pourquoi elle m’a écrit à moi son seul secours, c’est qu’elle a eu dans le camp militaire où travaille son militaire de mari en Allemagne – oui oui, son mari, elle est désolée, désolée –, elle a eu un amant – deuxième révélation, désolée, désolée. Son mari l’ayant appris – la voix de Vianne se fait haletante, entrecoupée –, son mari ayant appris l’existence de cet amant, eh bien l’a attaqué dans une cabine téléphonique, pas elle, l’amant, il a attaqué l’amant, avec un couteau, lui a tranché la gorge et… et voilà elle vient de recevoir à l’hôpital où elle est avec son nouveau-né, elle vient de recevoir envoyé par la poste un paquet et dans ce paquet, dans un sac, la tête de l’amant. Elle fond en larmes. De mon côté, toujours au téléphone, silencieux et ne sachant quoi dire, je frissonne en songeant que cette tête aurait pu être la mienne et je fais vite le calcul : nous sommes en septembre, moins neuf mois, novembre l’année passée est bien le mois où nous nous sommes trouvés à Jacks-Hopkids. De qui est l’enfant ? Combien y a-t-il eu d’amants en même temps, au moment de la conception de l’enfant, auprès de cette femme à l’abord agréable et à l’âme impénétrable ?


Et Jean, sous son plafond blanc de l’hôpital où il gît, miraculé de la collision frontale sur la route d’un Saint-Ambroise, rêve à sa bonne fortune. Le sort m’aurait-il fait grâce deux fois ? pense-t-il… Ou m’a-t-il fait d’innombrables fleurs discrètes, dont seules deux énormes me sont visibles, qui font que je suis encore miraculeusement en vie ?


** ** **


 
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   Anonyme   
25/6/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je trouve maladroite la dernière phrase, pour moi elle est trop molle, trop longue pour clore efficacement la nouvelle.

Sinon, j'aime bien l'histoire, ou plutôt ces deux histoires liées par le seul fait qu'elles sont arrivées à la même personne ; j'apprécie qu'on ne sache pas du tout comment s'est conclue l'aventure avec la femme longiligne : lui a-t-il porté secours, l'enfant est-il de Jean ? On ne saura pas, et j'apprécie, c'est "comme dans la vie" ; de même qu'on ne saura pas si Vrie s'est tuée ou a eu un accident.

Soit dit en passant, le texte est incohérent quant au lien de parenté entre Jean et Cronphe :
À ses côtés, son frère Jean tente de le raisonner :
(...)
Sans oser contredire son bouillant cousin, Jean regarde discrètement la carte de France.

Je pense que manque un peu de moelleux dans la narration pour que la lecture des deux anecdotes apparaisse moins comme deux récits juxtaposés : peut-être pratiquer par petites touches le flash-back pour que les deux récits s'entremêlent, par exemple. Vous êtes l'auteur, c'est vous qui voyez, bien sûr. Telle quelle, cette nouvelle, pour moi, pâtit de sa construction.
Une mention en revanche pour la relation par la femme, au téléphone, de ses mésaventures tragiques : c'est haletant, confus, en rupture avec le style ailleurs dans le texte, et je trouve que, là, ça fonctionne.

   plumette   
30/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
petit préambule : Ce texte est-il correctement orienté dans la catégorie Laboniris? Pour moi , il s'agit d'une nouvelle réaliste ou noire. la seule particularité est qu'il y a 2 nouvelles en une.

La première partie ne raconte pas grand chose, mais le raconte bien. il s'agit d'un situation bien mise en scène, on a toute les informations qu'il faut et le texte dialogué est vif, efficace. J'ai bien aimé ces 2 cousins qui se rendent à l'enterrement de leur cousine et se trompent d'itinéraire parce qu'ils ont rentré une mauvaise destination dans le GPS. Au passage, l'évocation de la cousine est tendre. La collision est annoncée.

A mon avis, il n'est pas utile de mettre la phrase " la tête dans le sac racontée par Jean" Faites confiance à l'intelligence du lecteur!

Superbe deuxième partie pour évoquer une rencontre , comme une parenthèse dans la vie de Jean. J'ai bien aimé l'évocation de " la longiligne personne" , dont on apprend le prénom dans un second temps. Ce choix est subtil, il permet au lecteur d' approcher doucement cette femme, comme Jean l'a fait à partir de ces exercices de danse-contact. j'ai aussi apprécié le récit de cette discipline qui m'est totalement inconnue.
Et puis, la relation se délite, ce délitement est également très bien raconté.Bravo pour la formule " par consentement mutuel, nos retrouvailles sont nos adieux"
Quant à la chute de l'histoire avec Vianne, elle est pour le coup totalement inattendue et terrifiante.
la phrase de conclusion fait le lien entre les deux parties et la nouvelle trouve son unité.

j'ai une réserve sur le titre que je ne comprend pas par rapport au contenu de la nouvelle.
pourquoi ne pas l'appeler " la tête dans le sac"

Merci pour ce bon moment de lecture

   MissNeko   
31/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Je cherchais à savoir où vous vouliez en venir.
Les deux histoires sont intéressantes. Pas vraiment liées, elles se superposent.
Un bon moment de lecture

   JulieM   
3/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Un récit original en deux temps, pas vraiment liés à part le personnage de Jean (fil conducteur !), le "spontané et sauvage" et dans lesquels j'ai trouvé plus d'humour noir et grinçant que d'amour et sentiments.
J'ai apprécié cette ambiance surréaliste et amusante (le coup du GPS, le "je n'ai pas l'intention de mourir à cause d'un enterrement", la "danse contact", "la tête dans le sac").
Merci.


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