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Science-fiction
CharlesMark : Un monde parfait
 Publié le 02/08/16  -  4 commentaires  -  13082 caractères  -  84 lectures    Autres textes du même auteur

Que nous promet l'avenir, surtout celui qui s'annonçant demain se révèle bientôt aujourd'hui ? Beaucoup de neuf, qui pourrait nous paraître plus rapidement familier qu'on le souhaiterait ; tout ça pour mener finalement à des passions bien humaines qui, elles, ont un goût d'éternité…


Un monde parfait


Tac Tac Tac Tac, le claquement des touches sur le clavier paraissait assourdissant et il pouvait sentir peser sur lui les regards exaspérés et les soupirs l’accablant de toutes parts. SOUVIENS-TOI DE TEL AVIV ! Ce cri intérieur lui paraissait bien dérisoire en ces moments, égaré au milieu de la masse hostile de ses collègues 2.0. Parmi la foule bigarrée qui s’agitait dans la salle de marché de la Défense, il gisait, seul, affalé sur son petit bureau, s’y accrochant comme un naufragé à son radeau, perdu dans la mer du Progrès. Tout autour de lui, hommes et femmes se trémoussaient à grands gestes dans le vide, rappelant une cohorte de mystiques hallucinés des temps anciens, ou la fin d’une rave party dopée au LSD ; les yeux ouverts dans le vague, perdus en transe alors que New York, Londres, Tokyo pénétraient dans leur cerveau par les implants sub-oculaires, et l’inondaient d’une marée de chiffres, ordres de vente, calculs de rentabilité, et tout le reste de la panoplie du petit néocapitaliste triomphant. Fred sentit la sueur lui monter au front en repensant à la sensation du flood pénétrant jusqu’au plus profond des synapses, poison numérique se répandant directement jusqu’à la moelle épinière. Ce sentiment de néant qui vous envahissait alors qu’on se sentait emporté au gré de l’Offre et de la Demande comme un fétu de paille : sentir le Marché, être le Roi de l’Univers connu ! Comment osait-il encore rentrer dans la compétition avec sa petite machine sortie d’un autre âge, pourtant vieux d’à peine dix ans, mais bien révolu ? Ses collègues avaient beau jeu de murmurer dans son dos et de le traiter de screener. Ils avaient raison, il n’était tout simplement pas à la hauteur.


Il se rappelait encore très bien son embauche, espèce d’épisode miraculeux auquel il accordait à peu près dans sa geste personnelle la même place que les apôtres avaient dû donner au retour de Jésus d’entre les morts. Sur le papier tout se présentait bien : deux ans de prépa, formation multimédia d’HEC payée rubis sur l'ongle par des parents aimants, une demi-douzaine de stages (non rémunérés, car « c’est déjà un honneur suffisant que de pouvoir acquérir de l’expérience dans une compagnie telle que la vôtre ») garantissant « de son adaptabilité ainsi que de son souci permanent de performance ». Toutes expériences qui lui avaient donné « le soin du détail et le souci de s’impliquer totalement dans la réalisation du projet d’entreprise ». Si on écartait ce studieux travail d’affichage, il était en fait complètement lessivé, au bout du rouleau, game over… Son répertoire dûment passé en revue et tari, les camarades de promo d’abord compatissants mais achevant d’être agacés, il jouait certainement là sa dernière chance d’obtenir un job décent. Quand le recruteur lui avait demandé son niveau tech, comme d’habitude il avait hésité… Il venait juste de finir sa longue convalescence après être rentré d’Israël.


Les Iraniens dans leur ensemble ne devaient pas être mauvais ; il avait connu une Iranienne une fois, un sacré brin de fille ! Et avec une de ces énergies : pouah ! C’était assez bizarre de se l’imaginer réduite à l’état de poussière radioactive répandue sur ce qui avait maintenant définitivement mérité le nom de golfe Persique. Pour sûr, il avait préféré sa compagnie au petit coup d’éclat dont les fanatiques du pays avaient gratifié le monde.


Des vacances en Israël : a priori ça avait semblé une bonne idée. La prochaine fois, il jetterait quand même un coup d’œil au site du ministère des Affaires étrangères avant de se décider à faire une connerie. Quand la Bombe était tombée, son premier réflexe avait été admiratif : c’était beau ! Un simple flash lumineux très haut dans le ciel, à peine visible, comme une aurore boréale (avait-il lu après coup). C’était bien trop loin de l’image hiroshimaienne dont il gardait de vagues souvenirs collégiens, pour évoquer dans son esprit une quelconque menace. Il fallut que toute l’électronique environnante commence à cramer dans des gerbes d’étincelles pour qu’il comprenne que quelque chose clochait. En réalité, il n’avait guère eu besoin d’un esprit d’analyse flamboyant, et il serait bien incapable de décrire exactement ce qui s’était passé à ce moment-là tout autour, car lui-même était trop occupé à essayer de se débarrasser du kit main libre intégral connexion wifi intégrée qui était en train de lui cramer un bon bout de la tête, lui emportant au passage une partie des tympans ainsi qu’à jamais le désir impérieux de pouvoir consulter son statut Facebook 24 h/24. À l’époque, les implants neuronaux et même les matrices sub-oculaires restaient encore rares, mais les simples transpondeurs sous-cutanés, pourtant alors encore hors de prix, étaient déjà assez répandus. Il avait vu des gens s’arracher les oreilles et se racler le crâne jusqu’à l’os à mains nues. Depuis ce moment, il avait décidé que si un jour son cerveau devait griller ça serait à cause des litres de caféine et du cocktail de substances plus ou moins légales qu’il y déversait quotidiennement et de rien d’autre.


Il s’était toutefois rapidement rendu compte que sa nouvelle bonne résolution ne le plaçait pas franchement en tête de gondole sur le marché de l’emploi. La cyber-ingénierie biologique devenait la norme, surtout dans les milieux déjà suractivés et connectés qui constituaient son terrain de chasse naturel. Il avait l’impression d’y être là comme ces paysans du Larzac cramés récemment par l’anti-émeute, quand ils s’étaient attaqués à un silo King Donald : obsolète, et surtout symbole rabat-joie de la résistance futile à un avenir brillant qui se rehaussait du nom de Progrès. Le jour de son embauche pourtant, on ne lui avait pas opposé l’habituel refus, mi-pitié mi-incrédulité, des autres fois. Contre toute attente, il avait été engagé sur-le-champ, acquérant le titre ronflant de coordinateur numérique domestique (que ses collègues, toujours facétieux, avaient rapidement raccourci en Condom), censé vérifier le flux d’informations qui transitaient en permanence par les serveurs, une tâche prométhéenne, et en vérité assez naturellement impossible, pour ne pas dire inutile. Le premier bonheur passé, il avait fini par se résigner à admettre une réalité assez piteuse. Ce qu’on attendait de lui en fait était d’être une sorte de caution morale pour l’entreprise, un genre de nouveau quota de quasi-handicapé religieusement présenté au PDG dès qu’il daignait descendre dans les salles de marché. En plus, le reste du temps, de constituer un bon exutoire pour les employés soumis au monde pressurisé de la haute finance fonctionnant à l’ultraspeed.


À l’heure de la pause-déjeuner, il sortit de la tour Al Thani qui abritait les bureaux de la compagnie ; l’un des avantages de sa fonction était que personne ne lui prêtait grande attention et qu’il disposait du coup de pas mal de temps libre. Kurt l’attendait déjà. Le mot « amitié » était hors de propos pour décrire leurs rapports, c’était plutôt un genre de cohabitation forcée, une de ces relations acceptant tacitement de privilégier l’apparence de la cordialité sur l’agacement de la situation, telles qu’avaient dû en naître entre les pestiférés mis en quarantaine jadis. Arrivé tout droit il y a huit mois de la Bourse de Francfort, Kurt était un archétype du mâle alpha conquérant de l’ANEGRIF (Association Nord Européenne de Gestion des Ressources Inter Frontalières), avec son épais accent germanique, ses cheveux blonds et son regard perçant bleu turquoise. Cette origine peu discrète ne suscitait aucune sympathie dans l’EuroMed des années 2020 où tout ce qui avait un rapport avec l’Europe du Nord n’était guère apprécié depuis la rupture violente de l’Union. On comprend que Kurt, en dépit d’être par ailleurs la parfaite incarnation du prédateur financier, ait eu du mal à se faire des accointances dans ce milieu fermé et somme toute assez conservateur ; du moins en ce qu’il en était de l’affichage pour la galerie. Il n’était tout simplement pas à la mode et il en souffrait beaucoup.


Ils s’installèrent dans un des restos les plus chers du quartier, comme presque tous les midis (Kurt y tenait énormément), l’Allemand entama la conversation :


– Tu te souviens d’Anderson ?

– Anderson du premier ? Le nouveau responsable coordinateur des opérations à terme ?

– Mon pauvre vieux, tu débarques… répondit Kurt avec son air condescendant et paternaliste. Ça fait presque deux mois maintenant qu’il est parti de la boîte pour un gros contrat avec les Chinois, un truc en Afghanistan, dans les terres rares. J’avais flairé le jackpot alors j’ai suivi l’affaire. Figure-toi qu’il y a deux jours on l’a fait sauter ! Je veux dire, littéralement… Ça faisait presque six mois que les locaux avaient pas réussi à mettre la main sur du personnel de terrain. Tu parles, ils étaient trop contents ! Saloperies de barbares… J’imagine que ce vieil Anderson aura au moins fini par faire premier dans quelque chose…


Il avait dit la dernière phrase sur le ton mi-enjoué, mi-moqueur, qui lui était familier. Étirant au maximum ses lèvres botoxées pour lâcher un de ses sourires qui faisaient comme toujours scintiller sa nouvelle implantation dentaire (de l’authentique requin blanc, prélevé, selon la rumeur, sur un des derniers spécimens sauvages, avant la mise à l’abri zoologique), il continua :


– Et le mieux reste à venir. Quand j’ai appris ça, tu peux imaginer que j’ai tout de suite sauté sur l’occasion ; tu me passeras le jeu de mots : j’ai pris toutes les positions que je pouvais sur la Cyberfighter Generals, tu sais la filiale de Sikorski. Bingo ! Il y a deux heures le communiqué est tombé, l’Armée américaine a passé une nouvelle commande de 200 drones autonomes tous terrains pour renforcer les Afghans, l’action a pris 200 points : c’est moi qui invite bien sûr.


Fred sentit vaguement qu’on attendait quelque chose de lui, il débita d’un air peut-être un peu trop morose un : « C’est génial ! » Mais l’autre ne remarqua même pas son manque d’enthousiasme.


Ce n’était bien sûr que l’amuse-bouche. Tout au long du repas, il put sentir dans Kurt le bouillonnement fébrile qui généralement annonçait un coup d’éclat ; avec son bonus annuel déjà normalement à plusieurs millions d’euromeds, il fallait plus que cette histoire d’Afghanistan pour lui faire prendre cet air surexcité de petit garçon espiègle. Gardant les yeux rivés sur son assiette, Fred s’efforçait d’éviter de provoquer le grand déballage en croisant ses yeux ; mais l’autre se tortillait sur sa chaise, semblant avoir de plus en plus de mal à tenir en place et entamant, à force de trémoussements, une sorte de danse serpentine pour capter le regard de la victime de son besoin pressant d’esbroufe. Fred avait eu vent de bruits sur le réseau comme quoi le trader avait mené une opération alambiquée dans les bois rares, en rachetant systématiquement toute la production d’une entreprise coréenne en train de finir l’exploitation du front pionnier amazonien. Le plan apparemment était de créer artificiellement une pénurie pour que les pontes de l’entreprise, effrayés de voir leur stock baisser à grande vitesse, en viennent à racheter leur propre marchandise. Si c’était vrai cela voulait dire gros bonus à la clé : très gros bonus ! Or, s’il y avait une chose que Kurt aimait plus que tout, c’était étaler son argent par le biais de gadgets clinquants et high tech. Quand le dessert arriva, il était visible qu’il ne se retiendrait plus très longtemps : nouvelle voiture électrique flambant neuve, nouvel implant ou peut-être une nouvelle mannequine russe, telles qu’il les affectionnait tant ? L’Allemand essayait bien de revenir à un air plus compatible avec l’image toute d’impassibilité germanique qu’il aimait d’habitude à donner, mais son impatience, remarquable à l’agitation de son cyber-implant oculaire qui alternait le vert dollar avec le rouge sanguin, était évidente.


– J’ai eu un gros bonus, lâcha t-il pour commencer la danse.

Je veux dire vraiment un très gros bonus.


Fred essaya de prendre l’air curieux que l’autre attendait sans doute, mais en réalité tout à son excitation, celui-ci ne semblait que se passionner pour le son de sa propre voix.


« Et avec ce bonus j’ai acheté ça. » L’Allemand lâcha alors sur la table trois sortes de petits dés métalliques à l’allure anecdotique. Il ne se passa rien tout de suite puis soudain une jungle luxuriante surgit de la table pour se dresser entre eux. Fred fut un instant interloqué, mais il comprit quand la tête de Kurt surgit, traversant le rideau de lianes : « Imagerie tridimensionnelle en temps réel de mon appart à Frankfurt, j’ai fait importer de nouvelles plantes exotiques. Eh ouais, faut bien penser à la planète… On m’a assuré que c’était rien que du rare et du menacé, j’ai même touché un crédit d’impôt. Comment tu trouves ? »


Fred hésita.


– Pas mal…

– Pas mal ? C’est tout ? La facture elle, elle était pas mal mon pote, ça c’est du génie ! C’est l’avenir même ! Tiens buvons à ça, à l’Avenir ! Prost !

– Oui. Oui… À l’Avenir ! Tchin !


 
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   Anonyme   
9/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Les paysans du Larzac éveillent en moi des associations d'idées paradoxalement vieillottes pour un texte de SF ; j'aurais mieux compris, comme référence, des rebelles landais à l'implantation d'une base de lancement de fusées destinées à des opérations à grande échelle de réaménagement du paysage, par exemple ; cela m'aurait davantage parlé dans le contexte.

Sinon, j'ai bien aimé l'image d'apocalypse ordinaire donnée à un avenir immédiat. L'ambiance est bien là, je trouve que l'idée aurait mérité davantage de développement ; là, j'ai le sentiment que vous effleurez le sujet.

La fin ne clôt pas vraiment l'histoire, à mon avis, malgré le toast sinistre ; elle n'apporte pas une vraie rupture, une chute : je pense que la dernière acquisition de Kurt n'est pas assez choquante, tout simplement. Je la trouve très en deçà de la bombe atomique sur le golfe Persique, ce qui nuit au mouvement général du texte, qui commence par un gros boum pour se terminer sur un chuchotement. C'est peut-être votre choix d'auteur, en ce qui concerne la lectrice que je suis il nuit à l'impact de l'histoire.

   hersen   
18/7/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je dois l'avouer, je reste sur la touche ! je suppose qu'il s'agit d'un trafic de plantes rares, enfin, je ne sais pas bien, ça englue un peu ma lecture.

J'ai adoré les implants neuronaux et les gens qui s'arrachent la peau quand ça les brûle à cause d'une bombe; j'ai trouvé un grand réalisme à ce passage.

pour le reste, ça se lit assez bien mais comme c'est de la fiction, il doit une fois de plus me manquer les références adéquates;

A vous relire.

   MissNeko   
2/8/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Vous écrivez extrêmement bien. Votre style est fluide et précis. On vous lit avec plaisir mais j avoue rester un peu sur ma fin-faim. Votre histoire a du mal à commencer et quand on commence à être dedans c est la fin. La fin est un peu abrupte et n apporte pas vraiment de point d orgue à la narration. Je trouve que votre nouvelle est un excellent début pour une nouvelle plus longue avec une intrigue. Je n ai pas vraiment su en trouver une.
Cela ne reste que mon humble avis. Et je suis en plus loin d être une spécialiste en SF.
A vous relire

   JulieM   
5/8/2016
 a aimé ce texte 
Pas
Comment dire, une histoire assez banale de trader, pas très science ni fiction. La simple évocation d'objets high-tech et d'implants ne font pas le récit. Je n'ai pas vraiment trouvé d'intrigue, ni de structure bien établie.
Et un vocabulaire approximatif: peut-on vraiment gésir (position couchée, allongée) sur son bureau? Et le "il avait connu une Iranienne, une fois" ? pouah : n'est-ce pas là une interjection de dégoût ?
Bref, déçue.
Merci du partage.


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