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Réalisme/Historique
Camille-Elaraki : Le temps d'un regard [Sélection GL]
 Publié le 17/08/17  -  14 commentaires  -  6110 caractères  -  78 lectures    Autres textes du même auteur

Paris au XIXe siècle. Au milieu de la foule, le regard d'un hommes'arrête.


Le temps d'un regard [Sélection GL]


Paris en 1855. La ville est sale, la ville est noire, elle est puante. L’eau des égouts déborde et court sur le pavé. Les talons de satin ou troués pataugent côte à côte. Ils ne le savent pas, mais tous sont des rats. Ils détalent et s’amusent dans ce labyrinthe de ruelles qui délimite leur petite vie. Ils lèvent leurs verres, leur chope ou leur coupe de cristal, à la France, à la gloire de sa capitale ! Ils s’exclament, se perdent dans des louanges en se remémorant leur passé doré. Rappelez-vous, la Révolution, le Premier Empire ! Souvenez-vous de Napoléon, notre empereur d’autrefois et d’aujourd’hui !


Ne voient-ils pas, tous, que le ciel sombre s’abaisse tout près de leur tête ? Ne sentent-ils pas que l’air est épais de charbon ? Ne savent-ils pas comme ils sont laids sous leur fard de craie ou leur teint de boue ?


Charles, les mains dans ses poches trouées, s’applique à ne pas relever le regard du sol. Les rues étroites du Marais, les passants qui se bousculent et s’insultent, se marchent dessus et se scandalisent, tout cela le dégoûte. Il sait qu’il n’est pas à sa place. Que la ville ne le veut pas et ne le voit pas. Que le monde autour de lui ignore sa présence et pourrait l’engloutir tout entier sans même s’en apercevoir.

S’il n’avait pas si soif, Charles se complairait dans l’ennui noir de sa chambre miteuse. Il resterait au lit et contemplerait la face de la mort qui le guette. Mais il a soif. Bordel, qu’il a soif ! Tellement soif que lui aussi, il se transforme en rat d’égout. Lui aussi, il détale et se presse pour s’engouffrer dans le trou noir d’un bistrot.


Là, le plafond est haut. Le ciel n’existe plus. Les murs en bois sombre abritent les peines des hommes. Chacun se regarde dans le reflet alcoolisé de son verre, jusqu’à atteindre le fond transparent et paniquer devant son néant. Chacun lève la main, deux, trois, quatre fois, pour s’enivrer encore et encore de son reflet jusqu’à s’oublier. Là, tout est vrai. Tout est misérable et tout est véritable.


Charles s’assoit devant le bar. Son dos se courbe comme celui d’un chat effarouché. Sa gorge est trop sèche pour appeler et réclamer quoi que ce soit. Ce n’est pas possible d’avoir si soif ! Le patron le remarque et remplit déjà son verre.


– Comme d’habitude, Charles ?


La mine grise, l’œil noir, il ne répond rien. Sa main impatiente se tend d’elle-même sur le bar de bois. C’est un élan de survie qui l’anime. Le verre d’absinthe glisse et frappe la paume, comme on frapperait à une porte, la main se lève et déjà, le liquide noir s’introduit dans la gorge. Sur son passage se creuse un tunnel chaud et piquant de vie. Les éclats de voix qui écorchent l’âme fondent. Les mots se troublent. Tout devient plus calme, moins infernal.


Charles se relève, il avance un pas hésitant. Il risque un regard hors du bistrot, hors de ce refuge sombre où les hommes viennent oublier l’amour, la mort et la vie.


Dans ses rues, Paris ressemble à une furie. Elle n’a ni visage ni forme. Seulement une voix obscure et opaque qui recouvre tout. Une voix stridente qui perce la tête et rebondit à l’intérieur du crâne. Elle prend de plus en plus de place. Elle appuie contre la paroi interne. Elle appuie et rit sourdement. Elle va finalement réussir à le faire éclater !


« La rue assourdissante autour de moi hurlait. »


Charles s’accroche à la porte d’entrée, comme à un radeau qui menace de chavirer. C’est le vent qui se lève. La vague. La tempête ! Le regard dérive. Il saute et sursaute sur le visage des passants qui, jamais, ne se retournent. Tous, tous, ils le voient couler. Mais personne ne le remarque. Le regard saute et sursaute, puis s’immobilise, abattu en plein vol. Les muscles de la main se relâchent. Le bras s’étire vers un navire en vue. C’est un secours, un espoir qui flotte au-dessus de la foule déchaînée.


« Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d’une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble avec sa jambe de statue. »


L’œil est bas, le teint mat de larmes asséchées. Le visage, ombragé. Autour du marbre solide de sa peau, les tissus de sa robe noire volent au vent. Ils sont légers et amples comme des volutes. Son pas fait résonner le pavé. Personne ne se dessine si nettement dans le regard fiévreux de Charles. Autour d’elle, il ne voit que des spectres de fumée noire, qui passent, passent, et jamais ne s’arrêtent.


– Eh, Charles, t’éloigne pas trop ! Tu me dois déjà 4 francs !


La voix du patron harponne le regard de la femme. C’est à peine si Charles l’entend. Il ne fait plus que voir. Il voit son œil dans le sien. Elle aussi le voit. Elle transperce son iris, diffuse sa couleur apaisante dans l’âme de Charles. La furie se calme, puis se tait. Doucement, elle meurt dans le silence.


« Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan, la douceur qui fascine et le plaisir qui tue. »


Le regard de la femme est rouge, arraché à son absence, le temps de glisser sur les yeux de Charles. Drôle d’endroit qu’une rue débordant de chair humaine pour rencontrer la beauté, le divin, ce que l’on a toujours attendu, qui nous regarde, s’arrête, puis passe son chemin. Elle s’éloigne de lui. S’approche de l’oubli. Le crâne de Charles se vide. Il n’y a plus en lui que le cadavre d’une créature nauséabonde. Charles veut crier, appeler ! Mais par quel nom, de quel droit ?


« Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté

Dont le regard m’a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? »


La marée humaine des passants emporte la silhouette ténébreuse de la femme. Une dernière fois, elle se retourne. Elle est blanche comme la foudre. Ses yeux brillent. Ils attirent et fascinent comme la mort.


Charles avance d’un pas. Il manque de se noyer dans la foule. Le patron se met à gueuler :


– Eh ! Où tu t’en vas comme ça, Baudelaire ?!


« Ailleurs, bien loin d’ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !

Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »


 
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   Marite   
18/7/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
A première lecture les extraits de poésie dont est parsemée la seconde moitié de la nouvelle m'ont, dans un premier temps, gênée mais, l'évocation de Beaudelaire par le tenancier du bistrot m'a intriguée et c'est ainsi que j'ai trouvé d'où venaient ces vers.
"A une passante" un sonnet classique de belle facture que je ne connaissais pas. Merci donc pour la découverte du poème qui, j'imagine, a servi de point de départ à l'écriture de cette nouvelle très réussie je trouve. Nous pénétrons dans l'esprit du poète déjà bien mal en point alors qu'il erre dans les rues du Paris de l'époque.

   plumette   
18/7/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Il y a une sorte de crescendo dans ce texte original qui met en scène le "poète maudit".

j'ai failli renoncer tout de suite à cause du premier paragraphe que j'ai trouvé caricatural. Je me suis demandé qui était le narrateur pour porter un tel regard sur son époque.

j'ai également été un peu éloignée du propos par le mot "soif" Bizarrement, dans mon esprit, avoir soif s'applique au fait d'être déshydraté et se rapporte à l'eau! Pour dire le besoin d'alcool et la dépendance alcoolique, j'aurai essayé de trouver un autre mot. Ne pourrait-on pas utiliser " manque"? ex/ Si Charles n' était pas en manque...

Le texte prend de la force à partir du moment où Charles est dans le bar et la fièvre est bien là lorsque son regard croise celui de la femme.

j'ai bien aimé le procédé qui consiste à faire naître le poème avec le regard.

Ce texte pourrait être encore un peu peaufiné, mais il ne peut laisser indifférent.

Pour moi, inutile de citer le nom Baudelaire. Il me semble qu'un des attraits de ce texte est de permettre au lecteur de reconnaître le personnage!

Plumette

   Anonyme   
18/7/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je salue la tentative de mettre en scène la genèse peut-être, le corps en tout cas, du célèbre poème de Baudelaire. Tentative pas entièrement réussie, dirai-je (grande amatrice de Baudelaire, je n'ai pas été transportée), mais qui ne démérite pas. Je trouve à ce texte de la tenue, du mouvement.

Il est toujours risqué, bien sûr, de se mettre dans la peau d'un illustre. Le ton du texte, pour moi, correspond plutôt bien à ce qu'on sait de Baudelaire, une sorte d'emphase, un sens romantique du tragique outré, à la limite du ridicule mais sans y tomber... Une réussite de ce point de vue, je trouve, sans toutefois arriver à la hauteur sublime de Baudelaire. Mais qui le pourrait ?

P.S. : C'est noir, l'absinthe ? J'ai toujours cru que c'était vert... Ou alors un noir métaphorique ?

   Anonyme   
19/7/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Commenté en EL

Je suis partagé.

Le sujet est intéressant, l'écriture ferme et de bon aloi et Baudelaire est un personnage suffisamment fascinant pour que le lecteur s'arrête à cette mise en image du poète maudit entre tous (enfin, maudit par d'authentiques imbéciles cela va de soi)

Ce qui me gêne un peu est le petit excès de familiarité dans les échanges entre le cabaretier et le poète. De cela je ne suis pas vraiment convaincu mais je dois avouer n'avoir rien lu de précis sur l'existence du poète, je me suis arrêté à la lecture de ses œuvres et de ses traductions.

Je mets "bien" par acquis de conscience et pour ne pas pénaliser ce bel essai d'humaniser ce personnage fort mais je pense que ce texte gagnerait a être revu ici ou là. Un peu de distance serait la bienvenue.

   GillesP   
23/7/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Pas mal du tout, cette imagination de la genèse du sonnet "A une passante". On imagine aisément le poète dans Paris, partagé entre spleen et idéal.
Un petit détail, cependant: il n'est pas sûr du tout que Baudelaire soit dans un café lorsqu'il voit la passante, dans le poème. Certes, il y a "moi, je buvais", mais le verbe est suivi d'un complément d'objet ("la douceur qui fascine et le plaisir qui tue"), ce qui indique qu'il faut prendre cela d'une manière métaphorique, non? Il boit dans l'œil de cette femme...
Au plaisir de vous relire.
GillesP.

   Anonyme   
17/8/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Fi de mes habitudes de commentateur, répartissant histoire, personnages et style... J'aime votre ode à Baudelaire. C'est de la poésie en prose comme j'aime. A peine quelques comparaisons que je trouve trop appuyées telles que:

"Son dos se courbe comme celui d’un chat effarouché"
"hors de ce refuge sombre où les hommes viennent oublier l’amour, la mort et la vie."

" Le verre d’absinthe glisse et frappe la paume, comme on frapperait à une porte, la main se lève et déjà, le liquide noir s’introduit dans la gorge." L'idée du verre d'absinthe qui vient frapper à la porte est jolie mais je trouve la phrase maladroite alors que le style est de haute volée par ailleurs. Pourquoi pas: Le verre d'absinthe glisse dans sa paume et tambourine déjà à la porte. La main se lève et le liquide noir (?)... Je connais des absinthes vertes et blanches. Noir? Métaphore?

Merci pour ce beau partage qui donne envie de revisiter Baudelaire.

   vb   
17/8/2017
 a aimé ce texte 
Pas
Je n'ai pas aimé. Je trouve qu'il manque d'emphase, de panache. Les choses sont dites alors qu'il aurait fallu les faire ressentir. J'aurais mieux aimé deviner l'époque sans qu'on me dise "Paris en 1855". J'aurais voulu une description de la chambre en place du jugement "chambre miteuse". J'aurais voulu sentir la puanteur, les rats, les araignées, les tavernes embuées.

Au nom Charles, j'ai tout de suite pensé à Beaudelaire. Lorsque j'ai lu " Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse," qui ne cadrait pas du tout dans le style, j'ai ouvert google et vu mon soupcon se confirmer. La chute ne fut donc pas une surprise. J'ai lu il y a très longtemps Les derniers jours de Charles Beaudelaire de Bernard-Henri Levy. Ce texte m'y a fait repenser et ce n'est pas un bon souvenir. Dommage.

À vous relire,
Vb

   Alcirion   
18/8/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

J'ai bien aimé votre vision de Baudelaire et le scénario d'inspiration que vous avez imaginé pour A une passante.

Le seul petit bémol est dans le fait que j'ai du mal à l'imaginer accepter de se faire appeler Charles par un patron de bistrot, mais c'est un détail.

La force de ce texte, c'est une atmosphère bien construite autour d'une approche historique cohérente qui arrive bien à rendre le contexte.

A vous relire.

   Anonyme   
17/8/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une fois la chute connue, la deuxième lecture m'a fait apprécier ce texte à sa juste valeur.
Bien sûr, tenter de rendre le ressenti de Baudelaire juste le temps d'une nouvelle est une entreprise audacieuse ; mais je la trouve assez bien menée pour décrire cet esprit tourmenté, à la recherche du Beau, symbolisé ici par la passante.

Les citations sont bien à leur place.

   Jean-Claude   
17/8/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Camille-Elaraki.

Mis à part que je trouve inutile de donner le nom de Baudelaire à la fin, j'ai aimé. Au début, j'ai cru à un tableau sombre, genre Assommoir, pas à une histoire, puis Charles est apparu et l'on assiste à une genèse, dans un tableau.

L'œil du poète, vaste question. Essaie-t-il d'attraper les couleurs de la vie ou s'ingénie-t-il à tremper sa plume dans la palette, parfois sombre, de ses émotions ? Et si c'était un mélange des deux ? Comme arracher des fleurs au mal ?

A une prochaine lecture

   Louison   
17/8/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Paris 1855, année de l'exposition universelle, une rue sordide et sale, sous Napoléon III, Charles qui quitte sa chambre miteuse pur aller se désaltérer au bar. Ok, je vois la scène. Puis je découvre qui est Charles grâce aux citations de ce poème que j'aime tant, alors je comprends mieux, je devine cet encore jeune homme, déjà bien abîmé par la fée verte et autres substances.
La mise en scène est bien faite (mais y avait-il de l'absinthe noire?) : la beauté de cette élégante, qui sous le regard malade de Baudelaire est à la fois magnifique et morbide est bien rendue.
J'ai un peu buté sur:
"La voix du patron harponne le regard de la femme.", je n'ai pas très bien compris, mais c'est un détail.

Etait-il utile de nommer Baudelaire? je n'en suis pas sûre.

Merci pour ce beau texte.

Connaissez-vous le poème de Baudelaire dit par Léo Ferré? un joli moment:
https://www.youtube.com/watch?v=OzRbnsfRSBQ

   klint   
18/8/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
J'apprécie l'intention de ce texte, originale et ambitieuse.
Le style est fluide, alerte.
La description du Paris d'alors bien rendue, peut être un peu trop littéraire pour que je m'y immerge vraiment.

Les répliques du patron du bar m'ont parues "jouées", inappropriées. Si son rôle est comme je l'imagine de nous faire deviner que Baudelaire est le héros de cette nouvelle, ce rôle est inutile, les extraits du poème, la mise en scène, nous l'auraient fait deviner. Peut être à la place une description physique plus appuyée ?

Quelques détails :
Pour moi l'absinthe était verte, bleue à la limite.
Ce n'est pas la soif qui le taraude mais le besoin d'alcool ce qui est pour moi très différent.
Pourquoi un regard rouge ?

   Orikrin   
18/8/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Une belle poésie en prose, pénétrante, que malheureusement en tant que nouvelle j'ai du mal à franchement apprécier.

Le récit est régulier, ce qui pour un texte plus long serait ennuyeux. Ici, l'impression tient le coup, mais elle a pour corollaire un style facilement trop lourd et emphasé.
Les phrases courtes qui au début me tenaient accroché à l'histoire m'ont ensuite paru exagérer le rythme, comme si l'histoire avait hâte d'être terminée.

Le déroulement est agréable, mais la chute assez insipide. Pourtant c'est une bonne chute, mais révéler le nom de Baudelaire empêche l'imaginaire du lecteur de s'enflammer ; c'est un peu le prendre pour un enfant aussi.

   carbona   
3/9/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
J'ai aimé dans l'ensemble. le début m'a beaucoup plu. Votre écriture est agréable, les descriptions sont réussies. Ensuite je m'ennuie un peu, je n'accroche pas trop avec les métaphores, ça devient un peu perché pour moi puis il y a les extraits de poème, je n'accroche pas trop non plus, je m'égare et enfin la chute rehausse le tout.

Merci pour la lecture.


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