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Canuelle : La faim
 Publié le 12/01/19  -  12 commentaires  -  3685 caractères  -  143 lectures    Autres textes du même auteur

Une femme s'apprête à manger une tarte qui lui échappe...


La faim


Quand la tarte fume, alors c'est qu'elle est cuite, prête à être mangée. Elle se prend sans doute pour la nuée, la brume, quelque chose qu'Enza ne parvient pas à identifier. Son odeur est un délice, une torture. Elle embaume le désir de fruits.

Mais soudain, alors que les doigts d'Enza s’apprêtent à s'en saisir, la tarte s'envole par la fenêtre ouverte sur la nuit pour retrouver les nuages et s'y engloutir, s'y cacher. Au loin, Enza n'entend plus le cri aigu et étonné des oiseaux qui, par centaines, filent dans l'azur, peuplent le ciel. Elle voit la tarte tournoyer sur elle-même, comme une soucoupe volante, puis s'enfoncer dans les cieux à une vitesse croissante. Enza a faim et ne craint pas grand-chose d'autre que cette sensation nauséeuse et creuse qui lui lamine l'identité et émiette le présent. La faim lui renvoie des images plates et indéfinissables qu'elle tente de chasser. Toute la salive dans sa bouche tend vers le point qui, là-bas, s'amenuise, là-bas, se fond. La tarte, peu à peu, perd sa forme propre, celle qui se mange, peu à peu, se dissout dans le reste pour former avec lui quelque chose d'à jamais échappé.

Enza se sent écrasée par ce rien, là-bas, qu'elle ne saurait définir. Ce qu'elle en perçoit la déroute. Les cris, encore, des oiseaux désorientés, la couleur, noire, et cet espace, indéchiffrable pour son esprit affamé. Ce qui pourrait la rassasier est là-bas, dans cet ailleurs invisible, incompréhensible dont elle n'a jamais entendu parler par qui que ce soit ni où que ce soit.

Non, personne ne lui a jamais expliqué, dit, ce qui se passait là-bas, là-bas, là-haut, elle ne saurait même pas le dire, même sous la torture. Elle imagine des forces maléfiques aux visages brouillés qui l'interrogent, qui la forcent, la brusquent. Mais elle ne sait rien, elle imagine leur rire au nez, la force de son ignorance. Non, personne n'a jamais pris le temps de dessiner avec elle les couleurs claires et blanchâtres de l'air, personne ne lui en a dit le poids, la densité, l'après.

La tarte a totalement disparu maintenant pendant que sa faim la prend et la déracine et l'arrache, lui rendant une certitude qui, tapie dans un coin de son esprit, n'attendait que cette histoire pour resurgir : jamais, elle n'avait été rien de plus qu'un courant d'air. Et c'est pareil pour tout, les oiseaux et le ciel, les tartes et la salive, le sucre, les fruits, tout, un jour, se replie et se ferme sans explication. Pourtant, si une force demeure, c'est son corps qui lui fournit : à l'instant, quelque chose lui fouraille les entrailles et lui donne envie de hurler. Elle se lève et se hausse sur le rebord de la fenêtre, par là-même où la tarte s'est envolée. Dans le noir du ciel, il n'y en a plus aucune trace. Elle pourrait aussi bien l'avoir rêvée. Enza regarde la nuit d'un mauvais œil. La nuit, tout est possible ; la nuit, rien n'est faux. Enza s'imagine sauter, tomber. Les oiseaux, sur les branches, attendent, impassibles. Elle maudit son poids et son ignorance puis détourne le regard et change d'avis. Enza recule et referme la fenêtre, mettant à nouveau entre elle et l'obscurité une étanchéité de verre. Dans la sécurité de l'appartement, elle procède à un carnage, viole le frigidaire vide, éventre l'oreiller et s'engouffre les plumes dans la bouche, lèche la colle du papier peint, boit l'eau des toilettes. Se couche à terre et, pendant que son ventre résonne de bruits inconnus, s'endort en rêvant à des lieux colorés. Et sans plus de poids, ni de faim, tisse, pour quelques heures, son monde empli d'insatiables, d'attentes et de mystères.

Demain, elle recommencera. Elle tentera à nouveau, manger, voler, dormir, elle essayera.


 
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   izabouille   
23/12/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est un bien étrange sujet, fort bien écrit ceci dit. C'est assez déroutant, mais j'ai bien aimé. Le style m'a bien plu également. C'est un petit texte agréable à lire qui raconte beaucoup de choses en peu de mots.
Merci pour ce bon moment de lecture

Iza en EL

   Neojamin   
26/12/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
bonjour,
Il m'est difficile de commenter ce texte. Peut-on l'appeler nouvelle? Ça ressemble plus à une pensée... une rélfexion animée. Je n'ai pas eu le temps de m'attacher à Enza, ni de comprendre vraiment ce qu'elle cherchait.
J'ai envie de dire hors-sujet... ce qui n'enlève rien à la qualité littéraire du texte, aux images intéressantes (étanchéité de verre par exemple).
Agréable à lire.
Quoiqu'il en soit, continuons !

   plumette   
12/1/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Cannuelle
Etrange texte que j'ai lu sous l'angle " fantastique"en appréciant la qualité de l'écriture.
Cette histoire de tarte transformée en soucoupe volante qui pousse Enza à s'interroger sur la texture de l'air m'a déroutée! C'est tellement loin de ce que j'écris... J'ai toujours besoin de me raccrocher à du réel si bien qu'à la fin du texte j'ai imaginé qu'il s'agissait des fantasmes d'une personne anorexique.
Je suis curieuse de cou lire dans un autre registre car ce chemin et cette écriture m'ont accrochée.

Plumette

   Donaldo75   
12/1/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Canuelle,

J'ai lu ce texte comme de la prose poétique, et ça m'a convaincu. Le style est réellement poétique et il fait passer des messages par des images bien senties. Et en même temps, les parties réellement narratives restent dans le domaine de l'allégorie poétique, pas de la nouvelle fantastique. Ce texte est de la bonne longueur; plus long, il diluerait sa poésie, tomberait dans les affres du délayage. Je comprends que d'autres lecteurs ait du mal avec la brièveté de ce texte; ce n'est cependant pas mon cas, peut-être parce que son caractère poétique m'a embarqué d'entrée et qu'il a coulé comme un beau ruisseau, un peu tortueux quand même.

Bravo !

En plus, des textes aussi originaux, on n'en lit pas tous les jours sur Oniris.

   Anonyme   
12/1/2019
J'ai lu, j'ai pensé à la boulimie, mais je suis sans doute passé à côté.

Une chose m'a plu : "quelque chose d'à jamais échappé"
J'aime bien ce "d'à jamais", ce genre de petites particularités discrètes qui donnent du corps à une écriture.

   Corto   
12/1/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Voici une nouvelle sur un curieux sujet.
Malheureusement l'écriture n'est pas toujours habile avec des phrases où l'on finit pas se demander qui est le sujet comme ici: "La tarte a totalement disparu maintenant pendant que sa faim la prend et la déracine et l'arrache, lui rendant une certitude". Une meilleure rédaction aurait permis d'éviter cet écueil.
D'autres phrases pourraient aussi être retravaillées pour mieux préciser les visions: ainsi on est dans la nuit et tout de suite après les oiseaux "par centaines, filent dans l'azur". Quelle cohérence ?
On peut penser à une crise de boulimie fantasmée avec cette phrase: "Pourtant, si une force demeure, c'est son corps qui lui fournit : à l'instant, quelque chose lui fouraille les entrailles et lui donne envie de hurler".
Comme quoi il y a bien une énigme dans ce texte.
A vous relire.

   Brume   
13/1/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Canuelle,

Curieuse expression: " quelque chose d'à jamais échappé "

Poème...oup's erreur....nouvelle étrange et assez sombre. Les hallucinations d'Enza provoquées par la faim entraînent le lecteur dans un monde surréaliste. C'est une façon assez originale de parler d'une pathologie, est-ce l'anorexie ou la boulimie? Peu importe.

La souffrance d'Enza, son envie de mort, ses sensations, sont exprimées par des mots forts, poignants, bien choisis pour transporter l'émotion vers le lecteur. Cette phrase définie bien son esprit tourmenté:

- " La faim lui renvoie des images plates et indéfinissables qu'elle tente de chasser "

Une écriture belle et soignée qui sort des sentiers battus. Le personnage d'Enza a de la consistance, ses pensées, ses hallucinations, sa souffrance, la dessinent.

   Brume   
13/1/2019
Doublon

   hersen   
17/1/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai un très gros coup de coeur pour le dernier §.

Mais le début m'a laissée perplexe, en ce sens que je ne sais pas trop si l'auteur a franchement un but. je trouve ce début trop lourd pour amener cette excellente fin, qui me semble (très subjectif) la vraie nouvelle.

merci de cette lecture !

   in-flight   
21/2/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Le lecteur que je suis a faim de sens... S'il faut y voir un thème, je parlerais alors de troubles alimentaires qui mènent à des hallucinations. Plutôt l'anorexie: la tarte s'envole comme l'envie de manger disparait dans les airs et Enza semble vouloir connaitre le ciel pour y monter plus rapidement.
Finalement, c'est en écrivant ces lignes que votre texte m'intéresse. Là juste maintenant! Mais ça y est mon esprit s'est envolé par la fenêtre.

   Anonyme   
27/2/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte ambitieux dans sa conception et sa réalisation.
Avec ce genre de format très court il y a souvent un risque de voir la narration tourner rapidement à vide, mais vous avez su l'éviter avec brio.

   Vincente   
18/3/2019
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai senti une envie énorme de s'attaquer à ce besoin qui déborde bien avant d'avoir rassasié.
Je me fonds à dessein dans le registre du texte, j'y ai l'esprit avivé par la recherche des bons mots, des bonnes formulations. Mais est-ce à cause de l'irrépressible sensation ou à cause de quelques éparpillements de la pensée qui a voulu s'en emparer, je ne sais ? J'ai été déçu par la première partie, seuls les deux derniers paragraphes m'ont touché. La prégnance de la faim au début part un peu dans tout les sens, à l'instar de cette jolie images égarée "la tarte s'envole par la fenêtre ouverte sur la nuit pour retrouver les nuages et s'y engloutir".

L'approche du sujet, par ce biais surréaliste, est très intéressante, le regard sur l'évanescence de l'injonction que produit la faim est une cible qui s'est dérobée un peu trop dans votre expression. L'ambition ici pour moi n'a pas trouvé sa maîtresse. Il n'en reste pas moins que si la forme s'est un peu égarée, le regard lui est impertinemment pertinent.


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