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Science-fiction
CBerger : Maintenant, tu ouvres les yeux...
 Publié le 24/05/16  -  2 commentaires  -  22364 caractères  -  61 lectures    Autres textes du même auteur

Elle allait passer à l’attaque, quand un violent atémi du pied la cueillit en plein abdomen. Le souffle coupé, la jeune combattante se réceptionna douloureusement sur les fesses. Elle roula juste à temps sur le côté pour éviter de se faire décapiter par la lame du katana qui vint se planter dans la paille du tatami, à deux millimètres de l’endroit où s’était trouvée sa tête. Elle n’eut que le temps de se relever qu’un tranchant de la main s’abattit dans son dos.


Maintenant, tu ouvres les yeux...


Elle allait passer à l’attaque, quand un violent atémi du pied la cueillit en plein abdomen.

Le souffle coupé, la jeune combattante se réceptionna douloureusement sur les fesses. Elle roula juste à temps sur le côté pour éviter de se faire décapiter par la lame du katana qui vint se planter dans la paille du tatami, à deux millimètres de l’endroit où s’était trouvée sa tête. Elle n’eut que le temps de se relever qu’un tranchant de la main s’abattit dans son dos.

Depuis le début du combat, elle savait qu’elle faisait trop d’erreurs. Ses ripostes maladroites et ses tentatives de défenses ridicules la fatiguaient trop. Elle esquiva encore quelques attaques avant d’être déséquilibrée. Son dos percuta le sol et la jeune fille sentit qu’elle ne pourrait pas éviter la prochaine attaque.

La lame de son adversaire vrilla au-dessus d’elle. La jeune fille ferma les yeux. Son cœur cognait violemment dans sa poitrine et ses vêtements trempés de sueur comprimaient sa peau.

Elle était soulagée que cela soit bientôt terminé.

La pointe du sabre lui piqua la pomme d’Adam.

Elle déglutit.


− Qu’est-ce qu’il t’arrive aujourd’hui, Pink ? Tu n’es pas du tout concentrée !


La jeune fille ouvrit les yeux. Elle soupira et repoussa la lame du katana avec agacement. En face d’elle, le jeune homme jouait à faire chuinter son arme dans le vide.


− J’en reviens pas que tu te sois fait désarmer aussi facilement ! Journée historique : Aylan bat Pink à plate couture ! Je devrais inscrire ça quelque part !


La combattante marmonna quelque chose avec une grimace, puis se releva en se massant les fesses. Elle ignora les fanfaronnades du jeune homme et entreprit aussitôt quelques étirements durant lesquels elle fit preuve d’une souplesse étonnante. Sa longue tresse de cheveux roses se balançait dans son dos, épousant une taille fine et musclée.

Enfin, elle s’assit sur les nattes de paille du tatami pour étirer ses adducteurs et Aylan l’imita consciencieusement. Tous deux paraissaient très jeunes à cause de leur petite taille, mais ils avaient déjà plus de seize ans. L’intensité des exercices physiques auxquels ils s’exerçaient depuis leur enfance avait perturbé leur croissance.


− C’est la mission de demain qui te met dans cet état ?


La jeune fille saisit ses pieds, et son front vint se poser sur ses jambes tendues. Elle inspira profondément avant de répondre :


− C’est moi qui ne comprends pas comment tu peux être aussi détendu.

− Tu te fais trop de bile, Pink ! Ça fait des années qu’on s’entraîne. On n’a jamais été si bien préparés. Demain soir se passera exactement comme prévu.

− Tu ferais mieux de rester sur tes gardes. Rien n’est encore joué.


Pink se releva et le jeune homme soupira en faisant craquer quelques articulations.


− Peut-être mais en tout cas, c’est pas moi qui viens de me faire étaler.


Pink fit mine de lui donner un coup de pied quand la sonnerie du rassemblement retentit.


− On dirait que le Maître va faire son discours. On ferait mieux de se dépêcher !


Dans la grande salle de réfectoire, des centaines de jeunes gens, habillés de la même combinaison grise, étaient déjà regroupés. Certains n’avaient pas dix ans. Tous attendaient avec impatience que l’homme en rouge juché sur une estrade prenne la parole. Il était le Maître, leur père à tous.


− Mes enfants, demain sera le jour que nous attendons depuis plus de quinze ans. Demain ne sera pas l’épreuve la plus difficile à laquelle nous ayons fait face, ni la plus grande opération à laquelle notre communauté ait été confrontée.


Il marqua une pause pour être certain de capter l’attention de son public.


− Demain sera l’avènement de notre combat pour la liberté ! Tous ces efforts, toutes les actions menées à bien jusqu’à ce jour dans le seul but de libérer cet État de son tyran, seront enfin récompensés ! Nous, les résistants, allons enfin sortir de l’ombre. Nous, les héros du peuple, allons renverser ce gouvernement répressif et révéler l’infamie et les pratiques du dirigeant de ce pays !


Pink sentait que la foule s’échauffait. Le Maître possédait un tel charisme, que chacun de ses mots provoquaient en elle des frissonnements. À ses côtés, Aylan frétillait d’excitation.


− Vous, orphelins dont les parents résistants ont lâchement été assassinés par celui qui a pris le pouvoir par la force et s’est nommé président, je vous ai sauvés ! Rejetés et condamnés à mort alors que vous n’étiez que des nourrissons, je vous ai offert la chance de changer votre destin ! Toutes ces années d’entraînement, ainsi que la mort en mission de vos frères et sœurs pour la défense de nos droits, ne seront pas vaines. Demain est notre chance de reprendre le contrôle de nos vies et de libérer nos concitoyens opprimés ! Jeunes gens, vous êtes l’avenir de ce pays ! Vous êtes la flamme de la liberté et je suis fier de vivre et de combattre à vos côtés !


Le Maître leva les mains au ciel, geste qui fut accompagné d’une série d’applaudissements.


− Demain, le tyran qui fait régner la terreur à la surface ne sera plus. Demain, le peuple n’aura plus peur ! Demain, nous, résistants, apparaîtrons au grand jour ! Demain sera la naissance d’un nouveau monde, un monde meilleur et libre !


Des hurlements s’élevèrent. Aylan siffla et s’égosilla tandis que Pink observait le leader quitter son piédestal et se mêler à la foule. La jeune combattante était pensive. Demain, la mission qui leur avait été confiée ne devrait pas échouer, sous peine d’annihiler tous les efforts de leurs camarades. La troupe d’élite dont elle faisait partie avec Aylan devrait réussir coûte que coûte à infiltrer le Central.


− Demain soir, tout sera différent, murmura-t-elle en lissant sa tresse de cheveux roses.


− Pink, tu dors ?

− Non.

− Moi non plus. Je n’y arrive pas.

− Je croyais que tu n’avais pas peur.

− Je n’ai pas peur ! Je me mets juste à… réfléchir.

− Réfléchir ! Ça m’étonne de toi.

− Arrête, je plaisante pas…

− Tant qu’on suit le plan, tout ira bien. Tu l’as toi-même dit : on n’a jamais été si bien préparés. Maintenant dors.

− … Tu sais, j’espère qu’on le verra tous les deux, ce nouveau monde. Tu imagines ? Pouvoir enfin vivre à la surface ?

− Pas vraiment.

− Depuis qu’on est gosses, on rêve de ce jour. Tu te souviens ? Tu disais que tu voulais voir les oiseaux voler, et moi sentir le vent sur ma peau. Ici, il n’y a que des courants d’air puants. J’aimerais tellement sentir encore le vent… et le soleil ! Ah, le soleil ! On aura plus à se cacher sous terre, à souffrir de la chaleur et à craindre les éboulements. Grâce au Maître, on a enfin une chance de réaliser notre rêve.

− …

− Tu sais, je n’arrête pas de penser qu’on aurait pu y passer des centaines de fois. Tu te souviens de la fois où on avait manqué d’être capturés par les drones ? C’était notre troisième opération en surface. On avait quoi, onze ans ? On a vraiment eu chaud ! Tu as dû me porter parce que j’avais été touché à la jambe, tout en essayant de semer les robots pendant plusieurs jours dans les égouts afin de les éloigner de la base. J’ai cru que j’allais bouffer du rat jusqu’à la fin de ma vie !


Aylan émit un rire ironique mais Pink demeura silencieuse. Il se tourna sur sa couchette pour apercevoir son visage mais ne distinguait rien dans la pénombre.


− Ça te fait peur toi… la mort ?

− Non. On a été formés pour ne pas laisser nos sentiments menacer notre survie et celle de nos camarades, je te rappelle. Si tu ne peux pas contrôler tes émotions, tu es fini et tu mets la mission en péril. Je n’ai pas peur de mourir. Je sais ce que j’ai à faire.

− Mais moi non plus je n’ai pas peur ! C’était juste une question ! Je dis juste que… je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose et que je ferai en sorte que tu réussisses, par tous les moyens.

− …

− Pink ?

− Oui.

− Je peux venir dormir à côté de toi.

− Pff ! Bon… si tu veux.

− Nan, je déconne.


Les bombes avaient éclaté à différents endroits de la ville.

Tout se passait selon le plan. Bientôt, l’équipe de Pink atteindrait le Central.

Son équipe avait déjà parcouru plusieurs kilomètres dans les canalisations avant d’arriver à la surface. Lorsqu’ils en émergèrent, la troupe d’élite n’était pas loin de l’imposant bâtiment noir. On pouvait voir au loin d’épaisses fumées noires et rouges. L’odeur âcre de brûlé leur piquait les narines et la gorge.

Grâce à son oreillette, Pink pouvait entendre les autres équipes sur le terrain et suivre l’évolution des combats. Plusieurs unités s’étaient laissé surprendre par les robots. Mais tant que la panique régnait à cause des explosions, ils avaient une chance de s’en sortir.

Pink s’infiltra dans les conduits d’aération condamnés du bâtiment, que sa propre équipe avait déblayés pendant deux ans. Aylan rampait derrière elle en suivant les données de son radar, surveillant les présences ennemies.


− C’est mauvais, Pink. Ils ont renforcé l’étage du dessus.

− Combien ?

− Une quinzaine d’hommes… et environ trente robots.


Le visage du jeune homme se crispa. Ils n’avaient pas prévu autant de robots.

Aylan semblait désemparé. Ils n’étaient que dix, et bien que surentraînés, c’était une mission suicide. Pink ne voulait pas qu’il remarque aussi son trouble et tourna la tête. Était-ce de la peur, cette sensation dans son ventre qui s’amplifiait ? Elle savait que les membres de l’équipe devaient être rassurés. Alors, même si ses propres mains étaient agitées de tremblements, elle inspira profondément et lança d’une voix forte :


− Nous n’abandonnerons pas nos camarades ! On avance !


Pink trancha quatre robots d’un coup tandis qu’Aylan se démenait aux prises avec deux hommes. Les armes à feu des gardes avaient été court-circuitées grâce à une petite bombe à énergie. Mais trois des leurs avaient déjà été tués.

C’était au katana que les résistants et leurs adversaires combattaient à présent. Le chuintement et le choc des lames étaient assourdissants. Chair ou ferraille, Pink ne savait plus ce qu’elle tranchait de son sabre. À la moindre ouverture, au moindre faux mouvement, elle serait morte. Mais la sensation dans son estomac était toujours présente et elle ne pouvait cesser de chercher Aylan des yeux.

Il lui semblait que les membres de son équipe tombaient les uns après les autres. Elle redoutait de voir son ami être le suivant.

Ils ne viendraient jamais à bout de leurs ennemis.

Soudain, un adversaire la blessa au niveau de la hanche. La douleur lui fit perdre sa concentration durant quelques secondes, mais ce fut suffisant pour qu’un robot profite de l’ouverture et la désarme.

La jeune fille ferma les yeux, comme à l’entraînement. Elle imaginait le métal glacial transpercer sa poitrine et se demandait si elle aurait mal.

Mais le coup ne vint pas. Aylan s’était jeté devant elle et avait paré l’attaque mortelle. Il repoussa plusieurs adversaires, en tua deux sur le coup. Pink fut soulagée de le voir en vie, avant de remarquer que son bras gauche au niveau du coude avait été totalement tranché. Il perdait beaucoup de sang. Trop de sang.

Pink se sentit prise de vertiges. Cette sensation, elle la reconnaissait. C’était la même que pendant la traque des égouts. C’était bien de la peur. Aylan ne pouvait pas mourir. Aylan ne devait pas mourir.


− Pink ! Relève-toi Pink ! Écoute-moi, on en verra jamais la fin. Tout le monde est mort ! Pink, tu m’écoutes ?


Il repoussa de nouveau deux attaques de robot simultanées. La jeune fille remarqua alors les corps qui jonchaient le sol autour d’elle : des visages d’enfants et d’adolescents figés dans une expression de terreur, des camarades avec qui elle avait tout partagé. Son cœur s’arrêta. C’était bien la fin. Ils allaient mourir tous les deux. Elle avait très peur à présent.


− Pink ! Il faut mener à bien la mission ! Je vais m’occuper de ceux qui restent, toi tu vas là où tu dois aller. Tu m’entends, Pink ?

− M… mais…

− Pas de mais ! Ressaisis-toi bon sang ! Dégage ! Cours le plus loin possible pendant que je les contiens.

− Im… imbécile ! Ils sont trop nombreux pour toi !

− Pas avec ça.


De son bras atrophié, il désigna les grenades fixées dans son dos. Pink ne put réprimer un hoquet. Aylan profita d’une ouverture pour décapiter l’un de ses attaquants.


− Je vais mourir de toute façon, Pink. Tu le sais. Toi, tu dois vivre ! Tu peux encore le faire ! On avait dit pas de sentiment ! Accomplis la mission pour les autres, pour moi ! Allez, va-t’en maintenant !


Pink sentit les larmes lui monter aux yeux. Aylan continuait à lui hurler de s’enfuir mais elle demeurait comme clouée sur place. Les ennemis se jetaient sur Aylan les uns après les autres sans répit. Elle ne pouvait plus rien faire. Reprenant ses esprits après qu’un robot désarticulé fut tombé à côté d’elle, Pink se leva en tremblant et se mit à courir dans un couloir sans se retourner.

Le souffle de l’explosion la projeta à terre, brûlant sa chair et ses cheveux. Lorsque les derniers fragments de la bombe retombèrent en poussière, elle se mit à hurler. Le cuir de sa combinaison avait fondu sur sa peau calcinée, et la douleur était si insupportable qu’elle s’évanouit plusieurs fois avant de pouvoir se relever. Elle devait le faire. Elle devait réussir pour Aylan, même si chaque pas lui infligeait d’atroces souffrances.

Aylan était mort. Elle n’arrivait pas à y croire. C’était un cauchemar.

Sans lui, ses rêves n’avaient plus de sens. C’était avec lui qu’elle voulait sentir le vent de la surface sur son visage et regarder les oiseaux. Ils n’avaient jamais été séparés ; il était son meilleur ami, son frère. L’image de son visage déformé par la peur et la fureur lui brisait le cœur. Pink ne put contenir plus longtemps son chagrin et se laissa glisser contre un mur.

Elle n’avait rien pu lui dire à ce moment-là. Elle aurait voulu lui dire tant de choses. Il se serait moqué, comme toujours. Aylan ne pouvait pas rester sérieux plus de deux minutes.

Pour son frère, elle devait aller jusqu’au bout de la mission. Elle lui en avait fait la promesse.

Pink ravala ses larmes et sortit le poignard qu’elle logeait contre sa poitrine. En cas de capture par l’ennemi, il lui servirait à se donner une mort rapide. Tous les résistants en cachaient un dans leur combinaison et avaient appris le geste de s’ouvrir le ventre de gauche à droite. À présent, ce couteau était la seule arme qu’elle possédait.

Aylan n’était pas mort pour rien. Pink allait terminer la mission comme convenu.


Assis derrière son bureau, les mains jointes en une sorte de prière, un homme élégant observait la jeune fille aux cheveux roses s’avancer dans sa direction, enjambant les corps sans vie des deux agents de sécurité qu’elle venait de neutraliser.

Pink nota que l’homme paraissait fatigué. Il était plus vieux que la représentation qu’on en faisait sur les affiches de propagande. Mais c’était bien lui, le tyran. Ce visage carré, ce menton proéminent, et ce regard insaisissable : pas de doute.

L’homme fut le premier à parler :


− Je suis très surpris que vous soyez arrivée jusqu’ici. Il s’agit tout de même de l’un des bâtiments les plus sécurisés du pays. Vous vous êtes bien… préparés.

− Vous êtes le président ?

− C’est bien moi. Et ta mission jeune fille est de me tuer, n’est-ce-pas ? Après ma mort, l’État sera déstabilisé et vous autres révolutionnaires pourrez en profiter pour placer votre dirigeant au pouvoir.

− Oui, pour que le peuple soit enfin délivré de votre oppression.

− Mon oppression ?

− Je sais que vous avez profité d’un coup d’État pour prendre le pouvoir, puis avez fermé les frontières et instauré un climat de terreur afin de garder le contrôle de la population. Vous nous avez persécutés, nous les résistants, pendant des années sans répit et avez assassiné nombre de nos frères et sœurs.

− C’est ce qu’on t’a donc raconté… Je vois. C’est très intéressant. Il est très malin… Dis-moi, quel âge as-tu ?


Pink était agacée par le calme du vieil homme. Elle pensait à le tuer rapidement, avant que d’autres gardes n’arrivent en renfort.


− Laisse-moi te raconter une histoire, jeune fille aux cheveux roses. Celle de deux hommes, deux amis qui se sont engagés en politique car ils nourrissaient le même rêve de voir ce pays évoluer. Ça t’intéresse ?


Sans réponse, il continua.


− Cependant, les deux hommes ne partageaient pas exactement la même vision des choses. L’un jugeait le gouvernement de l’époque trop restrictif, trop archaïque, tandis que l’autre ne le jugeait pas assez impliqué, attiré surtout par le pouvoir que la présidence lui procurerait. À la fin du mandat de l’ancien président, le peuple choisit le chemin de la modernité et élut le premier candidat : moi. Quant à mon ami, il s’agit de l’homme qui vous dirige actuellement et que vous appelez le Maître…


Pink ne réagit pas.


− Et puis la jalousie et le succès de ma politique ont noirci son cœur. Sais-tu à quel point les hommes ont du mal à renoncer au pouvoir ? Des années plus tard, mon ami tenta plusieurs attentats contre ma personne et contre les symboles de ce pays qui tuèrent de nombreux civils innocents. Cela m’obligea à renforcer la sécurité de l’État par des mesures malheureusement privatives pour le peuple, qui cependant reconnaissait leur nécessité. Le couvre-feu fut voté démocratiquement, tout comme les contrôles de frontières et l’espionnage de la population afin de débusquer ceux qui renseigneraient les terroristes. Des enfants, certains nouveaux nés, disparurent chaque année depuis les premiers attentats. La population était apeurée. On retrouvait les parents sauvagement assassinés et je savais que le Maître avait dans l’idée de développer une armée sous la surface. Et il a parfaitement réussi. J’ai retourné le sol sans succès. Les attentats continuèrent, de plus en plus violents, et je n’ai jamais pu mettre la main sur autre chose que des enfants kamikazes, refusant de révéler leur cachette souterraine. De parfaits petits soldats. Si j’ai dû pratiquer la torture sur certains d’entre eux, sache que je ne le faisais pas de mon plein gré. Je n’avais pas le choix. Les idéaux étaient si proprement imprimés dans leurs têtes qu’il s’est avéré impossible de les ramener à la raison, et je devais penser à protéger mes citoyens. Tu comprends ?


Pink observait le vieil homme avec attention.


− Les actions de vous autres rebelles ont transformé ce pays en un pays de méfiance et de violence, à cause d’un mégalomane entêté. C’est lui qui m’a obligé à prendre ces mesures. Pendant plus de quinze ans, il a ruiné une politique moderne, altruiste, et pacifique, et aujourd’hui il va réussir son grand dessein, grâce à toi.


Les sourcils du président se froncèrent et ses yeux devinrent graves.


− Alors, êtes-vous satisfaite de votre travail mademoiselle ?


Pink se tut. La poigne sur son couteau se resserra.


− Vous mentez.

− Je sais qu’il te sera impossible de renoncer à ton objectif, tu es un brave petit soldat toi aussi, mais je suis curieux : ça te fait quoi, d’entendre une version différente de l’histoire ?


Pink sentit une chaleur monter jusqu’à son visage.


− Vous êtes un menteur ! Et je vais aujourd’hui libérer le peuple !

− Je suis fatigué de cette guerre, jeune fille. Je suis fatigué de lutter. N’es-tu pas fatiguée ? Tu diras à ton Maître qu’il a gagné. Tu verras par toi-même, après que tu m’auras planté ce couteau dans la gorge, que le monde qu’il t’a promis était un mensonge. Et là, tu repenseras à mes paroles. Tiens, si tu veux plus de preuves, j’ai des documents en ma possession auxquels tu peux jeter un œil.


Un dossier tomba aux pieds de Pink. Le vieil homme avait l’air si sûr de lui qu’un doute s’infiltra dans les pensées de la jeune fille. Non, ce n’était pas possible. Il mentait. Elle avait passé sa vie à lutter contre le tyran. Elle avait été entraînée depuis son plus jeune âge afin de devenir une combattante parfaite, pour la liberté du peuple de la surface et pour celle de la communauté résistante souterraine. Elle n’avait pas passé seize ans de sa vie dans un mensonge, auprès d’un homme qu’elle considérait comme son père. Ses camarades ne s’étaient pas battus pour rien. Aylan n’était pas mort pour rien.

Pourtant, Pink se baissa, résistant à l’envie de hurler de douleur quand la peau à vif dans son dos fut tirée par le mouvement de sa combinaison. Des comptes rendus d’attentats glissèrent entre ses doigts. Elle se souvenait avoir organisé ou participé à certains d’entre eux, mais d’autres avait été commis bien avant sa naissance. Cela ne prouvait rien.

Puis ses mains se mirent à trembler lorsqu’elle découvrit des clichés d’hommes et de femmes, tous retrouvés égorgés chez eux. À côté figurait un rapport d’enquête et la photo d’un enfant disparu.

Son cœur émit un soubresaut lorsqu’elle reconnut le petit garçon de quelques années sur l’un des clichés. Impossible.

Puis elle tomba sur la photo d’une petite fille aux cheveux roses et sa respiration cessa. La photo suivante montrait une femme portant les mêmes particularités physiques, étendue sur le dos, dans ce qui semblait être une cuisine. Les doigts de Pink effleurèrent l’image et se posèrent sur la blessure de la femme. Cette façon de tuer, elle la connaissait parfaitement. Elle l’avait apprise et en avait fait usage de nombreuses fois. Un coup dans la pomme d’Adam, puis une entaille propre et nette.

Tout cela était une machination. Tout cela était un mensonge.

Le sol se mit à vaciller et elle régurgita sans pouvoir se contrôler.

Qui mentait ? Qui pouvait-elle croire ?

La jeune fille sentit un gouffre énorme s’emparer d’elle.

Le vieil homme l’observait avec curiosité. Il était à sa merci, mais elle ne savait plus si elle devait le tuer ou non.

Si elle ne le faisait pas, ses amis avaient péri pour rien et elle remettait en question son rêve, sa raison de vivre. Si elle le faisait…

Elle pensa à Aylan et des larmes se mirent à couler le long de ses joues.

En pleurant, elle leva le poignard.


 
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   Anonyme   
4/5/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Cela me surprend toujours, un récit futuriste où les gens se battent à l'arme blanche, mais je sais que ça se fait beaucoup.

La bonne surprise de ce texte, pour moi, vient du dilemme politique exposé à la fin : la démocratie se perd-elle en répondant à la violence par la violence ? Question ô combien d'actualité. J'apprécie que le texte ne donne pas vraiment de réponse, et j'aime bien la conclusion désespérante de la fin. No future !

Une histoire intéressante, qui pourrait selon moi être développée pour exposer de manière plus complète la vie dans les souterrains, les conditions à la surface, etc. La réflexion qui la sous-tend le permettrait aisément, je trouve. Tel quel, le texte est un peu rapide à mon goût pour son propos.

   Shepard   
24/5/2016
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour,

A mon avis, le problème avec ce type d'histoire c'est que ça ne colle pas trop au format, tout se trouve à peine survolé et manque alors de crédibilité. Pourquoi envoyer des enfants de dix ans en première ligne (ça n'a pas l'air de choquer quand monde ?) Pour trouver des opposants à un régime totalitaire il est inutile de faire le tour des écoles primaires... Le comportement des personnages est alors surprenant (j'ai du mal à croire qu'un enfant soldat puisse vivre de façon si 'légère' en ne finissant pas totalement insensibilisé).

Bon je comprend que d'une certaine façon, c'est un type d'histoire à part entière (ça ressemble typiquement à certains mangas), mais du coup, je pense que ça ne se prête pas vraiment à ce type d'écriture (il manque l'esthétisme et le visuel qui fait l’intérêt de ce type d'histoire). Je prends pour exemple les scènes de combat qui manque de sel :

"Pink trancha quatre robots d’un coup" -> Soit elle a un très, très, grand sabre, soit c'est très expédié par l'auteur.

La fin est un peu expéditive également... Finalement le méchant n'est pas celui-ci mais l'autre. Un tel retournement aurait mérité un peu plus de préparation : comment le 'tyran' sait qui va venir le chercher pour préparer un dossier complet sur l'assassin et lui présenter ? Si il sait, pourquoi ne pas tendre un piège ?

Une trame qui mériterait d'être plus exploitée à mon avis.

Dans l'ensemble, je n'ai pas vraiment accroché à cette histoire, désolé.


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