Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Réalisme/Historique
CharlesH : Voyage dans les Rocheuses
 Publié le 27/06/15  -  6 commentaires  -  8619 caractères  -  60 lectures    Autres textes du même auteur

Une balade entre des colosses millénaires intimide celui qui se laisse emporter par le spectacle. Le voyage en plein cœur de l'espace-temps relativise l'existence même de celui qui s'y aventure.


Voyage dans les Rocheuses


Lorsqu’on vient de la plaine, les sommets acérés sidèrent. Il est impossible de réprimer le vertige naissant des saillies sinueuses. Même les corniches s'accrochent aux ravins périlleux. Pour comprendre, il faut voir ces pics enneigés rivaliser avec les nuages qui envahissent un ciel infini pendant que leurs pieds se perdent dans des rivières glacières microscopiques. Ici, seuls ces sommets, qui émanent du déchirement de la terre, arrivent à contenir l'horizon. Curieusement, ces montagnes majestueuses révèlent aussi la fragilité de notre monde : mince croûte de quelques kilomètres qui contient le feu de la vie au cœur d'une terre qui s’éteint. Petit à petit, cet âtre se transforme en pierre, un cillement éphémère, prélude à la fin de toute vie.

Rien n'y paraît pour la file de touristes qui fourmille sous le soleil. En soulevant de trois mille mètres les fonds marins, il y a 80 millions d’années, ces montagnes géantes lacérèrent le ciel de leurs arêtes. Immuables à nos yeux, ces montagnes continuent leurs poussées viscérales en se moquant de notre temps. Un équilibre qui pourrait à tout instant anéantir notre monde, mais qui au contraire le conserve, l’entretien et l’embellit de contrastes nuancés. Ce paysage, qui pendant des millénaires s'est raffiné, est là devant nous, prêt à être cueilli, tout en restant insaisissable.

De ma voiture, j’admire le décor qui défile, pendant que ma bien-aimée s’est assoupie à mes côtés. La perfection de la scène est entrecoupée des regards dérobés que je lui lance entre chaque courbe, épiant son innocente sérénité. Je découvre des cols abrupts comme un voyeur obsédé de splendeur. Emporté à la fois par les millénaires qui m’ont amené ici et le sentiment de vivre l'absolu moment présent, je me laisse rêver. Mes idées vagabondent, flottent au-dessus des vallées, frôlent les précipices et reviennent me hanter. Pendant que la route se faufile entre les gouffres, chaque courbe, chaque ravin et le paysage infini qui se livre à moi m'hypnotisent, m'invitent et je me laisse avaler. L'euphorie du vide éternel m'enivre et m'effraie, car ce vide dérobe tout à quiconque s'en approche, tout en restant toujours aussi vide. Il a le pouvoir de tout arrêter, de faire disparaître et pourtant il est là, devant moi, inerte et insensible. Pendant des milliers d’années, ce vide a perfectionné l'art de la séduction en peaufinant la toile qu’il nous peint. Ce piège subtil, tendu aux avaleurs d’univers, jouisseurs de silence et obsédés du présent, est à cent lieues de l'ennui de la plaine. Ici, les sens convergent, confondant le grand et le petit, la mort et la vie. L'ampleur efface la peur et chaque virage menace la vie, qui défie l’infini. Mes battements de cœur s’accélèrent, mais le calme revient. Le temps reprend son rythme pendant que les kilomètres filent. Les secondes s’acharnent à ancrer des plans dans une mémoire qui s'efface dans le temps.

Enivré d’absolu, aspiré par la perfection de l'abîme, je me surprends à considérer l'instant où tout pourrait s’arrêter. Elle, assoupie, n’entend pas mon cœur se débattre. Elle ne peut se douter du danger que cache chaque précipice. Mais quel danger ? À mille mètres d'altitude, il n’y a pas de risque de blessures. Si tout s’arrête violemment, sans douleur, la fin n'est-elle pas heureuse ? Une autre gorge prête à nous avaler, mais tout tient encore sur cette route qui ne cesse de se dérober. Si je profitais de son sommeil pour satisfaire ma curiosité, Dieu me pardonnerait-il ? À lui seul revient de décider de notre sort. Dans les faits, il s’agit plus de l’heure et de douleur que de sort. À quoi bon vivre cent ans d’ennui pour finir inconscient dans la maladie, alors que l’excitation ultime peut concentrer toutes les émotions : peur, amour, envie et angoisse qui se nouent et s’emmêlent dans une seconde d'extase ? Il n’y a qu’un moyen de savoir. Mais pourquoi l’entraîner, elle, dans la mort ? Y a-t-il d’autres options ? Je suis sûr que si je faisais le grand saut seul, elle serait déchirée, car à l’inverse, je le serais aussi. Il n’y a rien à comprendre à l’amour, sauf que ce lien invisible, une fois scindé, ne cicatrise jamais. Cette insupportable séquelle me perdrait alors que le grand saut nous unirait à jamais. Sans enfants, ni attaches autres que celles de ceux qui savent oublier, le temps nous transformera vite en souvenirs immatériels.

J’attends le bon moment et un lieu sûr, sûr de ne pas rater. Nous y voilà, juste devant, au pied d’une pente, la courbe non protégée nous appelle. Il ne faut pas hésiter. J’accélère doucement pour ne pas l’éveiller. Plus que cent mètres. Nous traversons la voie, les roues grondent sur le gravier, puis le silence envahit. J’entends mon sang pomper dans mes tempes. Mes mains moites serrent le volant de toute leur force, comme s’il était possible de prendre le contrôle de la vie qu’il nous reste. Pour un moment, je ne suis plus certain si l’éden est devant ou derrière, et soudain, un cri émerge du silence assourdissant. Je l’entends et me tourne. Je vois dans ses yeux qu’elle croit d’abord que nous avons frappé le garde-fou ou un animal, mais rapidement elle prend conscience et son regard change. Ses larmes s’échappent, mêlées d’incompréhension, d’inquiétude et de crainte. Devant mon calme, elle se ressaisit et croit rêver, mais la chute dure et dévoile le profond destin du ravin. Après le son du moteur, l’accélération, le gravier, les cris et les pleurs c’est à nouveau le silence. En réponse au réveil brutal, un trop-plein d’informations l’inonde et la fige.

Moi, je m’attendais à voir ma vie défiler devant mes yeux, de revivre mon passé en une fraction de seconde, mais non. Tout s’arrête. Le temps trop court qu’il nous reste s’est mis à perdre le fil et s’étire sans compter. Calmement, les souvenirs de ma famille et d'amis émergent du silence et se dissipent, nous laissant suspendus seuls dans l’espace.

Un unique regard permet de tout expliquer, de fournir les raisons et de lui faire comprendre. Est-ce l’intensité du moment qui concentre l’énergie nécessaire pour que nos esprits communient, ou est-ce l'œil qui arrive à scruter l'âme ? Pendant des heures je me perds dans le noir de ses pupilles et je ne vois plus ni ravin, ni voiture, ni famille. Tout a disparu. Est-ce déjà la fin ? Pas encore, lorsque j'émerge de ses pupilles, c'est pour me perdre dans une de ses larmes qui descendent sur sa joue et dissolvent sa tristesse. Elle a compris qu’il n’y a pas d’issues et qu’il ne peut plus être autrement. Nous partageons alors ce moment qui dépasse les discours. Nous flottons côte à côte parmi ces montagnes millénaires, spectateurs d’une parcelle du Big Bang qui nous échappe à la vitesse de la lumière. Tout petits dans cette folie, nous attendons l’abîme, mais qu’advient-il de notre chute ? Mille mètres, à 120 km/heure, ne devraient pas prendre plus qu’une dizaine de secondes, mais le pare-brise révèle un vide sans fond. Les secondes s’étirent en heures, en semaines. Je me rappelle tous les bons moments passés ensemble, assis, main dans la main, devant le film de notre vie. Je sens la moiteur de sa paume, mais aucune nervosité. Nos cœurs battent à l’unisson et une étrange sensation de ne plus faire partie de la vie nous envahit. Mes yeux s’ouvrent sur le reste du trajet avant le couperet, alors que le temps est à l’arrêt. Mon cerveau est-il en train de se vider sans que je puisse résister ? À son rythme familier, cette avalanche d'images durerait des années, et me donne l’impression que des jours se sont écoulés. Pourtant, la veille, chaque minute respectait la précédente dans un univers si prévisible. Aujourd’hui, alors qu’il ne nous reste rien, nous nous retrouvons suspendus dans le temps stagnant et faisons partie plus que jamais de cet univers. En ralentissant au rythme de la nature, nous redevenons poussière. En phase avec l'univers, il n’y a plus de barrières. Nos particules se fondent avec celles de la pierre et les molécules exercent entre elles leur attraction élémentaire. La disparition du temps libère notre matière prisonnière. Nous reprenons enfin notre place dans un monde qui évolue sans raison ni remords. Tous les filtres du savoir sont levés, les tabous ridicules sont tombés et les obligations sont effacées alors que les convictions erronées et l’intolérance ont perdu toute valeur entre ciel et terre.

Devant ma vie qui achève, des remords viennent encore me hanter. Je sens dans ma main sa peau délicate comme du papier, prête à déchirer. Suspendus entre enfer et paradis, mes derniers souvenirs éblouissent le néant de l’univers qui éclate en silence.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   hersen   
11/6/2015
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Cette façon de débuter la nouvelle par une petite "leçon" de géologie est bien vue : nous savons déjà que le narrateur et son amie sont peu de chose au regard de l'univers. Petit à petit, nous comprenons la décision du conducteur. Qu'il prend aussi la pour son amie.
Ce calme qui recouvre tout est vraiment bien rendu, il y a une sérénité dans la décision et dans le déroulement des faits. En tant que lecteur, c'est le vivre au ralenti.
"Ici les sens convergent,confondant le grand et le petit, la mort et la vie". Expérience ultime.
Le style sert tout à fait bien l'idée et l'ambiance par sa simplicité et sa précision, ce qui en fait une lecture prenante.

   Anonyme   
27/6/2015
 a aimé ce texte 
Pas
Attention aux répétitions. Vous avez utilisé trois ou quatre fois "millénaires", ça se voit sur une nouvelle courte.
J'ai trouvé la description des montagnes au début du texte plutôt laborieuse, avec des images pas très heureuses : "(...)des rivières glacières microscopiques".
Vous avez souvent des expressions maladroites, cette phrase là par exemple : "L'euphorie du vide éternel m'enivre et m'effraie, car ce vide dérobe tout à quiconque s'en approche, tout en restant toujours aussi vide." Trois fois le mot vide pour ne pas dire grand chose au bout du compte !
Enfin pour en arriver au fond de l'histoire, la réaction du narrateur m'apparait très surprenante et pour tout dire improbable. Voilà un touriste en extase devant un paysage montagneux, qui par une curieuse alchimie de l'esprit décide soudain de se suicider, avec sa compagne pour couronner le tout. Si vous lui aviez prêté un caractère dépressif j'aurais pû à la rigueur comprendre, mais non. Cette décision fatidique s'impose à lui car il est "aspiré par la perfection de l'abîme", une révélation telle qu'il veut emporter avec lui son amour dans la mort. Sacrément égoïste le type pour décider ainsi du destin de sa compagne, un bel assassin en vérité !
S'ensuit un délire pseudo-scientifique durant la chute où se mèlent des notions fondamentales mal maitrisées ; big bang, physique quantique et relativité générale entre autres. En fait le narrateur se perd dans une vision mystique de l'univers.
Un texte à mon avis confus, discutable tant sur le thème que sur la forme.

   Mare   
5/7/2015
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
M'enfin c'est quoi cette réaction totalement bizarre ? Le conducteur s'émerveille devant la beauté des montagnes et; l'instant d'après, ça lui donne envie de se f... en l'air, sa copine avec, par dessus le marché ? A sa place, quitte à s'envoyer en l'air, j'aurai choisi l'autre signification de l'expression. Mais soit.

Un texte dérangeant, bien décrit. Je trouve le voyage métaphysique un peu court, cependant. Puisque vous décrivez ce qui se passe dans la tête du personnage durant la chute, j'aurai aimé en découvrir davantage. Là, je reste sur une impression de trop peu. J'avais à peine entamé la route que, déjà, elle prenait fin. Frustrant.
Le ton de la nouvelle, sérieux, un rien solennelle, est bien en phase avec le contenu. Même si je dois reconnaître que ce n'est pas ce que je préfère (j'aime la légèreté, même pour le drame), c'est approprié. Peut-être pourriez-vous allonger un peu le récit pour le rendre un peu moins dense ?

Et juste, un dernier détail (mais, là, vraiment): "Immuables à nos yeux, ces montagnes continuent leurs poussées viscérales en se moquant de notre temps." Je n'y connais pas grand chose, mais les montagnes, elles ne subissent pas un phénomène d'érosion ? C'est sûr qu'elle continue à grimper ?

Merci pour cette lecture !
Mare

   Pepito   
5/7/2015
Hello Charles H,

Forme : Oups, ça superlative à fond les gamelles.
A ce titre "vide éternel" frise le gag.
"sommets acérés sidèrent" et "saillies sinueuses" qui sifflent sur nos têtes je suppose ? ;=)
"prêt à être cueilli, tout en restant insaisissable." cueillir un paysage... là je vois pas bien.
"car ce vide..., tout en restant toujours aussi vide." ben oui, sinon c'est du plein, voir du demi-vide... de l'éponge en somme...
"menace la vie, qui défie l’infini" poil au...
"spectateurs d’une parcelle du Big Bang qui nous échappe à la vitesse de la lumière." putaingue, c'est quoi la marque de la bagnole ?
... plus loin : "120km" ouf, ça va mieux...

Fond: bon, le narrateur a découvert la montagne, c'est bien.
"Ce vide a perfectionné l'art de la séduction en peaufinant la toile qu’il nous peint." moi qui croyait que le nature n'avait pas de but, comme quoi ?
"mes derniers souvenirs éblouissent le néant de l’univers" ben dit donc, voilà un narrateur qui se mouche pas du coude...

Perso, à la place de la nana "bien aimée", je passe le reste du voyage à tartiner la tronche du débile qui me suicide sans mon consentement à grand coups de godillots. Histoire de lui apprendre à vivre !... oups !

Remarque, c'est un narrateur qui sait y faire, vu qu'il revient d'entre les morts pour nous raconter comment que la montage elle est vachement beeeeellle !

Désolé Charles, je n'ai pas été emporté par le flot. Sûrement une autre fois.

Bonne continuation.

Pepito

   AlexC   
9/7/2015
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Bonjour CharlesH,

J'aime l'idée générale qu'un homme puisse, comme envouté par les abysses, se laisser tomber dans le néant. J'aime l'idée qu'un homme puisse emporter avec lui sa belle endormie. En revanche, je n'adhère pas aux justifications du héros. Le lien amoureux, une fois scindé ne cicatrise pas ? Etre uni à jamais ? Je ne trouve pas cela crédible pour quelqu'un qui semble vivre un éveil mystique profond.

J'aurais préféré que vous appuyez son acte irrémédiable par un contexte psychologique plus étoffé. Car finalement, même si au dernier instant, il obtient, que c'est commode, l'assentiment de son aimée, il prémédite tout de même un meurtre ! Avec pour seul prétexte qu'un égoïsme extrême.

Par ailleurs, le narrateur dit que Dieu est le seul à décider de leur sort... Pourtant c’est le héros qui choisit de “satisfaire sa curiosité” et qui scelle ainsi leur destin. A moins bien sûr que Dieu ne l'ait poussé inexorablement dans cette voie macabre, niant tout libre arbitre. Je connais toutefois peu de Dieux qui tolèrent le suicide, alors l’encourager...

Enfin quelques mots sur votre lyrisme débordant. Je saisis l'envie de donner au thème une enveloppe éthérée, mais je n'apprécie que rarement vos envolées. Trop souvent, l'envie du poétique déprécie voir anéantit le sens de vos phrases. Sans compter, que cela tourne un peu autour du pot !

Quelques répétitions que l’on peut éviter dans un texte court : “courbe” “infini” “silence” “remords", entre autres.

Enfin quelques détails :

Je tique :
“il faut voir ces piques enneigés rivaliser avec les nuages qui envahissent un ciel infini pendant que leurs pieds se perdent dans des rivières glacières microscopiques"
“L’euphorie du vide éternel m’enivre et m’effraie, car ce vide dérobe tout à quiconque s’en approche, tout en restant toujours aussi vide”
“Souvenirs immatériels”
“Nous traversons la voie, les roues grondent sur le gravier, puis le silence envahit.”
“silence assourdissant”
“profond destin du ravin”
“Mille mètres, à 120km/heure, ne devrait pas prendre plus d’une dizaine de secondes.”

Je jubile :
“seuls ces sommets, qui émanent du déchirement de la terre, arrivent à contenir l’horizon”
“ses larmes (…) qui dissolvent sa tristesse"

A trop vouloir nous éblouir de la beauté du vide, vous m'avez aveuglé je le crains.

Je reste à votre disposition pour plus d'explications.
Amicalement

Alex

   carbona   
11/10/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Le début du texte n'est pas facile, une description un peu lourde et indigeste puis apparaît le narrateur, ouf !

Sympa l'idée de folie que lui donne la vision vertigineuse des montagnes, côtoyer le vide de si près lui fait perdre pied. C'est plausible.

L'ensemble du texte est cependant trop lent et trop lourd à mon goût. Même la chute dure des heures. J'ai bien compris que l'intention était volontaire, mais j'aurais aimé qu'on se déleste un peu. Pauvre narrateur, même sa chute est d'une lourdeur terrassante. Où est son salut ?

La même chose dans des mots plus simples, dans un style plus allégé et plus direct m'aurait davantage séduite.

Merci pour votre texte.


Oniris Copyright © 2007-2023