Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Sentimental/Romanesque
cherbiacuespe : Un trou dans la chaussette
 Publié le 30/11/20  -  13 commentaires  -  6211 caractères  -  89 lectures    Autres textes du même auteur

Demain l'hiver, peut-être.


Un trou dans la chaussette


Je suis couché sur la banquette du salon, je lis. C’est plutôt nul ! Comment est-il possible d’écrire des trucs aussi ennuyeux ? Mon regard dérive vers mes pieds sur l’accoudoir. Merde ! L’orteil passe à travers la chaussette gauche. La chaussette droite se marre. Dépité par tant de disgrâce, je détourne mon attention vers la fenêtre du salon. Dans la rue, les enfants jouent à grands cris. Toujours pas d’école, ça motive leur joie. Au loin, le soleil décline à toute vitesse. C’est ça l’arrivée de l’hiver. C’est froid, triste, silencieux. Et le jour se contracte.


La radio piaille à tue-tête, toujours les mêmes rengaines. Je devrais changer de station, trouver de la musique. C’est bête, mais j’ai une de ces flemmes. Pas envie de me lever. Je regarde de nouveau cette chaussette trouée. Ça va finir par m’obséder ! Comment je m’y suis pris ? C’est une paire neuve que je n’ai enfilée que ce matin ! Bof, j’en changerai demain et je ravauderai celle-ci. Pas de gaspillage, « responsabilité écologique » oblige, comme clament les médias. À la radio, une personnalité qui fantasme une élection – laquelle déjà ? – est interviewée. Le gars répond avec l’enthousiasme d’une poule qui fait face à une clef à molette. J’imagine que de surcroît, il prend un air sérieux à chacune de ses réponses.


Je bâille à m’en décrocher les mâchoires, c’est dire à quel point je vibre aux discours de ce bonimenteur. Désabusé, je reprends ma lecture. La chaussette trouée me nargue ! Ce confinement se construit petit à petit sur des trépidations familiales et ce bouquin, écrit par un type qui parle de sa vie avec un père qu’il ignorait. Parce que ce père est mort, et lui se rend compte aujourd’hui qu’il l’adorait. Trop tard pour lui dire ! Il écrit ce livre pour pleurer ses regrets. Une confession publique.


J’en ai plein le bouillon de ce livre, je le trouve nul. Ma femme me l’a conseillé. « Tu vas aimer, tu verras », m’avait-elle assuré. Oui, c’est une belle écriture, comme une longue poésie. Mais c’est nul !


— Il a eu le Goncourt ton gugusse ? dis-je à ma femme qui transpire devant la comptabilité de sa petite entreprise.

— Ben oui !

— Il a eu le Goncourt ! Je rêve ! Quand tu penses que plein d’écrivains avec des sujets plus intéressants se font régulièrement recaler, et lui…

— Ben oui !

— Ben oui ! Mais comment tu as pu arriver au bout de ce truc à dormir debout ?

— C’était à l’école, tu sais. Pas le choix. T’aimes pas ?

— Tout s’explique alors.


Je poursuis cette lecture absurde jusqu’à atteindre le point de dépression extrême qui correspond approximativement à celui de l’incompétence de Peter et à ce que je pense intimement de ce scribouillard !


— Un café, ça te dit ? demande mon épouse.

— Ça me dit.

— Deux cafés qui roulent, alors !


La chaussette trouée me défie toujours alors que je regarde par la fenêtre le soleil se briser sur l’horizon pyrénéen. Je laisse cet opuscule horripilant. La personnalité explique avec des trémolos dans la voix que l’économie va mal, très mal. Le leitmotiv de ces bavards costumés, semaine après semaine. « Il faut avoir le courage de dire que le pays est au bord du gouffre », ajoute le beau parleur. Je déclenche la machine à remonter le temps, le disque dur de mes souvenirs. Et, surprise ! Trente ans que nos surdiplômés nous chantent cette douce mélodie. Peut-être plus.


Je finis par poser le chef-d’œuvre en oubliant ostensiblement de marquer la page et m’empare d’un célèbre magazine sportif. Des nouvelles fraîches de millionnaires sportifs, ça décontracte le cerveau. Ce rythme de vie décapant alourdit mes paupières lentement. « L’écologie est la priorité du moment. Rien n’est plus urgent ! » lance la brave personnalité de la radio. La perfide journaliste lui fait judicieusement remarquer que l’économie néo-classique libérale se marie mal avec l’urgence écologique contemporaine. « On ne peut pas tout arrêter du jour au lendemain, ce serait suicidaire », répond ce normalien, ou énarque, ou les deux, je ne sais plus. Je me demande où il a vraiment passé ces derniers mois de l’année pour balancer une telle ineptie.


— Ouais, suicidons nos petits enfants plutôt, dis-je tout haut.

— Ben oui ! commente ma femme sans lever le nez de sa comptabilité.

— Faut changer de système économique. Bien sûr, si on fait ça, tout le monde va hurler !

— Ben oui !


Je lève un œil vitreux vers mon épouse chérie.


— Et à part « ben oui », t’aurais pas d’autres réparties en réserve ?

— Ben non… Si… Je ferme la boîte.

— Quoi ?

— Je ferme mon affaire. Avant d’être noyée par les dettes.


Je passe illico de la position couchée décontractée à celle, plus de circonstance, debout, stupéfait.


— T’es sérieuse ?

— Oui.


Elle m’avait confié, à plusieurs reprises et en détail, les difficultés, les tensions et la catastrophe qui s’ajoutait à la catastrophe, jour après jour.


— Si tu pouvais éviter de tomber au chômage, me dit-elle, ce serait une bonne idée.

— Je ne suis pas décideur. Parles-en aux actionnaires de ma boîte. Ils seront peut-être sensibles à tes arguments.

— Je ne blague pas.

— Je sais !

— Putain, j’en ai marre…


Elle se met à chialer comme une fontaine. Je la prends dans mes bras. Ma chaussette trouée se cache loin, très loin dans l’oubli. Je regarde dehors nos enfants qui jouent dans la rue. Tant mieux, ils ne seront pas témoins de la détresse et de l’angoisse de leur mère. J’entends le grand théoricien de la radio faire un bon jeu de mots et rigoler avec la journaliste. « Toi, t’es pas arrivé », me dis-je, pendant que mon épouse frissonne contre mon épaule.


— Pleure pas, mon amour. Finalement, la situation ne change pas beaucoup, non ?


Elle me répond après quelques hoquets.


— C’est vrai. Mais tout repose encore sur toi et ton boulot. Et moi ?

— Déconne pas ! Tu nous imagines vivre sans toi ?


Elle me sourit doucement.


— Qui retrouverait tes lunettes que tu as délicatement rangées dans le frigo ?

— Je les chercherais encore, je pense !


Cette fois, elle rit mais au fond, je sens dans ses mots la même inquiétude qui me tord les boyaux. Je la tire avec moi sur la banquette.


— Allez. Viens m’expliquer ce qui m’échappe dans ce bouquin qui me barbe.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
7/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Un instantané touchant, je trouve, par la dernière note de tendresse. J'aime bien que s'y mêlent agacement, désabusement, inquiétude, pointe d'humour ; la vie, quoi. Cela dit, l'ensemble me semble plutôt cousu de gros fil. L'insistance sur les chaussettes trouées me paraît bien vue, juste si on la prend comme une diversion que tente de se créer l'esprit angoissé du narrateur. Mais la virupération contre le politique, l'épouse qui se met à chougner, l'homme qui tente de se montrer fort, bon, ça me paraît facile, attendu.

   Donaldo75   
20/11/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
Je reconnais à ce texte une bonne qualité d’écriture. Par contre, le pitch dramatique me parait un peu faible et la narration semble boucler, ne pas trouver d’espace pour dépasser le mode conversationnel jusqu’à ce que l’épouse se mettre à pleurer. Dommage, c’est à la fin que cette nouvelle aurait pu m’intéresser, passer à un autre niveau de réflexion, m'inciter en tant que lecteur à percevoir un fond au-delà des simples mots.

   hersen   
20/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le début de la nouvelle, qui patine un peu avec ce trou à la chaussette, est bien vu en ce sens que le couple n'en est, à ce stade de l'histoire, que dans des problèmes qui n'en sont pas.
Il y a une sorte de déni de la situation, une volonté de ne pas changer sa routine.
Et puis tout déboule, avec l'entreprise qu'il faut fermer. Et à partir de là, des valeurs sûres reprennent le dessus. L'unité du couple, les enfants.
je trouve ce texte assez bien vu, l'inquiétude est camouflée sous un ton enjoué, ce que peut-être nous faisons tous, non ?

   thierry   
30/11/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Une construction très cohérente derrière cette image de chaussette trouée.
J'ai l'impression d'un assemblage assez original d'éléments assez communs : les nouvelles sportives, le discours politique, l'ennui de la lecture parfois...
Cette concision intelligente où réapparait toute la contradiction de notre vie économique dans un environnement en danger est très fine. Bref, tout cela mériterait un développement plus profond. Ce que j'ai lu n'est qu'une ébauche jetée pour préparer une grande histoire avec ces personnages dont je soupçonne une profondeur.
Je suis réservé sur le développement du livre ennuyeux - qui du coup m'a ennuyé - et qui ne sert pas le scénario.
Merci pour ce partage

   Charivari   
30/11/2020
J'ai beaucoup aimé. Ce mélange d'ordinaire, d'extraordinaire, on s'emmerde on s'emmerde, le trou dans la chaussette trouée c'est le truc le plus important du monde, puis paf, tout à coup sans crier gare, l'annonce d'un drame comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. C'est la vie même. J'aime bien cette écriture qui alterne introspection, et description / dialgoue, ce ton désabusé, et ces éléments qui tournent en boucle, le trou dans la chaussette, le prix goncourt qui est nul, les journaleux à la radio...

   clarix   
1/12/2020
 a aimé ce texte 
Bien
J aime bien ce texte à l'écriture très simple qui se veut le reflet de la langue parlée.
Le thème est lui aussi très simple et d'actualité et nous renvoit à notre quotidien. Peut-on y lire un message d'espoir?

   plumette   
1/12/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
un trou dans la chaussette, dans la couche d'ozone, dans le budget, dans la mémoire, vous partez du pragmatique et du quotidien pour embarquer le lecteur avec vous sur un fil qui se déroule avec naturel.

le texte est court, il peut paraître léger mais il a une vraie densité.

Si c'est le confinement et sa "pause" forcée qui vous a inspiré ce récit, alors tant mieux car c'est plaisant à lire.

et au passage, j'ai souri pour certaines formules bien troussées:
"Oui, c’est une belle écriture, comme une longue poésie. Mais c’est nul !"
" Des nouvelles fraîches de millionnaires sportifs, ça décontracte le cerveau."

A vous relire

   SaulBerenson   
2/12/2020
Une chaussette trouée engendre comique ou désespoir. Ici nous sommes vite renseigné et tout y passe; bouquin barbant, à tous les coups pistonné Gallimard, hiver qui se pointe, radio piailleuse et bonimenteuse, personnalité ennuyeuse, tout en "euse" à s'en "décrocher les mâchoires", (manque plus que les "bras de Morphée").
Je retiendrai qu'il faut aimer son Papa tant qu'il est là pour éviter les chaussettes trouées et les bouquins chiants.
Un café ca vous dit ?

   Malitorne   
2/12/2020
 a aimé ce texte 
Bien
J’ai bien aimé, l’écriture simple mais précise, sans fioritures, et le thème plutôt émouvant. Une tranche de vie qui retranscrit avec justesse l’actualité, ce ras-le-bol des pseudo experts qui nous assaillent de boniments à longueur de journée, ces PME qui coulent et provoquent des drames familiaux. Tout est dit avec pertinence, même cette pique contre les prix Goncourt dont on se demande souvent comment ils ont fait pour séduire le jury. Quant au trou dans la chaussette, je me l’explique comme un gars qui s’ennuie et cristallise sur ses pieds. Il n’y a que le foot pour nous sauver, et la bière… tiens c'est vrai ça, vous avez oublié la bière !

   Anonyme   
6/12/2020
Bonjour cherbiacuespe,

Ce que je trouve assez agréable dans ce texte, c’est son ton badin. Il nous rappelle que rien n’est jamais grave, en tous cas jamais aussi grave que le drame qu’en ferait un esprit romantique. Du trou dans la chaussette à l’affaire qui coule, il y a un nivellement des drames. Même si le premier, tout à fait anecdotique, grotesque même, est occulté par le second, ce dernier ne semble pas plus insurmontable que le premier. Il y a de l’angoisse, certes, et c’est même dit explicitement, mais on sent ce couple capable d’affronter les difficultés par leur attitude solidaire et je dirais même une certaine nonchalance, une nonchalance consciente, volontaire, un peu forcée peut-être, pour calmer l’angoisse, mais qui entend reléguer les difficultés qui s’annoncent à leur statut d’obstacle sans que la fin de la route ne soit atteinte.

Peut-être pas un grand texte, mais dont l’impression de sérénité qu’il dégage est agréable.

   ANIMAL   
6/12/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un texte très profond sous des dehors légers. La chaussette trouée sert de prétexte, de symbole dirais-je, qui cristallise la tension qui monte au sein de cette famille en particulier, et par extension de toutes celles qui vivaient de leur travail et sombrent ou vont sombrer par effet direct du confinement.

Beaucoup d’émotion dans ce récit sous des dehors pudiques. Le ras-le-bol d’un quotidien sans horizon, l’impuissance devant les faits, transpirent dans chaque mot, dans chaque pensée du narrateur.

Beaucoup de tendresse aussi au sein de ce couple, cette femme qui veut contribuer par son travail aux finances du ménage et voit s’effondrer cette ambition, cet homme qui essaie de lui tirer un sourire par delà les larmes… tout en espérant qu’il ne va pas lui aussi perdre son emploi. Car alors les difficultés se transformeraient en drame véritable. Et l’important par-dessus tout, que les enfants ne voient pas leur mère pleurer car elle représente le ciment de la vie familiale.

En toile de fond, il y a l’absurdité des gens « hors-sol » pérorant dans les médias, tous ceux qui ne subissent aucune perte de revenus et n’ont aucune idée de la misère dans laquelle va plonger une catégorie grandissante de la population. Et s’en fichant.

Bravo pour cette tranche de vie réaliste, entre impuissance, lassitude et espoir. On se raccroche aux branches mais si la pression devient trop forte, elles finiront aussi par casser.

   Microbe   
9/12/2020
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Ce qui m'a plu :
Le style est simple. La narration en "je".
C'est une scène ancrée dans notre époque et qui a à voir avec un certain microbe... forcement ça interpelle .
Et puis les huit clos c'est toujours réjouissant quand les masques tombent ou que les trous de chaussettes laissent apparaitre les talons d'Achille. En l'occurence : ce type n'est pas qu'une feignasse inculte c'est aussi un macho insensible qui se fait porter des cafés par sa femme (qui bosse pendant qu'il glande) et lui, dans sa grande bonté, lui fait miroiter un sens à sa vie : "lui trouver ses lunettes dans son réfrigérateur". Du coup, je me rends compte que ma lecture est très différente de celle d'autres lecteurs. Troublant .

Ce qui m'a questionné :
Des paradoxes : les cris de joie des enfants et l'hiver silencieux.
L' homme politique qui fait bailler d'ennui tout en étant taxé de bonimenteur et de beau parleur. Un bonimenteur ça parle des clefs à molette avec enthousiasme...
La chaussette qui revient pour dire qu'on l'a oubliée.
Des questions : Qui est Peter? le Psychiatre du narrateur ?(ha! ha!) J'ai pas vu le rapport avec la dépression. J'ai pas compris "Toi, t'es pas arrivé".
La narration en "je" implique un point de vue , qu'est ce qu'il faut comprendre quand le narrateur décrit sa propre réaction comme s'il se voyait faire à l'annonce terrible de sa femme : "Je passe illico de la position couchée décontractée à celle, plus de circonstance, debout, stupéfait." ça sent le type qui feint, du coup, je suis parti sur un personnage insensible, mais était ce voulu? J'ai quand même un doute.
La formule radicale : Vivre sans toi ? la femme va mourir en plus ? (en plus de vivre avec un type qui la mérite pas...).
La femme, moi, c'est sa réaction ou son point de vue qui m'aurait intéressé aussi.
Merci pour cette lecture.

   Ninjavert   
14/1/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Ça fait longtemps que je n'ai pas commenté sur Oniris, donc par avance toutes mes excuses si c'est un peu décousu :)

Avant toute chose : j'ai aimé. L'instant, qui vous tient à coeur dans ce que j'ai lu de vos explications sur le forum, est présent. Cet instant un peu indéfini, imprécis, dont on ne sait pas trop quand il se déroule. A la veille de l'hiver, certes. Mais est-on en semaine ? En week-end ? Si c'est en semaine, pourquoi le narrateur ne travaille-t-il pas ? Confinement, ok, mais pas de télétravail ? Chômage ? Bref, je ne détaille pas plus mais ce sont des questions qui m'ont rapidement titillé et n'ont (pour certaines) trouvé une réponse que bien plus loin dans le texte. Et finalement, même si ça m'a un peu dérouté au début, j'aime bien ce flou artistique qui permet justement de sortir cet instant de la réalité, de l'isoler pour en faire un polaroid décontextualisé.
De ce point de vue là, c'est donc plutôt réussi !

Même remarque pour le déroulement : j'ai d'abord eu tendance à imaginer que le narrateur était célibataire, seul chez lui, l'archétype du trentenaire très occupé à ne rien faire, avant que les éléments n'arrivent peu à peu : en fait, il est marié. Tiens d'ailleurs sa femme est là. Ah en fait il ne glande pas forcément, c'est peut être lié au contexte économico sanitaire... Et ah, tiens, ils ont des enfants... D'un côté j'aime ces enrichissements de la trame, qui parviennent à donner en quelques mots de l'épaisseur à ce texte court. D'un autre côté, le fait d'avoir des éléments tardifs a un peu perturbé mon imaginaire. En gros j'avais commencé à entrer dans l'histoire et ces éléments qui arrivent en cours de route m'en ont un peu fait ressortir, le temps de les digérer, et d'y revenir en les intégrant. C'est peut être d'autant plus sensible que le texte est court, on y entre presque aussi vite qu'on en sort (c'est forcément moins perceptible dans un roman de 600 pages), mais c'est peut être aussi ma faute de m'imaginer des choses trop tôt au lieu de me laisser porter...

L'écriture est agréable, fluide et relativement sans accrocs :) J'ai adoré certaines formules (Et le jour se contracte... Oui c'est une belle écriture, comme une longue poésie, mais c'est nul !... Allez. Viens m’expliquer ce qui m’échappe dans ce bouquin qui me barbe... ). J'ai moins accroché à certaines autres, pas tant qu'elles soient mal écrites, mais plutôt car elles me semblaient en décalage avec la situation. Les "ben oui" de la femme, par exemple, rigolos au début, deviennent un peu artificiels, même si on comprend bien l'idée de la réponse faite sans écouter, la forme aurait pu changer en gardant le principe (hmmm hmm, moui, sans doute... tout passe, dès lors qu'on sent qu'elle a les idées ailleurs). Mais globalement ça fonctionne bien et c'est très agréable à lire.

Enfin, quelques trucs m'ont chiffonné. Je liste car même si c'est du détail, c'est toujours là que se cache le diable ;)

"C'était à l'école tu sais, pas le choix". Cette phrase m'a embrouillé. C'est un vieux Goncourt, de quand sa femme était étudiante ? Ou elle est plus jeune que je ne l'imaginais, et c'est un bouquin récent ? Bref, le fait qu'on manque d'éléments fait que je n'ai pas su trancher et j'ai traîné ce doute avec moi.

Je connaissais le principe, mais pas le terme, donc je n'ai pas compris "l'incompétence de Peter" avant d'y revenir une fois le texte terminé, en regardant à quoi ça correspondait sur internet.

"Ben non, si, je ferme la boîte". "Quoi ?" (en se mettant debout). On a l'impression qu'il découvre le sujet, ou en tout cas que la décision de sa femme le surprend. Or, de son propre aveu "Elle m’avait confié, à plusieurs reprises et en détail, les difficultés, les tensions et la catastrophe qui s’ajoutait à la catastrophe, jour après jour."
Sachant ça, j'ai du mâl à croire à cette réaction. J'aurais plutôt vu un "Ca y est ? Tu es sûre de toi ?" ou un "il n'y a pas d'autre solution ?" qu'un "quoi" qui traduit une surprise qui n'a pas sa place entre eux. Pour nous, lecteur qui découvrons, oui, ça fonctionne, et la situation est très bien résumée en quelques mots, mais le mari n'est pas à notre place et sa réaction inadéquate.

Enfin, j'ai bien aimé l'alternance d'états du narrateur : désabusé, caustique, taquin... et beaucoup aimé la fin. Autant je trouve certains dialogues un peu artificiels ("deux cafés qui roulent", ça m'évoque un troquet ou un truc entre collègues, pas une épouse au bord des larmes car sa boîte est en train de couler... même si on ne le sait pas encore), autant le "putain, j'en ai marre" ne pouvait pas être plus parfaitement retranscrit. Ce petit bout de phrase, pour ce qu'il a d'authenticité, de sincérité, renforce grandement tout le paragraphe qui suit, et apporte une vraie émotion à la fin.

Merci pour cette touchante tranche de vie, riche malgré sa brièveté !


Oniris Copyright © 2007-2023