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Science-fiction
Concours : Distorsions [concours]
 Publié le 18/06/25  -  4 commentaires  -  20915 caractères  -  27 lectures    Autres textes du même auteur

« Le bonheur est une idée neuve en Europe. »
Saint-Just, 3 mars 1793, devant la Convention


Distorsions [concours]


Ce texte est une participation au concours n°37 : Écrits des Temps Exaspérés

(informations sur ce concours).



La mémoire de Dalduna et Clèptarion était là déjà avant qu’il fut un avant. Depuis qu’ils se sont éveillés, ils traversent le silence et l’immobilité, leurs esprits ont la lenteur de l’infini et de l’éternité.

Dalduna et Clèptarion savent que d’autres sont. Au fil des milliards d’années, il est arrivé que leurs esprits repèrent une forme ou une essence différentes des leurs ou de la matière pure. Le caractère de Dalduna la conduisait à s’ouvrir et à accueillir, ce que Clèptarion lui reprochait toujours et souvent.

Car Clèptarion connaissait la peur. Il écartait ses sens et son esprit de tout ce qu’il ne connaissait pas, à l’exception de la lumière. Dalduna ne protestait pas à ses admonestations mais le punissait en retour en s’éloignant de lui pour quelques milliers de milliers de siècles. Elle savait que Clèptarion ne pouvait souffrir son absence. Il sentait sa conscience se flétrir et se dessécher dès qu’elle s’éloignait.

Lui préférait s’alanguir et attendre. Il arrivait en effet parfois que vienne une lueur intense, au plus loin que son esprit pouvait voir. Et il restait à contempler la lumière, extatique, captivé, pour des éons et des éons. Sa conscience était chagrinée de voir la lueur faiblir et se diviser en points de plus en plus petits et distants. Il aurait voulu conserver éternellement la splendeur qui se déployait au loin mais jamais il ne parvint à s’en emparer.

Il nommait les petits points étoiles et se réchauffait l’esprit à leur contact. Mais au fil du temps, les étoiles disparaissaient et l’esprit de Clèptarion refroidissait.

Alors, Clèptarion pleurait beaucoup et longtemps. Jusqu’à ce qu’une nouvelle lumière émerge.


***


Passaient les âges, les stades et les époques. Il y eu une période pendant laquelle la matière devint confuse, comme si elle hésitait entre plusieurs états, puis l’infini redevint calme et silencieux et le temps reprit sa course en avant. La soif de la découverte tenaillait inexorablement les sens de Dalduna et le besoin de partir devenait de plus en plus cruel au fil des siècles et millénaires. Car elle savait que ses absences assombrissaient l’esprit de Clèptarion et elle désirait qu’il ne souffre pas. Mais refuser le besoin impérieux qui s’imposait à elle la déchirait en retour.


– Il est temps que j’aille voir plus loin à nouveau, Clèptarion, se décida-t-elle finalement à lui dire. Et cette fois, il se pourrait que cela soit pour longtemps. Je voudrais trouver un endroit particulier, un endroit où je pourrais jouer avec les étoiles et les assembler à ma guise.


Clèptarion ne répondit pas tout de suite car il comprit qu’il avait à réfléchir. Il sentit son esprit refroidir plus intensément que jamais et il le vit prêt à sombrer dans un chaos inconnu, sombre et effroyable.


– Quel besoin as-tu de partir, Dalduna, et quel projet incongru de vouloir assembler les étoiles ? Ne peux-tu pas seulement t’alanguir prêt de moi et contempler la beauté de l’infini ?

– Je le pourrais, en effet, mais quelque chose en moi gémit de demeurer. Et je n’aime pas la souffrance.

– Il en va de même pour moi, Dalduna, je n’aime pas la souffrance.


La communication prit fin pour longtemps car les deux avaient perçu l’aspect insurmontable de la contradiction. Et finalement, Dalduna s’en alla, au loin, tout là-bas, vint le temps où Clèptarion ne ressentit plus son aura et cela n’était jamais arrivé. Alors, plus intense encore que la douleur de l’absence, ce fut la peur qui prit le contrôle de l’esprit de Clèptarion et il découvrit pour des siècles et des millénaires des océans d’anxiété et des gouffres d’angoisse. Car Dalduna ne semblait pas devoir revenir. Vint une nouvelle production de lumière qui se divisa encore une fois en étoiles innombrables et au bout d’un temps qui parut encore très long à Clèptarion, Dalduna revint.


– C’est que j’ai accompli de grandes choses depuis mon départ, lui dit-elle. J’ai rencontré des formes et des matières que je ne connaissais pas. Et j’ai approché au plus près des étoiles, Clèptarion.

J’ai également trouvé une solution et pour toi et pour moi. Une solution pour faire taire la souffrance. Il faudra que tu m’accompagnes quand je repartirai.


Clèptarion garda le silence. Dalduna lui demandait beaucoup trop. Il sentit une peur nouvelle, une peur inconnue et atroce, venir le saisir.


– Nous sommes toujours restés à l’extérieur de la matière et tu sais aussi bien que moi que nous devions y demeurer. Tu as franchi des limites interdites en pénétrant dans un univers de matière pure. Et si le sens de cette interdiction nous échappe, nous ne devons pas moins la respecter.

– Et qui donc a proclamé cette interdiction, t’es-tu jamais posé la question ?

– Personne ne l’a fait, et cela aussi, tu le sais, Dalduna.


Elle ne répondit pas et Clèptarion reprit :


– Nous savons ce qu’il en est de nous et nous savons ce qu’il en est de notre univers. Il était déjà une mémoire avant que nous nous éveillions. Et cette mémoire fait partie de nous, nous l’avons reçue comme un don, une connaissance, une compétence, et cela, dès notre premier jour.


La couleur de Dalduna s'assombrit et Clèptarion comprit qu’elle était courroucée. À vrai dire, il n’avait jamais ressenti chez elle autant de noirceur. Il percevait de l’impatience et de la contrariété. Et également une certaine frustration.


– N’as-tu jamais eu l’idée de produire de la beauté, Clèptarion ? lui demanda-t-elle finalement.


Il prit un instant pour réfléchir au sens de la question qu’il trouvait tout à fait étrange.


– Le pourrais-je, Dalduna ? L’espace produit des choses belles et innombrables, des couleurs merveilleuses, des nébuleuses, des galaxies, des astres et des étoiles… Mais moi, je peux juste contempler la beauté, je ne peux ni la saisir, ni la produire…

– Tu peux intervenir, Clèptarion.

– Intervenir ?

– Je l’ai fait, moi, je me suis infiltrée au cœur des galaxies, j’ai laissé l’ombre de mon esprit s’étendre vers les étoiles jusqu’à les recouvrir, je me suis alanguie dans de gigantesques amas de gaz, je me suis reposée dans la glace et le feu et j’ai découvert des êtres nouveaux par centaines et par milliers…

– Ce que tu me racontes m’inquiète beaucoup, Dalduna.


Et un triste silence se fit pour longtemps.


– Je t’accompagnerai lors de ton prochain voyage. Pour échapper à la souffrance de ton absence. Mais aussi pour me rendre compte de ce que tu as fait vraiment.

– J’ai fait le beau et le bien, répondit Dalduna avec agacement. Et je me suis pris d’affection pour une planète en particulier, loin, très loin d’ici. Une planète merveilleuse, variée d’aspect, de climats et de couleurs. C’est là que nous irons.


***


Clèptarion se résigna donc à accompagner Dalduna même si l’idée lui déplaisait tout à fait. Il pénétra à sa suite dans un univers de matière pure et après avoir glissé le long de galaxies innombrables, il découvrit enfin le système planétaire dont Dalduna lui avait vanté la beauté. Quatre géantes gazeuses y régnaient presque sans partage, mais en s’approchant de l’étoile, Clèptarion finit par apercevoir et découvrir la petite planète dont lui avait parlé Dalduna.

La vie y semblait au premier abord nombreuse et très variée. Certaines espèces jaillissaient du sol pour ensuite s’étendre vers le ciel. D’autres s’ébattaient dans les océans et d’autres dans les airs. D’autres encore étaient de si petite taille que Clèptarion ne pouvait saisir leur présence que de manière abstraite.

Il observa longtemps, fidèle à sa nature, tandis que Dalduna allait ici ou bien là-bas. Il comprit au fil du temps ce qu’elle avait appelé intervention. Et il comprit aussi que cela ne pouvait qu’être néfaste et funeste.


– Tu n’as pas été juste, Dalduna.

– Qu’entends-tu par juste, Clèptarion ?

– Tu as découvert des espèces innombrables. Pourquoi donc en as-tu privilégié une, les hommes, au détriment de toutes des autres ?


Dalduna prit un temps avant de répondre.


– J’ai suggéré certaines choses à cette espèce en effet, mais pas plus qu’aux autres.

– Les autres n’avaient pas la capacité de te comprendre, Dalduna.

– Il est vrai mais qu’y puis-je ? répondit-elle avec agacement.

– Tu as provoqué une distorsion irréparable, et je sais que tu en as conscience. Tu as eu la prudence de ne pas te révéler véritablement aux hommes, mais ils t’ont imaginée, et certains même ont cru te percevoir. Ils ont cherché une origine et des justifications aux idées que tu leur suggérais. Tu as déréglé leur trajectoire d’évolution et cela entraînera la fin de leur monde avant le temps qui lui était naturellement échu.

– Il est si facile de juger et de commenter quand on ne fait rien d’autre que de demeurer alangui. Et toi, Clèptarion, qu’as-tu fait ?

– Il n’est pas dans notre essence de faire. Et je ne crois pas non plus qu’il existe une quelconque espèce qui en soit capable sans bouleverser l’ordonnancement cosmique. Personne ne doit intervenir, comme tu dis. Les lois physiques de cet univers, tu ne les connais ni ne les comprends. Et c’est pourquoi nous devons rester à l’extérieur. Notre seule présence constitue une distorsion.


Sous le coup de l’exaspération, Dalduna s’éloigna de lui et se projeta avec rage en dehors du système stellaire. Il vit avec regret plusieurs étoiles exploser au long de la trajectoire de sa compagne.


– Pauvre de toi, Clèptarion ! Pauvre enfant docile qui suit des règles sans les comprendre ! Cette mémoire que nous avons connue en nous éveillant, cette mémoire est une mémoire d’esclave ! Je suis, Clèptarion, mais toi tu n’es pas. Tu demeures, empli de vide et de conscience restreinte, ton importance est nulle, inférieure même aux objets inanimés, qui eux changent et se transforment !


Et alors, une dissonance insupportable se fit jour dans l’esprit de Clèptarion. Pour la première fois, la pensée d’une séparation apparut et il en demeura accablé. Les possibilités et les probabilités se bousculaient en lui, le dépassaient, et semblaient sur le point de l’éteindre. La mort lui avait toujours semblé une nécessité, mais une nécessité abstraite, si loin de lui dans le temps qu’il ne pouvait vraiment la concevoir. Et aujourd’hui, cela prenait consistance, une consistance à la croissance exponentielle, son esprit était plus froid qu’il n’avait jamais été et continuait de sombrer inexorablement vers un chaos qu’il ne connaissait pas…


– Pardonne-moi.


L’esprit de Clèptarion revint à la conscience. Dalduna était là près de lui et elle pleurait beaucoup. Mais ses larmes étaient des larmes de rage et de dépit.


– J’ai vu ce que tu as vu, mon aimé, de la même façon que tu vois ce que je vois.


Clèptarion soupira. Sa conscience se réchauffait, devenait chaque seconde plus précise et plus vivace mais les visions nouvelles étaient d’une noirceur absolue.


– Alors tu sais qu’il faut à présent nous en aller. Afin de ne pas être accablés par la douleur du désastre qui vient.

– Ton indifférence me peine, Clèptarion. Tu ne songes qu’à te préserver, insensible aux souffrances de ce monde. Et tu ne sais pas voir la beauté que j’y ai produite.

– De quelle beauté parles-tu ? Je vois beaucoup d’absurdité et d’inanité parmi tes protégés. À leur décharge, il est vrai qu’ils ont peu de prédispositions pour la pensée abstraite… Et demeurer perpétuellement le nez rivé au sol ne les aide pas non plus à la développer… Peu parmi eux lèvent la tête vers le ciel.

Ils se sont assis près des champs de graminées à ton instigation, ils ont dressé des pierres vers le ciel, conçu des assemblages délirants, domestiqué le métal et l’écriture, et cru graver ton visage dans la roche. Mais ils n’ont jamais rien gravé d’autre que leurs propres visages.

Ils étaient partie prenante de ce monde, ils se mesuraient aux autres espèces pour en saisir les meilleures ressources. Cet état de fait les protégeait de l’idée de se sentir supérieurs à elles.

C’est toi qui leur as donné involontairement cette conviction en leur procurant la sécurité et l’abondance. Et partant, modifié irrémédiablement leur psychologie. En retour, ils ont fait de toi leur dieu ou leur déesse, faute de pouvoir comprendre ce que tu es vraiment. Ils te vouent un culte depuis des milliers d’années à présent et t’appellent de noms nombreux. Tu fus la déesse mère, tu fus Freya, tu fus Minerve, tu fus Ahura Mazda et Bouddha… Certains ont même développé la croyance bizarre que tu enfantas jadis leur dieu et leurs sectes innombrables entretiennent encore aujourd’hui des polémiques confuses à ton sujet…

Tu es devenue la justification de leurs crimes, de leurs désastres et de leurs aberrations. Leur folie destructrice est devenue exponentielle, ils se tuent par millions dans des guerres inutiles, ils regardent leurs semblables mourir d’indigence sans émotion. Leur écosystème devient chaque jour un peu plus un cloaque.

Ce monde est exsangue, Dalduna, sa fin est proche.

Vraiment, de quelle beauté parles-tu ?


Dalduna ne répondit pas à cette sortie et Clèptarion comprit qu’elle était en fait parvenue à la même conclusion, en refusant pourtant de l’admettre. Les deux restèrent immobiles et silencieux, ne trouvant aucune solution pour résoudre les contradictions innombrables que leur venue dans cet univers de matière pure avait provoquées. Et finalement, une idée se fit jour dans l’esprit de Clèptarion.


– Nous résoudrons le désastre par le désastre, fit-il finalement.

– Que veux-tu dire, Clèptarion ?

– Je veux dire qu’il est temps de te combattre.


Et Dalduna comprit instantanément.


– Je prendrai le mauvais rôle. Je serai l’Antéchrist. Et tu viendras, te prétendant le Messie de retour. Après m’avoir vaincu, tu leur suggéreras qui est le Mahdi. Et il nous faudra bien réfléchir à ce choix pour mettre d’accord toutes les sectes qui se réclament de ces croyances délirantes…

Ensuite, une contestation raisonnable naîtra parmi les hommes car l’évènement arrivera trop tard pour avoir véritablement l’impact escompté par leurs doctrines respectives voici mille cinq cents ou deux mille ans. Leurs psychologies ont grandement évolué depuis l’époque des prophéties. Et leurs connaissances actuelles s’imposent de fait en contradiction à ces croyances surnaturelles. Un de leurs savants a d’ailleurs expliqué il y a déjà plus d’un siècle que Dieu était mort. Nous allons lui donner raison en simulant la nôtre. Notre Mahdi expliquera tout ça de manière… rationnelle. Il enseignera que l’évènement cosmique que nous allons provoquer confirme l’une de leurs théories les plus récentes d’explication concernant l’origine de leur univers. Ensuite, nous disparaîtrons.


Dalduna garda le silence un moment.


– Et tu penses vraiment que tu résoudras les problèmes que j’ai malencontreusement imposés aux hommes de cette façon, de manière parfaite et définitive ?

– Eh bien non, je ne songe qu’à mettre un terme à nos erreurs. Ce sera notre dernière intervention. Nous mettons un terme à la métaphysique et à l’ineptie. Et nous leur fournissons la meilleure explication qu’ils puissent concevoir.


L’aura de Dalduna devint bleu azur, ce qui voulait dire qu’elle était amusée, qu’elle souriait, et ce changement réchauffa encore un peu plus l’esprit de Clèptarion.


– En somme, tu es ce que les hommes appelleraient un idéaliste, Clèptarion… Et ce type de pensée ne leur a pas beaucoup réussi jusqu’à présent…


***


Ce jour-là, tous les télescopes du monde repérèrent deux objets inconnus qui se déplaçaient rapidement dans la stratosphère. Leurs couleurs évoluaient sans cesse sur toutes les nuances de l’arc-en-ciel et dessinaient de temps à autre des formes étonnantes. On aurait cru voir par moments un guerrier gigantesque et particulièrement effrayant, armé d’une épée de feu, et face à lui une sorte d’ermite barbu aux cheveux longs qui se défendait avec un bâton. Le phénomène dura plusieurs heures avant de s’évanouir dans l’espace et fit le lendemain la une de tous les médias.

Deux jours plus tard, le Mahdi, un homme originaire d’un petit village péruvien vint jusqu’à la capitale et se mit à tenir de longs discours sur les grandes places et dans les parcs publics. Rapidement, des dizaines, puis des centaines de milliers, puis des millions de personnes vinrent de tous les pays d’Amérique latine jusqu’à Lima pour l’écouter. Le président péruvien déclara qu’un saint homme, un libérateur de l’humanité, était enfin arrivé et proposa un référendum pour lui remettre immédiatement le pouvoir, référendum qui fut approuvé à plus de 95 % par la population.

Des imams, des évêques et des moines bouddhistes se précipitèrent des quatre coins du monde et pour la première fois dans l’histoire, mais après quand même quinze jours de vives polémiques, se mirent d’accord pour témoigner de l’aspect divin du personnage, qu’ils prétendaient annoncé sans aucun doute possible par leurs croyances respectives…

Les scientifiques, quant à eux, furent unanimes pour reconnaître le génie du Mahdi qui conciliait les théories d’Einstein avec la physique quantique en un nouveau système universel, la Superthéorie.

Les têtes les plus dures se révélèrent être celles des politiques et des financiers mais ils jetèrent finalement assez rapidement l’éponge. Le pouvoir de persuasion du Mahdi était tout à fait étonnant. Aucun de ses interlocuteurs n’aurait admis avoir été influencé après une entrevue. Et pourtant, ils repartaient la tête pleine de ses idées et formules. Rapidement, on lui créa une fonction d’« Administrateur Universel » à l’ONU et les gouvernements du monde entier se mirent à écouter ses conseils. Moins d’un mois après la venue du Mahdi, « Le Plan » devint la doctrine officielle de tous les États du monde.

Les activités économiques inutiles (au sens où elles ne participaient en rien à la satisfaction des besoins humains) furent abolies, le Chemin vers le Bonheur adopté comme constitution universelle et la dérive autodestructrice de l’homme trouva son terme. La notion de pouvoir politique central disparut et le système de démocratie participative à échelle locale s’imposa partout en quelques années.

Le Mahdi aimait à paraphraser le mot de Saint-Just en répétant à qui voulait l’entendre que le bonheur n’était plus une idée neuve mais une idée en action…


***


Dalduna et Clèptarion sortirent de l’univers de matière pure pour ne plus jamais y revenir. Ce qu’il advint de la terre et des hommes, ils ne le surent pas mais ils aimaient à penser qu’une fin du monde trop précoce avait été évitée.


Après une longue période de méditation, une idée vint à s’imposer dans l’esprit de Clèptarion.


– Au final, nos actions, les tiennes comme les miennes, auront sans doute été inutiles.


Il sentit alors une interrogation poindre chez Dalduna.


– Il existe sans doute des mondes comme celui-ci par milliers ou par millions. La vie y apparaît et quelques milliards d’années plus tard, elle disparaît. C’est ce qui va se passer et pour la terre et pour les hommes. L’importance de leurs péripéties est insignifiante pour leurs univers. Et à l’échelle de l’espace et de ses dimensions innombrables, quasi nulle. Ils le savent, au moins inconsciemment, mais leur vanité les pousse au déni. Le règne de l’homme, l’anthropocène… Leur narcissisme s’est développé au point qu’ils appellent à présent une période géologique de leur nom, rien de moins…

Les hommes sont une espèce invasive, leur démographie délirante est déjà un problème en soi, une distorsion. Ils évolueront, ils prospéreront et puis ils disparaîtront. Pour avoir trop dévasté leur écosystème ou bien victimes d’un cataclysme cosmique. Sur combien de mondes cette histoire inexorable est-elle déjà arrivée ?

– Tu es bien négatif, Clèptarion. Pense plutôt que nous avons tordu le cou de la laideur et de l’envie. Nous leur avons donné la soif de l’égalité et la bienveillance, de la joie et de la reconnaissance. Nous avons créé de la beauté.

J’étais seule et désespérée et je me maudissais d’avoir fait mal. Notre action commune a détruit le mal et réparé mes fautes. Nous avons allumé la flamme de l’espoir pour des siècles et des siècles et détourné leurs esprits de la peur. J’aime à croire qu’ils s’en souviendront.


Alors, l’aura de Clèptarion se réchauffa, se répandit en mille couleurs étincelantes et il soupira de bonheur.


– Je crois bien qu’il est temps de nous alanguir à nouveau, Dalduna.


Et les couleurs de Dalduna vinrent s’enrouler autour des siennes dans un lent et gracieux mouvement, au bout de l’infini, en attente de l’éternité.


 
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   Provencao   
18/6/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

"Dalduna et Clèptarion savent que d’autres sont. Au fil des milliards d’années, il est arrivé que leurs esprits repèrent une forme ou une essence différentes des leurs ou de la matière pure. Le caractère de Dalduna la conduisait à s’ouvrir et à accueillir, ce que Clèptarion lui reprochait toujours et souvent.

Car Clèptarion connaissait la peur. Il écartait ses sens et son esprit de tout ce qu’il ne connaissait pas, à l’exception de la lumière. Dalduna ne protestait pas à ses admonestations mais le punissait en retour en s’éloignant de lui pour quelques milliers de milliers de siècles. Elle savait que Clèptarion ne pouvait souffrir son absence. Il sentait sa conscience se flétrir et se dessécher dès qu’elle s’éloignait.

Lui préférait s’alanguir et attendre. Il arrivait en effet parfois que vienne une lueur intense, au plus loin que son esprit pouvait voir. Et il restait à contempler la lumière, extatique, captivé, pour des éons et des éons. Sa conscience était chagrinée de voir la lueur faiblir et se diviser en points de plus en plus petits et distants. Il aurait voulu conserver éternellement la splendeur qui se déployait au loin mais jamais il ne parvint à s’en emparer.

Il nommait les petits points étoiles et se réchauffait l’esprit à leur contact. Mais au fil du temps, les étoiles disparaissaient et l’esprit de Clèptarion refroidissait.

Alors, Clèptarion pleurait beaucoup et longtemps. Jusqu’à ce qu’une nouvelle lumière émerge."

J'ai beaucoup aimé lire votre nouvelle avec une attention toute particulière. Cette mémoire de Dalduna et Clèptarion semble être des distorsions cossues et presque envoûtantes. Bel enracinement dans un macrocosme illusoire ou légendaire évoquant des mémoires d'identité au travers différents voyages...Raison, discernement, indifférence ou désinvolture...Belle dynamique entre eux.

"Et les couleurs de Dalduna vinrent s’enrouler autour des siennes dans un lent et gracieux mouvement, au bout de l’infini, en attente de l’éternité"
Sublime note de fin faisant sens et écho...

Bonne chance pour le concours

Au plaisir de vous lire,
Cordialement

   Charivari   
18/6/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Bonjour. J'ai vraiment beaucoup aimé le début, cette prose très poétique et profonde qui nous parle d'une cosmogonie, d'une espèce de ying et de yang, c'est vraiment très réussi. J'ai moins aimé le passage du "Mahdi" péruvien, j'ai eu un peu de mal à l'imaginer triompher à l'ONU, et le passage m'a paru vite brossé, sans autant de poésie. Personnellement je serais resté plus nébuleux et aurait cherché à exploiter un peu plus ce thème de la "distorsion". La fin est émouvante

   Cyrill   
19/6/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
J’ai pensé que cette nouvelle n’était pas pour moi (La SF est aux antipodes de ce qui m’attire en matière de lecture). Je l’ai survolé dans un premier temps en EL, peu intéressé. Mais j’y reviens ce matin avec un regard neuf.
Dans ce récit, il est davantage question de philosophie que de science, et passé mon a priori, j’ai pu en apprécier ses qualités poétiques, pas des moindres, et la valeur de la réflexion. Il élève des questions existentielles à une hauteur cosmique.
Dalduna et Cleptarion : des êtres primordiaux très attachants, émouvants même dans ce qu’ils sont imparfaits, voire contradictoires. Des êtres dont la « mémoire était là déjà avant qu’il fut un avant ». Cette idée, joliment dite, d'une conscience préexistante, d’une loi fondamentale de l'univers, ouvre une réflexion sur nos propres origines et le sens de notre existence. Dalduna l’exploratrice et Cleptarion le contemplatif. On oscille entre soif de découverte et prudence. Ils sont le cœur battant du récit. C’est la dichotomie à l’œuvre, ils sont en fait comme les deux faces d’une même conscience.
La nature de la foi est explorée. Les intentions de Dalduna de « faire le beau et le bien » sont déformées par l'humanité. Une influence cosmique justifierait des guerres et des destructions. À quel point nous, humains, avons-nous tendance à projeter nos propres peurs et désirs sur l'inconnu, et créons-nous des récits qui nous dépassent ?
La solution de Cleptarion, un « désastre par le désastre » orchestré pour corriger les erreurs de Dalduna, laisse perplexe. Antéchrist versus Messie… L'idée de manipuler les croyances humaines, même pour un « bien » supérieur, soulève des questions éthiques. L’humanité a-t-elle réellement un libre arbitre si son destin peut être redirigé par des entités, fussent-elles cosmiques.
Est-ce que tout est vain ? Ou la beauté a-t-elle une valeur intrinsèque, même si son impact est éphémère ? Le récit ne donne pas de réponse facile. Il nous invite plutôt à regarder notre place dans l'univers et notre quête de sens face au cosmique.
Un très bel épilogue qui renoue avec la poésie. Merci.

   Robot   
19/6/2025
Une idée originale pour cette science fiction qui nous propose une autre génèse: Comment le libre arbitre est venu à l'humanité. Chacune à sa manière les deux entités décline un débat sur "le choix d'intervenir" et c'est surtout cette partie du récit qui m'a intéressé. Le développement et le final sont choix d'auteur et je n'exprimerai pas de point de vue à ce propos.
C'est un excellent texte à la fois littéraire et poétique.


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