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Réalisme/Historique
Dameer : D’une gare l’autre
 Publié le 22/09/24  -  6 commentaires  -  8296 caractères  -  33 lectures    Autres textes du même auteur

Un texte à propos de gares, où passent de temps en temps des trains de souvenirs.


D’une gare l’autre


Sirkeci - Haydarpaşa



J’avais rendu visite à sa sœur dans la matinée. Pour mieux me préparer à ce rendez-vous, j’avais pris place dans un train depuis la petite station de Cankurtaran. Une dizaine de kilomètres, tout au plus. Mais je devais le faire, pour me donner l’illusion du voyageur d’antan débarquant du Trans-Europ-Express après cinq jours de voyage depuis Paris, à la Agatha Christie ! L’illusion ne pouvait tenir longtemps, compte tenu que mon train était un train de banlieue ordinaire de la TCDD blanc avec des bandes rouge et bleu sur les côtés, qui n’avait rien du luxe suranné de la Compagnie internationale des wagons-lits.


Après ce court trajet, le train entre et ralentit en gare. Au milieu de la bousculade des autres voyageurs, je parcours à grandes enjambées les longs quais surmontés de verrières pour me trouver soudain confronté à une tête dorée en relief que je devine être celle du Père de la Nation par la devise qui l’accompagne Ne mutlu Türk’üm diyene.*


Je suis en gare de Sirkeci, sur la rive européenne d’Istanbul, à proximité du palais de Topkapı. Comme toutes les grandes gares du monde, Sirkeci est une gare terminus. Elle est l’aboutissement d’un voyage, court ou lointain ; on ne peut aujourd’hui aller plus loin sauf à emprunter d’autres modes de transports. Le bâtiment historique lui-même de la gare se trouve sur ma droite, parallèle aux voies de chemin de fer et aux quais. En pierres et en briques rouges, aux nombreuses ouvertures surmontées de rosaces ouvragées, au toit arrondi couvert d’ardoise, il est dans le style « orientaliste européen » ce qui signifie qu’il n’a pas de style – ou que l’on ne sait pas trop comment le définir : peut-être inaugurait-il à lui seul un style nouveau qui n’a pas fait école. L’intérieur offre un espace caverneux, haut de plafond. Mis à part le mythe qui s’attache à ces lieux la gare de Sirkeci n’accroche pas véritablement l’œil. Elle est trop étroitement coincée entre les bâtiments qui l’entourent. Elle manque d’espace pour respirer. Il faut s’en approcher pour la voir. Dans l’acceptation anglaise du terme, elle se révèle pour moi une déception !


Autrefois, des ferries chargés de trains fendaient les eaux du Bosphore pour porter sans rupture de charge les voyageurs internationaux de la rive européenne à la rive asiatique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le progrès marche souvent à reculons. Mais cela explique la position avancée qu’occupe l’autre grande gare stambouliote dans le bras de mer qui les sépare.


____________________________________________________


Elle était là, posée au ras de l’eau, sa masse imposante irrésistiblement m’attirait. Elle n’avait pas l’aspect affété de sa sœur de l’autre rive, maintenant dissimulée à mes regards une fois monté à bord du vapeur qui faisait la traversée du Bosphore depuis Eminönü. Le bateau me rapprocha un long moment d’elle puis finalement m’en éloigna. Je débarquai sur l’esplanade de Kadiköy sur la rive asiatique et je dus emprunter des routes inconnues à la circulation intense qu’il me fallut parcourir à pied, et traverser plusieurs carrefours encombrés d’automobiles pour la rejoindre.


Mon long effort fut récompensé. J’arrivai enfin à ses pieds. Devant elle, sur un bout de rail surélevé qui ne venait de nulle part et ne menait plus nulle part, était posée comme une idole une antique et noire locomotive à vapeur, du siècle passé. Elle qui autrefois avait servi avec bonheur à tirer tant de trains pour transporter tant de voyageurs, jeunes à l’époque, puis vieux, puis morts aujourd’hui, n’était plus utile à aucune tâche. Mais témoin de son siècle et relique du passé, les hommes l’avaient conservée, elle entre toutes, quand toutes ses sœurs de labeur, pourtant en tout point identiques à elle, avaient été sous les chalumeaux et les marteaux des hommes découpées, déchiquetées, réduites en tas de ferraille, d’où naîtraient, d’où étaient nées sans doute déjà, les générations nouvelles de locomotives diesel et électriques d’aujourd’hui.


Elle, la gare, se présente comme un imposant bâtiment carré, à trois arches principales en rez-de-chaussée, encadrées de deux arches plus fines, surmonté de trois étages et flanqué de deux grosses tours rondes en façade. Une carrure sombre sans grâce, bâtie pour traverser les siècles et les vicissitudes du temps, on ne peut plus carrée et germanique dans sa solidité.


Haydarpaşa, car il s’agit bien d’elle.


La gare de Haydarpaşa posée sur la proue de la rive asiatique. Oh, combien je l’avais rêvée avant de l’atteindre ! Ne me parlez pas de gares. Je voudrais toutes les avoir connues, toutes les connaître ! Les gares parisiennes de mon enfance, gare Saint-Lazare la mère des gares que j’ai connue avant de savoir marcher, gare d’Austerlitz, gare Montparnasse, gare de Lyon, synonymes de départs en vacances et enfin les moins fréquentées par moi, gare de l’Est et gare du Nord. Oh, gares de Paris, je me gargarise de vos noms ! Ce n’est que plus tard, à vingt ans, que j’appris à connaître certaines de vos sœurs anglaises, gare Victoria, porte d’entrée sud de Londres, ma préférée entre toutes. Combien elle a changé au fil des ans ! au lieu de vieillir comme moi, elle a rajeuni, par toute sorte d’artifices cosmétiques. Et plus tard encore, à vingt-quatre ans, je visitai vos sœurs coloniales de l’océan Indien, les modestes gares anglaises de Dar es Salaam et de Nairobi, et finalement la gare de Tananarive, vieille dame de France à Madagascar, qui barre de sa largeur le bas de l’avenue de l’Indépendance, surmontée de son œil cyclopéen scrutant les foules.


Je franchis la porte au milieu de l’arche centrale, me retrouve de plein pied dans un hall immense, encadré par d’énormes piliers carrés, se terminant au plafond en arches arrondies. Des frises, peintures ou céramiques je ne sais, accompagnent et soulignent les arrondis des arches. Les plafonds sont ornés de caissons dans les mêmes teintes pâles, bleu, vert, jaune, brun aussi. Rien de gracile, d’efféminé, tout est carré, solide. Elle ne fait pas dans le sentiment. Elle est là, posée, et s’affirme, dans sa beauté teutonne sans grâce.


Le hall est divisé en plusieurs halls, par ces encombrants piliers qui empiètent une grande partie de l’espace. Une section, sur la droite, est dédiée à la vente des billets. Les gens attendent assis sur quatre rangées de bancs de bois vernis, placés en face des guichets. Une pendule digitale devant eux marque 16 h 04 en chiffres rouges. Qu’attendent-ils chacun ? Qui le sait ? Un train, une heure, un rendez-vous manqué, étaient-ils déjà là hier à attendre, reviendront-ils demain ? Ou bien certains d’entre eux sont-ils déjà partis ailleurs, perdus vers quelle destination ?


Une verrière en façade éclaire le hall, qui comporte une autre pendule, ancienne celle-là, qui marque de ses aiguilles de fer quatre heures quatre. Les deux pendules s’accordent sur la même heure : le moment précis où pour la première fois je t’ai rencontrée. À jamais pour moi le temps sera arrêté sur quatre heure quatre à Haydarpaşa.


Mais une gare, c’est plus qu’un bâtiment, si imposant et massif soit-il. Ce sont aussi des quais derrière, des trains, des rails, des cheminots, des postes d’aiguillages, toute une corporation avec ses métiers, ses rites et ses langages. Je le sais, j’ai travaillé plusieurs étés de suite aux chemins de fer quand j’étais jeune, à Batignolles, à Saint-Lazare. Si ma vie était à refaire, je me ferais cheminot. Et pour chaque train en attente immobile à quai, s’anime de temps à autre l’un des tableaux mobiles en tête de quai, affichant des destinations proches ou lointaines, connues ou inconnues pour aiguiller les flux des voyageurs.


Car Haydarpaşa dans mon esprit, au contraire de Sirkeci, n’est pas un terminus d’arrivée, c’est un terminal de départ : Konya, Adana, Alep, Bagdad, Damas, Amman, Médine ! La Syrie, l’Irak, plus loin la Jordanie… Oh, la puissance évocatrice de ces destinations ! Hélas, les guerres du Moyen-Orient ont interrompu tout cela. Ne subsistent que des noms effacés sur les plaques rouillées des gares et des trains, et des rêves d’improbables voyages dans la tête.


__________________________


* Heureux celui qui se dit Turc.


 
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   Robot   
22/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Parcourir avec le narrateur ces étapes de gare en gare a été un véritable plaisir. Il m'a conduit au delà du simple guide touristique pour m'emmener en découverte passionnante.
L'impression de visualiser en image un périple architectural original, un peu à la manière des "trains pas comme les autres".
Ce type de récit documentaire rédigé dans une belle écriture est assez rare ici sur Oniris et je men réjouis.

   Cyrill   
22/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Dameer,

J’ai pensé à Orhan Pamuk dont j’ai lu de nombreux romans, et qui s’attache à décrire Istambul de cette même façon très personnelle.
Ici, la gare est un personnage aimé, inutile d’y intégrer une histoire.
Au delà du documentaire, j’ai senti la passion animer ce récit. Passion transmise par une belle écriture, précise et sans fioriture, avec des qualités descriptives certaines.
L'émotion s'attachant au lieu est vive, la réflexion sur le voyage en filigrane, la quête de sens en sus.

   Cleamolettre   
23/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Je reviens tout juste de mes vacances et vous me donnez déjà envie de repartir en voyage !
A priori ce n'est pas mon genre de lecture, beaucoup de descriptions, pas "d'histoire" dans le sens d'un récit qui raconte. Mais votre texte a effacé cet a priori.
Sans doute parce qu'Istanbul (et pas seulement ses gares) est un rêve de destination pour moi, mais aussi parce qu'on sent votre passion et que vous savez la faire partager et embarquer avec vous. J'ai même été voir des photos des gares citées pour poursuivre un peu l'évasion.
Je trouve vraiment chouette d'avoir un tel enthousiasme pour quelque chose, les gares donc pour vous, les trains, et d'avoir la générosité de le partager. En plus bien écrit, agréable à lire.
Merci donc pour ce voyage.

   Yakamoz   
24/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Dameer,

'ai trouvé ce texte empreint de nostalgie, servi par une écriture agréable, avec de belles descriptions de ces gares d’antan qui sont des monuments à part entière. On sent la passion pour les trains et la symbolique des gares est sous-jacente, lieux de départs et de retours, ou de retrouvailles. La géographie particulière ajoute une touche originale au récit, ces deux gares d'Istanbul de part et d'autre du Bosphore, avec le trait d'union entre l'Europe et l'Asie, terminus pour l'une et point de départ pour l'autre vers des destinations malmenées par les guerres.

   Yakamoz   
24/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Dameer,

J'ai trouvé ce texte empreint de nostalgie, servi par une écriture agréable, avec de belles descriptions de ces gares d’antan qui sont des monuments à part entière. On sent la passion pour les trains et la symbolique des gares est sous-jacente, lieux de départs et de retours, ou de retrouvailles. La géographie particulière ajoute une touche originale au récit, ces deux gares d'Istanbul de part et d'autre du Bosphore, avec le trait d'union entre l'Europe et l'Asie, terminus pour l'une et point de départ pour l'autre vers des destinations malmenées par les guerres.

   Malitorne   
25/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Ce n’est pas une nouvelle que vous avez écrit là (je sais, je suis chiant avec ça) mais un panel de souvenirs qui vous appartient. Le problème avec ce genre de récit c’est qu’il parle davantage à l’auteur qui revit ses émotions qu’au lecteur exclu de fait. À mon goût, trop tourné vers soi et non vers l’autre. Heureusement que l’écriture est de qualité et m’a aidé à pallier le manque d’action et les descriptions relativement fastidieuses.


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