Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Policier/Noir/Thriller
Donaldo75 : Jean-Alphonse [Sélection GL]
 Publié le 13/07/23  -  7 commentaires  -  8167 caractères  -  55 lectures    Autres textes du même auteur


Jean-Alphonse [Sélection GL]


Pépère commençait à m’énerver avec son souci du détail et ses théories scientifiques à deux balles. Mémère le regardait en attendant de pouvoir en placer une. Autant le mari représentait la logique cartésienne des nains de jardin fiers de leur savoir, autant l’épouse sentait l’artiste refoulée post-soixante-huitarde. Le couple de l’année. Mes nouveaux clients. Deux gros pénibles de compétition.


– Bon, si je récapitulais, histoire de voir si j’ai tout bon ?


Pépère inclina la tête. Mémère me jeta un œil mauvais de sorcière dérangée en plein pelage de crapaud. J’optai pour la synthèse, un exercice qui semblait leur échapper.


– Votre fils unique, Jean-Alphonse, a disparu.

– Oui, dirent en chœur les parents.

– Et vous soupçonnez mademoiselle Amélie Trondheim de l’avoir enlevé. C’est ça ?

– Exactement.


Quand je pense qu’il leur avait fallu trente minutes pour m’expliquer le topo. Pépère avait fait briller son encyclopédie, détaillé chaque scène du présumé complot, insisté sur des points dont je me fichais comme de l’an quarante. Mémère avait surenchéri avec des formules fumeuses dignes d’un mauvais poème surréaliste. Et moi, j’avais écouté en silence, tel le psychothérapeute de base devant des patients indécrottables. Ils avaient déballé leur haine d’Amélie Trondheim. Cette dernière avait eu l’impudence de sympathiser avec leur rejeton. Et j’imaginais Junior succomber à la demoiselle, prendre enfin sa vie en main et se carapater illico le plus loin possible de ce no man’s land familial.


– Vous n’avez pas envisagé l’hypothèse d’un départ volontaire ?

– Jamais de la vie, s’écria Mémère.

– Pourquoi donc ?

– Parce que sans nous il n’est rien, répondit Pépère.


Les oreilles de Jean-Alphonse avaient dû siffler la carmagnole à ce moment-là. Je laissai les deux parents débiner leur fils unique, raconter sa pauvre vie de têtard assisté, détailler ses échecs amoureux. Une demi-heure plus tard, ils terminaient leur réquisitoire. Le jugement s’avérait sans appel : Jean-Alphonse était condamné à vie chez ses vieux. Une sentence clémente selon eux.


-x-x-x-x-


Amélie caressait lentement les cheveux de son amant. Jean-Alphonse lui plaisait. Il ne ressemblait pas aux autres. Elle le voyait comme la victime innocente de son milieu aseptisé, de ses parents possessifs, d’une société où seuls les forts survivaient au détriment des faibles. Lui se trouvait du mauvais côté. Elle ne voulait pas le sauver, juste l’aimer le temps d’un battement d’ailes de papillon. Elle l’avait persuadé de quitter la maison où il était né et où il était probablement destiné à terminer sa morne vie. Il s’était abandonné dans ses bras en pleurant puis avait cédé à sa demande. Amélie l’avait ensuite emmené avec elle, loin de ses certitudes et de sa fin programmée. Elle lui avait prévu un autre destin, celui du mâle de la mante religieuse après la période de reproduction, quand la femelle était fécondée et affamée.


-x-x-x-x-


J’avais galéré pour retrouver Amélie Trondheim. La jeune femme semblait aguerrie aux techniques de camouflage social. Ni belle, ni vilaine, elle n’imprimait pas de souvenir remarquable chez les personnes qu’elle croisait. Son passé restait flou. Je me posais même la question de son identité réelle. En définitive, je l’avais logée, pas plus tard qu’avant-hier. Ma filature avait permis de repérer Jean-Alphonse et de constater qu’il se portait comme un charme. Son amoureuse l’avait relooké. L’insipide batracien s’était presque transformé en prince charmant. J’en étais à cette phase de ma réflexion quand le téléphone portable vibra dans ma poche. Je vérifiai l’appelant puis décrochai.


– Allons bon, que me vaut cet appel de mon flicard favori ?

– Amélie Trondheim, trouduc !


L’inspecteur Carré n’incarnait pas la finesse voltairienne, loin de là. Son dada, c’étaient les jeux de mots vaseux et les contrepèteries douteuses. Cependant, il m’apportait souvent une aide précieuse dans mes enquêtes, parfois certes un peu chère mais je gagnais du temps grâce à lui. Je l’avais donc sollicité sur le cas du rejeton disparu.


– Je l’ai déjà retrouvée. J’ai oublié de te le dire.

– Comment ça, retrouvée ?

– J’ai découvert son nid d’amour.

– Et ?

– Elle roucoule avec sa tête d’ampoule.

– Tu vas vite déchanter, abruti. Ramène ta fraise illico !


Il n’avait pas l’air content. D’ailleurs, il raccrocha sans même une petite blague à deux balles. Je reçus dans la foulée par texto une adresse où le rejoindre.


-x-x-x-x-


Jean-Alphonse s’admirait dans la glace. Le rejeton disparu aimait son nouveau look. Il le devait essentiellement à sa nouvelle égérie, Amélie. Non seulement elle le comblait au lit mais en plus elle lui présentait de nouvelles perspectives. Il avait décidé de s’affranchir du cadre parental. Il pourrait désormais voler de ses propres ailes, se laisser aller à ses fantasmes les plus inavoués. Le jeune homme voyait désormais le monde en couleurs, loin des sorties nocturnes dans des quartiers interlopes. Amélie avait été son révélateur. Elle l’avait initié, défroissé, dégrossi. Et elle l’avait excité avec sa parade de mante religieuse, ses dessous gothiques et ses bougies parfumées. Ils avaient pratiqué des rites sataniques, fait l’amour sur des pentacles, mélangé leur sang dans des étreintes passionnées. Amélie aimait le mordre, le lécher, le griffer. Il adorait cette sensation de danger cannibale, ce long et tortueux jeu de la mort où la proie se mélangeait avec le prédateur.


-x-x-x-x-


Je ne l’avais pas vue venir, celle-là. L’inspecteur Carré me montrait le corps sans vie d’une jeune femme simplement vêtue de dessous noirs et pourpres. La pièce sentait l’encens. Les murs étaient bardés de symboles cabalistiques. Cependant, ce n’était pas ce qui me choquait. Je devais poser la question à la tribu poulaga dépêchée sur les lieux.


– Où est sa tête ?

– Dans un sac mortuaire.

– Comment ça ?

– Elle était détachée du corps.

– Montrez-moi ça !


L’inspecteur Carré fit signe à un sous-fifre de m’accompagner dans la cuisine, là où ils avaient entreposé ledit sac. Je supposai qu’il l’avait déjà assez vu. Une fois dans la pièce, le flic ouvrit la fermeture éclair. Je reconnus Amélie Trondheim. Ses yeux révulsés trahissaient une terreur du dernier instant, celui de la mort imminente. Le haut de son crâne était transpercé, comme foré par une gueule de sangsue métallique. Sa bouche sanguinolente laissait penser qu’elle avait bu du sang. Je me demandai si c’était celui de Jean-Alphonse. Je posai la question au légiste.


– On le saura après les analyses génétiques.

– Mais c’est bien du sang humain ?

– Oui.

– Il y en a ailleurs ?

– Non, juste dans sa bouche. Et pas assez pour que la morsure soit dangereuse.

– Vous en pensez quoi ?

– Pour moi, c’est juste un jeu sexuel qui a très mal tourné.


Cette conclusion résonna comme une révélation divine. Pépère et Mémère allaient tomber de leur chaise. Leur fiston n’était pas le garçon empoté qu’ils imaginaient, juste bon à se déniaiser dans des caravanes délabrées avec des putes roumaines. Amélie Trondheim ne l’avait pas enlevé pour les obscures raisons qu’ils s’étaient inventées. Jean-Alphonse l’avait choisie. Elle l’avait probablement excité avec ses histoires de magie noire, ses délires de sorcellerie et sa baise sataniste. Il était alors rentré dans son jeu pour voir jusqu’où il pourrait aller. Et il avait adoré ça.


– Bon, je te laisse annoncer la nouvelle à tes clients ?

– Je leur donne quelle version ?

– Dis-leur la vérité. Leur fils est un psychopathe criminel, un fou absolu.

– Et s’ils le savaient déjà ?

– On s’en tape. On doit juste l’arrêter avant qu’il y ait d’autres victimes.


L’inspecteur Carré disait vrai. Et je pressentais qu’il envisageait le pire. Moi aussi. Jean-Alphonse n’en était probablement pas à son coup d’essai. Je ne savais pas comment il était passé à travers les mailles du filet mais ses parents devaient forcément s’en douter. Et ils l’avaient laissé faire pour le garder bien au chaud près d’eux. Maintenant, il découvrait le monde réel et il avait faim.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Disciplus   
28/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Espace lecture
Écriture fluide. Rythme alerte. Lecture aisée. Dialogues cohérents.
Insertions intéressantes des vues des différents personnages.
Personnages classiques : Rivalité amicale entre le policier et le détective. Proches à la ramasse. Légiste débonnaire. Ton désabusé et cynique à la Mike Hammer. Style feuilleton américain de l'après-midi.
Pas le temps de s'immerger dans le récit, la chute arrive. Le lecteur est frustré. Pas d'intrigue, de fausse piste, d'enquête. L'auteur semble vouloir en terminer rapidement. Aurait mérité de plus amples développements.

   Jemabi   
29/6/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Le style vif donne du rythme dès le début, et les remarques désabusées du narrateur détective, ses expressions à la Audiard, lui confèrent tout de suite une personnalité dynamique. Dommage que cet élan soit par deux fois brisé par une parenthèse sur l'idylle du couple, d'autant que celles-ci sont racontées dans un tout autre style, sobre et presque morne. Il fallait sans doute remplir, car en définitive il n'y a pas vraiment d'enquête puisque c'est son ami flic qui fait tout le travail. L'enquête s'est faite hors-champ, d'où une légère frustration chez le lecteur. Mais si je m'en tiens au style narratif, avec ses formules imagées, un peu argot, un peu parigot, je reste sur une bonne impression.

   jeanphi   
3/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

Heu, la nouvelle est assez imposante par l'entrain qui la mène jusqu'à cette conclusion apparemment irrévocable.
Je crois reconnaître la plume d'un auteur déjà lu en espace de lecture il y a quelques semaines dont le texte n'était pas paru, une nouvelle au sujet d'un policier stagiaire trop curieux qui fini assassiné par son commissaire.
Ici l'humour est un peu moins présent et l'histoire davantage résumée, mais le détachement et la tonalité de la narration me paraissent fort attachant. Ceci dit malgré que, pour un format si court, la masse de détails sordides me paraît proportionnellement trop conséquente.
L'entrée en matière avec la description par les parents plante parfaitement le décors. Aucun élément de schéma narratif ne semble manquer à l'appel malgré la brièveté du récit. Un exercice bien mené. Il aurait été intéressant que l'enquête se poursuive jusqu'au procès. Le retournement de la situation initiale n'en étant pas tout à fait un ... ceci est un avis personnel.

   cherbiacuespe   
4/7/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
Ce texte me déçoit un peu, je dois le dire. Il suit pas à pas les règles du genre et c'est plutôt efficace. On reste éveillé de bout en bout, la bave aux lèvres par le suspense échafaudé. Il est bien écrit, très réaliste jusque dans les dialogues, les personnages trop caricaturaux pour ne pas être séduisant. Pourtant, il manque quelque chose. Il s'arrête beaucoup trop tôt, un peu comme si l'auteur n'avait pas eu le temps de l'écrire jusqu'au bout. Je ne parle pas d'une suite, attention, je parle bien d'une fin, d'une conclusion, d'une histoire qui se termine. Dans le cas présent, on a l'objet du cadeau, manque l'emballage, ou l'inverse.

Cherbi Acuéspè
En EL

   Asrya   
5/7/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
L'histoire est intéressante et la narration relativement prenante.
Le début nous entraîne dans l'histoire gaiement avec un ton relativement humoristique qui est plutôt bien géré.
C'est sympa.

La situation est relativement cocasse avec ses parents qui s'inquiètent du sort de leur Tanguy ; ou alors s'inquiètent ils du sort de celles et ceux qui le croiseront ?
Quoi qu'il en soit, on suit l'histoire avec plaisir et on attend la fin avec une grande attention.

Pauvre Amélie. Elle qui avait tout de la coupable... finir ainsi...

Bon, la chute est amenée très rapidement et ce qui amène les enquêteurs à retrouver la piste d'Amélie et de Jean-Alphonse est relativement ténu, c'est probablement le point faible de la nouvelle à mon sens.
Le lecteur n'est pas suffisamment plongé dans l'enquête, dans les éléments d'intrigue qui pourraient permettre de s'ambiance au maximum dans ce style de nouvelle.
J'ai plutôt l'impression de lire une nouvelle humoristique, qu'une nouvelle policière. Ce n'est pas forcément déplaisant, mais ce n'est peut-être pas ce qui était recherché, je ne sais pas.

J'aurais bien aimé que la nouvelle s'éternise un peu plus et que l'auteur m'entraîne davantage dans les indices permettant de retrouver les deux tourtereaux.

Quelques dialogues me paraissent un peu maladroit et poussifs sur l'humour, notamment le dialogue avec l'inspecteur Carré. Mais bon, chacun ses goûts.

Merci pour le partage, au plaisir de vous lire.

   Shepard   
13/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Salut Don,

Je dois dire que je reconnais ton écriture systématiquement, malgré tous les sujets que tu abordes au travers de tes nouvelles. Parfois, j'aime, parfois moins... Bon, tout ça pour dire que j'ai l'impression que ta "technique" se resserre, il y a peu d'errances, le rythme est condensé, on ne s'ennuit pas. En fait, tu pourrais écrire n'importe quoi et ça serait toujours lisible, piquant et avec un peu d'humour nonchalant. Donc un compliment de ce côté là. 

Le fond du texte... J'ai l'impression d'une esquisse d'histoire, cela va répéter ce qui s'est dit avant : peu de péripéties ou de thrill dans cette enquête délivrée par téléphone comme on reçoit les pizzas un jeudi soir en mode flemme de faire à bouffer. Le week end est plus très loin. 

En fait, le texte n'existe que par ses personnages. La sorcière de salon, le tueur Tanguy, l'inspecteur qu'en a vu d'autres... Une galerie qui promettait, même si pas révolutionnaire. Moi je ne dis jamais non aux clichés quand ils sont assumés, surtout avec ce genre de plume. Donc je dirais fais-en plus. Ou pas, comme tu veux. On verra dimanche. 

Mention au "no man's land familial", ça m'a fait sourire.

   Perle-Hingaud   
13/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Salut Donaldo,
Une bonne nouvelle, qui respecte les codes attendus (le privé, le flic, la belle gosse vénéneuse, le tueur en série...). Une écriture toujours aboutie, un soupçon d'humour et un grand sens de l'équilibre dans la narration. C'est maîtrisé comme l'expresso concocté, comme il se doit, par une secrétaire blonde en talons aiguilles. Il y a tout de même un retournement de situation bienvenu.
Je ne sais pas si je garderai un grand souvenir de Mlle Trondheim, mais en tant que tête pensante, elle a un certain potentiel, je crois. :)
Merci pour cette lecture sympa !


Oniris Copyright © 2007-2023