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Sentimental/Romanesque
Edgard : Boulevard Dessalines
 Publié le 28/07/14  -  19 commentaires  -  10455 caractères  -  237 lectures    Autres textes du même auteur

C'est un court texte qui raconte un événement du quotidien dans une rue de Port-au-Prince en Haïti… et qui me donne l'occasion d'une modeste aquarelle sur la vie là-bas. L'intrusion dans la nouvelle d'un écrivain haïtien que j'adore est une publicité clandestine !


Boulevard Dessalines


Boulevard Dessalines… On dirait que le soleil s’amuse, ici, à griller les gens et les choses. Vous n’avez qu’à faire quelques pas hors de l’ombre noire des quelques ruines qui tiennent encore debout par miracle et vous le sentirez cuire vos joues, peser sur vos épaules. C’est lui, aussi, qui crée tous ces parfums d’hommes, de femmes, de sueurs, d’ordures, de fruits trop mûrs, d’épices, auxquels se mêlent les fragrances, moins subtiles, des gaz d’échappement, que crachent les autos ancestrales, déglinguées, les taptaps*, surchargés de grappes humaines, poussifs, multicolores, décorés comme des princesses de bordel oriental, où Dieu s’affiche, en lettres de feu, comme s’il était là. Mais ici, on peut être là et pas là. C’est un des mystères de ce pays. Vous pouvez serrer la main d’un ami, le regarder dans les yeux, lui demander comment il va. « Pas plus mal ! » vous répondra-t-il. Mais il sera peut-être, au même moment, au bord du fleuve Artibonite, en train de cueillir une mangue bien mûre.

Le boulevard Jean-Jacques Dessalines (qui porte le nom d’un Héros National qui se fit Empereur, Grand Libérateur du Peuple, Grand Assassin du Peuple, tout juste sorti de l’esclavage, adulé par le Peuple, assassiné par ses Amis, au nom du Peuple…), grouille toujours de monde. C’est le décor qui a changé. Le décor, Goudougoudou* l’a écrabouillé en trente petites secondes, dans une avalanche de cris et de poussière, un triste jour de janvier, illuminé de soleil, où il s’est mis à tout secouer, comme un dément. Les arcades de pierres sales, les immeubles crasseux, les hôtels de passe où de pauvres filles distribuaient pour quelques gourdes un peu d’amour et quelques maladies mortelles, les petits marchés, les banques, la poste, les boutiques, tout y est passé. Quelle colère ! Tant de gens ensevelis, dont les cadavres sont encore parfois prisonniers de ces tombeaux de béton et de ferraille, quatre ans après. Mais il faut bien que la vie reprenne.

Et la voilà, la vie. On n’a pas l’impression qu’ils vont quelque part, tous ces passants, ces chariots à bras, ces petites vendeuses portant sur la tête des monceaux de camelote, ces brouettes, ces voitures rafistolées, poussives, ces chiens errants, pelés, galeux, ces bus qui puent, ces gosses en uniformes impeccables, souliers cirés… petites filles avec, dans les cheveux, des rubans et des perles multicolores ; mais si ! Ils vont forcément quelque part. Chez nous, en France, cela se voit, que les gens vont quelque part, ils sont pressés et marchent tout droit vers leur but. Boulevard Dessalines, ils font parfois des détours, pour contourner les attroupements, éviter les écraseurs, les motos folles, saluer un ami, regarder un âne qui refuse d’avancer, faire une partie de dominos, ou tout simplement parce que le temps est élastique ou que ces « quelque part » où ils vont sont capricieux et peuvent changer de place, de temps en temps.

Devant ce qui reste de l’hôtel Acropolis (c’est-à-dire un énorme tas de gravats, sous lequel dorment quelques-uns de mes amis, et trois hauts cocotiers plumés comme des coqs après le combat), passe d’un pas pesant un âne décharné. On dirait que ses pattes fines sont en fer, sculptées par un forgeron de Croix-des-Bouquets. Deux grands paniers de latanier pendent sur les flancs de la bête. Ils sont pleins de grosses pierres jaunâtres. Sur l’âne est juchée une vieille petite femme crasseuse, aussi décharnée que l’animal, vêtue de haillons dont on devine les couleurs vives sous les larges taches sombres. Son visage est un morceau de charbon où roulent deux minuscules yeux vifs. La vieille tient dans sa main une rigwaz, avec laquelle elle fouette l’arrière-train de la bête, à gauche, à droite, à un rythme soutenu, tandis que, de ses pieds nus, elle martèle rageusement ses flancs. L’animal, fourbu, le pelage trempé d’une sueur de mousse blanche, ralentit. La vieille frappe encore, de toutes ses forces, au milieu des klaxons qui retentissent, des invectives qui fusent, des rires qui éclatent comme des banderilles, des encouragements ironiques, et, bientôt, d’un empilement hétéroclite de véhicules et de piétons bloqués, par l’attroupement qu’elle a créé. Blocus* ! La vieille frappe. En vain. C’est que l’animal s’est arrêté au milieu d’une flaque noire d’eau et de gazole où se prélassent des détritus.

Affolé par le bruit, martyrisé pas les coups, l’âne, babines retroussées, dégoulinantes de bave, montrant ses longues dents jaunes, s’est mis à ruer tel un cheval sauvage, hurlant, secouant sa cavalière comme dans le plus réussi des rodéos. Cette guerre d’une misère contre l’autre semble réjouir la foule, qui grandit. Quelque esprit colérique aura investi le corps douloureux de l’animal, celui de cette femme, et même les pierres des paniers, pour y exprimer sa colère. Contre quoi ? Je ne sais. Il y a toujours de la colère dans les êtres et même dans les choses, ici (vous avez bien vu : Goudougoudou…), car nul ne se sent vraiment à la place où il devrait être, sur cette terre brûlée.

Il fallait s’y attendre ! Le lien des paniers s’est rompu ; la vieille femme s’est envolée une seconde dans l’air brûlant, jupe par-dessus tête, pour atterrir lourdement et rejoindre les pierres dans la flaque. Un grand silence s’est fait soudain. Car on peut rigoler, c’est sûr, mais quand les esprits s’en mêlent… Et puis dans ce pays, on sait ce qu’est la souffrance et jamais on ne laisserait un frère ou une sœur dans une flaque de boue. Ayisiyen sé nou, sé pas yo ! Mais que faire ?

Ce grand type qui gesticule devant la portière ouverte d’une limousine corbillard – noire astiquée rutilante pimpante étincelante – bloquée par l’incident, c’est Gary Victor ! Je le connais bien, c’est le plus prolifique, le plus flamboyant (et le plus dingo) des grands écrivains haïtiens, avec sa bonne bouille de grand type heureux… (lisez « La piste des sortilèges », lisez « À l’angle des rues parallèles », lisez tout le reste !) ou bien alors, c’est quelqu’un qui lui ressemble effrontément, comme deux gouttes de rhum Barbancourt !… Vous l’ai-déjà dit ? Ici, on peut être quelqu’un et quelqu’un d’autre, ça dépend de l’humeur, ou de l’heure qu’il est, ou d’autres raisons dont on ne parle pas. Qu’est-il en train de négocier celui-là ?

On a tendu à grann manman des grosses mains sales, des petites mains ridées, des mains boulottes avec encore des traces de vernis bon marché sur les ongles, des belles mains fières d’elles au bout de bras costauds, des mains usées par les lessives… Des mains anonymes, tellement de mains, toutes ensemble, qu’elle n’a même pas choisi, la vieille, et qu’elle s’est retrouvée debout, massant ses fesses trempées, l’œil hagard, muette d’étonnement, dans le soleil. D’autres mains ont caressé l’âne dans le sens du crin. Et il a regardé la foule, sans trop comprendre, avec ses grands yeux bleus, ornés de cils tellement longs qu’on aurait dit des faux. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il n’en veut plus, pour aujourd’hui, de ces pierres sur son dos, ni de cette Boko* à moitié folle.

D’un geste du bras, d’une ampleur considérable, Gary (mais si ! c’est bien lui, peut-être… ! Lisez « Le sang de la mer » ! lisez « Un octobre d’Elyaniz » !), avec sa bonne bouille de type souriant, qui connaît les gens, qui connaît des choses au fond des cœurs, et qui n’a peur de rien, Gary a ouvert la foule comme on ouvre une citrouille : en deux ! Et lentement, silencieusement, la Cadillac modèle 1968 – vitres teintées, pneus ultra larges à flancs blancs, longue comme un train, pas une trace de doigt sur la peinture vernie, chromes à tous les étages, « Touchez pas avec vos pattes sales ! » – s’est avancée. Dans la foule, il y a toujours quelqu’un qui a une bonne idée et si ce quelqu’un a quelques gourdes dans la poche, alors tout le monde dit : « Ce qu’il propose est formidable, faisons ce qu’il dit ! Tu es notre fierté Gary ! » Et tout le monde s’y met.

Et délicatement toutes ces mains noires, des plus foncées, des plus claires, des moites, des sales, des moins sales, ont empoigné les pierres et (« Délicatement, j’ai dit, attention ! Attention bon Dieu ! ») les ont chargées dans la belle auto, derrière, où on met les morts d’habitude, mais aujourd’hui, il n’y en a pas. Toutes les pierres, sans en laisser une.

Et la belle auto corbillard, brillante de tous ses feux – imported from the North USA, Engine eight cylinders, air conditioned – est repartie, comme si elle glissait, sans effort, sur le boulevard Dessalines, avec l’allure d’un piéton pas pressé ; parce qu’ici, le temps est élastique (comment le savez-vous ?) en faisant bien sûr quelques détours pour éviter les trous, parce qu’ici, on ne peut pas aller tout droit, là où l’on veut, ce ne serait guère prudent.

Et derrière la belle américaine, on voit se mettre en route, à l’allure où vont les choses quand elles sont en place, une toute petite bonne femme, pieds nus, légèrement boitillante, aux cheveux crépus, couleur de l’asphalte de la rue (entre les trous), couleur de la poussière des ruines, un bandeau rouge serrant son front ridé, tenant un âne maigre par la bride.

Derrière la femme et l’âne s’est formé un long cortège de suiveurs, agité, bariolé, chantant, dansant comme pour un rara* de carnaval, et les cris ont repris, les rires, les klaxons, les ronflements des moteurs fumants, les charrettes poussées par des hommes en sueur, qui, ici, jamais ne s’arrêtent, les petites vendeuses avec leur cuvette sur la tête, les écoliers avec leur uniforme impeccable, les crieurs d’eau, et d’autres passantes et passants, qui allaient ailleurs, sans doute, mais que ça ne gêne pas de faire un petit détour.

Et ce cortège joyeux, au niveau de l’ancienne pharmacie « Dieu guérit », aujourd’hui en ruines, a tourné à gauche « rue des Souvenirs » et, peu à peu, disparu à ma vue.

Cette « rue des Souvenirs », si vous allez à Port-au-Prince, ne la cherchez pas, je l’ai inventée. C’est qu’elle change de nom sans cesse. Quand on est mort elle s’appelle « rue de l’Oubli », quand on est heureux elle peut s’appeler « rue des Bougainvilliers », ou « rue l’Amitié »… peu importe.

Quant à Gary Victor, quand j’ai tourné la tête… je vous l’avais bien dit, dans ce pays, on peut être ici, on peut être là…



Notes.

* Goudougoudou : nom donné au tremblement de terre, à cause de son bruit.

* Taptap : pick-up aménagé en taxi collectif.

* Rara : défilé musical vaudou.

* Blocus : embouteillage.

* Boko : sorcière.


 
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   Anonyme   
9/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bravo ! Je craignais au départ, vu le lieu et l'époque, un texte valise à sanglots, chargé d'apitoiement et de bons sentiments, mais j'ai eu le grand plaisir de lire quelque chose d'âpre et d'allègre, une histoire qui ne cache pas la misère et le sordide, mais y insuffle une formidable vitalité.
J'ai beaucoup aimé la description de la ville, et cette tendresse humaine que vous rendez manifeste ; avec en plus un zeste de fantastique, ou plutôt de manière "ouverte" de considérer Haïti comme un endroit où on n'est pas tout à fait soi, entier en un même lieu.

J'ai adoré, donc, ce ton gai sans mièvrerie.

   Pimpette   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
Superbe!
A tous les points de vue!

Cette histoire de la vieille, de l'âne, des pierres et du corbillard on sent bien que c'est une anecdote de ce pays là....Même si notre auteur l'a inventée bien entendu!

En marge de l'histoire la merveilleuse description de cette ville que je ne connais pas mais qui se met à vivre sous les mots adroits et juteux!

PLus encore...l'évocation des mentalités avec leurs côtés magiques
Dans une misère grouillante et presque gaie....

Quelle bonne plume ce Monsieur Edgard. J'admire.

   Anonyme   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Edgard

Un peu trop de virgules là où ma lecture s'en serait passée mais une belle prose assortie à de belles images, vivantes, bruissantes. De la gaieté, mêlée d'autre chose. Du vivant, de l'ensoleillé brûlant et des couleurs, beaucoup, aucune sépia, tout est vif, enlevé, jusqu'à cet âne et cette vieille sorcière que je sens méchante - mais c'est la vie et elle n'est pas tendre.
Bien joli texte qui m'a fait partir pour ailleurs.
Merci à l'auteur.

   Anonyme   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Edgard,

Peut-être écrirez-vous un jour « Chroniques Haïtiennes ».
Un texte qui nous change des intrigues romanesques où on attend la chute avec impatience. Le vôtre est un plaisir de lecture permanent, le récit d’un envoyé spécial lucide, fraternel et philosophe. L’empathie ne suffit pas toujours à bien raconter la misère. Vous y parvenez sans culpabiliser personne ni chercher à nous tirer des larmes de nantis. Tout ça d’une encre sublime, quelquefois un peu chargée de qualificatifs, mais qui n’a besoin d’aucun artifice pour nous en restituer toute la poésie.

Décidément, Edgard, je vous connaissais poète. Maintenant, en plus, je vous découvre poète…

Ludi
soudain contemplatif

   Anonyme   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut Edgard ! J'ai retrouvé dans cet Haïti quelques pays d'Afrique, quelques marchés colorés et cet âne si souvent maltraité en ces contrées où sans lui pourtant rien ne se ferait... Une belle histoire qui sent le "longtemps vécu" car jamais un simple touriste ne retracera avec autant de vérité, mais aussi d'amour pour le pays, ce genre de scène de la vie quotidienne de ces régions hors du temps qui est le nôtre...
J'ai beaucoup aimé ce texte qui m'a fait songer à Cité Soleil...
Bravo et merci pour cette immersion sans pathos au cœur de l'île martyre... où pourtant la vie continue

   Anonyme   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour, Edgard,

J'ai trouvé, parfois, au début, que l'abondance de virgules hâchait la lecture. Mais un style, on s'y fait, on s'y fera, ça viendra, on prendra le temps pour ça. Sur une courte nouvelle, cependant, le temps est compté, il faut se précipiter vers les dernières phrases pour y trouver la chute et comprendre à quoi toutes les autres ont servi. Enfin, souvent, pas toujours. Ici, ce n'est pas le cas, on comprend rapidement que le sel n'est pas au bout de la route, mais qu'au contraire, il la parsème. Surtout, un style n'est pas qu'enrobage, il est aussi le fond, et je me suis surpris à m'arrêter à chaque virgule, à patienter, à regarder autour de moi comme le font les êtres que vous peignez, et j'ai aimé ça.

   Shepard   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Edgar !

Un récit pour le moins coloré... Je dois admettre que j'ai eu beaucoup de mal à accrocher au début : phrases longues avec beaucoup de virgules, à tel point que je sautais des mots sans même m'en rendre compte. Heureusement le texte est court, autrement je ne serais pas arrivé au bout. Tant de descriptions que j'en ai un peu perdu l'action, pour finalement l'a retrouver sur la deuxième moitié.

Pour le fond, ce texte a une "morale" sympathique et évite un apitoiement non nécessaire. Je n'ai par contre trop saisi l'idée du "Ici, on peut être quelqu’un et quelqu’un d’autre, ça dépend de l’humeur, ou de l’heure qu’il est, ou d’autres raisons dont on ne parle pas." mais je ne connais pas Haïti.

Un endroit intéressant raconté ici, on sent la lourdeur du soleil dans les mots finalement... Ça me donne envie de rester au frais.

   Louis   
28/7/2014
Un regard plein d'humanité pour cette ville , Port-au-Prince, pour ce pays, Haïti.

Les indications données sur l'origine du nom du boulevard Dessalines font preuve d'humour et d'une pointe d'ironie. C'est la seule. L'humour est partout présent, mais sans tonalité ironique  ; il donne une légèreté au récit qui empêche de céder à l'apitoiement, et au misérabilisme. Un regard amusé, mais compréhensif et bienveillant est porté sur ces gens qui ont à vivre dans des conditions extrêmement difficiles, dans un pays qui a subi de multiples catastrophes, naturelles et sociales.

Des observations judicieuses révèlent la particularité des gens de ce pays, d'abord celle d'être à la fois présents et absents, «  Mais ici, on peut être là et pas là. » Ici et ailleurs, comme s'ils étaient doués du don d'ubiquité. Jamais tout à fait présents, toujours déjà ailleurs.
Une difficulté de leur part, probablement, à accepter la réalité présente, celle qui est immédiatement perçue, si dure à vivre.

À cette particularité en sont associées deux autres  :
«  Ici, on peut être quelqu’un et quelqu’un d’autre, ça dépend de l’humeur, ou de l’heure qu’il est, ou d’autres raisons dont on ne parle pas.». Les personnes semblent ne pas avoir d'identité fixe, elles sont elles-mêmes et autres.
«On n’a pas l’impression qu’ils vont quelque part, tous ces passants» : les gens dans la rue ne semblent pas avoir de but précis, ne semblent pas savoir où ils vont ; leur destination lointaine, dans l'espace et dans le temps, ne les absorbe pas, ils semblent vivre dans un présent, et n'agir qu'en fonction des aléas de ce qui se présente.
Il en ressort que dans ce pays tout semble manquer de fixité et de stabilité, rien n'est précisément déterminé, ni les lieux, ni les personnes dans leur identité, ni les événements dans le temps. Même le nom des rues change sans cesse, comme cette «  rue des souvenirs  ».
On ne sait donc jamais très bien qui est qui, où l'on est, où l'on va, en quel temps l'on se situe. Tout semble labile, variable, flottant. Et « nul ne se sent vraiment à la place où il devrait être, sur cette terre brûlée  »

Dans ce monde instable et fluctuant, soumis aux aléas du présent, un âne qui refuse d'avancer produit tout un « blocus », fait l'événement.
L'anecdote montre la solidarité des gens entre eux dans la misère  : « dans ce pays, on sait ce qu’est la souffrance et jamais on ne laisserait un frère ou une sœur dans une flaque de boue. », mais elle montre surtout comment ce qui sert la mort, le corbillard luxueux ( le seul luxe visible ici, c'est le luxe pour la mort) peut servir la vie aussi, qui semblait un moment suspendue par la mésaventure de la vieille « boko » et de son âne.
Des pierres à la place des morts, non pas des pierres tombales, mais des pierres pour reconstruire les lieux de vie : l'image est surprenante, mais belle et parlante. La vie s'impose, sur les lieux de la mort, et c'est l'image de tout ce pays qui est ainsi rendue, toute une population qui détourne l'apparat fastueux et pompeux pour la mort vers l'affirmation simple de la vie.

J'ai beaucoup aimé ce texte, son humanité, le choix parlant de l'anecdote contée, l'usage modéré aussi du truculent vocabulaire local, comme ce mot « Goudougoudou » qui désigne pourtant une réalité terrible.
Il y a encore l'intervention de l'écrivain, intéressante, qui demanderait à elle seule tout un commentaire, sur la place de l'écrivain dans la société, sur la fonction de l'écriture.

Bravo, Edgard, pour ce très bon texte.

   Robot   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Cette écriture m'a passionné. Plus que le récit, c'est le tableau, les couleurs, les sons, que je retiens. Tout ce texte est une vision, un panorama. Et cette impression de gens, comme une multitude qui se croise et vaque. Et puis comme un sentiment de bonheur, de gaité étrange. J'ai regretté que le récit soit si vite achevé.

   Anonyme   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonsoir Edgar,

C’est superbe ! J’adore cette balade dans votre tableau. Les mots, les images dégoulinent en cascades, rejaillissent, éclaboussent, ricochent et je ne sais plus où donner du regard. Tout m’éblouit, soleil d’Haïti ruisselant à chaque coin de rue, sur chaque misère, j’hume nez au vent et je palpe les odeurs aigres, chaudes et magnifiques que vous exaltez avec bonheur.

Vous touchez de votre plume le sordide pour l’enrouler dans votre tendresse où flambe la vie.

J’aime énormément rencontrer la poésie dans mes lectures. Vous m’avez gâtée.

Merci pour les minutes passées à vous lire. Elles ont l'effet d'un baume, le reste peut bien attendre…

Cat
en couleurs

   widjet   
28/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Foisonnant. Voilà le mot qui me vient à la lecture de cette petite scènette, cette tranche de vie exotique (l’auteur a la bonne idée de ne pas abonder de mots locaux, ça ne fait pas étalage), colorée, vivante, qui nous embarque sans effort (faut dire que tous les sens - la vue surtout - sont mis à contribution et c’est un régal).

Rien n’est laissé au hasard et j’aime beaucoup la fin de la boucle « on peut être ici et là » qui démontre la maîtrise du récit.

Ca ne raconte pas quelque chose d’extraordinaire, mais le style dresse un tableau qui donne un cachet pittoresque et émouvant à l’ensemble.

Bravo. J'aurai aimé l'écrire (enfin, si je savais).

W

   AhmedElMarsao   
29/7/2014
 a aimé ce texte 
Passionnément
Deux ou trois phrases… une ou deux lignes... et voilà tout un monde qui nous envahit !
Pari réussi avec maestria. Le style en kaléidoscope fait surgir tout un monde au bout de chaque phrase tracée.
« Et la voilà, la vie » dixit l’auteur.
Je l’imiterais en ajoutant : « Et la voilà, la littérature ! La grande ! »
Celle qui nous change de ces histoires superficielles qui polluent les pages blanches aussi bien que celles virtuelles des sites… et des jeux de mots gratuits, des métaphores et des figures de styles oiseuses… Non, jamais une figure de style ni une métaphore ne pourront tenir à elles seules un texte (poésie ou nouvelle). Tout est affaire de souffle.
Un grand bravo !
Un superbe moment de lecture !
PS: Je mets "exceptionnel" sans hésiter.

   Neojamin   
29/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Edgard,

Après tant de commentaires élogieux, je ne vois pas grand chose à ajouter.
Je tiens juste à remercier l'auteur pour ce texte, ce morceau de présent qui fait chaud au coeur. J'ai découvert un peu de ce pays avec la lecture de Danny Laferrière et je retrouve dans tes mots un peu de son ambiance (même si l'époque est bien différente).
Ton texte est très inspirant et donne envie de se plonger dans une atmosphère, d'observer ces lieux extraodrinaires que nous traversons chaque jour et que nous oublions parfois de voir...
Merci.

   Anonyme   
29/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Après tant de commentaires élogieux, je ne vois pas grand chose à ajouter... non plus !

Deux petites choses cependant : merci de m'avoir fait découvrir un auteur. J'ai pu dénicher une interview de cet auteur et il me donne vraiment envie de le découvrir et de le faire découvrir !

Ensuite, j'ai "intégré" un concept qui va m'aider désormais dans cette vie échevelée : le temps est élastique ! Quelle merveilleuse idée...

Je vous en suis reconnaissant jusqu'à la fin de mes jours...

   Anonyme   
30/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Edgard,

Un tourbillon bariolée, "Boulevard Dessalines" explose ma rétine.

Vous me racontez la rue, la ville, les gens et leur être. C'est sale, c'est beau, c'est dépaysant.

Je suis désolée mon commentaire ne sera pas constructif, je ne trouve pas les mots pour vous dire combien j'ai aimé votre écriture, j'ai hésité à laisser un commentaire, mais il fallait que vous sachez que j'ai beaucoup aimé votre nouvelle qui a une telle personnalité, elle est à mes yeux d'une grande qualité.

   guanaco   
31/7/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Génial!
Je me suis bidonné! La vie après Goudougoudou!

Tout a été dit. Moi j'ai adoré les pointes d'humour par ci par là:
- "couleur de l’asphalte de la rue (entre les trous)"
- "Gary a ouvert la foule comme on ouvre une citrouille : en deux !": pas la mer comme Moïse, trop banal, non, comme une citrouille, et la précision qui tue!

Et l'âne qui n'avance pas avec sa cavalière: moi je voyais Djamel Debbouz sur son âne dans "Astérix": "Hue Cannabis, hue!...Tu n'es pas très coopératif Cannabis!" et ça m'a bien fait marrer.

N'oublions pas la gravité du fond: un pays dévasté par les tremblements de terre et autres typhons,ouragans ou cyclones avec les gravats omniprésents encore aujourd'hui mais l'auteur refuse tout misérabilisme gratuit et s'empresse de remettre son lecteur sur les bons rails comme ici: "Devant ce qui reste de l’hôtel Acropolis (c’est-à-dire un énorme tas de gravats, sous lequel dorment quelques-uns de mes amis, et trois hauts cocotiers plumés comme des coqs après le combat)"

Merci pour ce bon moment de lecture

   Cox   
6/8/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Très beau et dépaysant.

Je ne connais pas du tout Port-aux-Princes, sa culture, son ambiance et je ne peux donc pas dire que vous avez su le rendre parfaitement, mais j'aime à croire que c'est le cas car votre prose sent le vécu et paraît venir de quelqu'un qui a su s'imprégner d'une ville et la comprendre intimement.

Cette peinture est vivante et magistralement écrite; on ne s'ennuie jamais et la lecture est un plaisir constamment renouvelé.

Je ressors de cette nouvelle en rêvant d'un roman signé de votre plume qui se déroulerait en Haïti et saurait, comme ici, exalter ce cadre le temps d'un longue histoire.

Bravo !

   Anonyme   
7/9/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le mot a déjà été écrit dans l'un des commentaires précédents. Je le reprends à mon compte : voilà de la littérature. Le style, l'originalité de la langue, la force des images, la vérité des personnages,
(je parle de cette vérité que seule peut générer la littérature, multidimensionnelle et que l'on intériorise de manière intime), tout est là.

Mon cher Edgard, je ne sais si vous vous êtes essayés au roman, mais c'est, assurément, une voie qu'il vous faut explorer.

   in-flight   
7/6/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une belle peinture de ce pays particulier:
- Premier à avoir pris son indépendance du joug français, via Toussaint l'Ouverture;
- Chantre du vaudou;
- Terre martyre sur le plan géologique.

Tout ça, ça vous forge un caractère, une Nation !

L'écriture est belle avec ce particularisme d'être "dans" et "hors" l'histoire que vous nous racontez: on vous suit tel un conteur qui maitrise son sujet, tel un guide touristique animé par la passion de ce pays. Cela donne une impression de fiction/reportage assez troublante.


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