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Fantastique/Merveilleux
Elwyn : L'Arbre Pourpre
 Publié le 06/09/09  -  5 commentaires  -  18742 caractères  -  54 lectures    Autres textes du même auteur

“Il y a eu un accident.”
Six mots. Mon premier souvenir.
“Il y a eu un accident.”
Et si je m’en souviens si bien, c’est sans doute parce que, à ce moment-là, j’ai compris que quelqu’un était mort.


L'Arbre Pourpre


“Il y a eu un accident.”


Je me rappelle bien de cette phrase. Je crois d’ailleurs que ce sont les mots les plus anciens qui viennent à ma mémoire.


“Il y a eu un accident.”


C’est tellement banal. Si court, si tranchant. On n’ose pas demander, et pourtant, on sait déjà. Une phrase pareille, c’est toujours un mensonge. Ce n’est jamais un accident.

Combien de fois l’ai-je entendu dans des films ! Si je me concentre, je suis sûre que je pourrais revoir l’une de ces scènes : deux policiers sur le pas d’une porte, les mains croisées sur leurs képis enlevés, une sirène qui ponctue brièvement cette déclaration de son cri strident, et le désespoir de la femme, appuyée au chambranle de la porte pour ne pas tomber.


Mon film à moi est bien différent.

Six mots. Mon premier souvenir.


“Il y a eu un accident.”


Et si je m’en souviens si bien, c’est sans doute parce que, à ce moment-là, j’ai compris que quelqu’un était mort.


*


Je me suis réveillée dans une chambre éclairée par les néons du couloir. Pendant un moment, j’ai été désorientée. J’ai cligné des yeux, ai quitté la chaise sur laquelle je m’étais assoupie et me suis avancée au centre de la pièce.


Que faisais-je là ?

C’était la Saint-Sylvestre. L’aube ne devait pas être loin car je me souvenais avoir quitté la fête vers 5 h avec mon mari.

Pierre... Où était-il ?

Un vertige me prit et je me laissai tomber à genoux. Que s’était-il passé ?

Tout ce que je me souvenais, c’était que...


*


– ... je ne veux pas aller à cette fête !


Pierre fronça les sourcils.


– Enfin, chérie, on ne va quand même pas rester cloîtrés ici toute la Saint-Sylvestre !

– Chaque année je dois subir le dîner familial de ta mère ! Chaque année j’y vais sans rechigner ! Et pour une fois qu’elle décide de se casser aux sports d’hiver avec ton père, tu te fais inviter à cette stupide soirée ! En six ans de mariage, nous n’avons pas eu un Nouvel An à nous deux ! Rien que nous deux...


Pierre la prit par les épaules.


– Mais si. Nous aurons toute la journée de demain rien qu’à nous. Je te promets.


Et voilà comment elle s’était laissée embarquer dans cette fête improvisée.


*


Un bruit étrange me tira de ma torpeur. Un léger BIP-BIP régulier. Je me redressai et jetai un coup d’œil autour de moi.

J’étais dans une chambre d’hôpital. Face à moi, deux lits. Sur celui de droite, je reconnus aussitôt mon mari.

Pierre était paisiblement endormi. Un bandage recouvrait son front et du sang séché avait perlé à la surface. Son ventre se soulevait alors que sa gorge émettait un léger ronflement. En m’approchant un peu plus, je remarquai que son nez avait été remis en place. Il se l’était sans doute cassé quand il avait freiné brusquement pour éviter...


*


– Le camion !


Pierre poussa à fond sur le frein. Elle vit se rapprocher les phares, tels deux soleils gigantesques qui l’aveuglaient. Puis, ce fut le choc. Une sensation épouvantable. Des cris. Du sang. Cette sensation de s’éparpiller soi-même sur le sol glacé.

Et le klaxon du camion qui résonnait encore à ses oreilles...


*


Je sursautai. Mais non ! Je ne rêvais pas ! J’entendais bien un TUT, plus strident que le klaxon, mais bien réel. Mon cerveau mit un temps infini à comprendre ce qu’il se passait, alors que mon cœur le sentait déjà.

Je me tournai vers le monitoring. La machine continuait son traçage régulier sans la moindre anomalie.

D’où provenait ce bruit, dans ce cas ?


Mes jambes ne me paraissaient pas plus dures que du coton. Je m’appuyai sur le rebord du lit et, d’une main, ouvris la tenture qui séparait les deux lits.

J’étais là.

Couchée entre des draps immaculés.

Et j’étais en train de mourir.


Je crois que des gens ont accouru dans la chambre. Je me souviens d’éclairs, de cris, d’invectives. Mais tout semblait si vain à mes yeux. J’avais envie de leur dire d’arrêter.

Enfin, ils ont débranché les tuyaux et ont remonté le drap sur mon visage. J’avais l’air si bien.

Soudain, j’ai eu envie de hurler. Pourquoi m’avaient-ils laissé partir ? Ils n’avaient pas le droit ! Je ne pouvais pas être morte !


C’était trop horrible...


J’ai agrippé la manche d’un interne et j’ai hurlé. Le jeune homme a frémi et s’est retourné vers moi. Mais il ne pouvait pas me voir.

Que j’avais été sotte !

J’ai senti ma respiration s’alourdir et j’ai fermé les yeux.

Le sol a glissé sous mes pieds et je crois que je me suis endormie.


*


Quand je me suis de nouveau réveillée, il y avait des gens dans la pièce. Un docteur. Et les parents de Pierre.


– Croyez bien que je suis désolé, mais nous n’avons pas pu la sauver.


Le docteur était un homme relativement jeune, chaussant de petites lunettes carrées. En un instant, je l’eus en horreur, lui et son air abattu. Ce qu’il dit ensuite ne fit qu’attiser ma colère.


– Je suis désolé pour l’enfant...

– L’enfant ?


La mère de Pierre eut un hoquet de surprise.

Oui, l’enfant. Personne ne savait. Je ne l’avais même pas encore dit à Pierre. J’attendais un test de confirmation.


– Elle était enceinte ?


Cette fois, c’était le père.

Instinctivement, je portai mes mains à mon ventre. Était-il toujours là ? Vivant en quelque sorte à travers moi ? Grandirait-il et naîtrait-il dans la mort ?


– Il est tard.


Un petit homme venait de parler. Je crus qu’il s’adressait aux visiteurs et leur priait de partir, mais ceux-ci ne semblaient pas avoir entendu.


– Il est temps à présent.


Aucun mouvement. Je me tournai vers le petit homme et me rendis compte qu’il me regardait.


– Oui, vous m’avez entendu, répéta-t-il. Il est tard, nous devons y aller.

– A... Allez où ?


Il ne répondit pas.

Derrière lui, mes beaux-parents se consolaient mutuellement tandis que le médecin affichait un air gêné, pressé que l’entretien se termine.


– Tu dois les laisser, maintenant, dit le petit homme.

– Suis-je morte ?


Nouveau silence.


– Il est temps de partir, dit-il enfin.

– Où ça ?

– De l’autre côté.

– Ça va... Ça va faire mal ?


Pour toute réponse, il me tendit la main.

Avec appréhension, je la saisis et fermai instinctivement les yeux.


*


Une douce brise frappa mon visage. J’ouvris les yeux.

Je me trouvais sur une colline herbue. Elle descendait gentiment vers un petit cottage. Au milieu de la colline se dressait un arbre.

Ses feuilles, ses branches, son tronc ainsi que ses racines étaient pourpres. On aurait dit une araignée ensanglantée attrapée dans ses propres filets.


– Où suis-je ? Où m’avez-vous emmenée ?

– Je ne sais pas. Ce n’est pas moi qui décide.

– Mais qui alors ?


Le petit homme me sourit.


– Eh bien... vous.


Mon regard accrocha de nouveau l’arbre pourpre, il descendit vers le cottage abandonné. L’air était doux, mais aucun chant d’oiseau ne se faisait entendre.


– Alors, c’est ça mourir ?


Pas de réponse.


Je me retournai : le petit homme avait disparu.


*


Je ne sais pas quel jour nous sommes. Je ne connais pas l’heure. Je ne sais pas où je suis. Je sais seulement que j’y suis.

Depuis combien de temps suis-je arrivée ici ?

Je n’ai aucune notion du temps. Et après tout, cela n’a pas d’importance.


Ce matin, j’ai déniché une vieille machine à écrire dans le grenier. Et depuis, j’écris.

Je sais que personne ne lira jamais ces feuilles, mais je m’en moque. Je n’ai rien à faire de mes journées. Le petit homme n’est pas réapparu. Je suis désespérément seule.

Je m’étais attendue à bien des choses. Mais pas ça... Est-ce un Purgatoire ? L’Enfer ? Le Paradis ?

Dans ce dernier cas, à quoi doit ressembler l’Enfer !

C’est comme un lent poison qui se distille dans mes veines. Je suis mourante mais il m’est interdit de mourir.


Mes souvenirs me sont revenus, plus vifs que jamais.

On dit que lorsque l’on meurt, notre vie défile devant nos yeux. C’est un peu vrai. Je me rappelle d’événements de mon enfance qui m’avaient été inaccessibles jusqu’alors.

Je revois mon premier sourire, mon premier rire. Je me vois comme au travers d’un écran de télé. Ma vie défile. Mais j’ai le temps. Serait-ce ironique de dire que j’ai toute l’éternité devant moi ?

De ma fenêtre, je regarde l’arbre pourpre. Ses branches ont grandi. Ce doit être le printemps, car il bourgeonne.


Je me demande quelle saison c’est là-bas...


*


Comme décrire cela ? C’était si étrange comme sensation.


Je suis retournée de l’autre côté. Je suis rentrée chez moi. Rien n’avait bougé de place, tout était fidèle à mon souvenir. Non, je mens. Il y avait bien la pelouse qui avait poussé, la poussière qui s’accumulait sur les meubles et des photos de moi, partout.

J’ai vu Pierre. Il se tenait debout dans notre chambre, fixant la penderie. Timidement, il a tendu la main vers une de mes robes et l’a décrochée de son cintre.

À ce moment-là, j’ai eu une pensée bizarre : dans quel habit m’avait-on enterrée ?

Pierre a froissé légèrement le tissu. Il a eu un drôle de sourire, un peu douloureux, puis il s’est mis à pleurer.

À voir ainsi mon mari pleurer en tenant une de mes robes dans ses bras, je me suis sentie comme une intruse dans ma propre maison.


– Pardon... a-t-il murmuré. C’est ma faute. Je n’aurais pas dû...


Les derniers mots sont restés coincés dans sa gorge. J’ai posé une main réconfortante sur son épaule, mais il n’a fait que frissonner. J’aurais voulu le consoler, mais je savais qu’il ne pouvait m’entendre.

Pierre est tombé à genoux et j’ai préféré m’éloigner.

Je suis revenue.

Mais je ne repartirai plus.


Non, ça m’a fait trop mal de voir la douleur des vivants. Je ne retournerai plus jamais là-bas.


*


Aujourd’hui, j’ai mis la main sur une vieille boîte de peinture à l’eau, un chevalet et des pinceaux. Je me suis assise devant la fenêtre et, depuis, je peins.

Ma main a dessiné la colline sur laquelle je suis arrivée. J’ai peint en pourpre l’arbre qui commence à perdre ses feuilles. Elles ont pris une belle teinte vermeille et le vent qui souffle dans les branches est le seul bruit qui vient troubler ma quiétude.

Je me sens bien ici.

J’ai tout ce dont j’ai besoin. Et vu que je n’ai besoin de rien... juste ma machine pour écrire et mes pinceaux pour figer le temps.


Jamais je n’ai été si calme.


*


Mes mains tremblent alors que je presse fébrilement les touches.

Je ne comprends pas. Que s’est-il passé ? Qu’ai-je fait ?

Je n’ai pas pu résister : je suis retournée chez moi.

Chez moi...

La maison n’est plus la même. Elle m’a chassé.

Dans l’entrée, j’ai trébuché sur des cartons. Je me suis penchée pour les ouvrir : mes habits, mes dessins, mes souliers... Un peu plus loin, une caisse remplie de photos.

Je ne suis plus là.


Cette fois, je suis vraiment morte.


*


Ce doit être l’automne ici. Toutes les feuilles de l’arbre sont tombées. Elles forment comme un petit tapis soyeux où j’aime m’allonger.

Je regarde passer les nuages.

Chaque jour, je peins.

Déjà trois tableaux accrochés dans mon salon.

J’essaie d’oublier l’autre monde.


Le temps semble s’égrainer si lentement ici ! Une seconde dans ce cottage voit passer des mois de l’autre côté.

Depuis combien de temps suis-je morte ?

Parfois, la nuit, j’ai des pensées macabres. Je me vois, couchée sous la terre, le visage creusé par des vers, les membres raidis, les cheveux fins comme des fils d’araignée.

Si j’avais eu le choix, aurais-je préféré que mon âme soit ensevelie avec mon corps ? Que plus rien ne me touche ? Qu’il n’y ait plus qu’un grand vide ? Ou aurais-je choisi cette vie-ci ?

Mais ce n’est pas une vie ! Je ne fais qu’attendre ! Attendre quoi ? Si au moins je le savais !

Rien n’a plus de sens ici !

Je ne peux que vivre dans mes souvenirs.

Pas vivre, re-vivre.


Oh ! J’aurais aimé que ce soit le néant !


*


L’arbre a refleuri ce matin.

Je suis retournée voir Pierre. En fait, c’est lui qui m’a appelée alors qu’il dormait. Dans son sommeil, il a murmuré mon nom.

J’ai senti une telle chaleur dans mon cœur !

Comment ai-je pu souhaiter d’oublier tout cela ? Que me resterait-il si je n’avais pas mes souvenirs ?

Les souvenirs sont toute la vie d’une personne. Sans eux, elle n’est plus rien. Juste une étoile filante qui s’en va mourir dans le lointain et que personne n’a vue. Quand j’étais petite, je regardais les étoiles filantes et je faisais un vœu. Sans enfant pour les regarder, les étoiles filantes passent et tombent dans l’oubli. Elles ne servent à rien. Sans témoins, la vie n’existe pas.

Sur la table de la cuisine était ouvert un journal à la page des nécrologies.

Déjà un an que je suis morte !


Mes pensées se sont tournées vers le bébé. Parfois, j’ai l’impression de le sentir bouger en moi. Pourtant, je sais que c’est impossible.

Je sens la vie en moi. Que cette phrase est ironique !

La seule vie que je vois se déployer autour de moi, c’est l’arbre pourpre.

Quand je me sens triste, je vais entourer son tronc de mes bras.

J’entends les pulsations de la sève qui monte vers les branches.

Je caresse son écorce du plat de la main. Elle est rude et douce en même temps, ni chaude ni froide.


Peut-être aurai-je des fruits cette année ?


*


Cela fait si longtemps que je n’ai plus écrit ! Les automnes se sont succédé. À présent, le temps semble s’être figé dans un éternel hiver.

Les tableaux de mon salon sont les seuls témoins de la splendeur passée de mon arbre. Il est maintenant tout vieux et tout tordu.

Les feuilles ont déserté ses branches depuis longtemps.

Quand je presse mon oreille contre son tronc, j’entends à peine battre son cœur.

J’ai couru sur la colline, mais un orage a éclaté.

Je suis restée, bras tendus vers le ciel, visage offert.


Désormais, Pierre ne m’appelle plus dans son sommeil.


*


Je ne voulais pas revenir ! Je ne voulais pas ! À croire qu’une force invisible m’a obligée à voir ça ! Une autre femme ! Dans ma maison ! Dans ma chambre ! Dans mon lit !

De rage, j’ai pris une scie dans la remise et j’ai couru vers mon arbre.

J’ai arraché de petites branches, projetant des gouttelettes rouges sur l’herbe verte de la colline, j’en ai coupé d’autres.

Mes mains et mon visage sont couverts d’une résine vermeille. Des traces resteront à jamais sur les touches de cette machine.

Comment a-t-il pu me trahir ? Comment a-t-il pu m’oublier ?

Est-ce que je l’ai oublié, moi ?

Je le hais ! Et pourtant, je sens toujours cette chaleur diffuse dans mon corps quand je repense à ses baisers. Je revois son sourire et je suis apaisée. J’entends son rire et je suis heureuse.


J’aimerais tellement qu’il me rejoigne !


*


Ce matin, je me suis réveillée de bonne heure.

Je suis montée sur la colline.

J’ai d’abord été intriguée par la couleur de l’herbe. Partout, elle était comme brûlée, jaunâtre ou roussie. Puis, j’ai vu le tronc.

Il n’en restait plus rien. Juste une souche d’arbre.

Où était l’arbre pourpre ? J’ai couru sur la colline. Peut-être m’étais-je trompée d’endroit. Mais l’horizon était désespérément lisse.

Plus d’arbre pourpre.


– Que s’est-il passé ? Qui a coupé l’arbre ? ai-je dit tout haut sans réfléchir.


Une petite voix que je n’avais pas entendue depuis des années m’a répondu.


– Mais, c’est toi.


Le petit homme se tenait assis sur la souche, un brin d’herbe calciné entre les lèvres.


– Moi ? Pourquoi aurais-je fait ça ?


Il s’est contenté de hausser les épaules.


– Enfin, c’est insensé ! Même abattu, cet arbre doit être quelque part !

– Où étais-tu la nuit dernière ? fut sa seule réponse.


J’ai fermé les yeux et j’ai tenté de me souvenir. J’avais rêvé que je rentrais chez moi. Je voyais une veste pendue à l’entrée, des sandales rouges renversées sur le sol, un bouquet de fleurs posé maladroitement dans un vase, des photos de jeunes mariés souriants... Puis j’entendais des rires. Je courrais vers ma chambre. J’étais là, avec Pierre. Il me tenait amoureusement dans ses bras. Lentement, il me déshabillait en riant. Et je riais aussi.

Qu’est-ce que j’étais belle !

Le soleil entrait par la fenêtre. Il éclairait nos deux corps dénudés. Et je nous regardais faire l’amour. Et j’étais heureuse.

Puis, la femme qui était sur le lit a levé son visage vers moi. Et je n’ai pu retenir un cri de rage. Ce n’étaient pas mes yeux, ce n’était pas ma bouche, pas mes cheveux, ni mon corps ! Ce n’était pas moi dans ce lit, entre les bras de mon époux ! C’était une autre ! Une inconnue ! Une étrangère !

Ce n’était pas moi !

Je suis retournée en courant dans le couloir. J’ai vu défiler les photos devant mes yeux. Avec cette Autre ! Toujours cette Autre !

J’ai ouvert la porte d’entrée et l’éclat du soleil m’a aveuglée.

Il m’avait oubliée.

Alors, comme il avait détruit tout ce qui restait de vie en moi, j’ai pris la hache et je l’ai assenée dans le tronc de l’arbre. Je hurlais.

Et l’arbre hurlait avec moi. J’entendais ses cris de douleur, mais je continuais à frapper, frapper, toujours plus fort, toujours plus profond...

Le sang coulait de l’arbre, le sang coulait de mes mains...

Le petit homme avait disparu.


J’ai porté mes mains à mon visage. Deux longues cicatrices profondes. Deux fines lignes pourpres qui me traversaient les paumes.


*


Pierre est mort maintenant.

Je ne suis retournée qu’une seule fois dans la maison. J’ai appris qu’il avait eu des enfants. Deux filles.

Je sens encore en moi le bébé qui n’est jamais né. J’aime m’imaginer que je parcours la colline, sa petite main dans la mienne.

Les choses auraient-elles été différentes s’il avait eu mon enfant ? M’aurait-il quand même oubliée ?

Je suis retournée voir la souche de l’arbre pourpre ce matin. Elle a presque entièrement disparu. En rentrant dans le vestibule, j’ai dû me frayer un chemin à travers l'amoncellement de tableaux.

C’est tant mieux qu’il m’ait oubliée. Je m’en moque.

J’aurais aimé oublier aussi.

Je voudrais oublier l’arbre pourpre. J’ai tenté de brûler les tableaux mais, à chaque fois, ils sont ressortis intacts du feu.

Je pensais que c’étaient ceux qui restaient qui souffraient le plus. Je me suis trompée.

Quand il y a une vie après la mort, et quand il y a souvenir, ce sont ceux qui partent qui souffrent le plus.

Parfois, j’aimerais qu’il n’y ait rien. Un grand trou noir dans lequel je pourrais me noyer confortablement.

Parfois, j’aimerais ne pas avoir de souvenirs, de mémoire.


Parfois, j’aimerais ne pas être humaine, et me couper de tout, comme j’avais coupé l’Arbre Pourpre.



 
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   ANIMAL   
6/9/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime beaucoup cette histoire, bien écrite, qui se lit d'une traite.

Cette vision onirique de l'après-mort est étrange car il semble que la victime de l'accident est punie dans une sorte de purgatoire alors qu'elle ne voulait pas aller à la fête.

Néanmoins, le ressenti de l'auteur lui appartient et je me suis laissée porter sans peine par cette valse hésitation entre deux mondes.

Une agréable lecture, merci.

   Anonyme   
6/9/2009
Oui, très agréable lecture en effet.
Tout est bien amené, le rythme colle à l'action.
J'aurai imaginé qu'en coupant l'arbre, elle se couperait de ses souvenirs, et qu'elle se détacherait peu à peu de la vie réelle... C'est un peu le cas.
Mais j'imaginai qu'elle le ferait sans peine...

   xuanvincent   
6/9/2009
Après une lecture rapide *, cette transformation de la narratrice en arbre après sa mort et ce basculement dans le fantastique le retour vers le réel, le thème de l'histoire m'a intéressée.

La dernière phrase de la nouvelle m'a plu.

La mise en page du texte, assez aérée j'ai trouvé, a retenu mon attention. Le style m'a semblé assez alerte, notamment par l'usage de phrases pour certaine d'entre elles plutôt courtes, et de paragraphes peu longs.


* je préfère de ce fait ne pas laisser d'évaluation.

   florilange   
11/9/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Oui, 1 étrange vision de l'après-mort.
On dit que les gens ne meurent vraiment que lorsque + personne ne pense à eux.
On dit aussi qu'avant de s'en aller pour de bon, les morts reviennent souvent auprès de ceux qu'ils ont aimés.
Personne n'étant pour de vrai revenu nous le confirmer, je ne m'étais pas imaginé le purgatoire ainsi.
Petit bémol : "tout ce que je me souvenais..." devrait plutôt être : "Tout ce dont je me souvenais...". Sinon, bien écrit & se lisant d'1 traite. Prenant. Merci,
Florilange.

   Coline-Dé   
1/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Dommage que cette originale nouvelle débute par une faute de français ! ( on se rappelle quelque chose, on se souvient de quelque chose) cela gâche un peu le début de lecture. Cependant, le plaisir est vite retrouvé avec cette vision si étonnante de l'au-delà...

   Anonyme   
20/2/2012
Commentaire modéré


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