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Laboniris
GillesP : Une histoire, deux pastiches, trois possibilités
 Publié le 21/10/16  -  18 commentaires  -  21299 caractères  -  234 lectures    Autres textes du même auteur

Le style est à lui tout seul une manière absolue de voir les choses.


Une histoire, deux pastiches, trois possibilités


Le jeune homme promenait son corps dégingandé et ses yeux romantiques à travers les rayons de la librairie. Il portait sur lui quinze ou seize années et on pouvait deviner sans peine qu’il était fort mal à l’aise, comme si sa simple présence en ce lieu lui paraissait inappropriée. Il recherchait, cela ne faisait aucun doute, un ouvrage précis, car sa démarche mal assurée était calquée sur les lettres qui surplombaient les étagères et qui permettaient de trouver rapidement l’auteur du livre que l’on souhaitait. Le jeune homme trouva bientôt la lettre C, pointa son index et s’en servit pour égrener, comme la dévote son rosaire, les livres soigneusement rangés dans le rayon. Au bout d’un moment, l’index s’arrêta brusquement. Son possesseur sourit et saisit un ouvrage volumineux, comportant à vue de nez huit ou neuf cents pages. Les deux quadragénaires amoureux qui regardaient la scène, tendrement amusés par cet adolescent au corps fragile, aperçurent le titre : Belle du seigneur d’Albert Cohen. Très bon choix, pensèrent-ils tous deux. Ils virent alors le jeune homme lancer des regards inquiets aux alentours, puis glisser le livre, tant bien que mal, sous son tee-shirt, tout en le coinçant dans la ceinture de son pantalon. Une proéminence risible émergea ainsi de son ventre. Puis, d’une allure se voulant détachée, mais en vérité bien maladroite, le jeune homme se dirigea vers la sortie de la librairie. Comme c’était prévisible, au moment où il pensait franchir, triomphant, le seuil, le libraire, un vieux grincheux à qui on ne la faisait pas, se dirigea vers lui, l’œil féroce. Il demanda, bien sûr, au jeune homme de sortir ce qu’il camouflait. Tétanisé, ce dernier n’eut pas même la présence d’esprit de prononcer la phrase typique et ridicule du mari surpris par sa femme en pleine leçon de physique expérimentale donnée à une baby-sitter, jeune et sexy comme il se doit. Il présenta l’épais ouvrage et attendit, déconfit, la queue entre les jambes – à la différence du mari trompeur évoqué ci-dessus qui, bien que contrit de la même manière, l’a, lui, entre les jambes de la baby-sitter. Le libraire ordonna à l’adolescent de ne pas bouger d’un centimètre et prit son téléphone. Céleste et Richard – ainsi se prénommaient les deux quadragénaires – comprirent qu’il allait appeler la police ou la gendarmerie. Ils s’approchèrent. Elle entreprit de prendre la défense du jeune homme au physique décharné :


– Demandez-lui simplement de reposer le livre. Vous n’allez pas faire un esclandre pour si peu de chose, quand même ?

– Madame, de quoi vous mêlez-vous ? C’est ma librairie, je la gère comme je l’entends. Ce petit délinquant a besoin d’une bonne leçon. En même temps, si les parents ne démissionnaient pas de leur rôle d’éducateur et si les professeurs leur apprenaient la discipline à l’école, cela ne se passerait pas comme ça. C’est un fait, il n’y a plus d’autorité dans ce pays. Allô ? Oui, j’aimerais vous signaler une tentative de vol. J’ai maîtrisé l’individu. Un jeune. Évidemment. Vous arrivez ? Très bien. C’est au 70 rue Damremont. Librairie papeterie de Montmartre. Je vous attends. Avec l’individu.


Il raccrocha, puis se délecta à répéter au pauvre adolescent :


– Toi, tu ne bouges pas d’ici, compris ?


Et il dit à Céleste :


– Quant à vous, madame, si vous ne voulez rien acheter, je ne vous retiens pas.


Ulcérée, elle voulut répliquer, mais Richard, n’écoutant que son courage, qui lui murmura de prendre la fuite, l’entraîna à l’extérieur en la prenant par le bras. Une fois dehors, elle ne put contenir sa colère :


– Tu te rends compte ? Pauvre gamin ! Tout ça parce que son âme romanesque voulait découvrir un chef-d’œuvre ! La plus grande histoire d’amour du XXe siècle ! Comme si c’était si fréquent, les jeunes amateurs de littérature ! Sale type, ce libraire ! Ce n’est pas compliqué de savoir pour qui il vote ! Il est hors de question que je remette les pieds dans sa satanée boutique ! Fasciste !

– Calme-toi, ma douce, lui répondit Richard, en dissimulant comme il put l’amusement que lui causait la fougue excessive de sa compagne. Cela ne sert à rien de t’énerver. On est tombé sur un imbécile. Ce n’est pas si grave, même si c’est de plus en plus fréquent, je trouve. Et puis, ne t’inquiète pas trop pour le garçon. La police va évidemment se contenter d’un rappel à l’ordre.

Mais Céleste ne décolérait pas. Au contraire, le ton doucereux, et pour tout dire paternaliste, de Richard, la fit repartir de plus belle, mais contre lui, cette fois-ci :


– C’est bien toi, ça : il faut rester raisonnable, en toutes circonstances. Surtout, ne pas faire de vagues. Pas d’excès. Mais laisse-moi exprimer ce que je ressens, au lieu de me prendre pour une enfant ! Laisse-moi me mettre en colère si je le veux, enfin !


Richard, qui haïssait les conflits plus que tout, s’arma de patience face à l’émotivité de sa compagne et d’un sourire aimant en guise d’excuse. Puis, pour ne pas tourner en rond et s’engager dans un débat qui, au final, lui importait peu, il dit :


– Tu as raison. Nous sommes différents. Tu es les Lumières, toujours prompte à t’enflammer contre les injustices, et moi le classicisme, épris de mesure avant toute chose. Nous nous complétons et c’est très bien ainsi, ma douce.


Amusée par la métaphore et attendrie par la voix de Richard, dont elle aimait la petite musique de chambre, Céleste colora alors sa partition d’une pause, puis décida de baisser d’un ton, si bien qu’elle se retrouva au diapason avec le morceau entonné par son compagnon. La mélopée amoureuse qui les envoûtait depuis plus de six mois à présent reprit donc son cours, après cette légère fausse note, à peine audible au demeurant.


– Tiens, j’ai une idée, dit-elle. Pourquoi ne pas écrire cet événement à la manière d’un écrivain que nous aimons ?


Richard acquiesça, d’une part parce qu’il trouvait l’idée plutôt bonne, d’autre part parce qu’il n’était, par nature, pas très contrariant. Ils rentrèrent et se mirent à l’ouvrage. Ils commencèrent par fixer les règles de leur jeu : Céleste proposa la composition d’un pastiche chacun, en un laps de temps de trois heures au total, avec une liberté totale de documentation, ce à quoi Richard ne trouva aucune réclamation à opposer. Restait pour les pasticheurs à choisir les pastichés. Un tirage au sort pouvait donner davantage de piment à la chose, d’après Céleste. Ils inscrivirent alors vingt noms d’écrivains célèbres, s’adonnèrent à une activité de découpage de façon à former vingt petits papiers, les plièrent, les mirent dans une assiette creuse, s’aperçurent qu’ils avaient oublié Voltaire, le rajoutèrent, au grand dam de Richard, qui aimait les chiffres ronds davantage que Voltaire, puis procédèrent au tirage, enthousiastes tels deux adolescents. Céleste tomba sur Rousseau, Richard sur Madame de Sévigné. Ils s’installèrent face à face, après avoir pioché dans la bibliothèque les ouvrages qui leur parurent utiles : Richard se contenta des Lettres de l’année 1671. Sa méthode était simple et s’organisait en trois temps successifs : il comptait relire rapidement quelques passages – premier temps –, de façon à se remémorer les éléments stylistiques saillants – second temps –, puis se mettre à écrire – troisième temps. Il savait qu’il n’avait pas l’aisance de sa compagne, qui s’adonnait à l’écriture depuis longtemps, et qu’il lui fallait être méthodique pour élaborer son texte dans le temps imparti. Céleste, elle, empila sur la table une vingtaine d’ouvrages, à la fois littéraires (les Confessions, les Rêveries du promeneur solitaire, Le Contrat social, La Nouvelle Héloïse, L’Émile, et même le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes), critiques (des ouvrages de Jean Starobinski, de Georges Poulet, de Philippe Lejeune, etc.) et même historiques (etc.). Sa façon de faire était très différente : c’est ainsi qu’elle erra bien plus longtemps que Richard, ouvrant un livre, le feuilletant, passant à un autre ; elle semblait attendre que les mots s’imprègnent en elle. Puis, brusquement, au bout de plus de deux heures de ce dilettantisme, comme atteinte d’une crise de boulimie, elle prit une feuille et laissa son stylo courir, frénétique, sur le papier. C’est ainsi qu’en une demi-heure d’écriture, son pastiche du pauvre Jean-Jacques fut prêt. Richard, qui peuplait laborieusement, depuis déjà deux bonnes heures, son texte d’aphorismes, d’hyperboles, de sustentations et de déclarations d’amour passionnées, reproduisant de son mieux, tel un écolier besogneux, le style de cette femme qui écrivait si bien – mais qui pensait si mal, disait Voltaire, malicieux –, ne put s’empêcher de lui adresser un regard ardent, suggérant bien mieux que n’importe quelle logorrhée pontifiante l’admiration qu’il lui portait. Miracle de l’amour et de la communication non verbale, elle capta ce regard exactement comme il avait été lancé.

Il devait être à peu près vingt heures lorsqu’ils achevèrent leur atelier. Après avoir ouvert et entamé une bouteille de vin rosé, qui leur fit un peu oublier la moiteur de l’été, Richard lut son texte, avec application : il avait conçu une lettre qu’aurait pu envoyer la célèbre marquise – et mère exclusive, voire castratrice, dirait-on volontiers aujourd’hui, saint Freud oblige – à sa fille chérie alors enceinte, quelque temps après le terrible 4 février 1671. Ce jour-là avait laissé Madame de Sévigné au désespoir : c’était celui de leur séparation, madame de Grignan ayant quitté Paris afin de rejoindre son mari à l’autre bout du monde, c’est-à-dire en Provence. Voici la lettre :


À Paris, le 17 mai 1671

J’ai enfin reçu votre lettre du lundi 11 mai. Il était temps ; j’étais de fort méchante humeur, tant je me languissais de vous. Vous lire et vous écrire sont le plaisir de ma vie. Mais je vous avoue aussi que je ne puis pas du tout m’accoutumer à vous savoir à deux cents lieues de moi.

Je voudrais vous conter, ma chère bonne, une petite scène tout à fait savoureuse, digne de Molière, et qui, je l’espère, vous divertira du triste état de votre condition. Voici l’affaire en détail : j’étais hier chez madame de La Fayette, où je fis mes compliments pour vous. Monsieur de La Rochefoucauld était là, bien entendu. On vous adore. Nous évoquions les bruissements du moment, notamment la nouvelle tragédie de Racine, cette fameuse Bérénice que tout Paris couronne. Pauvre Corneille : sa version de l’histoire, qui se joue en même temps, est bien loin de connaître le sort de celle de son disciple. Ainsi va le monde, théâtre mouvant et instable ; le triomphe d’un jour efface la gloire de la veille. Mais vous verrez, Racine passera comme le café, je vous en tiens le pari.

Tout à coup, nous entendîmes un grand tapage dans la pièce d’à côté. Vous vous doutez bien que nous nous y rendîmes de concert, poussés par la curiosité, et bien contents de nous distraire à peu de frais. Et là, nous découvrîmes un jeune homme, d’une extrême pâleur, que je ne reconnus pas d’abord, et à qui je donnai quinze ou seize ans tout au plus, en train de se faire sermonner non sans virulence par un homme à l’œil noir. Qu’avait-il fait ? Nous ne le comprîmes pas tout de suite. Nous nous approchâmes davantage. Vous brûlez d’apprendre de quoi il retournait, n’est-ce pas ? Je ne vais pas vous faire languir davantage, d’autant qu’il vous faut vous garder autant que possible des émotions qui gâteraient votre santé ; je m’en vais donc vous mander tout de suite la raison pour laquelle l’homme au regard sévère le vilipendait si durement : figurez-vous que le garçon s’était rendu en secret dans la bibliothèque attenante et en avait retiré subrepticement L’Astrée d’Honoré d’Urfé, qu’il avait essayé, bien maladroitement, de cacher sous son pourpoint. N’est-ce point charmant ? Tant d’efforts déployés pour ces sottises-là ! Et qui était-ce ? Devinez. Eh bien ! Vous n’y êtes pas ? Je vous le donne en mille. Le fils de madame de La Fayette lui-même ! Elle avait laissé le soin à un certain monsieur de La Bruyère de s’occuper de son éducation et en était très satisfaite jusqu’à présent. Je vous laisse imaginer la diatribe du précepteur qui s’ensuivit, à propos de ce type d’ouvrage qui corromprait la jeunesse et la pousserait au vice en peignant avec délice les passions amoureuses. Je fus ainsi plongée, bien malgré moi, en plein cœur d’une fort plaisante scène. Vous vous en doutez, ma chère enfant, madame de La Fayette ne révéla pas qu’elle s’adonnait à l’écriture, et quant à moi, je me gardai bien de dire que j’avais dévoré les amours d’Astrée et Céladon, que je m’y étais laissé prendre comme à de la glu, malgré le style détestable en maints endroits. « Agréable amusement des honnêtes paresseux », dit monsieur Huet à propos des romans, et j’en suis fort d’accord. Cela dit, je suis persuadée que cette mode passera comme elle est venue et tombera dans les oubliettes de l’Histoire. Dans quelques années tout au plus, on n’en parlera plus.

Je suis tout occupée de vous et de votre santé. J’espère que votre grossesse vous laisse en repos pour l’instant et vous permet d’avaler autre chose que des bouillons. Je vous aime au-delà de tout ce que l’on peut aimer et pense à vous sans relâche. Écrivez-moi souvent, ma très aimable enfant : un jour passé sans nouvelle de vous est un jour vain pour moi.


Ils reprirent un verre de rosé, décidément très rafraîchissant, et enchaînèrent avec le texte de Céleste. Elle avait choisi d’imiter le style des Confessions :


Après cette funeste journée du 9 juin 1762, dont le souvenir est encore aujourd’hui si cruellement incrusté dans ma chair, journée au cours de laquelle je dus quitter Paris en toute hâte, menacé que j’étais de toutes parts, j’eus l’illusion de croire que je trouverais un refuge en revenant en Suisse, paradis perdu de mon enfance. Je pensai naïvement que j’allais pouvoir y trouver le repos auquel j’aspirais et que je méritais, à l’abri de la méchanceté des hommes. Hélas ! À peine arrivai-je à Genève, que j’appris que mes deux ouvrages étaient saisis et interdits, comme ils l’avaient été quelques jours avant à Paris. J’en demeurai interdit, et aujourd’hui encore je ne comprends toujours pas ce qui a pu déclencher cette haine contre L’Émile et Le Contrat social ; que l’on en veuille à ma personne, je pourrais à la limite le concevoir, mais que l’on brûle deux ouvrages aussi utiles, dans lesquels j’avais tenté, avec toute la sincérité qu’il m’était possible, de déterminer les conditions d’une éducation nouvelle et d’une société où les hommes pourraient vivre mieux, cela dépasse ce que mon cœur est capable de concevoir. Je dus me résoudre à l’évidence : à Genève non plus, je n’étais pas en repos. Je me résolus à me réfugier un peu plus loin, à Yverdon.

C’est là que je croisai brièvement la route d’un jeune homme dont je ne sus jamais le nom, et à qui je n’eus pas même l’occasion de dire quelques mots. Et pourtant, je me souviens encore avec exactitude de son visage désemparé, de son corps maladroit, dont il ne savait que faire. L’endroit où je le rencontrai se trouva être une petite boutique, où je m’étais rendu dans l’espoir de trouver quelque lecture agréable pour pallier mon désœuvrement. Alors que je l’observais distraitement, en train de fureter dans les rayons, son regard croisa le mien, l’espace d’une seconde. Cela fut très bref, mais à ce moment-là, je sentis entre nous une sorte de communion dans le malheur. Mon cœur fut instantanément touché par la tristesse qu’il promenait dans la boutique, sans que je susse en aucune façon ce qui lui était arrivé dans sa jeune vie. Sa timidité évidente et son inaptitude manifeste à se montrer à son aise en public me renvoyèrent à ma propre jeunesse, celle où bouillaient d’innombrables idées en moi mais où je ne savais renvoyer qu’une incroyable apparence de stupidité.

Pour ne pas accentuer la gêne dans laquelle il se trouvait, je me détournai de lui et me remis à mes recherches. Mais bientôt, j’en fus tiré, bien malgré moi, par des éclats de voix qui provenaient de l’entrée de la boutique. Attiré par une certaine curiosité que mes innombrables ennemis ne manqueront pas de me reprocher, je m’approchai et revis alors le même jeune homme, dans une très fâcheuse posture : il se faisait en effet vilipender par le libraire, un homme au physique dur et qui avait manifestement l’habitude de se faire obéir par son entourage. Je compris bientôt de quoi il retournait : le pauvre jeune homme, n’ayant vraisemblablement pas de quoi payer un livre, avait tenté de le prendre en cachette, mais, n’ayant pas l’âme mauvaise, il n’avait pas fait preuve d’assez de vice pour ne pas se faire prendre. Je me souvins alors d’une époque lointaine, lorsque je n’étais encore qu’un enfant, et qu’attiré par des pommes qui m’avaient semblé délicieuses, j’avais tenté, sans succès, d’en prendre une ; elles étaient au fond d’une dépense. Je les avais vues à travers une jalousie plutôt élevée. Je m’étais armé d’une petite broche, j’avais réussi, grâce à ce stratagème, à en saisir une, et à ce moment précis, mon maître, monsieur Ducommun, m’avait surpris. J’en avais été quitte pour une punition qui, au lieu de m’éloigner de l’idée du vol, m’avait au contraire dirigé davantage vers celui-ci. C’est à croire que les mauvais traitements, loin de nous éloigner du mal, nous y font plonger plus avant.

En assistant à cette scène, je souffrais comme si c’était contre moi qu’était dirigée la colère du libraire. Je voyais le jeune homme se déliter chaque seconde davantage. Je voulus intervenir en sa faveur ; je ne réussis qu’à marmonner quelques propos ineptes et à me faire rabrouer par l’homme, qui ne se priva pas de me faire remarquer, avec une brusquerie qui me rendit interdit, que je n’avais pas à me mêler de cette histoire. Ô maudite lenteur d’esprit constitutive de ma nature ! J’aurais pu, j’aurais dû développer ma pensée, lui dire qu’avant de condamner, il fallait essayer de comprendre, que chez un être en formation, la force brute ne contribue qu’à créer le vice, que si, au contraire, on se montrait compréhensif, on orientait avec sûreté un homme vers le bien et non vers le mal. J’aurais pu aussi, j’en avais la possibilité, payer moi-même le livre et tout se serait peut-être arrangé. Mais tout cela, ce n’est qu’après coup que je me le formulai, comme souvent, hélas, dans ma pauvre vie. Sur le moment, je sens tout et ne peux rien dire. C’est comme si mon cœur empêchait mon esprit de penser. C’est bien pour cela que l’on m’a souvent jugé inepte.

Que fis-je ensuite ? Puisque j’ai promis au lecteur de tout dire, y compris tout ce qui est honteux, et que bien des gens cachent, voici encore une confession : ne sachant comment venir en aide à ce pauvre jeune homme, je passai devant lui, en lui adressant un regard compatissant, regardai l’objet du délit, sursautai et sortis, chancelant, de la boutique. Ce livre, c’était un exemplaire de La Nouvelle Héloïse.


Emporté par son admiration, et aussi par une légère déformation professionnelle – il était professeur de lettres – Richard ne put cette fois-ci s’empêcher de pontifier : après avoir manifesté son enthousiasme avec force hyperboles, il cita Flaubert. Oui, pour impressionner ses élèves et leur faire croire, en toute malhonnêteté intellectuelle et, qui pis est, sans vergogne aucune vis-à-vis de sa propre escroquerie, qu’il était détenteur d’un savoir incommensurable, il avait pris l’habitude, depuis quelques années, d’apprendre par cœur quelques phrases et textes d’auteurs, assez longs pour suggérer qu’il pourrait en dire davantage s’il s’en donnait la peine et s’il en avait le temps, mais assez courts pour pouvoir les mobiliser à n’importe quel moment, d’une manière faussement impromptue. À vrai dire, d’ailleurs, il ne pouvait réciter qu’une dizaine de textes in extenso – le préambule des Confessions, « L’Invitation au voyage », le passage d’On ne badine pas avec l’amour dans lequel Perdican se lance, face à Camille qui se refuse à lui, dans un vibrant et poignant éloge de l’amour, « Le Dormeur du val », bien entendu, car cela servait toujours, un poème en forme de fable de Victor Hugo à la morale un peu leste, qui s’appelait « L’Ogre et la fée », l’éloge paradoxal de l’infidélité prononcé par Don Juan devant son valet et quelques autres encore –, mais il se débrouillait toujours pour les réciter fort à propos, comme s’il se les remémorait sur le moment même et qu’il choisissait tel texte parmi des myriades d’autres possibles, qu’il ne connaissait en fait absolument pas. Et, pour parachever cette aura factice dont il disposait ainsi à peu de frais, il avait également appris un certain nombre de phrases plus ou moins percutantes qu’il ressortait dès que l’occasion s’en présentait, souvent de Sartre – dont il ne connaissait l’œuvre qu’assez vaguement – ou de Valéry – dont il ne connaissait rien du tout. Le pire, c’était que toutes ces simagrées fonctionnaient parfaitement. Il cita donc Flaubert, qui lui parut propre à résumer la morale de leur après-midi :


« Il n’y a ni beaux ni vilains sujets et on pourrait presque établir comme axiome, en se posant du point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses. »


 
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   JulieM   
3/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai passé un agréable moment auprès de votre imagination, une belle invention que ce triple récit d'un même fait raconté mais ressenti différemment selon le conteur, qui prend ici du plaisir à ce jeu d'écriture à plusieurs plumes !

Très bien écrit, original.

   MissNeko   
21/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J ai adoré vous lire. Au départ, j ai eu peur de m'ennuyer : l histoire semblait banale. Mais voilà que le texte se transforme en exercice littéraire ! Un exercice que vous avez réussi à introduire dans.une nouvelle. Voilà comment d un fait tout à fait banal et pas très intéressant, vous parvenez à écrire deux pastiches !
Oui vraiment j ai trouvé votre idée originale. Vous écrivez très bien !
Quant à la qualité des deux pastiches, je ne connais pas assez l un et l autre des auteurs mais,de les réminiscences lycéennes, cela me semble bien tenir la route

A vous relire !

   Blacksad   
21/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
J'aime beaucoup l'idée de départ de ce texte. J'aime aussi la façon dont les textes pastichés ont été rédigés, c'est un bel exercice et on sent une plume très à l'aise.

Ce que j'ai un peu moins apprécié c'est le style parfois lourd à mon sens (au-delà des pastiches qui copient un style certes littéraire et célèbre mais parfois un peu pesant, mais ça c'est la raison d'être du pastiche). Par exemple, l'insistance sur la "queue entre les jambes"... une fois e terme lancé, laissez le lecteur se faire l'image de la comparaison avec la femme trompée et comprendre le jeu de mot (qu'on ne peut pas rater...) tout seul.
Idem pour moi le dernier paragraphe qui vient décrire un trait de caractère ou une manie de Richard de manière très insistante alors que c'est la fin de la nouvelle et que ça n'apporte plus rien au sujet. En effet, le texte se termine brutalement sur cette citation certes appropriée mais un peu en queue de poisson.
Du coup, j'ai parfois trouvé que les détails donnés sur le couple, leur nouvelle relation, etc... sonnaient un peu artificiels et finalement n'enrichissent pas vraiment la nouvelle.

Pour terminer, très belle idée, très belle écriture et au plaisir de vous relire.

   plumette   
21/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
voici un exercice aussi intéressant qu'amusant.

je dois dire que j'ai un peu buté sur les deux ou trois premières phrases que j'ai trouvé alambiquées.

Mais le récit intial est suffisemment prenant pour donner au lecteur l'envie de voir comment Richard et Céleste vont le transormer en exercice de style.

c'est plutôt réussi!

j'ai trouvé des longueurs dans 2 passages: lorsque le narrateur explique la méthode retenue par chaun des protagonistes pour créer son pastiche et à la fin, la digession sur les citations de Richard, un peu prétexte à faire étalage de références...

Merci pour ce partage et cette plongée dans un passé littéraire qui constitue notre patrimoine!

Plumette

   Anonyme   
21/4/2017
Commentaire modéré

   jfmoods   
30/10/2016
Ce texte virevoltant est d'abord l'occasion d'un très bel exercice de style sur le travail de réécriture. Est-ce tout à fait un hasard si chacun des partenaires, en relevant le défi, se voit attribuer un auteur correspondant à la période littéraire qu'elle / il affectionne ("Tu es les Lumières"... , et moi le classicisme", "Céleste tomba sur Rousseau, Richard sur Madame de Sévigné.") ? Rien n'est moins sûr. Ce clin d'oeil du destin est en tout cas bien agréable.

Au-delà de l'aspect purement virtuose du pastiche, du choix, pour chaque époque, du livre emblématique de la transgression morale, c'est la mise en scène comique qui constitue le sel de cette nouvelle. Ainsi un élément particulier de gestuelle prête-il d'abord à sourire ("Une proéminence risible émergea ainsi de son ventre."). On peut mentionner également l'intertextualité voltairienne (périphrase humoristique tirée de Candide : "leçon de physique expérimentale"). On constate, chez l'auteur, un certain penchant pour la saillie... et pas seulement verbale ("Il présenta l’épais ouvrage et attendit, déconfit, la queue entre les jambes - à la différence du mari trompeur évoqué ci-dessus qui, bien que contrit de la même manière, l’a, lui, entre les jambes de la baby-sitter."). En fin de texte, comme pour faire retomber la sauce, pour servir de contrepoint ridicule à la magnificence du style des deux auteurs pastichés, l'auteur s'applique à démystifier le prestige associé à l'enseignement du français aujourd'hui (groupe nominal jetant le discrédit : "cette aura factice"), présentant le professeur comme un individu arrogant ("Richard ne put cette fois-ci s’empêcher de pontifier", "Oui, pour impressionner ses élèves et leur faire croire, en toute malhonnêteté intellectuelle et, qui pis est, sans vergogne aucune vis-à-vis de sa propre escroquerie, qu’il était détenteur d’un savoir incommensurable."), semblable à un perroquet dans un besogneux exercice de répétition (complément de temps avalisant une mécanique imperturbable : "un certain nombre de phrases plus ou moins percutantes qu’il ressortait dès que l’occasion s’en présentait"), dans un formidable numéro de duperie intellectuelle ("Le pire, c’était que toutes ces simagrées fonctionnaient parfaitement."). D'un côté, la vanité du bateleur ; de l'autre, la passivité béate de l'élève spectateur. Le ton de ce passage un brin caustique rappelle un peu le style de certains portraits du duc de Saint-Simon.

Le trait le plus notable, le plus plaisant, est le comique issu de la disparité des traits de caractère des deux personnages. Tandis que l'un des partenaires est de nature contestataire ("elle ne put contenir sa colère", "Fasciste !", "Mais Céleste ne décolérait pas.", "Laisse-moi me mettre en colère si je veux !", "toujours prompte à t’enflammer contre les injustices"), l'autre est plutôt conformiste, ennemi des bisbilles ("Richard, n’écoutant que son courage, qui lui murmura de prendre la fuite", "C’est bien toi, ça : il faut rester raisonnable, en toutes circonstances", "épris de mesure avant toute chose."). Ce plaisant jeu d'opposition se poursuit jusque dans la méthode de travail ("Richard se contenta des Lettres de l’année 1671", "Céleste, elle, empila sur la table une vingtaine d’ouvrages") et dans la procédure suivie par chacun ("Richard, qui peuplait laborieusement, depuis déjà deux bonnes heures, son texte", "en une demi-heure d’écriture, son pastiche... fut prêt."). De la même manière, le résultat du travail d'écriture est inversement proportionnel en longueur au temps passé à travailler.

Un passage particulièrement réussi est celui où la thématique musicale vient très délicatement souligner l'harmonie un instant brouillée du couple.

"Amusée par la métaphore et attendrie par la voix de Richard, dont elle aimait la petite musique de chambre, Céleste colora alors sa partition d’une pause, puis décida de baisser d’un ton, si bien qu’elle se retrouva au diapason avec le morceau entonné par son compagnon. La mélopée amoureuse qui les envoûtait depuis plus de six mois à présent reprit donc son cours, après cette légère fausse note, à peine audible au demeurant."

J'ai eu beaucoup de plaisir à voir figurer dans ce texte, parmi d'autres grands essayistes, le nom de George Poulet.

Merci pour ce partage !

   vendularge   
22/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Ce que j'aime bien dans ce texte, c'est la joute littéraire, la qualité lisible de ces "à la manière de " qui demandent de la part de l'auteur un travail certain.

Ce que j'aime moins, c'est la première partie qui gagnerait beaucoup à être (oserais-je dire moderne?), plus simple, dans le seul but d'accentuer le décalage.

Cette phrase par exemple:

"Le jeune homme trouva bientôt la lettre C, pointa son index et s’en servit pour égrener, comme la dévote son rosaire, les livres soigneusement rangés dans le rayon. Au bout d’un moment, l’index s’arrêta brusquement. Son possesseur sourit et saisit un ouvrage volumineux, comportant à vue de nez huit ou neuf cents pages."

semble tout droit sortie du dix-huitième, alors qu'une description actuelle avec des tournures de notre époque aurait bien mieux camper la scène (bien que l'idée même qu'un adolescent de notre époque se mette en danger pour voler Belle du Seigneur relève du fantasme...

Bref, un agréable moment de lecture et pas mal de travail.

Merci du Partage

Vendularge

   hersen   
22/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est la troisième nouvelle que je lis de vous, GillesP, et comme pour les deux autres, j'ai ici apprécié un environnement hautement littéraire.

Il y a pour moi trois choses dans votre nouvelle :

1- le travail de réécriture, très intéressant et très bien mené, à partir d'une histoire qui fait sourire.

2- J'ai adoré ce couple qui vit une entente intellectuelle si parfaite.

3- La fin vraiment très rigolote avec ce prof qui sert à point nommé des bouts de textes appris par coeur pour masquer son manque de culture.

Le tout se lit avec plaisir et le résultat est une nouvelle très riche, très dense.

Merci pour cette lecture.

hersen

   Robot   
22/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Je me suis régalé.

J'avoue cependant qu'au début je me demandais ce qui allait ressortir de ce "fait divers" qui me paraissait peu apte à constituer un sujet de nouvelles.
Énorme erreur de jugement de ma part car une fois abordé les récits "à la manière de", j'ai savouré le texte et le savoir faire pour nous rendre plausible le plagiat scriptural des deux écrivains choisis.

Question: avez vous choisi aussi les deux écrivains par tirage au sort ?

A propos du prof qui donne à penser qu'il a lu les ouvrages, je me souviens qu'il y avait, cela fait pas mal d'années, une revue qui proposait des fiches de résumé littéraire qui permettait "de briller dans les soirées mondaine" mais était surtout un exercice autorisant la pédanterie des snobs.

Merci d'avoir proposé cette nouvelle très particulière.

   Anonyme   
23/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour GillesP,

Je ne sais pas comment se terminera ce que j'ai à dire, étant donné ne pas savoir par quoi commencer.
Pardonnez-moi ce soliloque, mais j'ai toujours besoin, au début, de parler sans rien dire, pour faire l'entame d'un commentaire. Rousseau lui-même utilisait ce stratagème ; ''pour se raffermir.'' Disait-il. Mais peut-être ne le saurez-vous jamais, car souvent je l'efface, après avoir enfin trouvé quelque-chose à dire.

Bon. Pour ce qui est de l'histoire en elle-même, on sent bien que c'est le support qui maintiendra les deux pastiches.
Ce support, je suis désolé de l'avoir trouvé bien fragile, mais cela vient de moi qui n'ait pas été sensible à l'histoire. D'ailleurs à la fin du premier paragraphe, même si j'ai compris qu'il s'agissait d'humour, je n'ai pas bien saisi le ''rapport'' entre le garçon contrit et la baby-sitter. J'ai trouvé la comparaison farfelu.
Le couple quadragénaire, que l'on pourrait penser mal assortis, par une différence évidente de caractère, les rapproches au lieu de les séparer. Ils sont le plus et le moins, le feu et la glace, j'ai bien aimé ce contraste, qui sera le prétexte pour réaliser deux styles différents, sous couvert des deux pastiches, avec l'histoire proprement dite, cela forme un triptyque intéressant.
Pour ce qui est de Céleste, inutile de m'étendre sur le sujet, quoi que, car quand je suis allé voir sur internet, et que j'ai tapé Céleste, la première chose qui apparaît, est le pseudo d'une actrice porno américaine.
Et comme je parlais de feu plus haut, il faut bien qu'il brûle quelque part.
Pardon pour cet écart de conduite, de tout façon j'effacerai mes facéties à la fin, ne craignez rien.

Pour en revenir au texte, j'ai trouvé tout de même le couple un peu cul-cul la praline, notamment quand ils découpent leurs petits bouts de papier. On dirait deux enfants, mais en même temps vous les signalez enthousiastes comme deux adolescents. Je ne suis pas sûr que les adolescents s'adonnent à ce genre de petits jeux littéraires.

Pour ce qui est des pastiches, ils m'ont enchanté, ma préférence allant à celui de Céleste. Je ne saurai vous en dire plus, tout simplement parce que je ne me sens pas capable de commenter Madame de Sévigné et Jean-Jacques Rousseau réunis. Même séparés d'ailleurs.

Et vous finissez en apothéose par cet aveu, d'apprendre par cœur des tirades de philosophes, d'écrivains célèbres, pour paraître plus intelligent auprès de vos élèves. Vous devriez avoir honte envers tous ces innocents, avides de savoir, qui eux, croient en vous ( je plaisante évidemment, je ne crois pas un mot de tout ce que je viens de vous dire ).
Bien que je crois, moi, que tout ce que vous dites dans ce dernier paragraphe est vrai.
Cela me rappelle d'Ormesson, dans des émissions, qui cite toujours des personnages célèbres, et en fait souvent des réponses avec, ce qui en soit est je trouve bien vu, car ça donne une certaine saveur au dialogue.
Donc l'idée d'apprendre des citations ou autres, m'est déjà venu, encore faut-il avoir la capacité de les retenir, et si c'est le cas, les sortir au bon moment.
Si on vous passe le fromage, et que pour dire merci vous citer un passage des évangiles, vous êtes à peu-près certain de ne plus jamais vous retrouver invité chez vos amis.
Pour conclure, malgré quelques réticences, j'ai passé un bon moment. Moins que celui de votre dernier écrit, c'est vrai, mais il faut avouer que vous aviez taper fort.

Ps ; j'ai cru comprendre que vous étiez prof, donc je vous prie de pardonner mes fautes d'orthographes parsemant mon commentaire. Et je vous prie de croire, que si je savais où elles étaient, je ne vous en aurait jamais parlé.

   Solal   
23/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Une histoire intéressante qui joue sur d'une part la mise en abîme et d'autre part la variation stylistique.
J'apprécie le fait que vous écriviez sur le travail d'écriture tout en l'insérant dans un environnement fictionnel.
Beaucoup trop d'écrivains se contentent de décrire les mécanismes du travail littéraire. Cela reviendrait, pour un coiffeur, à décrire une coupe à son client sans jamais s'attaquer un seul cheveux. Aucun intérêt.
Vous, au moins, vous tissez une histoire, vous en faites un jeu littéraire qui permet à un couple de communiquer malgré des différences d'opinions.
Ca c'est de la littérature.

Chapeau pour vos références littéraires. Quand vous écrivez Rousseau, on flaire le connaisseur. (Mme de Sévigné, je connais pas, pas ma came, en même temps Rousseau, bon passons...)
J'ai une petite question qui me chatouille :
Le tirage au sort semble bien pratique pour vos deux personnages ?
Je m'explique, vu leur manière de digérer la scène dont ils ont été témoins :
Le ton plutôt espiègle et ironique de Mme de Sévigné fait l'affaire de Richard quand le côté "martyr" et indigné scie bien à une Céleste.
N'aurait il pas été plus drôle d'inverser le tirage au sort?
Enfin je dit ça ; je sais même pas si ma théorie se justifie.

Au plaisir d'une nouvelle rencontre pleine d'éruditions.

Solal

P.S : Albert Cohen, alors ça oui, j'en redemande mais plutôt côté Mangeclous. Je dis ça juste histoire de... enfin bon...voilà quoi...

   Pouet   
28/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bjr,

Je dois vous avouer que ma version préférée est la première, la "vraie" situation, n'étant par forcément féru des styles littéraires "rétro". Enfin si, j'aime bien les Russes du 19 ème.

Après j'ai tout de même pris plaisir à découvrir (à petite dose) les styles de Madame de Sévigné dont je n'ai jamais rien lu ainsi que celui de Rousseau dont j'ai lu ses "Confessions" pour le bac français il y a quinze ans mais dont je ne garde pas de souvenirs... Je suis assez inculte en matière de classique, je vous le confesse justement.

Du coup cela m'a comme qui dirait instruit et comme paradoxalement je suis un inculte qui aime se cultiver, je vous remercie pour cela. Soit dit en passant je n'ai pas lu non plus "Belle du seigneur"...

On sent une qualité d'écriture indéniable.

Enfin je suis assez d'accord avec la "morale" de l'histoire, le sujet n'est pas le plus important, mais bien la manière dont il est traité.

   Alcirion   
5/11/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,

Une bonne idée très littéraire, mais j'avoue que je me suis un peu ennuyé. Les pastiches sont très bien faits, le style en adéquation mais je n'ai pas vraiment compris où vous vouliez en venir, d'un point de vue romanesque, sur l'idée générale de la nouvelle en somme.

Je suis bon public, et la qualité du style fait que je garde néanmoins une bonne impression !

   VALLOIS   
23/11/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ça c'est de la littérature! On y trouve tout ( ou presque). C'est une cuisine raffinée composée d'une histoire ( et même plusieurs) et d'un style soutenu jusqu'au bout. Tous mes compliments.

   matcauth   
12/1/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

C'est une idée tout à fait originale que vous avez eu ici.

Généralement, les auteurs se contentent du travail d'écriture, sans le fondre dans un contexte. C'est le cas ici, il y a un contexte et c'est très réussi. Car la première histoire est déjà intéressante, en soi. C'est une simple anecdote, mais elle est très vivante. Je regrette un peu les dialogues, qui, si je les dit à voix haute, peuvent parfois sonner faux, comme la réponse de la libraire.

Au contraire, les descriptions, comme par exemple le tout premier paragraphe, sonnent très justes et seraient un plaisir à lire à voix haute. L'emploi de nombreuses virgules, et de précisions, "triomphant", "comme la dévote son rosaire" rendent le récit très enlevé et agréables à lire. C'est intéressant et pour moi très important, car ça permet d'écrire sans lasser. D'autant qu'on ressent que l'auteur maîtrise bien cela.

Pour le reste, de façon étonnante, j'en parle moins. L'exercice est réussi. Mais surtout on sent que l'auteur écrit au feeling, en ressentant le rythme et la patine plutôt qu'en essayant de faire un sosie raté, en analysant mot par mot.

Bref, je retiens plus l'état d'esprit de l'auteur, son expérience littéraire et j'attends avec curiosité les prochains écrits.

   Velias   
27/4/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour GillesP,

Raconter une histoire avec trois points de vue différents est une idée intéressante.

Ce que je n'ai guère aimé :

"Le jeune homme promenait son corps dégingandé et ses yeux romantiques à travers les rayons de la librairie."
D’emblée la 1re phrase m’a tiré la réflexion suivante : Lorsque j’écris mal, j’écris le même genre de phrase, aussi mal tournée.

"comme la dévote son rosaire" , c’est une expression mal trouvée de mon point de vue.

de même : ". Une proéminence risible émergea ainsi de son ventre." et " Tétanisé, ce dernier n’eut pas même la présence d’esprit de prononcer la phrase typique et ridicule du mari surpris par sa femme en pleine leçon de physique expérimentale donnée à une baby-sitter, jeune et sexy comme il se doit. Il présenta l’épais ouvrage et attendit, déconfit, la queue entre les jambes – à la différence du mari trompeur évoqué ci-dessus qui, bien que contrit de la même manière, l’a, lui, entre les jambes de la baby-sitter. " On s’égare là, non ?

Bon, vous l'aurez compris la 1re partie du texte ne m'a pas du tout séduite.

" Tu es les Lumières, toujours prompte à t’enflammer contre les injustices, et moi le classicisme, ..."
Cette phrase est bien trouvée, bien placée. Elle amène la suite du récit et le choix de Céleste et Richard sur les auteurs qu'ils vont pasticher.
La facilité aurait été d’opposer 2 auteurs de la même époque, vous n’en faites rien. 1 siècle environ les sépare. Idem pour leur personnalité. D’un côté La Sévigné et ses façons de concierge, de l’autre Rousseau et sa pudeur ampoulée.

Bon, on finit sur une note toute masculine et bien dans l'air du temps : Richard, "homo erectus" ou "homo sapiens sapiens", aura le dernier mot et clouera le bec à Céleste avec une citation apprise par coeur et dont il connait peu l'oeuvre :)

Au plaisir de vous lire encore.

   ClorisMenset   
5/8/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Joli tour de force. La métatextualité se fait rare de nos jours, et c'est souvent l'occasion de petits jeux très plaisants. J'ai un peu pensé à Calvino.

Ce que je relève de plus dommageable: quelques lourdeurs stylistiques qui viennent à mon avis d'un souhait de trop appuyer le comique. En premier lieu le coup de la queue entre les jambes, parfaite illustration de la vanne qui dure trop longtemps.
L'auteur n'a l'air de faire aucune confiance au lecteur pour remplir les trous, c'est un peu étrange et ça donne pas mal de surcharges. (Exemple indigeste: "Comme c'était prévisible, au moment où il pensait franchir triomphant, le seuil, le libraire, un vieux grincheux à qui on ne la faisait pas, se dirigea vers lui, l'œil féroce." Il y aurait moyen de virer facilement quelques subordonnés. En plus, c'est assez inefficace: "au moment où il pensait franchir le seuil, le libraire se dirigea vers lui." C'est vrai que moi aussi, je me statufie dès que quelqu'un a le front de se diriger vers moi.)

Globalement, ça me semble bancal rythmiquement. En guise d'exemple flagrant, cette chute inutilement longue où on doit se taper une litanie d'exemples qui ne peuvent arracher un rire de gorge qu'aux rares universitaires qui maîtriseront toutes les références.

Puis je regrette un peu qu'avec une telle conclusion, le récit ne soit pas allé plus loin. On aurait facilement pu avoir l'exemple d'un événement qui se retrouve clairement métamorphosé suivant la façon que les pasticheurs auraient eu de le raconter. Ce qui aurait introduit la question que soulève la citation de Flaubert: où se cache la réalité au-delà du langage?

   Anonyme   
10/12/2018
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai aimé vous lire et je trouve que vous écrivez très bien. Cependant, j'ai noté quelques lourdeurs et longueurs qui rendent le texte un peu ampoulé. Pour finir la réflexion de Richard n'amène rien à la compréhension. On finirai par se lasser. Je n'aime pas la chute finale qui n'est ni originale, ni surprenante.

   cherbiacuespe   
25/7/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Je n'aime pas, en général, les exercices de style. Je trouve fatiguant ceux qui se complaisent à étaler leur maîtrise de la chose écrite : ils n'ont ordinairement rien à dire! En l’occurrence, GillesP, votre narration m'a décoiffé... un poil.

Belle écriture, bel exercice de style, histoire triple amusante et que de référence littéraire. Et, là-dedans, je n'arrive pas à saisir une once d'orgueil. Au contraire, on en retire comme une envie d'écrire à son tour où de prendre - sans le voler, bien sûr - un bon bouquin, quel qu'il soit.

Félicitation pour cette performance.


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