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Sentimental/Romanesque
xaba : Bushido
 Publié le 19/10/16  -  13 commentaires  -  5967 caractères  -  83 lectures    Autres textes du même auteur

L'homme, l'épée et le papillon.


Bushido


Un instant passera et le doute s’épanouira. L’arbre en bourgeons, la bruine matinale, la légère brume… Tout se sera évaporé. Il y aura alors une seconde insaisissable quand il n’y aura plus rien à dire, une éternité révolue suscitant sa propre fragilité, une permanence délicatement volage et définitive.


Rien n’est plus incertain ni fragile que l’ultime battement d’aile d’un papillon nocturne, lorsqu’il lutte contre la lumière douce et assassine de l’aube marquant son destin funèbre. Il est posé sur le vide, hésitant, entre vie et trépas, accroché à un vol ridicule, comme la rosée se suspend aux bourgeons naissant des branches. Mais peut-être n’aura-t-il pas le temps de mourir, sans doute renaîtra-t-il aussitôt, et l’oiseau qui le guettait en fourbissant sa plume revêche en fera son premier festin du matin.


La voici enfin cette parcelle d’éternité, lorsque tout meurt et revient simultanément, lorsque l’inexorable devient nécessité. Tout s’est arrêté et tout recommence. En fait rien n’a jamais vraiment cessé. C’est le tribut d’une existence qui se joue d’apparences. Il y a une seule fin et une seule naissance, et les deux noms d’un seul et unique sortilège se confondent à ne plus s’en démêler.


C’est cette seconde qu’a choisie l’homme pour quitter un monde antérieur. Il a senti la fraîcheur du vent sur sa peau. Il a perçu au loin le ballet tragique de l’insecte condamné, entendu les plumes lissées dans le vent puis senti l’oiseau cueillir sa proie. Il n’a rien envisagé, il n’a rien pensé. Il a tout laissé venir à lui… Il s’est abandonné à un tout dont il n’aurait pas daigné en d’autres instants la compagnie. Il est devenu lui-même cette harmonie.


L’homme est un enfant. La cinquantaine blanchissant légèrement ses tempes, l’expérience s’efface pourtant sur la candeur de son visage. Il en est ainsi chaque matin. À la même heure, l’homme redevient cet enfant qu’il n’a jamais cessé d’être. Il n’a besoin de rien pour cela. Il lui suffit d’attendre et de s’émerveiller pour que le reste se fasse, pour ne pas le réaliser mais pourtant incorporer une part de merveilleux.


Il est assis. Seiza est une position de retour sur soi. C’est un sacrifice consenti, une rupture temporaire avec l’extérieur, un abandon du corps et de l’esprit qui ne regarde pas, qui n’observe plus, détaché, l’œil centré et posé, à quelques mètres, devant, entre ici et là.


L’homme est donc ici mais il est surtout ailleurs. Il est assis si profondément, il a incorporé le sol dont il semble sortir telle une racine. Il est devenu un tronc que « d’une simple chiquenaude on devrait pouvoir pousser… Mais regarde bien : même cela n’est qu’une apparence »1, il est devenu l’immensité sur laquelle il est posé.


Il est vêtu d’une simple pièce de coton, tressée de fils et d’impressions. La toile rugueuse mais légère est croisée sur un torse musclé que le temps et la discipline ont sculpté chacun à leur façon. Le temps a perduré la règle s’est elle fortifiée puis s’est assouplie de sa propre dureté. Avec le temps la règle disparaît, avec la règle le temps est devenu inutile.


Voilà la quintessence même du vieillard enfant : demeurer et vaincre les ans. Seuls l’oubli et l’abandon peuvent cela.


L’homme mature n’oublie donc jamais, tous les jours, qu’il était et est encore un enfant, il pense quotidiennement à ne pas l’oublier.


À ses côtés repose son soutien sur lequel parfois il s’appuie sans ne jamais pourtant oser y toucher.


Aujourd’hui sera différent. Ce matin les destins du papillon et celui de l’homme-enfant sont intimement liés. Dans la même fraîcheur incendiée par l’astre levant, il y a l’homme, l’enfant, le papillon… et l’épée.


Le sabre est sacré, comme la vie qui défile et que l’on pose à ses côtés. Sa lame a été parfaitement entretenue par l’homme adulte. Elle est devenue une fin autant qu’un moyen. La vie en a aiguisé le fil comme l’homme a affûté l’enfant turbulent. Un enfant qu’il a fallu mériter, conquérir, amadouer et guider.


Le maître guide l’élève, le père le fils… puis le fil vient à se couper. Alors le vieillard peut redevenir l’enfant qu’il n’aurait jamais dû quitter. Les vrais sacrifices s’alimentent de cette nécessité : vivre sur le fil de l’instant afin de pouvoir y survivre, puis en mourir, paisiblement, tel le papillon nocturne dans le calme et la fraîcheur matinale.


Il pense…


Je n’ai pas de parents. Je fais du ciel et de la terre mes ancêtres respectés.


Je n’ai aucun pouvoir divin ! De l’honnêteté je tire ma force.


Je n’ai aucune règle de conduite. Je fais de la simplicité la base de toute complexité.


Je n’ai aucun pouvoir magique. La magie de mon essence spirituelle sans doute est-elle plus forte.


Il n’y a ni vie ni mort. L’éternité est mon existence et ma disparition.


Je n’ai pas de corps. Je n’ai que mon courage.


Je n’ai pas d’yeux. L’éclair est ma seule vision.


Je n’ai pas d’oreilles. Le bon sens est ma seule audition.


Je n’ai pas de bras ni de jambes. L’agilité guide mes pas.


Je n’ai pas de projets. L’opportunité est seulement dans mon plan.


Je ne suis aucun prodige. Le respect à la tradition est mon miracle permanent.


Je n’ai pas de propos rigides. Je sais quand il le faut papillonner.


Je n’ai pas d’amis. L’esprit est ma seule compagnie.


Je n’ai pas d’ennemis. La distraction est ma seule perte.


Je n’ai pas d’armure. Ma sincérité et ma droiture sont mes protections.


Je n’ai pas de forteresse où me cacher. La force d’esprit est mon unique rempart.


Je n’ai pas de sabre. Le calme et le silence sont bien plus meurtriers… J



Alors, il saisit son sabre court qu’il oriente paisiblement vers l’abdomen tout juste dénudé pour laisser la pointe s’en approcher. Une brève mais ferme pression, une légère rotation, parfaitement maîtrisée, jusqu’à la dernière inspiration…


Dans la douceur matinale, l’homme accompagne le papillon.


________________________

1 Franz Kafka, « Les arbres »


 
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   Donaldo75   
4/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

Bien étrange texte que voilà; je l'ai trouvé reposant, en fait, dans son rythme, son style narratif entre la pensée et l'action. La réflexion sur l'homme, l'enfant, le merveilleux, participe à cette impression de tranquillité.

La fin est un feu d'artifice, quand il pense; avec quelques beaux passages:
* Je n’ai pas d’ennemis. La distraction est ma seule perte.
* Je n’ai pas de sabre. Le calme et le silence sont bien plus meurtrier.

La fin est simplement paisible, alors que le geste en soi est dramatique.

Bravo !

Donald

   hersen   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime beaucoup ce texte par son côté très original. En effet, nous vivons un seppuku de l'intérieur et suivons le détachement de l'âme et du corps.

Il y a une grande poésie, une grande paix.

certains passages sont empreints d'une si grande sagesse, d'une si grande harmonie que cela donne un instant l'envie de cette sérénité...
mais c'est une voie dont l'aboutissement n'est pas à la portée de tous !

merci pour ce texte qui sort des sentiers battus et dont l'écriture épurée et poétique, évanescente ai-je presque envie de dire, sert tout à fait le propos.

Juste une petite chose. Dans cette phrase, il me semble que"elle" devrait être encadré par des virgules :
Le temps a perduré la règle s’est elle fortifiée puis s’est assouplie de sa propre dureté.

J'ai hautement apprécié " et le doute s'épanouira" car dans l'idée, on attend "évanouira". Cette partie de phrase m'a mise dans une condition particulière pour poursuivre ma lecture et a très certainement exacerbé l'impression de simplicité et de détachement que l'on a tout au long de la lecture.

Merci pour cette lecture,

hersen

   Marguerite   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Xaba,

J’ai trouvé le début du texte (les 2 premières lignes) énigmatique, peut-être un peu alambiqué, et puis je me suis laissé couler.
Votre texte est très philosophique, bien mené. L’écriture est riche et légère. Il fallait bien ça pour illustrer l’hara-kiri.

Merci pour la lecture.

M.

   MissNeko   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Un récit philosophique très intéressant. La plume est belle, délicate et sereine.
Un agréable moment de lecture réflexive

   Robot   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Commencer à lire ce texte c'est comme entrer dans l'eau, peu à peu sans se rendre compte de cette immersion.
Une mer de sérénité ou chaque axiome introduit à une réflexion qui enveloppe et guide la pensée.
Et au bout, cet acte qui paraît presque un aboutissement naturel, sans susciter réellement d'incompréhension.
C'est avec une sensation assez étrange que l'on ressort de cette lecture.

   GillesP   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Ce qui est réussi, je trouve, dans votre texte, c'est le décalage entre le thème du suicide, qui renvoie d'ordinaire à l'idée de l'échec, du déchirement, et la façon dont vous le traitez, en évoquant le hara-ki d'un samouraï: en effet, comme d'autres commentateurs l'ont dit, il se dégage de votre nouvelle une profonde harmonie, une paix intérieure, une reconquête d'une unité primordiale, dans la tradition de certaines histoires portant sur la notion d'unité. Je pense, par exemple, au mythe d'Aristophane, dans le Banquet de Platon. Je pense aussi à un petit roman de Balzac, qui s'appelle Séraphîta, qui est une illustration des théories du penseur mystique suédois Swedenborg, roman qui repose sur la croyance en une élévation progressive de l'esprit, de façon à atteindre une unité perdue.

Cependant, je ne suis pas parvenu à être totalement conquis, lors de ma lecture. Peut-être est-ce dû à mon propre être, assez peu réceptif à ce genre de pensée que je qualifie, avec sans doute un peu trop de condescendance, de mystique. Peut-être, aussi, est-ce la conséquence du caractère un peu trop systématique, à mon goût, de l'antithèse et de l'oxymore dans votre texte pour insister sur l'idée d'unité, de réconciliation des contraires, des contradictions.
Au plaisir de vous relire.

   plumette   
19/10/2016
les mots de ce texte, qui coulent bien pourtant, n'arrivent pas à pénétrer mon cortex.

Aujourd'hui, et pour je ne sais quelle raison je ne suis pas réceptive à ce récit, à cet homme/enfant. Me manque-t-il un savoir, une culture, une tournure d'esprit ?

je reste au bord.

il y est question d'éternité, lorsque tout meurt et revient simultanément. J'ai bien du mal à m'élever vers ce monde des équivalences sublimes.

la force de ce texte vient d'un déroulement tranquille jusqu'à cette fin terrible sur fond de préceptes philosophiques.

je ne met pas d'appréciation car je crois que je n'ai rien compris!

Plumette

   Ora   
19/10/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je suis partagée, vraiment. J'ai cru au début que l'écriture allait me lasser mais il y avait toujours une tournure pour me rattraper: "il est devenu lui-même cette harmonie"…
J'ai beaucoup aimé la description de ce moment de méditation au lever du soleil, l'ancrage à la Terre, la conscience de soi et celle de n'être rien.
Mais j'ai aussi moins compris ou accroché avec d'autres passages: "Je ne suis aucun prodige. Le respect à la tradition est mon miracle permanent". Etrange pour cet homme qui semble si détaché… Et enfin ce suicide rituel dont la raison d'être n'est pas expliquée ici (peut-être faut-il connaître la tradition japonaise) et qui me semble peu correspondre avec l'union en soi de l'adulte avec son enfant intérieur (que l'énergie de vie selon moi caractérise). Je suis sensible à l'aspect éphémère de la vie et son impermanence décrites dans votre nouvelle, je reste dubitative sur le geste final. C'est donc un mélange d'engouement et de réserve qui clôt ma lecture. Merci pour ce partage. Ora

   Zoe-Pivers   
20/10/2016
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Xaba,
Lame qui libère l'âme.
La seule raison que j'ai pu deviner mener à la pratique de ce rituel, ici, c'est que le guerrier refuse d'obéir à un ordre de son Maître : " couper le fil "
Je trouve ce texte très poétique, les images, les sensations, la progression, tout est amené avec délicatesse.

Pratiquez-vous un art martial pour décrire avec tant de justesse ?
Merci beaucoup pour cette jolie lecture

   Anonyme   
20/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'aime beaucoup cet homme-enfant qui s'identifie au papillon.
Existence fragile, la vie qui n'est qu'un instant, qui ne fait qu'une, l'harmonie, la simplicité, la pureté, l'éternité...

Les mots m'ont touchée en plein vol.
Merci pour ce partage.

J'ai écrit une histoire sur Shortedition qui rappelle votre univers, enfin je crois : http://short-edition.com/oeuvre/tres-tres-court/papi-leon-1

   Pouet   
20/10/2016
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bjr,


Personnellement je n'ai pas accroché à cet "avant seppuku" si je puis m'exprimer ainsi, je me suis ennuyé ferme, veuillez excuser ma franchise mais j'ai dû me motiver pour aller jusqu'au bout, le texte est court mais m'a semblé interminable.

Certes cela est bien écrit mais je suis resté franchement à côté des considérations "philosophiques" du texte, cela ne m'a pas parlé, pas touché.

J'ai été un peu gêné par la répétition de "bourgeon" assez rapproché en début de texte. J'ai trouvé un peu contradictoire: "Je n’ai pas de projets. L’opportunité est seulement dans mon plan." L'opportunité ne m'a pas semblé coller avec le ton du texte. Même si ici, "l'opportunité" est celle de se suicider...

Je ne suis certainement pas assez au fait de la philosophie bouddhiste (si tant est que ce soit le cas ici) pour apprécier cette "nouvelle" qui ressemble plus à un "essai philosophique".

J'avoue bien humblement ne pas avoir tout saisi de vos mots.

Je crois que de façon plus terre à terre j'aurais bien aimé savoir en quoi ce samouraï avait failli à son code d'honneur, à son "bushido" mais peut-être que ma lecture ne fut pas assez attentive. Je crois aussi que j'aurais préféré plus de simplicité.

Je ne remets pas en cause la qualité d'écriture de l'auteur et encore moins la "philosophie" qui est exprimée ici. Simplement je crois que ce n'est pas pour moi.

Cordialement.

   Anonyme   
21/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La dernière phrase. C'est à la dernière phrase, que j'ai reçu votre histoire comme une évidence.
C'est cette dernière phrase qui fait apparaître, comment un acte d'une scène banale, peut rejoindre l'inconcevable, quand il s'agit de l'homme. En effet, qui pourrait bien se préoccuper d'un papillon, mourant pour nourrir l'oiseau ? Entre les deux où se situe l'abject ? Et encore, peut-on parler d'abject, quand c'est la nature qui régit sa loi ?
C'est dans la dernière phrase, que se trouve la réponse.
Pas une réponse écrite. Même pas une réponse d'ailleurs, mais un fait.

Et ce qui est paradoxal, c'est que je n'étais pas très emballé par le début, ni même par le milieu d'ailleurs, mais docile, comme j'avais décidé de lire jusqu'au bout, je me laissai emmener, comme ça, et j'ai trouvé l'idée du Samouraï se faisant hara-kiri subtile, car on ne s'attend pas à ce que tout ceci finisse en suicide.
Seulement voilà, il y a eu cette dernière phrase, qui ramène la mort d'un homme à quoi ? A celle d'un papillon.
Enormément d'humilité dans tout cela.

   Anonyme   
21/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai vécu se texte comme un accompagnement. Cet homme dont je ne soupçonnait pas la fin m'a fait partager son cheminement jusqu' au geste ultime. J'ai aimé ce voyage qui raisonne. Très bonne écriture, beaucoup de poésie, j'ai passé un très bon moment. Merci.


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