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Science-fiction
Jean-Claude : Harmonie
 Publié le 28/11/17  -  6 commentaires  -  49122 caractères  -  94 lectures    Autres textes du même auteur

La vie peut-elle être l’ultime forme d’art ?


Harmonie


L’empathie sémantique est étonnante. C’est un don inestimable. Vous ne vous attendiez certainement pas à ce que je maitrise votre langue et encore moins à ce qu’il n’y ait aucune ambiguïté de compréhension.


Permettez-moi de me présenter. Arnis Vaikstyne. Je suis, ou plutôt j’étais, un exo, exo-archéologue et exo-ethnologue notamment. Je me consacrais à l’étude des civilisations étrangères à ma planète d’origine, la Terre. Je dirigeais l’équipe d’exploration du Santa Maria 67, un des nombreux astronefs lancés à la découverte de nouveaux mondes.


Vous ne dites rien ? Je suppose que vous êtes curieux de ce que je pourrais raconter. Ça tombe bien. J’ai une irrépressible envie de parler. Je n’aurais jamais cru que sortir du sommeil cryogénique me rendrait si bavard.


* * *


Qu’espérions-nous, au juste ? 283 des Caraïbes Célestes n’était qu’un système solaire théorique, une lumière intermittente au cycle trop régulier pour être naturel : un quart du temps allumée, trois quarts du temps éteinte. Alors que presque tous croyaient à une anomalie de perception des télescopes, nous sommes partis, tels des papillons, vers cette étoile clignotante. Oui, c’est une bonne question. Qu’espérions-nous ? L’aventure ? Le rêve ? La gloire ? En tout cas, nous n’imaginions pas chambouler notre perception de l’univers.


Comme nous avions visé une phase « éteinte », quand le Santa Maria 67 sortit de l’hyperespace, l’écran principal ne renvoya que l’image du vide sidéral. Je ne sais pas qui a lâché le premier « oh » mais je me suis mêlé au chœur quand un astre pourpre, une étoile dont la luminosité parvenait tout juste à écorcher la nuit spatiale, apparut sur le fond noir. Saulius, notre physicien, estima sa taille voisine de celle de notre lune. Nous avions misé sur une naine jaune un peu plus dodue que notre soleil. Cette nano-rouge ne pouvait en aucun cas émettre la lumière discontinue qui nous avait attirés ici. Les paris restèrent ouverts.


L’intelligence de bord signala un corps céleste. Kotryna, notre navigatrice, nous dévia dans sa direction et enclencha les scanners longue portée. Sur l’écran, je devinai la forme sombre soulignée de reflets purpurins. Je sus tout de suite qu’il ne s’agissait pas d’un banal astéroïde. Nous approchions d’un cylindre de taille respectable et dont la première face était plane. Le Santa Maria continua sa trajectoire. Des reliefs irréguliers, telles d’anciennes fortifications dévorées par le temps, entouraient l’autre face. L’astronef s’écarta et nous offrit une perspective plongeante sur le cercle crénelé de ruines dont l’intérieur, dans l’ombre de la minuscule étoile pourpre, demeura invisible.


Le balayage des scanners terminé, un hologramme agrémenté de chiffres s’éleva au milieu de la cabine de navigation. Ce cylindre, a priori minéral, mesurait neuf cent quatre-vingts mètres de haut pour un diamètre du double. L’image tridimensionnelle pivota et révéla un cratère. Sa forme et la répartition des vestiges suggéraient une titanesque explosion ou l’impact d’un monstrueux météorite, peut-être sur une ville.


Une violente secousse nous rappela le bien-fondé des harnais qui nous liaient à nos sièges.


— Changement subit de gravité ! hurla l’intelligence de bord.


Sans que nous y prêtions garde, le Santa Maria avait franchi la couronne de ruines et survolé le cratère. L’astronef corrigea automatiquement son assiette et les sangles cessèrent de nous martyriser.


— C’est quoi ce bordel ? grommela Ausrine, le second navigateur.

— Gravité de un virgule deux G, annonça A’Sakalas, le placide assistant de navigation, un androïde.

— Putain ! Plus fort que la Terre.

— Surveille ton langage Ausrine, tança sarcastiquement Kotryna.

— Oui chef, ironisa le second. Mais ce n’est pas une putain de planète. Juste un gros caillou dans le ciel.

— Un caillou pas très naturel, glissai-je.


Ausrine jeta un regard glacial au rampant que j’étais puis il haussa les épaules.


— C’est vrai. J’envoie trois sondes pour l’ausculter.


Sitôt les sondes spatiales autonomes lancées, Kotryna libéra l’astronef de l’attraction du cylindre pour survoler à plusieurs reprises le cratère en changeant chaque fois d’altitude ainsi que d’approche. Le Santa Maria tourna autour sans ressentir aucune gravité puis longea l’autre face, plate, que nous baptisâmes En-Dessous, sans plus d’effet. Les sondes corroborèrent les observations empiriques. L’attraction ne s’exerçait que depuis la surface creuse. Mais ce n’était pas le plus incroyable. Une colonne d’air s’élevait au-dessus du cratère, un tube d’atmosphère sans paroi qui aurait dû se disperser dans l’espace.


Kotryna plaça le Santa Maria à l’aplomb du cratère et le vaisseau se comporta comme s’il était ancré en orbite géostationnaire. Et ce fut à qui élaborerait la plus délirante des hypothèses. Toutefois, le débat tourna court quand nous reçûmes les analyses d’échantillons prélevés par les sondes.


Le cylindre, composé, comme les ruines, d’un minéral inconnu, ne recélait aucune machinerie. L’inattendu venait toutefois d’ailleurs. Les sondes avaient recueilli dans la cuvette des fragments d’acier de synthèse et relevé la signature d’une fusion Zvaigzde, le matériau de construction et la source d’énergie de la flotte spatiale terrienne. Et les dégâts correspondaient à ceux que pourrait faire l’explosion d’un module Zvaigzde.


— C’est Le Magellan ! s’écria Urte, notre experte en information.

— Le Magellan ? s’étonna Yeva, ma coéquipière. Il a disparu il y a un siècle, non ?

— L’empreinte Zvaigzde met des millénaires à s’effacer, répartit Saulius, et Le Magellan est le dernier vaisseau perdu qui n’a pas été retrouvé.

— Comment cette catastrophe a-t-elle pu arriver ?

— En sortie d’hyperespace, il y a toujours le risque de se matérialiser trop près d’une planète dont on ignore l’existence, ou la position.


Le silence accueillit ce rappel des aléas des voyages interstellaires.


— S’il vous plaît, intervint A’Peleda, androïde scientifique.


Ayant capté notre attention, il nous montra en tridi les déplacements du cylindre dans l’espace. Il traça deux courbes et lança une animation qui prolongea les mouvements dans le temps. Il n’eut pas besoin de prononcer un mot. Le cylindre tournait autour d’un axe, décrivant un cercle d’un diamètre proche de celui de la Terre. Ce cercle suivait une orbite autour d’un soleil absent et celle-ci ne semblait pas affectée par la nano-rouge. J’éclatai de rire.


— La voilà ta putain de planète, Ausrine. Enfin… Sa partie émergée.


Je n’imaginais pas à quel point mon trait d’humour était réaliste.


* * *


Et la lumière fut. J’ignore si les autres ont pensé cela. Pour moi, c’était trop tentant. La naine jaune était apparue d’un coup. Déjà prêt, Saulius envoya une hyper-sonde qui, d’un bond subspatial, se retrouva dans la couronne de l’étoile. Là, notre physicien faillit perdre la raison. Je n’ai pas tenu le compte des fois où il a marmonné « c’est impossible ».


Nous voyions un soleil. La sonde voyait ce soleil, mais elle ne détecta ni chaleur ni énergie ni matière. Guidée par Saulius, elle plongea dans l’étoile puis ressortit en traversant une éruption solaire immatérielle, sans effet notable. La seule hypothèse que put produire Saulius était que la lumière était générée dans une autre réalité avant de nous parvenir. Et nous n’avions pas tout vu.


Obnubilés par le phénomène, nous avions oublié de surveiller le cylindre. Il faut dire que la naine jaune phagocytait l’écran principal. Mais Yeva se pencha sur un écran secondaire et s’exclama : « Ça alors ! » Tout le monde se tourna vers elle. D’un mouvement de main, elle glissa l’image sur le grand écran. Le cylindre faisait désormais partie d’une planète. Et quelle planète !


D’un cumulonimbus sphérique de la taille de la Terre, oscillant entre gris et blanc lumineux, sortaient des pitons rocheux cylindriques, presque noirs, tous du même diamètre que le « caillou », qui coiffait désormais l’un d’entre eux, tous d’une hauteur dépassant les huit mille mètres au-dessus de la surface du nuage. Hormis le « caillou », victime du Magellan, chacun des monts au sommet plat portait une ville de gratte-ciel ronds, tuyaux sombres de gigantesques orgues silencieuses, sans signe de vie apparent.


Plus fou encore, d’improbables viaducs reliaient ces métropoles distantes, pour les plus proches d’entre elles, de quatre cents kilomètres. Larges comme les antiques voies de la Terre, les autoroutes je crois, dépourvus de parapets et aussi sombres que les pitons, ils épousaient la courbe de la planète, mais, entre deux cités, aucun pilier ni hauban ne les soutenait. Là encore, Saulius maugréa « c’est impossible ». Dans ce maillage visible depuis l’espace, certaines voies semblaient plus importantes, comme les ponts qui suivaient l’équateur sur lequel se trouvait le « caillou » qui fut affublé, à l’occasion, du nom de Point-Zéro.


Un autre fait nous intrigua. Au centre de chaque ville se dressait une forêt de tubes aux dimensions plus modestes de vénérables chênes, arbres répandus sur Terre. Un brouillard, de plus en plus diffus à mesure qu’il s’élevait vers le ciel, surmontait ces troncs.


Le hic, c’était que cette planète était aussi immatérielle que son soleil. Nos sondes la traversaient, aveugles au cœur du nuage, mais intactes à la sortie. Nous nous interrogions sur notre capacité à l’explorer quand une question anodine nous mit sur la voie.


— Pourquoi ressent-on la gravité, alors ? demanda Yeva.


Je lui adressai un baiser virtuel. Elle avait mis le doigt sur ce qui clochait. Le Santa Maria subissait l’attraction de la planète à travers Point-Zéro.


Nous expédiâmes une navette autoguidée qui se posa au centre du cratère, à peu près plat. Je pris les commandes d’un module-robot d’exploration, optant pour le contrôle manuel. Je le dirigeai vers le pont Équateur-Est.


Lors des explorations, le nommage est essentiel au repérage. Grâce à la rotation de la planète, nous avions défini les quatre points cardinaux et identifié l’équateur.


Le module grimpa hardiment la déclivité. À l’approche du bord, la pente s’adoucit et l’engin accéléra. Je décidai de le lancer à pleine vitesse sur le pont. Dès que ses roues se posèrent dessus, je perdis le contact. Porté par l’élan, le robot roula une trentaine de mètres et s’immobilisa. Par chance, j’avais visé à peu près droit. Le module n’avait pas quitté le viaduc, mais, comme je n’avais pas activé l’intelligence restreinte, il ne reviendrait pas de sa propre initiative.


Pris d’une étrange inspiration, Saulius dépêcha une sonde vers l’engin. Elle traversa le pont à proximité puis, lors d’un second passage, le robot lui-même.


— Point-Zéro est une interface ! s’écria Urte.

— Il faudrait que tu lâches tes jeux tridis, rétorqua Saulius.

— Réfléchis un peu. On accède au pont en passant par Point-Zéro et on ne peut pas se poser dessus en venant du ciel.

— Et alors ?

— Laisse-moi finir.

— Oui, coupa Ausrine, ferme-la, Saulius.


Le ton du second navigateur cloua les mots dans la gorge du physicien.


— Bref, reprit Urte. Si un véhicule roulant accède au viaduc, il peut accéder à la ville qui est de l’autre côté. Par extension, il peut accéder à la planète entière. Ça, c’est une interface.

— Bien vu, intervint Kotryna, mais j’imagine que la planète va disparaître.

— Et elle reviendra, insista Urte.

— Il reste quand même un problème, osa Saulius. Nous ignorons ce qu’il se passe quand la planète disparaît. Pour le peu que nous en savons, il n’y a pas de vie et, donc, peut-être pas de vie possible.

— Quand je regarde cette planète et ces constructions, répartis-je, je vois les preuves d’une vie passée qui, à mon humble avis, mérite d’être étudiée.

— Si je puis me permettre, intervint A’Peleda.


D’un geste, Kotryna l’invita à continuer.


— Le brouillard au-dessus de ce que nous avons appelé les arbres pourrait être une manifestation de vie végétale, mais dans une autre temporalité.

— N’oublie pas que tu as affaire à des humains un peu bouchés, lançai-je.

— Désolé, Arnis. Je voulais dire que j’ai observé les images en poussant le ralenti au maximum. Ce brouillard est devenu visuellement plus épais, mais je n’ai pas pu obtenir de détails assez nets pour des conclusions définitives. Par contre, ce ralenti a révélé des taches floues qui circulent entre les villes et les viaducs. Donc, hypothèse de forte probabilité, le temps s’écoulerait beaucoup plus vite sur la planète.

— La désynchronisation ! s’écria notre physicien.

— De quoi parles-tu, Saulius ? m’enquis-je.

— Les viaducs et les villes doivent être inaltérables dans le temps. Si on est là-bas quand la planète disparaît, on passe probablement dans sa temporalité.

— Si tu le dis. Et comment revient-on dans notre temporalité à nous ?

— J’imagine qu’il faut être sur Point-Zéro quand la planète s’en va.

— Et on resterait combien de temps de l’autre côté ? demanda Yeva.


Saulius ne sut répondre. Je pris les choses en main. La navette transportait trois robots, tous alimentés par un micromodule Zvaigzde dont la longévité se mesure en centaines d’années. Aidé par Urte, j’instruisis l’intelligence restreinte d’un deuxième pour qu’il roulât à la rencontre du premier et lui téléchargeât une nouvelle programmation.


En mode autonome, Robot-Un partit jusqu’à Équateur-Un, première ville à l’est du viaduc équatorial, et Robot-Deux à cinquante mètres au-delà de Point-Zéro, sur le pont. Sur la planète lors de son départ, ils passeraient de l’autre côté pour collecter des données jusqu’à ce que Robot-Trois, resté dans le cratère, allât les chercher après le retour d’Astrocumulus, nom provisoire de ce monde.


Les sondes continuèrent leurs relevés jusqu’à la disparition de la planète. Celle-ci survint deux jours astrocumuliens après son arrivée, ce qui nous permit d’affiner nos calculs. Selon ces derniers, elle réapparaitrait six jours plus tard et, en nous fiant à l’arc d’ellipse qu’elle avait parcouru sur son orbite, son année durerait cinq cent douze journées, plus longues que leurs cousines terrestres.


Bien sûr, la naine jaune faisait partie du voyage vers l’ailleurs.


Le « caillou » et la nano-rouge à nouveau seuls dans l’espace, la vie à bord du Santa Maria se partagea entre repos, analyses et interrogations. Après son absence dans un temps plus rapide, comment, lors de sa réapparition, la planète pouvait-elle parfaitement se synchroniser avec Point-Zéro ? Sa rotation relative devenait-elle extrêmement lente ? Yeva penchait en ce sens. Elle avait remarqué l’absence de nuit sur Astrocumulus, la lumière étant également répartie, comme distribuée par l’atmosphère. Saulius critiqua cette dernière hypothèse mais elle désarma ses arguties avec bon sens :


— Une civilisation capable de faire clignoter une étoile et de jouer avec le temps peut bien assurer un jour permanent.


* * *


Nous n’avions pas pensé à tout. Les deux robots réapparurent comme prévu avec la planète, mais, quand le troisième, expédié à leur rencontre, arriva au premier sur le pont, il se figea. Il nous fallut du temps pour comprendre que les deux premiers étaient encore sur la ligne temporelle de la planète, ce qui rendait les communications impossibles avec Robot-Trois.


Nous dûmes faire descendre un quatrième robot, correctement programmé cette fois-ci, et attendre un aller-retour d’Astrocumulus pour voir les quatre modules revenir sur Point-Zéro. Les deux premiers robots avaient mesuré le temps passé de l’autre côté. Les nouvelles instructions avaient intégré ces données. Quand la planète s’évanouit enfin, nous reçûmes leurs transmissions. Point-Zéro était bien l’interface de retour vers notre espace-temps.


Aucune vie ni mouvement n’avait été détecté dans Équateur-Un et sur le pont. Robot-Deux, mal placé et entouré d’immeubles, n’avait pu confirmer la présence d’un feuillage sur nos arbres. De son côté, Robot-Un avait observé des formes, comme de petits nuages verts, et repéré des sphères translucides, le tout trop loin pour une vue précise et, forcément, pour prélever des échantillons. Quant au ciel, qui émerveilla Yeva… Je vous en reparlerai plus tard.


L’atmosphère était pure et respirable, ce qui me simplifia l’organisation de l’expédition qu’allait entreprendre ma petite équipe, c’est-à-dire A’Erelis, un androïde, Yeva et moi. Restait toutefois un obstacle de taille, le temps. En unités astrocumuliennes, chaque jour ici correspondait à huit ans de l’autre côté. Six jours d’absence plus deux nécessaires au retour avant la synchronisation sur Point-Zéro ! Notre exploration durerait plus de cent sept ans terrestres. Un androïde pouvait se plonger en veille prolongée, mais pas les humains. Il fallait donc embarquer des unités cryogéniques de longue durée pour, après notre exploration, nous congeler, Yeva et moi.


* * *


Notre lourd camion chenille articulé nous emmena jusqu’à Équateur-Un. J’y garai notre véhicule dès la sortie du viaduc, malgré notre rationnel A’Erelis qui aurait préféré une zone moins exposée au danger du chevauchement. Il craignait la présence d’êtres vivants ou d’objets au même endroit que nous au moment de la synchronisation, ce qui nous aurait mélangés à un niveau d’intimité inégalé, c’est-à-dire moléculaire. Je passai outre son avis. Les relevés de Robot-Deux indiquaient un vide total, sans risque de mon point de vue. Et je n’avais pas choisi cet endroit par hasard. Bien sûr, j’avais hâte de visiter la ville après la bascule, mais je tenais à d’abord voir le ciel.


Seul un fourmillement parcourant tout le corps accompagna le changement de plan de réalité. L’air s’était-il mélangé à moi ? Je l’ignore. Après avoir vérifié la salubrité de l’atmosphère, je sortis du camion, sans casque ni combinaison, au grand dam d’A’Erelis. Je marchai vers le pont, ébloui du plafond céleste, encore plus époustouflant qu’en enregistrement. Un feuilleté d’aurores boréales répétait en drapés infinis les couleurs de l’arc-en-ciel. Le ciel chatoyait de nuances qui se fondaient pour mieux renaître, occultant totalement la nuit sidérale, la nano-rouge et même la naine jaune.


Une douce euphorie me gagna. Je ne fus pas le seul dans ce cas. J’entendis un rire clair et agréable. Je me retournai et vis Yeva qui avait libéré ses cheveux roux, un peu trop longs pour le règlement spatial. Je la trouvai belle. C’était la première fois que j’osais la regarder ainsi. Je m’attardais sur sa silhouette, plus grande et plus large que moi, sa peau pâle et ses taches de rousseur qui auraient été indistinctes sur mon propre épiderme, son visage. Je me ressaisis en espérant qu’elle ne m’avait pas remarqué et je m’abîmai dans la contemplation des cieux.


A’Erelis brisa le charme en nous invitant à retourner dans la ville. Nous nous intéressâmes à l’immeuble le plus proche. Nous tournâmes autour, plusieurs fois, sans trouver d’ouverture, ni le moindre relief qui suggérât la présence d’une porte ou d’une fenêtre. J’utilisai un drone pour examiner, dans toute sa hauteur, le mur presque noir, parfaitement lisse, et le toit qui ne révéla aucun accès.


Yeva ôta ses gants et posa la main sur la paroi.


— Ne faites pas cela, s’écria A’Erelis, vous ne savez pas comment votre peau va réagir à ce matériau.

— Je suis d’accord avec notre ami, abondai-je.

— Pas de panique, dit Yeva avec un grand sourire. Ma main est toujours là. Elle ne s’est pas décomposée. Je n’ai même pas de démangeaison. C’est bizarre, c’est doux et… tiède.

— Tiède ?

— Tu n’as qu’à toucher.


Soudain, le mur devant Yeva se rétracta, ménageant une ouverture assez large pour nous laisser passer.


— C’est rigolo, fit-elle.

— Qu’est-ce qui est rigolo ? demandai-je.

— J’ai pensé qu’il nous fallait une porte.

— C’est ça. Et ce bâtiment est télépathe, peut-être.

— Maintenant que tu le dis…

— Même s’il lisait ton esprit, Yeva, ta pensée emprunte essentiellement les chemins de ta langue. Crois-tu que la télépathie pourrait outrepasser la barrière linguistique ?

— De l’empathie alors ?

— Hum…

— On va voir dedans ?


Je ne résistai pas à son contagieux enthousiasme. Je ne m’inquiétai même pas de la fermeture potentielle du mur derrière nous. Elle se produisit pourtant. De toute façon, j’étais trop occupé à essayer de comprendre d’où venait la lumière. Les parois opaques devaient la laisser passer depuis l’extérieur, mais rien n’était moins sûr. Elle nous permettait de voir l’immeuble en son entier, jusqu’au sommet, un grand tube vide du sol au toit. On aurait pu ranger dedans plusieurs exemplaires de la tour Eiffel, une antique ferraille que j’aime bien. La tour en question fait la taille de la construction dans laquelle vous m’avez trouvé.


Bref, je me demandai à quoi pouvait servir une telle construction dépourvue d’étages. À ma grande surprise, le mur se boursoufla d’un anneau qui enfla progressivement jusqu’à fermer un plafond quelques mètres au-dessus de nous, créant ainsi un étage. Je ne pus m’empêcher de penser que l’absence d’ouverture était stupide et que nous ne pouvions pas monter. Un trou circulaire se libéra au milieu du plafond. Un disque de même diamètre émergea du sol. Ébahi, je voulus héler Yeva, mais elle buvait l’eau qui coulait d’un tuyau, ce ne pouvait être qu’un tuyau, de la même couleur que les murs. Celui-ci s’élevait droit depuis le sol pour se courber sur une vasque, corole d’une tulipe minérale évasée. Yeva me fit un clin d’œil.


— Rassure-toi, je l’ai contrôlée.


Je ne répondis pas et me tournai vers A’Erelis en supposant que ses pensées n’avaient pas d’influence sur l’environnement. Je me trompais. Il introduisait consciencieusement des échantillons dans son analyseur portatif. Il m’avoua que ceux-ci s’étaient détachés du mur pour planer jusqu’à lui. La « télépathie » de l’immeuble s’appliquait donc aussi aux androïdes et la matière pouvait choisir de voler. Je me demandai si une drogue hallucinogène indétectable ne polluait pas l’air ambiant.


— Nous sommes en présence d’un minéral organique, déclara A’Erelis.

— Un minéral organique ? m’étonnai-je. Comment est-ce possible ?

— Cette possibilité dépasse nos connaissances.

— Je suis rassuré. Je me sens juste un peu débile.


A’Erelis ouvrit la bouche, mais il s’aperçut que ma répartie n’appelait aucun commentaire.


— Arnis, appela ma coéquipière, on peut faire tout ce qu’on veut.


Je constatai qu’elle se prélassait dans un fauteuil qui avait l’air moelleux.


— Tu crois qu’on peut commander à manger ? insista Yeva.


Déjà, une protubérance s’élevait du sol.


— Arrête ça, Yeva, lançai-je d’un ton un peu trop ferme à mon goût.


Elle adopta une mine faussement boudeuse. Le renflement disparut. Je désignai le disque par terre.


— Je propose qu’on monte.

— Monter ? s’exclama ma coéquipière, enjouée.

— Je veux voir jusqu’où ça va.


Je ne fus pas déçu. La plateforme s’éleva, parfaitement ajustée au trou dans le plafond et s’arrêta à l’étage. Un autre plafond à la même hauteur au-dessus de nous, percé lui aussi d’un cercle, nous surplombait. Je sortis de notre ascenseur et marchai sur ce premier palier, vite rejoint par mes deux compagnons. Rien ne distinguait cet étage du rez-de-chaussée. Je balayai du regard l’espace vide, fis un tour sur moi-même et me retrouvai face à une statue qui n’était pas là avant ma petite chorégraphie. Moi, en combinaison spatiale. Yeva pouffa.


— Ce n’est pas malin, grommelai-je.

— Si tu voyais ta tête.


Je haussai les épaules et fixai le mur. Ce bâtiment n’apportait rien même s’il se modelait selon nos désirs. Il ne nous disait rien sur ceux qui l’avaient construit, à part leur niveau technologique devant lequel nous sortions à peine des cavernes. Je ressentis une forte envie de sortir. Le sol devint mou ; il s’éleva pour nous attraper, nous propulser à l’extérieur à travers les murs tendres et nous déposer devant l’immeuble qui reprit sa forme originelle.


Yeva, absolument pas décontenancée, se rapprocha de la tour cylindrique et posa la main dessus. Le bâtiment vibra et se transforma en grand parallélépipède de base carrée.


— Tu n’as pas pu t’en empêcher, ricanai-je.


Elle ignora ma remarque et tortilla machinalement une mèche de cheveux tout en levant la tête, puis elle posa les yeux sur moi.


— Pourquoi des tubes si ça peut prendre n’importe quelle forme ?

— Je ne sais pas. Un choix esthétique ?

— Ou un état par défaut, suggéra A’Erelis.

— Peut-être.


Je m’interrogeai sur l’utilité de visiter d’autres bâtiments, puis je me souvins des arbres, ou supposés tels. Je menai ma petite troupe au centre de la ville. En scrutant le sommet des troncs, nous découvrîmes des branches et des feuilles. Nous eûmes beaucoup de mal à trouver naturelles les ramifications trop régulières et les feuilles octogonales multicolores. A’Erelis, après analyse, en confirma pourtant la nature, proto-végétale selon ses propres termes.


Après cette aventure organique, nous explorâmes Équateur-Un. Tous les immeubles se révélèrent identiquement vides et manipulables par la pensée. Les sondes avaient pu photographier les cités immobiles bien qu’elles fussent sur un autre plan de réalité. Elles étaient toutes sur le même modèle. Je commençai à me dire que les cent sept ans allaient être très longs. Je bénis la cryogénie qui allait anéantir mon ennui.


Après une nuit virtuelle de repos, nous prîmes la route d’Équateur-Deux. Lors de notre périple sur le viaduc, nous espérions approcher ces grandes formes flottantes et lointaines filmées par Robot-Un.


* * *


Ce fut A’Erelis qui repéra la première. Nous avions roulé neuf kilomètres environ. Nous sortîmes pour mieux l’observer.


Une sphère transparente flottait mollement vers nous. Je ne sentais aucun vent et l’anémomètre du camion ne bronchait pas. Pourtant, elle se mouvait, comme portée par un courant, se déformant comme une bulle. J’eus tout de suite l’impression qu’il s’agissait d’eau. Depuis un pont perché dans le vide huit kilomètres au-dessus d’un nuage planétaire, les points de repère spatiaux ne sont pas évidents. Il me fallut un bon moment avant de réaliser que la bulle était loin. J’évaluai son rayon à une bonne centaine de mètres. Évoluant à la même altitude que le viaduc, elle plana droit sur nous, mais, au lieu de percuter le pont, elle infléchit sa course pour passer haut au-dessus de nous.


Je levai la tête et j’eus la surprise de voir monter un drone, guidé par A’Erelis puisque Yeva, à côté de moi, contemplait la sphère. L’engin s’en approcha, mais, soudain, dériva et, au bout de quelques instants, se stabilisa. Il préleva un échantillon avant de redescendre avec de visibles difficultés.


— Le flux d’air est puissant là-haut et la gravité y semble totalement annulée, commenta l’androïde.


Éberlué, je restai coi. Mon regard, qui avait suivi le cheminement de la bulle, tomba sur une masse vert foncé qui volait à la rencontre de celle-ci.


— C’est de l’eau, dit A’Erelis, mais je ne l’écoutai pas vraiment.

— Ce coup-ci, s’écria Yeva, ce sont bien des végétaux.


Comme elle, je mis mes lunettes polyvision et en réglai le grossissement. La stupéfaction se manifeste toujours de la même manière, la bouche grande ouverte, en ce qui me concerne.


Un magma verdoyant, cousin du strato-cumulus, allait couper la trajectoire de la sphère translucide. Apparemment, ceux qui avaient bidouillé cette planète n’avaient pas jugé bon de réinventer la chlorophylle. Je distinguai des branches, des feuilles, rondes, épaisses et même grasses, mais dont la taille dépassait tout ce que je connaissais.


La bulle et l’amalgame, feuillage compact d’une forêt qui aurait perdu ses troncs, atteignirent en même temps l’intersection de leurs parcours respectifs. La sphère glissa en-dessous et la canopée sans patte se posa dessus, perruque arborescente d’une tête d’eau de deux cents mètres de large. La conjonction cessa de se déplacer. L’immense végétal faisait une pause boisson.


— Hé ! T’as vu ?


Je dois reconnaître que Yeva était plus observatrice que moi. Je repérai assez vite des points noirs bondissants autour de la végétation, tels des puces qui l’auraient infestée, qui, au zoom, se révélèrent être des animaux ressemblant aux phoques terrestres. Un corps fuselé, hydrodynamique, ou aérodynamique, les mêmes larges nageoires remplaçant les pattes avant, la même fusion caudale, mais la peau et le pelage dorsal et capillaire d’un sombre carmin. C’est moi qui ai eu l’idée de les appeler astrotaries, à cause des oreilles, mais aussi parce que cela sonnait mieux qu’astrophoques.


Et nos astrotaries nageaient, ondulant dans l’air comme leurs cousines terriennes dans la mer. Elles dansaient, cabriolaient et plongeaient dans la bulle. Elles la traversaient en jouant. Elles se posaient sur sa surface et se baissaient pour s’abreuver. À aucun moment la cohésion de la sphère d’eau ne se rompit.


Soudain, sans signe avant-coureur, les astrotaries se réfugièrent dans les feuillages, puis la canopée volante se décrocha du globe aquatique et tous deux reprirent leurs parcours respectifs.


Le magma végétal passa au-dessus du viaduc à un demi-kilomètre de nous. Il s’éloigna et se fondit dans l’horizon. Yeva pointa son index vers ma gauche. Une autre canopée volante approchait. Sans nous concerter, nous nous mîmes à examiner la planète dans toutes les directions.


Nous avons passé beaucoup de temps, A’Erelis y compris, à contempler les canopées, toutes peuplées d’astrotaries, qui suivaient des trajectoires rectilignes et s’immobilisaient quand elles rencontraient une bulle d’eau. Je m’interrogeais sur la nourriture de ces bestioles jusqu’à ce que l’androïde nous fît remarquer entre les branches des fruits ovoïdes orangés que nos pinnipèdes de l’espace dévoraient à pleines dents. Jamais une canopée n’en croisa une autre. Jamais une bulle n’en heurta une autre. Mais toutes volaient, ou flottaient, au niveau des ponts et passaient au-dessus sans les toucher.


Il faut parfois faire des expériences farfelues pour comprendre. Je regrette de ne pas avoir eu l’idée avant Yeva, plus en phase que moi avec la planète. Elle alla chercher dans le camion un harnais bardé de mousquetons qu’elle enfila et une longue corde dont elle accrocha une extrémité au harnais et l’autre au treuil du véhicule. Me prenant de court, elle s’élança et sauta du pont. Horrifié, je n’entendis pas tout de suite qu’elle riait aux éclats.


— Je vole !


La corde, souple, ne se tendit pas. Yeva dériva, comme en apesanteur, puis se mit à faire les mouvements de la brasse. À ma grande surprise, elle nagea dans l’air, maîtrisa ses déplacements, monta, descendit, s’éloigna, se rapprocha. Elle nous survola suffisamment haut pour étirer la corde, mais, quand elle tenta un deuxième passage plus bas, elle s’écrasa sur le viaduc. Je me précipitai.


— Yeva !


Elle se mit à genoux et me sourit avant d’adopter une mine triste et secouer la tête. Je m’inquiétai.


— T’as un problème ?

— Moi non. Mais toi… On dirait que tu as eu la frousse de ta vie… Et ne me regarde pas comme ça. Je ne suis pas un bibelot de porcelaine.


Je manquai l’occasion de lui dire combien je tenais à ce bibelot.


— L’attraction du pont a donc une altitude limitée, commenta A’Erelis.

— Tu veux que je vérifie jusqu’où ça va ? demanda innocemment Yeva.

— Non ! tranchai-je. Ça pourrait être dangereux. Et… Pourquoi n’as-tu pas senti le flux aérien qui poussait la bulle ? Tu es allée assez haut pour ça.

— Je ne sais pas, moi. Le vent est tombé ?


L’explication ne me satisfit pas et l’androïde, consulté du regard, ne parut pas prêt à apporter ses éclaircissements, ce qui m’exaspéra exagérément, sans doute à cause de la peur rétrospective provoquée par Yeva. Je ressentis le besoin de bouger. Nous reprîmes donc le camion pour Équateur-Deux.


Hormis de subtiles différences, cette ville s’avéra identique à la première. Après une nuit virtuelle dans le véhicule, nous explorâmes Équateur-Trois puis Équateur-Quatre, en y observant les mêmes infimes variations. Nous quittâmes le viaduc équatorial, mais les autres cités immobiles visitées se révélèrent de la même veine. Nous avons, bien sûr, croisé de multiples bulles d’eau et canopées volantes, mais nous étions incapables de les distinguer entre elles. Nous aurions pu tout aussi bien revoir les mêmes.


Exo je suis, exo je reste. Bien qu’exo-archéologue et exo-ethnologue, je finis pourtant par me lasser. J’ordonnai le retour à Équateur-Un, lieu prévu de notre sommeil cryogénique. Mes deux compagnons protestèrent. Yeva trouvait la planète belle, A’Erelis parfaite, moi monotone. Je m’étais même accoutumé, blasé, au magnifique drapé polychromatique du ciel. Face aux récriminations de mes collègues, je concédai l’étude de trois canopées, de leur faune et de leur flore.


Les analyses furent vite bouclées. La flore se limitait à un unique végétal, ce titanesque arbre aplati pourvu de fines racines qui plongeaient dans l’eau. Sa fleur, en forme de cloche mauve dont un homme aurait pu se coiffer, produisait le fruit ovoïde orangé, de la taille d’une tête, dont j’ai déjà parlé. Celui-ci contenait tous les nutriments connus et même certains à peine imaginables. La faune se résumait aux astrotaries carmin qui se nourrissaient exclusivement de ces fruits. Bref, je trouvais ce monde ennuyeux et, comme Yeva semblait de plus en plus extatique, mes sentiments se muèrent par réaction en rejet.


Dès notre arrivée à Équateur-Un, Yeva se précipita vers l’immeuble qu’elle avait transformé en parallélépipède, posa ses mains dessus et lui rendit sa forme originelle. Je la rejoignis.


— Pourquoi as-tu fait ça ?

— Je voulais restituer l’harmonie initiale, dit-elle, un rien emphatique. Ma tour, de type terrestre, jurait dans cette ville.


J’allais lui répondre quand elle se figea, ébahie. Je me retournai pour suivre son regard. Trois sphères opaques, légèrement plus hautes que nous, flottèrent dans notre direction. Deux étaient dorées, la troisième argentée. A’Erelis nous rejoignit. Elles s’immobilisèrent à cinq mètres de nous, suspendues dans l’air à quelques centimètres du sol, ondulant comme des bulles bercées par le vent.


— Deux or et une argent, murmura Yeva, émerveillée.

— J’ai des yeux et je sais compter, grognai-je.

— Tu ne comprends pas. Nous sommes deux humains et un androïde.

— C’est ton interprétation.

— Nous pouvons supposer qu’il y a une volonté de communication, glissa A’Erelis.

— Possible. Mais je ne suis pas connecté avec Astrocumulus.

— Arrête de râler Arnis, lâcha Yeva.


Elle ne me laissa pas le temps de répondre. Elle marcha vers une des sphères dorées et posa les mains dessus. Ma bouffée d’émotion, entre peur extrême et colère, mourut au bord de mes lèvres. Il ne se passa, apparemment, rien. Cette apposition dura suffisamment peu pour que mon angoisse se contînt dans des limites raisonnables. Quand Yeva revint vers nous, elle rayonnait.


— J’ai établi la relation.

— Et alors ? fis-je d’un ton défait.

— Harmonie nous souhaite la bienvenue.

— Qui est Harmonie ?

— La planète évidemment.

— Astrocumulus ?

— Elle trouve ce nom sémantiquement esthétique. Mais, oui, Harmonie est une planète vivante, et intelligente.

— Mais elle est artificielle, non ?

— Oui. Les Harmonieux sont ses créateurs.

— J’aimerais bien rencontrer ces… Harmonieux.

— Nous avons peut-être rencontré ceux qui sont retournés à la simplicité naturelle, ou leurs descendants.

— Les astrotaries ?

— Oui.

— Et les autres ?


Yeva tendit la main vers l’horizon.


— Ils ont rejoint le grand tout, le nuage.

— Voilà qui ne va pas faciliter le contact.

— Mais j’ai établi le contact.

— C’est vrai. Et que t’a raconté d’autre Astr… Harmonie ?


* * *


Peuple humanoïde très ancien né dans une autre galaxie, les Harmonieux avait fondé une civilisation exclusivement centrée sur l’art. Ils avaient ainsi atteint une forme de transcendance. La beauté orchestrait la science et les découvertes n’avaient de sens qu’au cœur de l’absolue esthétique. Pourtant, ils vivaient un constant échec. Ils frôlaient la perfection sans jamais l’atteindre. Ils décidèrent alors de créer l’œuvre d’art ultime, une œuvre éternelle. Ils conçurent une planète vivante, intelligente, sur laquelle s’ébattrait une vie simple et qui pourrait évoluer en interaction avec une pensée externe. Ainsi naquit Harmonie.


Les Harmonieux intégrèrent dans leur projet les deux soleils de leur ciel, la naine jaune et la nano-rouge. Harmonie achevée, ils s’installèrent dessus puis ils détruisirent les autres planètes du système, y compris celle de leurs origines.


Peu après, des astronefs pénétrèrent dans leur espace. Ceux-ci provenaient d’un système stellaire voisin, berceau d’un peuple belliqueux qui longtemps n’avait pas dépassé le stade du transport interplanétaire. Les Harmonieux ne furent pas surpris. Ils avaient tout prévu. Harmonie et ses deux étoiles quittèrent la galaxie pour s’établir dans une autre.


Des siècles durant, les Harmonieux s’adonnèrent à la contemplation de leur œuvre, jusqu’au jour où un astronef, Le Magellan, surgit de l’hyperespace, trop près de la planète pour manœuvrer, et s’écrasa sur une ville de l’équateur. La déflagration fut terrible.


Les Harmonieux s’intéressèrent aux résidus de la technologie intruse. Ils jugèrent qu’il s’agissait d’un accident et non d’une agression. Comme ils ressentaient le désir de partager leur Harmonie, ils choisirent de donner une chance à la civilisation qui avait créé ce vaisseau spatial. Ils ne quittèrent donc pas la galaxie, mais, par précaution, ils désynchronisèrent la planète, gardant la ville détruite dans notre espace-temps comme moyen d’entrée.


Le temps fuyant beaucoup plus vite dans leur dimension, les Harmonieux finirent par se sentir trop vieux. Certains rejoignirent, transformés, la population des astrotaries. Les autres plongèrent vers le nuage pour y dissoudre leur esprit dans l’intelligence planétaire. Ils avaient néanmoins confié une mission à Harmonie. Elle accueillerait en son sein le peuple qui avait construit l’astronef, si tous ses membres étaient aptes à apprécier la beauté et l’équilibre. À défaut, elle quêterait une autre civilisation.


* * *


Yeva, transportée, se tut. Pour ma part, la conclusion était simple.


— Donc, les peaux rouges ont décidé de disparaître.


Yeva me fixa d’un air consterné. Je me crus obligé d’expliquer.


— Vu la couleur des astrotaries, j’en ai déduit…


A’Erelis me sauva la mise.


— Puisque ce monde est une création artistique, pourquoi les villes et les distances entre elles ne sont pas exactement identiques ?

— Voilà une logique d’androïde si je puis me permettre, dit Yeva. Les variations ne sont pas dues au hasard mais à de subtils rapports mathématiques.

— Je ne veux pas les connaître, coupai-je, agacé. Je leur fais confiance.

— C’est l’harmonie.

— Harmonie, tu parles. De pathétiques démiurges ont bricolé une planète tellement monotone qu’elle en est chiante. Et ils appellent ça de l’art. Moi, je crois qu’ils ont simplement voulu passer à la postérité.


J’interrompis ma diatribe, non à cause de l’air attristé de Yeva, ni parce que je perçus mon propre ridicule, mais parce que je réalisai d’un coup pourquoi je m’emportai. Instinctivement, j’avais peur pour Yeva. Elle avait touché la bulle et était peut-être contaminée par quelque chose qui allait me l’enlever. Mais il était déjà trop tard.


— Tu ne comprends pas, soupira Yeva. Harmonie m’a invitée et, toi aussi, elle t’invitera.

— À quoi ? À nous balader sur la planète ? On l’a déjà fait. À danser ? Je n’ai pas vu d’orchestre.


Yeva resta étrangement calme, comme habitée.


— Harmonie nous offre l’opportunité de participer à quelque chose de plus grand que nous.


J’aurais dû me souvenir que, pendant ses études, elle avait été fascinée par le New Age, un mouvement spirituel syncrétique qui avait sévi sur Terre quelques siècles plus tôt. Mais, à ce moment-là, je n’y pensai pas.


— Je vois bien qu’Harmonie est plus grande que nous.

— Ne sois pas si négatif, Arnis. Je vais te montrer. Regarde.


Elle retourna vers la bulle dorée.


— Yeva, criai-je avant de me pétrifier.


La sphère l’absorba. Je bondis, mais A’Erelis me retint. Il avait raison. Que pouvais-je faire ? Plonger avec elle ? D’ailleurs, la bulle disparut, révélant une astrotarie au pelage roux et à la peau rose pâle grêlée de son. Je n’eus aucun doute. Yeva avait été transformée. Elle nous regarda puis rampa vers le viaduc.


A’Erelis me lâcha et s’éloigna de moi. Tout en gardant un œil sur Yeva, je m’intéressai à lui. Il posa ses mains sur la sphère argentée.


— Tu ne vas pas t’y mettre, m’exclamai-je.


Il revint vers moi.


— Toi aussi, tu as été invité ? lançai-je.

— Oui, mais je ne réponds pas à l’invitation.

— Alors, pourquoi as-tu touché ce machin ?

— J’ai supposé que tu voudrais savoir si la transmutation de Yeva était réversible.


J’inclinai la tête. Cet androïde, plus amical que je ne l’étais, y avait pensé avant moi. Plein d’appréhension, j’écoutai la suite.


— Malheureusement, le processus n’a été prévu que dans un sens.


Une chape de plomb tomba sur mon esprit. Au loin, Yeva progressait sur le pont comme le font les pinnipèdes. Je courus dans l’espoir de la rattraper, mais, au moment même où je posai les pieds sur le tablier, elle bifurqua vers le bord, s’élança, plongea, puis s’éloigna en nageant à une vitesse telle que je ne pouvais la suivre avec une simple brasse.


A’Erelis respecta mon mutisme. Je ne sais pas combien de temps il a duré. Quand, enfin, nous revînmes au camion, j’étais déterminé à plonger dans les limbes glacés de la congélation pour tout oublier jusqu’au moment où nous pourrions quitter cette putain de planète.


* * *


Le réveil du sommeil cryogénique n’est pas trop douloureux. Tous les muscles, tétanisés de lourdes courbatures, se détendent lentement. Il suffit de patienter. J’ai fini par m’y habituer. Par contre, je n’apprécie toujours pas la perte de repères temporels.


J’émergeai du caisson, sonné par des pensées à peine remises en place, et me précipitai sur le panneau de commande. Un juron m’échappa. J’avais dormi plus longtemps que prévu. J’avais loupé deux synchronisations et la troisième s’annonçait déjà.


D’humeur grincheuse, je sortis du camion, garé sur un viaduc au lieu de croupir entre les immeubles d’Équateur-Un. Quelqu’un l’avait donc déplacé. Je décidai néanmoins de m’en préoccuper plus tard. Assis sur le bord du pont, A’Erelis contemplait la chorégraphie aérienne de quatre astrotaries. Je marchai vers lui.


— Qu’est-ce que tu as foutu ? Tu as merdé ou quoi ?


Il leva la tête et me répondit d’un ton égal.


— Je vois que tu as vu l’horloge.


Je sentis la pointe d’ironie, inhabituelle chez un androïde. Légèrement décontenancé, je m’assis à côté de lui.


— Peux-tu m’expliquer ce retard ?

— Oui.


Faisait-il de l’humour ou baignait-il dans la logique pure ? Il ne me laissa pas le temps de m’appesantir sur cette question.


— Je suis allé chercher l’équipage.

— Et ?

— Ils ont choisi.


A’Erelis désigna le quatuor d’astrotaries dont le cuir ne recouvrait pas les nuances de carmin. Leurs couleurs de peau, et de poil, me firent penser à Yeva, sauf qu’aucun animal ne présentait de pelage roux. Je crus reconnaitre Kotryna et Ausrine, une blonde et un châtain au derme clair, mais je me sentis incapable de distinguer Urte et Saulius, tous deux noirs de cheveux et cuivrés de teint. J’aurais voulu que ce fût un canular, mais je n’avais aucun doute. Les membres de l’équipage, contraints ou non, étaient entrés dans les bulles dorées.


D’un bref calcul mental, j’évaluai à plus de trois cents ans terrestres mon sommeil. Mon cœur se serra.


— Et Yeva ?

— Elle vit. Ici, elle jouit d’une grande longévité.


L’androïde me montra au loin une communauté d’astrotaries qui dansaient autour d’une canopée juchée sur une bulle d’eau. L’une d’entre elles se détacha du groupe et nagea vers nous. J’identifiai la flamboyance de son pelage. Elle s’arrêta devant nous et m’examina.


— Tu crois qu’elle me reconnait ? soufflai-je.

— C’est une probabilité, mais son esprit est simple.


Et ce fut tout. Le ballet cessa. Yeva et l’équipage partirent vers le groupe qui s’enfonça dans le feuillage. Le végétal se décrocha de la sphère et s’éloigna ensuite pour se fondre dans l’horizon. La tristesse me frappa puis se mua en froide colère.


— Je retourne sur le Santa Maria !

— Ce n’est malheureusement pas possible, dit A’Erelis.

— Tu comptes m’en empêcher ? Suis-je séquestré ?

— Rien de tout cela.

— Alors quoi ?

— Harmonie et son mini-système ont changé de galaxie.

— Changé de galaxie…


Le dernier mot mourut dans ma bouche. L’androïde me parut compatissant.


— Oui. L’humanité a été jugée inapte à l’harmonie.

— Inapte ?

— Trop belliqueuse.


Je désignai la direction où avaient disparu les astrotaries.


— Et eux alors ?

— Inapte dans sa globalité.

— Je vois.


Membre vexé de la globalité, je me renfrognai, me levai et me dirigeai d’un pas décidé vers le camion. A’Erelis me rattrapa.


— Que fais-tu, Arnis ?

— Je me casse. Je repars sur Point-Zéro.

— Point-Zéro n’est pas encore là.


Je ne commentai pas. Je venais de m’apercevoir que le véhicule était à quelques mètres de l’extrémité du pont qui se terminait sur du vide. J’eus la certitude spontanée qu’il s’agissait de l’espace libéré par Point-Zéro, lui-même coincé dans la vraie réalité. Je m’approchai du bord. Je tendis la main. Elle heurta un mur invisible. La zone était inaccessible.


Je me rappelai tout à coup qu’il manquait deux androïdes à l’appel.


— Au fait, où sont passés tes congénères ?

— Ils ont choisi.

— Ils sont devenus des astrotaries ?

— Non. Ils ont fusionné avec le tout, dans le nuage.

— Pour la sérénité ? La beauté ?

— Pour la perfection.


Je remarquai soudain qu’une bulle argent flottait derrière A’Erelis, mais je ne vis nulle trace d’une bulle dorée. Je souris amèrement. L’androïde attendait sûrement de se fondre lui aussi au tout. Quelque chose, ou quelqu’un, l’en avait empêché. Moi, bien sûr. Par contre, ma transformation ne semblait plus être à l’ordre du jour. Cela me convenait. Rien ne m’attachait à Astrocumulus.


— Je veux retourner dans mon congélateur.

— Elle savait que tu dirais cela.

— Elle ?


A’Erelis ne releva pas. Qui d’autre, évidemment, à part cette foutue planète intelligente ? Ma décision s’en trouva renforcée.


— Je veux quitter ce merdier et être sur Point-Zéro, dans le temps réel.

— Comme tu veux Arnis, mais il faudra quelques adaptations.

— Pourquoi donc ?

— Les modules Zvaigzde ont une durée de vie limitée.


Je pris tout à coup conscience de l’échelle temporelle dans laquelle évoluait la planète et me sentis infiniment minuscule.


Point-Zéro apparut. Sous mes yeux, Astrocumulus, que je refuse d’appeler Harmonie, aplanit le cratère et érigea au centre un immeuble en pointe, calqué sur l’image de la tour Eiffel qu’elle avait dû lire dans mon esprit, ou celui de Yeva. A’Erelis guida le camion devant. Le bâtiment absorba le véhicule et tout ce qu’il contenait. Une salle se creusa à la base, une unité cryogénique émergea du mur, mais resta encastrée dedans. La planète accédait à ma requête et prenait même soin de moi.


Le Santa Maria était aux abonnés absents. L’astronef n’avait pas fait le grand saut. Je me demande ce que penseront ceux qui le découvriront, déserté par son équipage, surtout quand ils étudieront les enregistrements relatifs à une planète qui l’avait abandonné sur place.


Quand, avant la disparition de la planète, je suis entré dans le caisson, j’ai emporté l’espoir fou qu’un jour, forcément lointain, des humains me tireraient de mon long sommeil.


* * *


Voilà. J’ai terminé mon histoire, ou presque. À mon premier réveil, j’ai découvert que je jouissais de l’empathie sémantique, un cadeau de la planète. Eh oui ! Vous n’êtes pas les premiers à m’avoir décongelé, ni même les deuxièmes, mais vous êtes mes premiers sauriens. J’ai parfois l’impression de faire guichet d’accueil d’un bureau du tourisme. Néanmoins, mon étrange situation n’a pas que des mauvais côtés. Elle me permet des rencontres qui, à l’échelle humaine, auraient été impossibles. Exo je suis, exo je reste. Si vous le permettez, j’aimerais passer un peu de temps avec vous.


Astrocumulus va bientôt apparaître. Vous verrez ainsi que je n’exagérais pas. Toutefois, sachez que je ne quitterai pas Point-Zéro et que je ne vous suivrai pas sur les viaducs, non seulement parce que je tiens à ma ligne temporelle, mais aussi parce que j’ai remarqué que certains d’entre vous portaient des armes. Je crains fort que vous ne soyez recalés, comme les humains et tous vos autres prédécesseurs. Nous changerons donc encore de galaxie.


Quant à moi, eh bien, je retournerai dans mon caisson cryogénique pour y attendre les prochains visiteurs.


 
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   Anonyme   
1/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Harmonie achevée, ils s’installèrent dessus puis ils détruisirent les autres planètes du système
Un peu radicaux, les gentils Harmoniens, non ? Cette information me paraît en décalage avec ce qu'ils représentent... Quelle nécessité de supprimer toutes ces planètes, dont certaines peuvent porter la vie ?

Sinon, j'ai trouvé belle et riche l'imagination à l'œuvre ici, bien soutenue par l'écriture, notamment dans les descriptions des "villes" de la planète et des astrotaries. La chute m'a paru sympa. J'ai deux bémols :
- j'ai eu du mal au début à comprendre la situation de la planète ; les choses se sont éclaircies à mesure de ma lecture, mais me reste une certaine impression de confusion. Ce n'est pas simple, je sais, je vous donne un ressenti de lectrice : pour moi, "quelque chose" ne va pas dans l'exposition initiale ;
- vous avez eu à cœur d'animer les dialogues, ce qui part d'un bon sentiment, mais j'ai ressenti une impression d'artificialité dans leur articulation, surtout au début. Je n'ai pas vu l'intérêt, par exemple, de répliques comme
— Putain ! Plus fort que la Terre.
— Surveille ton langage Ausrine, tança sarcastiquement Kotryna.
d'autant qu'elles sont confiées à des personnages à peu près inexistants. Pourquoi chercher à leur donner une épaisseur alors qu'ils ne sont manifestement là que pour "faire nombre" ?

Je dirais donc que cette nouvelle m'a paru avoir un peu de mal à trouver sa voix (peut-être pourriez-vous reprendre le début), mais que j'ai trouvé l'idée à sa base fort intéressante. Une lecture dont l'intérêt s'est renforcé pour moi à mesure que j'avançais.

   Asrya   
4/11/2017
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Je l'ai fait !
Je suis arrivé jusqu'au bout.
Pfiou... j'ai bien cru abandonné.

La première partie est vraiment indigeste.
Beaucoup trop de personnages, et beaucoup trop de termes futuristes qui ne sont pas visuels. D'un coup, trop, stop !
J'ai malgré tout réussi à faire abstraction en me disant que... peut-être qu'à force ça se diluerait et que votre nouvelle s'apprivoiserait.

Tout ce qui concerne la partie sur le "cratère" (Point Zéro) est difficile à imaginer, difficile à visualiser, c'est très fouillis, brouillon ; ça part dans tous les sens et... on n'est pas dans votre tête ! C'est un calvaire à lire et à essayer de comprendre.
Avec les personnages en plus qui en rajoutent une couche, vraiment... cette partie est à lisser, à retravailler car telle qu'elle... le lecteur ne peut avoir qu'une envie : fuir !
Je ne suis pas un spécialiste de SF, mais j'ai un certain bagage scientifique qui me permet d'adhérer aisément aux propos techniques lorsqu'ils sont bien exploités ; en l'occurrence, je trouve que vous ne permettez pas aux lecteurs de vous suivre dans votre univers.

Et puis, arrivé sur Harmonie (Astrocumulus), j'ai trouvé que le discours était, plus léger, plus aérien, plus simple à suivre et là, enfin, possible à apprécier.
J'ai bien aimé l'écriture dans l'ensemble, le style est intéressant ; il y a de beaux passages (beaux en terme de littérature) mais... ils sont très rares ; j'ai davantage était séduit par le côté imaginatif de votre nouvelle (une fois arrivé sur Harmonie).
L'empathie, la télépathie des sentiments, des besoins ; les astrotaries (le nom est charmant et sympathique) ; la description du "magma" verdâtre (magma sous-entend chaud tout de même, pas sûr que le terme soit approprié mais... ça peut être une image).
J'ai bien aimé le coup des sphères et la transformation de Yeva en astrotarie. J'ai trouvé ça drôle ; surtout le côté roux et rosée de l'astrotarie.
La suite, idem, avec les autres membres de l'équipage qui sont à leur tour transformés en astrotaries ; pareil pour les androïdes.
De bonnes idées.

J'ai régulièrement buté sur les dialogues qui me paraissaient peu naturels. Vous voulez faire passer un certain ton, un certain profil à Arnis mais... il ne convainc pas. J'ai préféré celui de l'androïde ; vos dialogues sonnent bien dans l'artificiel, moyennement dans le naturel.

Au final, votre première partie est extrêmement longue et assommante (chiante, il faut le dire) alors qu'elle n'apporte absolument rien ! Et ça... c'est préjudiciable dans votre écrit.
L'incise est intéressante, votre personnage qui raconte au final son histoire, cela encadre bien le récit et on a même le droit à une petite morale à la fin.
J'aime assez que la planète "aime" votre personnage ; alors que... comme l'espèce humaine, il est belliqueux (inapte dans sa globalité).
De la même manière, j'ai bien aimé la petite "morale" concernant les sauriens et les armes qu'ils portent.
C'est bien trouvé.

Bref, des idées, il n'en manque pas ; était-ce nécessaire d'en user d'autant ? Peut-être oui.
Mais était-ce nécessaire d'embarquer autant de personnages pour une nouvelle ? Je ne suis pas sûr.
Le trio que vous aviez était suffisant ; peut-être un quatrième pour être transformé en astrotarie à la fin mais... pas plus. Trop dur à suivre.
Je pense que votre écrit mériterait d'être canalisé.
Il est de qualité (en termes d'idées) ; la structure est intéressante ; l'écriture est réfléchie, soignée, riche et bien menée ; mais l'ensemble... ça ne fonctionne pas pour moi. Trop d'énergie mal cadrée, mal disséminée, mal utilisée pour ferrer le lecteur.
Je suis mitigé dans mon évaluation.
Je vous mettrai un bien, voire un beaucoup pour les idées, car certaines m'ont vraiment séduites.
Mais je suis plus sur le vraiment pas, à la limite le pas, pour la forme et le rendu final.

J'ai passé un bon moment malgré tout à vous lire,
Pleines d'images et de tentatives pour vous suivre jusqu'à Harmonie.
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   Shepard   
29/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Effectivement, ça commence lentement et les 'dialogues' du début sont, à mon avis, ratés, car plats et artificiels – juste là pour présenter un groupe de personnage qu'on aura tôt fait d'oublier puisque seulement deux d'entre eux seront à l'affiche + l'androïde qui ne se démarque pas plus que ça. Ajoutez à cela un peu trop de détails sur le pourquoi du comment et ça peut facilement décourager de lire la suite.

Ce qui serait dommage puisque l'exploration est beaucoup mieux rythmée, avec de bonnes idées servit par une écriture qui permet de se faire une image claire d'Harmonie. Nuages végétaux, bestiaux volants et autres structures bizarroïdes sont crédibles et suffisamment alien pour intriguer. Le duo fonctionne, bien que suivant un archétype un peu simple du pragmatique vs rêveur (ça manque peut-être d'un peu du nuances). L'idée d'une civilisation obsédée par l'art/perfection est intéressante et j'ai suivis avec curiosité l'aventure de ce peuple ainsi que le dénouement concernant l'équipage du Santa Maria... J'ai bien aimé la fin elle-même et la connexion avec d'autres arrivants.

Maintenant, dans les détails, on ne comprend pas pourquoi le temps diffère (malgré les tentatives d'explications). Aussi, pourquoi l'un des explorateurs est immunisé à l'influence d'Harmonie alors que même les androïdes finissent par céder ? Une exception pratique pour l'histoire mais dommage que ça ne soit pas vraiment justifié. Dans l'ensemble une bonne lecture, mis à part le début ou il faut s'accrocher.

   Anonyme   
30/11/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Les méandres d'Oniris qui nous amènent à lire un texte sont parfois tortueux. Il a fallu notre petite discussion autour de la musique pour que je m'intéresse à vos productions, il est vrai aussi que j'aime bien la SF.
Alors c'est sûr que la première partie est laborieuse, abonde en explications, limite indigeste. Surtout qu'en voulant trop décrire vous m'avez perdu, je ne parvenais plus à visualiser correctement Harmonie. Pas grave, je m'en suis fait une idée d'ensemble, sans jamais bien comprendre cependant Point-Zéro ; une porte d'entrée je suppose. Ceci n'ôte rien à votre récit qui reste de la bonne science-fiction, inventive, servie par une écriture solide. Vous avez su créer un contexte fascinant même si les détails en restent flous.
Finalement mon gros plus reproche se situe du côté des Harmonieux, espèce totalement invraisemblable tant elle se confond avec le divin, capable de détruire des mondes ou d'en créer d'autres, de se transformer en astrories ou se dissoudre en molécules gazeuses. Non, trop c'est trop. J'aime la SF quand elle s'appuie plus ou moins sur des éléments possibles, autorisés en théorie par les forces qui régissent l'univers. Quand elle se met à délirer plein pot j'accroche moins.
Et puis c'est quoi ces intelligences suprêmes qui se réincarnent en animaux, en « esprits simples » ? Le retour du bon sauvage, comme si l'intellect poussé à son paroxysme aurait besoin de revenir à la bêtise. Peu convaincant...

   SQUEEN   
2/12/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Jean-Claude,

J'ai lu il y a quelques jours votre nouvelle, je ne la commente qu'aujourd'hui après avoir laissé décanter mon avis. En-dehors des considérations de longueur, d'introduction de personnages à la présence fugace, et tout ce qui a été dit déjà par-ailleurs. Je tenais à vous dire que de cette lecture agréable, j'étais ressortie avec l'impression d'avoir fait un petit voyage "onirique" dans un monde qui, malgré une description difficile à appréhender sur le plan concret, laisse une trace d'ambiance douce, et sensation d'apesanteur émotionnelle intéressantes. Comme quand on regarde une œuvre d'art dont on ne comprend pas tout mais qui arrive malgré tout à faire passer quelque chose, toucher du bout des doigts une autre dimension dont notre perception sans doute beaucoup trop sommaire d'humains nous exclut en générale. Sur ce plan je trouve votre essai intéressant, et justifiant pleinement ce traitement imprécis, avec quelques belles images auxquelles notre cerveau avide de matérialité se raccroche dans l'espoir d'être rassuré (de simple projection sans doute). Bref (?) ce petit côté transcendant d'Harmonie m'a plu, et que cette transcendance soit plus accessible à certains qu'à d'autres est bien illustrée ici. Merci.
SQUEEN

   Louis   
14/12/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
L’intérêt de ce texte me semble résider principalement dans la problématique de l’art et du beau.

Des terriens découvrent, en effet, lors d’un voyage interstellaire, une planète « œuvre d’art » et une civilisation qui a placé l’esthétique au rang de valeur suprême.

Un groupe d’humains, disposant des moyens technologiques pour naviguer dans « l’hyperespace », se lance dans un voyage vers une galaxie lointaine. Intrigués par « une lumière intermittente » émise par un système solaire « théorique », semblable à un phare lointain dressé sur une île exotique, au « 283 des Caraïbes célestes », ils partent à la découverte de cet îlot cosmique sur leur navette, le « Santa Maria 67 ». Ils sont attirés, comme aimantés, par un signal magnétique venu du fond de l’univers, « Nous sommes partis, tels des papillons, vers cette étoile clignotante ».
L’épopée spatiale est pensée, comme on le voit, sur le modèle des grandes aventures maritimes qui aboutirent à la découverte du Nouveau monde. Ces nouveaux Christophe Colomb vont donc à la rencontre, sur un monde cosmique nouveau, d’une civilisation inconnue de « Peaux rouges »,

Les sciences, les technologies, et l’art dominent le monde nouveau découvert, où ne vivraient donc pas des « sauvages », mais des êtres « humanoïdes » appartenant à une civilisation « avancée ». La particularité de cette culture extraterrestre est d’avoir placé le beau et l’art au-dessus de tout, y compris la science et la technique mises à leur service, « la beauté orchestrait la science et les découvertes n’avaient de sens qu’au cœur de l’absolue esthétique. » Une civilisation d’esthètes s’est développée là, qui semble mettre le Vrai et l’action efficace au service du Beau.

Ces esthètes des confins de l’univers prétendent avoir créé « l’œuvre d’art ultime » à la dimension d’une planète « vivante et intelligente ». Les terriens débarquent donc, au terme de leur voyage, sur une œuvre d’art.

Ce monde si lointain semble pourtant très proche de nous, de nos conceptions traditionnelles du beau et de l’art.
Le beau, en effet, est classiquement défini par l’harmonie, celle des formes, des couleurs et des sons. Or l’œuvre créée par les « indigènes » de ce monde d’outre-galaxie porte le nom d’ « Harmonie ». La planète se veut donc une œuvre parfaitement harmonieuse, qui réalise en tout point l’idéal d’harmonie.
Mais ce qui est alors présupposé, c’est que le beau pourrait se concevoir de façon identique d’un bout à l’autre de l’univers. Le beau serait objectif, universel et absolu.
Objectif, le beau serait une propriété inhérente aux choses, au même titre que les propriétés physiques. La planète Harmonie, outre ses propriétés physiques, sa masse, sa densité, etc. posséderait aussi le beau pour attribut objectif.
L’harmonie est encore pensée traditionnellement par la notion de « proportion », or la proportion est mesurable, objet de calcul mathématique, comme le sont les propriétés physiques. Et chacun connaît la fameuse « divine proportion », le célèbre « Nombre d’or ».
La beauté pourrait ainsi se mettre, d’une certaine façon, en équation.
Les indigènes « Harmonieux », plutôt que des esthètes, seraient donc avant tout des physiciens et des mathématiciens. Entre les villes de l’exo-planète, « les variations ne sont pas dues au hasard, fait remarquer le personnage Yeva, mais à de subtils rapports mathématiques ».
Mais la planète-œuvre d’art est vivante. Les Harmonieux auraient donc créé un « art » de vivre, auraient fait de la vie une œuvre d’art.
Semblables à des divinités grecques, comme elles susceptibles de métamorphoses, les Harmonieux ont un côté apollinien. Harmonie, en effet, vit sous le signe d’Apollon, dans la belle apparence, dans une lumière incessante, dans « un jour permanent ». Laideur des ténèbres, nuit moche…

Le narrateur pourtant, Arnis, ne perçoit pas la beauté d’Harmonie, il n’y est pas sensible.
Mais il découvre la beauté toute humaine et féminine de Yeva, sa coéquipière, au moment même de la découverte du ciel d’Harmonie : « Je me retournai et vis Yeva qui avait libéré ses cheveux roux (…). Je la trouvai belle. »

Une tension se crée alors entre deux idées et deux perceptions du beau.

Arnis introduit une dimension subjective dans la conception du beau. Il ne dit pas « Yeva est belle », mais « je » la trouve belle. La beauté est dans le sentiment qu’il éprouve à la contempler, dans le regard nouveau qu’il porte sur elle, dans le plaisir qu’il ressent à la vue de sa « silhouette », de « sa peau pâle » et de ses « taches de rousseur ». L’expression de son jugement présuppose qu’un autre que lui pourrait ne pas la trouver « belle », qu’à un autre que lui elle pourrait ne pas plaire, ne pas être à son goût. Mais Yeva devient « désirable » aux yeux d’Arnis, et donc belle. Le goût, le beau et le plaisir qu’il suscite, sont affaire de désir, désir à l’objet variable pour chacun.
Objectivité et subjectivité du beau s’affrontent dans les personnages des Harmonieux et celui de Arnis.

Arnis s’ennuie sur la planète Harmonie, « planète tellement monotone qu’elle en est chiante. Et ils appellent ça de l’art » : déclare-t-il. L’ennui naît de l’équilibre harmonieux monotone, de l’uniformité des cités « harmonieuses », « Elles étaient toutes sur le même modèle ». Il manque, pour éviter l’ennui, une diversité, une rupture d’équilibre, une part de disproportion, d’irrégularité, de dissymétrie, tout cela faisant partie de l’expérience esthétique, intégré d’ailleurs dans l’art contemporain. L’étonnement, la surprise, la variété font partie du beau, alors que le ciel pourtant « magnifique » de la planète Harmonie, mais invariable, engendre lassitude et indifférence : « Je m’étais même accoutumé, blasé, au magnifique drapé polychromatique du ciel ».

Les « Harmonieux » échouent donc à créer un « art » de vivre, si la vie de cette planète, et sur elle, engendre ennui et monotonie, si cette vie se résume à une contemplation passive de l’œuvre créée, ou dans la répétition indéfinie du « même ».

En effet, les Harmonieux ont une tendance à rejeter l’altérité, ils conçoivent l’harmonie comme une unité homogène et uniforme. L’unité non dialectique consiste, non pas à dépasser ou surmonter des opposés et des contraires, mais dans le refus, le rejet, la suppression de ce qui est autre. Ainsi, ils ne cherchent pas une conciliation avec les civilisations qui pourraient leur être hostiles, mais se préservent de toute relation à l’altérité en se plaçant dans des dimensions d’espace et de temps inaccessibles aux « étrangers », ou en s’exilant d’une galaxie à une autre. S’ils sont prêts à accueillir une civilisation, ce n’est pas pour l’altérité qu’elle leur apportera, mais à la condition de se fondre dans l’identité harmonieuse.
Les compagnons d’Arnis succomberont à la séduction de la planète Harmonie. Seul Arnis résistera.

Le texte est riche de contenu, et mériterait d’autres commentaires encore, en particulier sur le désir, ce qui serait sans doute trop long, et lassant. Plus qu’une simple aventure exotique superficielle, le texte à l’allure de science-fiction s’avère plutôt un conte philosophique qui permet une réflexion sur la condition humaine, sur nos valeurs, plus particulièrement sur les idéaux esthétiques et « l’art de vivre ».

Merci Jean-Claude


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