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Humour/Détente
jensairien : La vie rend fou
 Publié le 27/03/09  -  12 commentaires  -  7849 caractères  -  70 lectures    Autres textes du même auteur

Une histoire avec des hauts et des bas.


La vie rend fou


Le père était monté sur un escabeau, la mère toujours montée sur ses grands chevaux, l’aîné faisait le fier sur un trapèze volant, et le cadet, très tête en l’air, rêvait de chercheurs d’or.


Au sommet de cette généalogie de haute volée, on trouvait un arrière-arrière-grand-père inventeur qui, à force de grimper aux arbres, et comme il avait l’esprit de contradiction, avait construit, en bois, un prototype dit de "sous-marin à l’épreuve de l’eau."


Mais ses incultes de contemporains, ignorants de ces modernités, à l’énoncé de "sous-marin" entendaient quelque chose comme "sous-officier de la marine", invention déjà répertoriée, fut-elle waterproof. Et ils le renvoyèrent dans ses branches.


Là-haut, tout là-haut sur son trapèze, Albin, le fils aîné, tricotait. Albin tricotait une longue échelle de laine, non pour échapper à son destin, mais afin de recueillir, un jour – jour qui fatalement approchait – la longiligne gazelle altière qui le fera tomber d’amour. Un battement de cils devrait suffire.


Le père, Aragon, vainqueur de la bataille de la Marne, était tombé de haut le jour où il reçut sa solde et sa médaille militaire. Il se fit maître-nageur et passa une bonne partie de sa vie en haut d’une guérite de plage à veiller les vacanciers coulant des jours malheureux, à creuser le peu de bonheur qu’écumaient les vagues de cretonne et de dentelle, en maillot de bain, armés de filets à crabes et de pinces papillons.


Perché sur son escabeau, il ressassait ses souvenirs au mépris de toute décence, plongé dans une mélancolie sans fond. "La vie est faite de hauts et de bas." C’était sa formule.


La mère, Anabella de la Vera Cruz, dont le rêve fut de devenir écuyère, se fit malheureusement violer par une troupe de nains à l’âge de treize ans, derrière le cirque, entre la roulotte de l’homme tronc et la cage aux lions.


Depuis son père, plein de dépit, l’obligea à ne plus se déplacer que montée sur des échasses enduites de graisse de porc. Elle en garda une profonde détestation pour le monde terrestre et un amour immodéré pour les girafes.


Ainsi décida-t-elle, à la mort de son géniteur, d’abandonner les échasses pour s’accrocher au cou d’un de ces grands ongulés qu’elle ne lâcha plus jamais. Ce qui fit aux médisants dire, la voyant déambuler digne et hautaine, agrippée au cou du gracile animal, qu’elle était montée sur ses grands chevaux.


La rencontre avec Aragon devait tout au hasard. La girafe n’était plus toute jeune et sa vue déclinait. Elle trouva un jour sur son chemin un de ses congénères et cavala à sa rencontre. Les steppes étaient bien loin et, sous ces latitudes tempérées, à part quelques zèbres de passage, la chance de rencontrer un partenaire idoine lui avait toujours paru quasi nulle.


Elle tomba folle de lui. Anabella de la Vera Cruz également, mais elle ne s’y trompa pas. Ce bel homme monté sur son perchoir, dans son maillot de corps jaune moucheté, l’œil aux aguets, prompt à sonner le tocsin, tenait moins de la girafe que du gyrophare.

Son cœur ne fit qu’un bond.


La girafe, réaliste, retomba vite sur ses pattes. Anabella, plus idéaliste, lui sauta au cou et ils s’aimèrent furieusement, altiers, dans des râles cosmiques et les caresses de la bise marine.

Quand ils s’endormirent enfin, là-haut dans leur guérite, tandis que le soleil biaisait, à cheval sur l’horizon, la marée ramena deux noyés sur la plage désertée.

On ne peut pas être partout à la fois.


Le fils cadet, distrait, tête en l’air mais toujours rêvant de chercheurs d’or, le jeune Baston, très remonté contre le reste de la famille, ne vivait plus qu’au ras du sol. La poussée d’acné, chez lui, se traduisit par des éruptions telluriques qui l’éloignèrent des siens.


Même sa mère, Anabella de la Vera Cruz, trouvait qu’il les regardait de haut mais, suivant les conseils de son mari d’Aragon, qui avait toujours un meilleur point de vue, elle laissa tomber. Ce n’était qu’un mal élevé. On se console comme on peut.


Baston donc, éleva des vers de terre et, le week-end, visitait des galeries. Féru de littérature il plaçait Kafka au pinacle, qu’à tort il classait dans la littérature underground, et abhorrait des auteurs comme Saint-Exupéry, qu’il n’avait que survolé.


Le profond attrait qu’il portait, depuis l’âge de six ans, pour le métier d’orpailleur, s’écroula le jour où, à la radio, une chanson le bouleversa. L’interprète, dont la mélancolie effleura la sienne, racontait son père. Il avait voulu devenir chercheur d’or, disaient les paroles, et son malheur fut d’en avoir trouvé.


Dès lors, il se persuada qu’il valait mieux rêver sa vie que la vivre ; état d’esprit auquel il était par nature disposé. Baston entreprit un long vagabondage qui, de terrains vagues en vagues trains, le traîna de plaines en peines car il écrivait des poèmes. Un soir il monta jusqu’à la capitale.


Là-haut il vécu prostré, la tête basse, assez déprimé, et quand il en fut réduit à faire la mendicité dans le métropolitain, il comprit qu’il ne pourrait tomber plus bas. Si la vie n’était pas un rêve tous les jours, il fallait se garder des mirages. Il admit son erreur.


Cela faisait longtemps qu’il n’avait vu le jour, se déplaçant de stations en stations, de couloirs en couloirs et de terminus en correspondances, fuyant les lignes aériennes comme la chauve-souris la lumière, le loup l’orée et la ligne l’horizon.

Enfin, dans un élan d’orgueil, il décida, à défaut de s’en sortir, d’en sortir.


Crispé à la main courante de l’escalator qui remontait à l’air libre, alors qu’il débouchait de la station Trocadéro, une vision de choc l’attendait : La Tour Eiffel. Son regard se fixa sur le premier étage et ne monta pas plus haut.


S’était-il tenu si longtemps loin du commerce des hommes ? Dans les journaux on ne parlait plus que de restrictions, de crise mondiale, de caisses vides, de pauvreté, de volonté nationale, d’abnégation, de nécessaire résignation et de dévouement patriotique.


Il se dispersa dans le paysage. Sur l’esplanade du Champ de Mars, des ouvriers affairés et tristes chargeaient des poutrelles sur des convois routiers. Puis ceux-ci s’ébranlaient à la queue leu leu, disparaissant dans des nuages de poussières métalliques.


La Tour Eiffel partait aux fourneaux en pièces détachées. C’était "Le grand sursaut national." On allait redresser la barre, le gouvernement s’y employait, et ça donnait du travail aux chômeurs.


Baston refit le trajet à l’envers. Il redescendit dans sa province. Le cirque avait été vendu. Aragon avait troqué son escabeau pour une chaise roulante, Anabella de la Vera Cruz, alitée à son côté, avait perdu de sa superbe. Pourtant ils furent heureux de l’accueillir. Quand on a conscience du ravage de la mort, les petites querelles de familles font ridules. Seul Albin, toujours perché sur son trapèze, remonta l’échelle quand il s’annonça.


- Allons, lança Baston, arrête de faire le fier et reçois-moi !


Mais Albin ne daigna même pas abaisser son regard. Maintenant qu’il supervisait une usine de production à grande échelle, son frère, il s’en balançait.


Alors Baston se sentit comme la cigale de la fable. Son frère s’était monté la tête, lui était redescendu sur terre, et pourtant à aucun moment ils ne s’étaient croisés.


Baston resta auprès de ses vieux parents jusqu’à leur mort. Albin, cynique, paya la descente au caveau. Puis Baston erra à nouveau, inconsolable.


Enfin il creusa un grand puits, nuits et jours, pendant des mois. Enfin il y pendit un trapèze qui affleurait à quelques mètres du fond. Il se laissa descendre, s’assit sur la barre transversale et n’en bougea plus. Quand un curieux, se penchant au-dessus du trou, lui demandait ce qui l’avait conduit là, il répondait :


- Dans la vie il y a des hauts, il y a des bas, j’essaie de concilier les deux.


La vie rend fou.



 
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   Flupke   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Jensairien.
Excellentissime. Du très bon déjanté de chez Jensairien.
Les paragraphes 4 et 5 sont finement ciselés.
Que de pépites:
de terrains vagues en vagues trains
Baston donc, éleva des vers de terre et, le week-end, visitait des galeries LOL
La tour Eiffel à démonter pour donner résoudre le problème du chômage :-)
Du chipotage: j'ai trébuché sur "Féru de littérature il plaçait Kafka au pinacle, qu’à tort il classait dans la littérature underground,"
J'ai vraiment beaucoup aimé ton texte. J'ai beaucoup rigolé. Chouette début de matinée. Merci.
Amicalement,
Flupke

   Anonyme   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Vraiment sympa ce texte.

D'une part parce que drôle de loufoquerie, de bizarreries, de décalage.

D'autre part parce qu'il y a de beaux moments de poésie (surtout au début).

J'ai un peu peiné sur tous les personnages à cause de la densité (heureusement que la présentation est aérée!), ce serait le reproche que je pourrai faire.

Bref de quoi bien commencer la journée!

   xuanvincent   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Une nouvelle à l'humour étrange (assez absurde il m'a semblé), j'ai trouvé, qui m'a au départ un peu déconcertée mais par la suite assez plu.

Voilà une bien étonnante famille de baladins !

L'auteur en tout cas ne manque pas d'imagination dans ce récit.

   Tchollos   
27/3/2009
Excellent. L'écriture est virevoltante, l'imagination infinie. Des trouvailles à la pelle et un humour unique. J'ai passé un très bon moment, merci.

En essayant d'être constructif, et en cherchant la petite bête, je dirais que quelques "blagues" sont un peu forcées (les nains et les échasse, ehm ehm), et qu'on a parfois un peu de mal à suivre. Mais c'est normal après tout. C'est un texte de fou, pour des fous, sur des fous... Vraiment chouette.

   Anonyme   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'adore!!!! Et dans cette nouvelle de haute volée, il y a plus de hauts que de bas...Quoi que ...de hauts décolletés, et des bas résille ont leur charme.

J'aime cette déclinaison de tous ces jeux de mots qui musclent les zygomatiques...Chaque phrase est à savourer...

Merci. Jensairien, on ne le regarde pas de haut...on fait profil bas, et on se prosterne à ses pieds.

   Anonyme   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un vrai moment de bonheur avec une famille formidable !
Une lecture à consommer sans modération et à conseiller à tous les déprimés avec une chute extraordinaire qui se termine plus bas que terre...

   Selenim   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Une fable moderne sympathique, entre Decouflé et Tim Burton.

Le déroulement, trop chaotique, fait perdre un peu de fraîcheur à l'ensemble.

Un bon moment tout de même.

   Anonyme   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Dans ce texte, assez fantasque, il y a des hauts et des bas... Restent qu'in fine, les grands sourires, ça compte...

Quelques concordances maladroites, mais bon on a vu pire...

Ici tomba : Le père, Aragon, vainqueur de la bataille de la Marne, était tombé de haut le jour où il reçut (à moins qu'il ne soit tombé avant de recevoir, ce qui est bien possible)

Ici dut: La rencontre avec Aragon devait tout au hasard.

Mais je me suis bien amusé. C'est super déjanté et ça me va...

   Menvussa   
27/3/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Un texte auquel j'ai eu du mal à accrocher, j'ai même failli lâcher prise. Pourtant rétrospectivement, en arrivant au bout, on ne regrette rien. Il y a de l'humour mais balancé vite fait, un peu de cynisme aussi, il y a les ingrédients, mais je trouvais la sauce bien longue à prendre.

Le texte me donne cette impression d'avoir été écrit très vite, ce n'est pas une critique, ou peut-être par petits bouts rapprochés comme on raccroche des wagons.

Beaucoup de jeux de mots, jeux de sonorités.

Une impression un peu étrange au demeurant.

   Anonyme   
28/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'aime beaucoup dans e texte
l'imagination le côté déjanté, ete cette façon d ene laisser aucun répit au lecteur

Bravo et merci

   victhis0   
31/3/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
So ?
- Rien me direz-vous, pourquoi cette question ?
- Ben parce que je m'y suis repris à 3 reprises (record personnel) pour aller jusqu'au bout de ce délire.
- Ouais mais c'est vachement enlevé, très poètique, plein d'un amour des mots et de la littérature !
- Sûrement, dis-je, un peu sur mes gardes...Sauf que le délire pour le délire, moi, j'ai quand même du mal, je trouve tout ça distrayant mais finalement trop stérile pour que je m'en souvienne deux clics plus tard.
- C'est parce que tu manques de sensibilité, de gratuité dans ta démarche : tout ça c'est de la littérature, non ?
- Ouais. Pas faux, pas faux...

   Anonyme   
6/4/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Oui des qualités indéniables de l'auteur. Des références. Des jeux de mots pas toujours bons... d'autres pas exploités...
Moi personnellement je n'ai eu qu'une paire d'émotions en te lisant :

1- Le coeur qui se gonfle d'espoir quand j'ai cru que tu nous contais le récit du premier suicidé de la Tour Eiffel...

2- Une pointe de déception à la hauteur du gonflement sus mentionné.

ça fait longtemps que je n'ai plus sorti ma phrase assassine, et pas de pot Jésus elle va tomber sur toi, mais, comme le disait Isfranco :

- La masturbation, fut-elle intellectuelle, se pratique de façon hygiénique et sous la douche.

J'ai pas aimé cette impression que me laisse ton texte, j'ai pas aimé le couvert de la folie (des hauts et des bas) pour passer de la confiture...

J'ai eu l'impression qu'on me jetait de la poudre aux yeux... et j'aime pas ça.
J'ai du lire trois fois, parce que les deux premières j'ai abandonné avant le milieu.
C'est toujours un peu répétitif dans les ainés, cadets, jeunes, père...
Et malgré les deux trois bons mots, une idée sympa au demeurant j'ai un texte qui ne m'a pas marqué, qui ne me donne pas envie d'être relu et qui ne m'a rien communiqué.
Sinon que dans la vie, y a des hauts et y a des bas...
je préfère lire Spleen pour me le rappeler, désolée...


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